Les orishas (aussi écrit orisa et orisha) sont des entités surnaturelles généralement considérées comme des divinités dans la religion yoruba en Afrique Occidentale bien qu’elles soient en réalité des émanations, ou des avatars, de l’être suprême Olodumare. On indique généralement qu’ils sont au nombre de 400+1 comme un raccourci pour « sans nombre » ou innombrables.
On pense que la croyance dans les orishas se développa entre 500 à 300 av. JC mais elle est très probablement bien plus ancienne étant donné que cette datation ne se base que sur des preuves archéologiques et qu’il reste beaucoup de sites ouest-africains qui n’ont pas encore été mis au jour. D’après la croyance yoruba, Olodumare est trop immense pour être compris par l’esprit humain et a donc libéré différents aspects de sa personne, chacun recevant au hasard une certaine sphère d’influence. Olodumare jeta les pouvoirs de domination dans les airs et l’orisha, quel qu’il fut, qui en saisit un devint responsable de cette sphère d’influence.
Les orishas voyagèrent vers les Amériques et les Caraïbes par la traite des esclaves transatlantique, au cours de laquelle beaucoup de yorubas furent réduits en esclavage, et là-bas les orishas furent syncrétisés avec les saints chrétiens du catholicisme. Les yorubas purent continuer à pratiquer leur religion en devenant nominalement catholiques, les saints catholiques remplissant le même rôle d’intermédiaire entre un croyant et la divinité suprême que les orishas dans leur foi natale.
A l’époque moderne, les gens invoquent les orishas lors de rituels personnels ou communautaires afin d’obtenir une force spirituelle, l’illumination ou de l’aide dans les difficultés du quotidien. Bien qu’il y ait de nombreux orishas, sept sont perçus comme plus puissants et sont devenus les plus populaires aux yeux des fidèles modernes. Aujourd’hui la vénération des orishas est pratiquée sous différentes formes par des individus tout autour du monde notamment dans les systèmes de la Santeria, du Candomblé et du Vaudou mais aussi par des Catholiques de nom and par ceux qui s’identifient comme néopaïens, wiccans ou pratiquants New Age.
La religion Yoruba
Les croyances de la foi yoruba furent transmises oralement pendant des génération avant d’être mises par écrit et il existe donc un certain nombre de versions différentes des mêmes récits. Dans certains l’être suprême est désigné comme Olodumare, dans d’autres c’est Olodumare-Oloorun et dans d’autres encore Olofin, mais toutes ces appellations font référence à la même entité, ni mâle ni femelle, qui a à la fois créé l’univers et est ce dernier. Plusieurs travaux modernes sur la foi yoruba prétendent qu’Olodumare réside au sommet des cieux, loin des préoccupations des habitants de la terre et ne peut entendre les prières des hommes, mais cette vision ne semble pas être soutenue par les récits dans lesquels l’entité est à la fois consciente et impliquée dans les difficultés des orishas comme des mortels. L’auteur Alex Cuoco commente :
Olodumare-Oloorun est le dieu suprême, tout-puissant des yorubas et non un orisha. Il a été à tort dépeint, par les premiers missionnaires en Afrique occidentale et dans la diaspora africaine, comme un dieu distant mais puissant dont les actions et lieux de résidence sont obscurs. Cependant, contrairement à la vision des missionnaires et de la diaspora, Oludumare-Oloorun est un dieu puissant qui est toujours présent dans tout, même s’il est au-dessus des orishas et de tous les peuples de la terre. (2)
Cuoco utilise le pronom masculin pour des raisons pratiques (et nous ferons de même ici) car Olodumare, étant toutes les choses, est à la fois mâle et femelle. Dans la cosmologie yoruba, Olodumare siège au sommet de la hiérarchie et tout le reste descend de lui :
- Olodumare
- Orishas
- Êtres humains
- Ancêtres humains
- Plantes et animaux
Au même niveau que les orishas on trouve les ajoguns, qui sont difficiles à définir mais sont souvent associés au concept occidental des démons. Un ajogun est un être surnaturel qui cause des problèmes, encourage les différends, porte la maladie et cause des accidents. Cependant ce ne sont pas des démons, car d’après la croyance yoruba, toutes les choses de la création, qu’elles soient naturelles ou surnaturelles, sont possédées à la fois par des aspects de positivité (ire) et de négativité (ibi). Il est possible que les ajoguns soient des orishas malicieux mais, quoi qu’ils soient, ils ne peuvent être considérés comme « mauvais » ou « démoniaques » selon le sens chrétien du terme.
Les ancêtres humains apparaissent dans la hiérarchie parce que les esprits de ceux qui nous ont précédés sont perçus comme existant toujours et comme étant capables d’exercer leur influence sur les vivants. Ils doivent être honorés par le souvenir et invoqués dans ce but par les vivants, ils tombent donc cependant plus bas dans la hiérarchie que les vivants. Les plantes et les animaux, bien qu’au bas de l’échelle, ne sont pas considéré comme de moindre valeur que les humains ou les ancêtres, ils sont juste moins capables d’action. Les plantes et les animaux sont perçus comme possédant la même étincelle divine que les êtres humains.
Le récit de la création yoruba a différentes versions, comme beaucoup d’autres récits originels. Dans une version du mythe, il y a bien longtemps au commencement du temps, Olodumare créa les orishas et répartit ses pouvoirs parmi eux au hasard. Les orishas se rassemblèrent alors autour du grand baobab qui leur fournissait tout ce dont ils avaient besoin et refusèrent d’utiliser leurs pouvoirs pour créer, préférant satisfaire leurs propres besoins. Olodumare se chargea alors de l’acte créateur par le biais de l’orisha (ou dieu) Oduduwa, qui créa le peuple yoruba et fit naitre la vie ainsi que les concepts d’identité culturelle et de royauté dans la cité d’Ife (aussi appelée Ife-Ife). Il n’est pas précisé si les orishas décidèrent ou non de participer à cette création.
Cependant leur participation à la création est donnée dans une autre version du récit originel, dans laquelle l’orisha Obatala sépare la terre des eaux et Olodumare envoie alors dix-sept orishas compléter son travail. Seize d’entre eux sont de sexe masculin et la dix-septième, Oshun, est non seulement de sexe féminin mais aussi la plus jeune d’entre eux. Les orishas mâles ignorent ses efforts et ses suggestions et finissent par échouer à réaliser leurs tâches. Ils sont contraints de retourner devant Olodumare et d’admettre leur échec et sont questionnés au sujet de la dix-septième orisha partie avec eux. Ils avouent l’avoir ignoré parce que c’était une femme, plus jeune de surcroit, et apprennent qu’elle seule est capable de finir leur tâche. Les orishas retournent sur la terre et s’excusent auprès d’Oshun qui achève la création grâce aux dons de beauté, fertilité, amour et douceur, instillant un besoin pour ces choses chez tout ceux qui ont reçu la vie grâce au souffle d’Olodumare.
Par conséquent, tous les êtres humains sont reliés les uns aux autres, quelque soit leur apparence, leur religion ou leur région d’origine, car ils doivent tous leur existence au même souffle divin qui les anime. C’est pour cette même raison que tous les êtres humains sont liés à tous les autres êtres vivants. Cette force motrice est connue sous le nom d’ashe, ou d’ase et est essentiellement la vie elle-même car elle se meut et se transforme en permanence. On considère aussi que chaque être humain a un ayanmo, un destin, qu’il choisit lui-même avant sa naissance mais oublie une fois né et doit ensuite réaliser au cours de sa vie. Si une personne n’y parvient pas, pour quelque raison que ce soit, elle est réincarnée et retente sa chance dans sa nouvelle vie.
Les orishas existent pour aider les humains à atteindre leur but d’accomplissement personnel mais ces entités sont elles-mêmes imparfaites et entravent parfois la progression des individus, souvent sans le vouloir, car elles ont chacune leurs propres personnalités et leurs propres défauts exactement comme les êtres humains. Les orishas, comme les mortels, sont sensés se consacrer au développement d’une forte volonté qui recherche ce qui est bon et fuit ce qui est mauvais mais ni les mortels ni les orishas ne parviennent à le faire en permanence et la fragilité, le désir, l’orgueil, la rancune et l’arrogance s’interposent souvent entre ce que les orishas savent devoir faire et ce qu’ils veulent faire.
Olodumare et les orishas
Ce qui l’illustre le mieux ce sont les histoires au cours desquelles les orishas se rebellent contre Olodumare en le croyant trop vieux pour s’occuper de la gestion du monde et en pensant qu’ils pourront bien mieux s’en charger. Dans un de ces récit, les orishas se rassemblent pour trouver un moyen de se débarrasser d’Olodumare et décident de le faire mourir de peur en l’invitant dans une de leur hutte et en y relâchant des souris dans la salle pendant le repas, Olodumare étant terrifié par ces dernières. Les orishas sont fiers de leur plan mais oublient d’inclure dans leur plan Esu (aussi connu comme Eshu et Elegua, le dieu messager qui préside sur les portes, les carrefours et le changement). Cependant, Esu avait connaissance de leur plan s’étant tenu dans l’embrasure de la porte quand ils le préparèrent mais il n’avertit pas Olodumare de leurs intentions.
Le jour dit, Olodumare vint gaiement à la hutte des orishas où les souris étaient dissimulées, s’attendant à partager un repas avec les autres, mais à l’instant où il passa l’embrasure de la porte cette dernière se referma d’un coup et des centaines de souris furent libérées, s’égaillant à travers toute la pièce. Olodumare fut pris de panique et s’enfuit devant les souris mais Esu apparut, calma la divinité et mangea rapidement toutes les souris. Olodumare demanda à savoir qui était les coupables, Esu pointa du doigt les coupables qui furent rapidement punis. En récompense, Esu obtint de pouvoir toujours agir selon son bon vouloir sans la moindre contrainte ni conséquence, lui permettant de devenir une figure malicieuse qui interfère librement avec la vie des autres, pour des raisons connues de lui seul, encourageant la transformation.
Dans une autre histoire, les orishas refusent de continuer à obéir à Olodumare parce qu’ils veulent pouvoir diriger le monde comme ils le veulent sans avoir à consulter quiconque. Esu se précipite vers le domaine d’Olodumare, Orun, pour lui porter la nouvelle et Olodumare empêche toutes les pluies de tomber. La terre commence à mourir tandis que les récoltes dépérissent et que les lac et rivières s’assèchent. Alors les orishas se lamentent, emplis de remords, mais Olodumare ne les entends pas. Oshun se transforme en paon et s’envole vers Orun mais, passant trop près du soleil, elle perd la plupart de ses plumes et à cause de la longueur de son voyage, arrive à Orun épuisée et malade. Elle parvient tout de même à transmettre son message et à faire entendre la contrition des orishas. Olodumare libère les pluies, soigne Oshun et la proclame seule parmi les orishas autorisée à porter des messages en Orun.
Les sept orishas
Les orishas, cependant, ne causent pas toujours des problèmes à Olodumare et sont la plupart du temps attentifs à leurs devoirs. On peut facilement comprendre comment Olodumare peut être perçu comme étant trop éloigné des préoccupations humaines pour être contacté par les mortels mais il faut aussi prendre conscience que chaque orisha est une émanation d’Olodumare et qu’ainsi l’être suprême est au courant de chaque prière de remerciement ou de chaque supplication adressée à n’importe quel orisha.
Comme indiqué plus haut, les orishas sont le plus souvent mentionnés au nombre de 400+1, afin de suggérer leur indénombrabilité. Il s’agit d’indiquer que même si un individu pensait connaitre tous les orishas et pensait pouvoir tous les nommer il y en aurait toujours un de plus qui lui aurait échappé. Malgré cela, toute la multitude des orishas n’apparait pas dans les histoires, en général on en voit entre vingt et trente tout au plus, mais il en existe surtout sept qui apparaissent souvent. Ceux-ci sont devenus les plus populaires d’entre eux et sont perçus comme des dieux et déesses :
- Esu : dieu messager qui préside sur les carrefours, les portes et la transformation
- Ogun, ou Ogoun : dieu de la métallurgie, de la force, de la transformation et de la guérison
- Obatala : dieu céleste de la création, protecteur des faibles et des handicapés, parangon de pureté.
- Yemaya : Mère de toutes les Eaux, divine Mère de la Terre, protectrice des femmes
- Oshun : déesse des eaux douces, de la fertilité, de l’amour, seconde épouse de Shango
- Shango : dieu du tonnerre et de la foudre, du feu, de la virilité, de la guerre et des fondations.
- Oya : déesse de la transformation et de la renaissance, gardienne des morts, troisième épouse de Shango
Ce ne sont là que les descriptions les plus basiques des sphères d’influence des sept orishas. Oya est aussi la déesse du fleuve Niger comme Oshun est celle de la rivière Osun et toutes deux sont vues comme des protectrices et des conseillères. Tous peuvent être perçus comme des figures transformatives à différents degrés et leurs responsabilités sont nombreuses. Esu, par exemple, étant une divinité des carrefours tient aussi un rôle de psychopompe, un guide de l’âme des morts, les amenant dans l’au-delà et les réconfortant en chemin alors même qu’il a pu jouer un rôle dans les circonstances ayant mené à leur mort. Ogun est capable de détruire aussi bien que de guérir, comme Oshun si elle est mécontente, et Shango peut déchainer le tonnerre et la foudre aussi bien au nom de la justice que de la colère.
Les orishas et les saints catholiques
Les orishas ne sont jamais représentés comme parfaits et nombre d’histoires racontent leurs mauvaises actions mais ils sont toujours représentés comme essayant de faire au mieux ce qu’on attend d’eux et ce de manière très humaine. Oshun peut être rancunière, Shango impatient, Esu manipulateur, Yemaya colérique etc… On peut cependant compter sur eux pour transmettre les messages des mortels à Olodumare et c’est pour cela qu’ils ont fini par être associés aux saint du catholicisme quand les yorubas furent emmenés comme esclaves dans le prétendu Nouveau Monde.
On ne sait pas vraiment comment la foi yoruba fut respectée dans une Amérique du Nord largement protestante (et elle ne le fut peut-être pas du tout) mais dans l’Amérique Centrale et du Sud et dans les Caraïbes, régions catholiques, elle fut syncrétisée avec la chrétienté et les orishas furent associés avec certains saints. Comme pour les histoires racontées par les yorubas en Afrique Occidentale, des orishas différents furent associés à des saints différents dans des régions différentes et il est impossible de savoir avec certitude quel orisha finit par être identifié à quel saint. En général l’association entre orisha et saint tient à la proximité de leurs sphères d’influence.
Esu, par exemple, fut associé avec Saint Antoine de Padoue, saint patron des objets perdus et des chemins dans la vie, à cause de son rôle de gardien des carrefours et de guide dans les transitions. Ogun fut lié à Saint Pierre à cause de son association avec la force, Pierre étant connu comme la pierre sur laquelle le Christ bâtirait son église. Yemaya finit par être syncrétisée avec la Vierge Marie en tant de Notre Dame de Regla à Cuba tandis qu’Oshun fut associée à la même figure en tant que Notre-Dame de la Merci. Shango fut liée à Sainte Barbe, cette dernière étant invoquée pour obtenir de l’aide en cas d’orage mais étant aussi la sainte patronne des artilleurs et donc liée à la guerre. Les autres orishas suivirent le même modèle avec un grand nombre des femmes associées à la Vierge Marie sous divers épithètes dans différentes régions.
Conclusion
Il était possible de s’identifier aux orishas, comme aux saint, parce qu’ils étaient faillibles. Saint Pierre a peut-être fondé l’Eglise mais il a refusé trois fois de croire au Christ tout comme Ogun a pu être perçu comme une source de force et de guérison mais a aussi tenté de violer Oshun dans un récit au cours duquel elle est secourue par Yemaya. Les gens avaient l’impression de pouvoir parler aux orishas en toute liberté parce que ces derniers comprenaient leurs problèmes, leurs faiblesses, leurs souffrances et leurs peurs.
Dans une autre histoire de la religion yoruba, après que le monde ait été créé et peuplé, tous les êtres humains étaient égaux et nul ne désirait quoi que ce soit. Cependant, le temps passant, le peuple commença à se plaindre de sa situation, remarquant que si tout le monde avait tout ce dont il avait besoin et si tous étaient égaux, nul ne pouvait être différent de son voisin et personne n’avait le moindre but à atteindre. Ils se plaignirent bruyamment à Olodumare et leurs pleurs furent transmis par Esu qui, comme d’ordinaire servit d’intermédiaire.
Esu fit de nombreux aller-retours entre la divinité et l’humanité, tentant de raisonner le peuple, tentant de les convaincre de la facilité de leur vie dans un monde où tous leurs désirs étaient exaucés et où nul ne mourrait de faim. Mais le peuple réclamait du changement et de la différenciation alors Olodumare leur accorda leurs souhaits après les avoir prévenus qu’une fois les choses changées elles ne pourraient plus redevenir comme avant. Après cela, ceux avec une peau claire se plaignirent de ne pas être plus sombres et ceux avec une peau sombre la voulurent claire, les pauvres volèrent les riches et les riches établirent des lois contre les pauvres, les ressources étaient rassemblées et défendues par un peuple contre un autre, et il y eu de la convoitise et des famines, des guerres et de la privation. Les mortels furent désolés d’avoir remis en question le plan de la divinité suprême mais comprirent qu’ils avaient reçu exactement ce qu’ils avaient demandé et devraient désormais s’en contenter. Ils reçurent cependant de l’aide, au travers des efforts des orishas.
Après tout, les orishas avaient remis en question la sagesse et la justice d’Olodumare et s’en repentirent plus d’une fois. Par conséquent, ils éprouvaient de la sympathie pour la condition humaine. Olodumare avait permis aux orishas de continuer à vivre comme auparavant mais la divinité suprême avait explicité clairement aux humains qu’une fois qu’ils auraient choisi l’inégalité comme base de leur existence, ils ne pourraient revenir à leurs anciennes vies.
Le mieux que quiconque puisse faire alors est de prier Olodumare par le biais des orishas pour obtenir la force de supporter les épreuves et tenter de s’illustrer dans un monde où chacun n’obtient pas toujours ce qu’il veut, un monde où même obtenir ce que l’on veut peut échouer à remplir nos attentes. Aujourd’hui les orishas continuent d’être invoqués par des fidèles pour ces mêmes raisons et, d’après la croyance, sont toujours aussi alertes et à l’écoute des besoins des humains qu’ils l’ont été depuis que les mortels reçurent le souffle de la vie au commencement du temps.