Le code d'Ur-Nammu (alias Our-Nammou, c. 2100-2050 av. J.-C.) est le plus ancien code juridique existant au monde. Il a été rédigé par le roi sumérien Ur-Nammu (r. de 2047 à 2030 av. J.-C.) ou son fils Shulgi d'Ur (r. de 2029 à 1982 av. J.-C.) des siècles avant que le célèbre Code de Hammurabi ne soit inscrit par le roi babylonien Hammurabi (r. de 1795 à 1750 av. J.-C.).
Le plus ancien code de loi de Mésopotamie est le Code d'Urukagina (vers le 24e siècle av. J.-C.) qui ne survit de nos jours que par des références dans d'autres ouvrages anciens. Bien que le code d'Ur-Nammu soit incomplet, il a été préservé dans une mesure suffisante pour permettre aux chercheurs de comprendre la vision qu'avait le roi de la loi et de l'ordre sur ses terres. Se présentant comme le père de son peuple, Ur-Nammu encourageait ses sujets à se considérer comme une famille et à considérer ses lois comme les règles d'un foyer. Les punitions, à l'exception des délits capitaux, prenaient la forme d'amendes, de la même manière qu'un enfant pouvait être privé de son passe-temps favori ou de son jouet pour s'être mal comporté.
Bien que les lois aient été publiées sous le nom du roi, il est possible qu'elles aient été publiées par son fils, Shulgi, après la mort d'Ur-Nammu. Le code fut développé par les successeurs de Shulgi et influença la forme et la vision sous-jacente de codes ultérieurs tels que les lois d'Eshnunna (c.1930 avant notre ère) et les lois décrétées sous le règne de Lipit-Ishtar (c. 1870 à vers 1860 avant notre ère). Ces codes, à leur tour, servirent de modèle au code d'Hammurabi qui allait influencer les lois d'autres civilisations, notamment la création de la loi mosaïque de la Bible.
L'ascension d'Ur-Nammu
La Mésopotamie fut gouvernée par l'Empire akkadien, établi par Sargon d'Akkad (r. de 2334 à 2279 av. J.-C.), jusqu'à environ 2083 avant J.-C., lorsqu'une combinaison de changements climatiques (entraînant sécheresse et famine) et une invasion par les Gutis d'Asie occidentale renversèrent la dynastie des Sargonides. Les Gutis (originaires de la région de l'Iran actuel) se présentèrent alors comme les successeurs des Sargonides mais, selon les récits sumériens, ils n'avaient ni les compétences administratives ni la cohésion religieuse qui avaient permis à Sargon et à ses successeurs de régner si efficacement.
Même si l'empire de Sargon avait maintenu l'ordre pendant des siècles, il ne fut jamais pleinement accepté par ses sujets qui se révoltaient périodiquement et étaient ensuite remis à leur place par des campagnes militaires. Les Gutis différaient toutefois de tous les autres adversaires du pouvoir sargonide, non seulement parce qu'ils étaient capables d'exploiter la faiblesse de l'empire vers 2083 avant J.-C., mais aussi parce qu'ils n'avaient rien en commun avec les habitants de la Mésopotamie. L'expert Paul Kriwaczek note :
[Selon les récits sumériens], les Gutis n'ont jamais été pardonnés pour avoir été différents des autres prétendants au contrôle de la Mésopotamie en n'ayant aucun intérêt à prendre le relais de la civilisation et à la faire progresser. Les chroniqueurs nous rappellent sans cesse qu'il s'agissait de "gens malheureux, ignorant comment vénérer les dieux, ignorant les bonnes pratiques religieuses". Ce ne pouvait être qu'une question de temps avant que la confiance retrouvée des villes du sud ne conduise à un effort concerté pour les chasser. (135)
Ce moment se présenta sous le règne d'Utu-hegal d'Uruk (vers 2055-2047 avant notre ère) qui mena une révolte contre les Gutis, refusa de négocier avec eux et les vainquit dans au moins une grande bataille. Après cette victoire, il se serait noyé, selon un récit, alors qu'il supervisait la construction d'un barrage. La guerre avec les Gutis, ainsi que l'autorité de la royauté, passèrent alors à la ville d'Ur et à son gouverneur, Ur-Nammu, le gendre d'Utu-hegal.
Ur-Nammu poursuivit la guerre contre les Gutis et reconquit les principales villes, dont la grande ville d'Eridu, tout en consacrant des efforts à la reconstruction et à la rénovation des temples et des centres de commerce endommagés lors des guerres. En devenant roi, il établit la troisième dynastie d'Ur à Sumer, également désignée comme la période Ur III (2047-1750 avant J.-C.) et la Renaissance sumérienne.
Troisième dynastie d'Ur
Certains spécialistes modernes s'opposent à l'expression "Renaissance sumérienne", affirmant qu'il n'y avait jamais eu de déclin nécessitant une renaissance, mais les récits sumériens affirment que la période gutienne était une époque où "l'herbe poussait haut sur les routes du pays" et où l'on ne cultivait pas de céréales ni ne pêchait de poissons, et où il n'y avait ni vin ni sirop en raison de la mauvaise gestion sous le règne des Gutis (Kriwaczek, 130-135). Ur-Nammu, se présentant comme le véritable successeur des Sargonides, revitalisa le pays grâce à ses politiques qui comprenaient des parcs publics, des vergers et des jardins irrigués dans et autour des villes, et le parrainage des arts. Il restaura l'économie sumérienne ou, du moins, l'améliora en offrant des emplois à tous ceux qui en voulaient ou en avaient besoin. L'expert Marc van de Mieroop commente :
Comme les biens de l'État étaient énormes (champs, zones de pêche, ateliers de fabrication, etc.), la demande de main-d'œuvre était très élevée. L'État d'Ur III n'était pas un régime totalitaire dont les habitants étaient entièrement soumis à la bureaucratie, il fallait donc recruter de la main-d'œuvre en offrant une compensation suffisante. De nombreux textes que nous possédons font état de la distribution de rations, qui devaient être prélevées sur les ressources centrales de l'État. (79)
Ces ressources semblent avoir été vastes car les projets de construction se multiplièrent et les cités-états sumériennes sous Ur-Nammu prospérèrent. Afin de maintenir cette prospérité, Ur-Nammu institua son code de loi, s'assurant que chacun comprenait ce qui était exigé de lui pour vivre en paix sous son règne.
Le code
Il reconnaissait le pouvoir des croyances religieuses sur le comportement personnel et présentait donc ses lois comme ayant été reçues des dieux. Il semble avoir fait en sorte que les gens comprennent que le roi n'était que l'administrateur, et non l'auteur, du code, et que lorsque quelqu'un enfreignait la loi, il se rebellait contre la volonté divine. Kriwaczek commente :
Bien qu'il ne s'agisse pas d'un véritable code de lois, étant loin d'être exhaustif, ni même, selon certains, introduit par Ur-Nammu mais par son fils Shulgi, code ou pas, bien que nous n'en ayons que des fragments, ils suffisent à montrer que les lois couvraient aussi bien les affaires civiles que pénales. Parmi les dispositions pénales, il précise quels sont les délits qui doivent être capitaux : le meurtre, le vol, la défloration de la femme vierge d'un autre homme et l'adultère lorsqu'il est commis par une femme. Pour les autres délits, la peine était une amende en argent... [Le code d'Ur-Nammu contraste] avec les lois plus célèbres d'Hammurabi, rédigées quelque trois siècles plus tard, avec ses dispositions sauvages du type "œil pour œil, dent pour dent". (148-149)
Le code fit l'objet d'une large publicité sous le règne de Shulgi qui, comme nous l'avons noté, pourrait même avoir été l'auteur réel. Il n'était cependant pas nécessaire d'exposer publiquement les lois, car le peuple sous Ur-Nammu et Shulgi partageait un ensemble commun de valeurs et de traditions, et les lois étaient destinées à encourager un comportement correct dans le cadre de paramètres déjà établis. Le chercheur Samuel Noah Kramer décrit le code tel qu'il apparaît en colonnes sur une tablette d'argile en écriture cunéiforme :
La tablette fut divisée par l'ancien scribe en huit colonnes, quatre sur l'avers et quatre sur le revers. Chacune des colonnes contient environ quarante-cinq petits espaces délimités, dont moins de la moitié sont lisibles. L'avers contient un long prologue qui n'est que partiellement intelligible en raison des nombreuses interruptions du texte. (53)
Le prologue explique comment le dieu de la lune Nanna choisit Ur-Nammu comme roi d'Ur, l'aida à vaincre la ville de Larsa et lui fournit des lois en vertu desquelles tous les sujets étaient considérés comme égaux, quel que soit leur statut social, afin que "l'orphelin ne soit pas la proie du riche, la veuve ne soit pas la proie du puissant, l'homme d'un sicle ne soit pas la proie de l'homme de soixante sicles" (Kramer, 54). Les lois étaient formulées selon le modèle de la phrase conditionnelle "si ça, alors, ça". En voici quelques exemples :
Si un homme à un homme avec un instrument... son... le pied a coupé, il paiera 10 sicles d'argent.
Si un homme à un homme avec une arme ses os de...sectionnés, 1 mina d'argent il paiera.
Si un homme à un homme avec un instrument geshpu le nez a été coupé, il paiera 2/3 d'une mine d'argent. (Kramer, 55)
Le code spécifiait également des amendes pour des crimes qui, sous le code de Hammurabi, seraient traités beaucoup plus sévèrement. Dans le code d'Ur-Nammu, deux délits en particulier sont remarquables :
Si un homme a crevé l'œil d'un autre homme, il pèsera la moitié d'une mine d'argent.
Si un homme a cassé une dent d'un autre homme, il paiera deux sicles d'argent. (Kriwaczek, 150)
Sous le code d'Hammurabi, si quelqu'un crevait l'œil d'un autre homme, il payait avec l'un des siens et de même avec une dent.
Code de Lipit-Ishtar
Il y eut cependant un certain nombre d'étapes entre le code d'Ur-Nammu et celui d'Hammurabi, et de bonnes raisons pour lesquelles le code de loi assez bienveillant d'Ur-Nammu dut être modifié. Les sujets de la troisième dynastie d'Ur étaient, plus ou moins, une population homogène de Sumériens, mais à l'époque du dernier monarque, Ibbi-Sin (r. de 1963 à 1940 avant notre ère), la population était plus diversifiée. Cette tendance se poursuivit jusqu'à l'établissement de la dynastie d'Isin par Ishbi-Erra vers 1953/1940 av. J.-C. Ishbi-Erra vaincu les Amorites et les Élamites qui avaient tenté de combler le vide du pouvoir après la chute des Gutis, et certains de ces peuples vivaient et travaillaient parmi les Sumériens en plus grand nombre qu'auparavant.
Sous le règne du cinquième roi de la dynastie d'Isin, Lipit-Ishtar, un nouveau code de lois fut nécessaire. L'une des principales dispositions du code de Lipit-Ishtar traitait de l'asservissement pour dettes, qui était devenu largement pratiqué, que ce soit par des personnes se vendant elles-mêmes comme esclaves ou par des membres de leur famille. Le code imposait également le service communautaire pour les travaux publics et fixait des taux d'imposition et des lois sur les successions équitables. Bien que ces lois fussent connues et comprises par les assemblées juridiques, elles n'étaient généralement pas consultées pour rendre un verdict, comme l'explique la spécialiste Gwendolyn Leick :
Le système judiciaire mésopotamien s'appuyait principalement sur le droit coutumier, défendu par l'assemblée des anciens, les fonctionnaires ou les tribunaux de la ville. Les juges pouvaient être choisis au sein de la communauté locale ou être nommés par le roi. Les parties concernées représentaient leur propre cause et amenaient des témoins, le cas échéant. Les procédures, ou du moins les verdicts, étaient consignés par écrit, et de nombreuses tablettes furent conservées pour la plupart des périodes historiques. En l'absence de témoins, l'accusé pouvait être soumis à une épreuve, par exemple être jeté dans une rivière ou un canal. L'innocence de la personne était prouvée lorsque la "rivière refusait" le coupable. Les défendeurs et les plaignants devaient prêter serment sur les emblèmes divins, comme le disque solaire, qui représentait le dieu de la justice, Shamash.
Les rois étant considérés comme les gardiens de la loi et de l'ordre, ils émettaient souvent des réformes juridiques, des remises de dettes et des décrets qui étaient consignés par écrit et que l'on appelle souvent des codes de loi, bien qu'il n'y ait aucune preuve que les tribunaux se soient jamais référés à de tels édits. (105)
Au lieu de cela, les tribunaux s'appuyaient sur des méthodes traditionnelles - comme l'épreuve - pour établir la culpabilité ou l'innocence, puis imposaient la punition qui leur semblait appropriée. Le code de Lipit-Ishtar semble avoir été créé principalement pour traiter les litiges résultant de problèmes de succession, d'héritage et d'asservissement pour dettes, et si la classe supérieure put observer les lois strictement telles qu'elles étaient écrites, les villages, les villes et les cités semblent les avoir considérées davantage comme des lignes directrices que comme un code de lois, si tant est qu'elles les aient reconnues.
Le code de Hammurabi
Hammurabi arriva au pouvoir après que son père, Sin-Muballit (r. de 1812 à 1793 av. J.-C.), ait abdiqué en sa faveur. Sin-Muballit avait attaqué la riche cité de Larsa qui était protégée par la dynastie d'Isin, et il avait été vaincu, ce qui l'avait obligé à se retirer. Hammurabi estimait peut-être que son père s'était trop hâté de lancer la campagne contre Larsa et fit donc mine de rechercher la paix et de s'occuper de projets de construction pendant qu'il levait et équipait tranquillement l'armée qui allait conquérir toute la Mésopotamie.
La date de rédaction du code de Hammurabi n'est pas claire, mais il semble qu'il ait été institué vers 1772 avant J.-C. pour établir l'ordre à Babylone, afin de disposer d'un front intérieur stable à partir duquel lancer des campagnes militaires. La population de Babylone était bien plus diversifiée que les sujets d'Ur-Nammu ou de Lipit-Ishtar, car c'était un centre intellectuel et commercial cosmopolite, attirant des gens de toute la région et d'aussi loin que l'Égypte et la Grèce. Le code de Hammurabi devait donc présenter un ensemble de lois qui transcendait les traditions ou les conceptions juridiques nationales que les gens pouvaient avoir à leur arrivée, ainsi que les pratiques juridiques traditionnelles observées dans les différentes cités-États et royaumes de Mésopotamie. Kriwaczek commente :
Les lois de Hammurabi reflètent le choc d'un environnement social sans précédent : le monde babylonien multiethnique et multi-tribal. Auparavant, à l'époque suméro-akkadienne, toutes les communautés s'étaient senties membres d'une même famille, toutes également servantes sous le regard des dieux. Dans de telles circonstances, les différends pouvaient être réglés en recourant à un système de valeurs collectivement accepté, où le sang était plus épais que l'eau, et la restitution équitable plus souhaitable que la vengeance. Cependant, lorsque des citadins côtoyaient des nomades au mode de vie complètement différent, lorsque des locuteurs de plusieurs langues sémitiques occidentales de l'Amurru, ainsi que d'autres langues, étaient mélangés à des Akkadiens incompréhensifs, la confrontation devait trop facilement dégénérer en conflit. (180)
Hammurabi, suivant l'exemple d'Ur-Nammu, affirma que ses lois lui avaient été remises par le dieu Shamash et fit placer une stèle gravée de ces lois, surmontée d'une image de Shamash les donnant au roi, sur la place de la ville où toute personne sachant lire pouvait y avoir accès ; ceux qui ne pouvaient pas le faire se les faisaient lire. L'ignorance de la loi n'était donc pas une excuse pour l'enfreindre, car les lois avaient été proclamées publiquement et pouvaient être consultées à tout moment. Contrairement au code d'Ur-Nammu, qui pouvait supposer une compréhension générale parmi la populace, le code de Hammurabi devait être plus explicite - et plus sévère - et, semble-t-il, son code était consulté par les tribunaux. Leick décrit le code et ses dispositions :
[Le Code de Hammurabi] représente le premier effort connu pour produire un ensemble cohérent de préceptes juridiques abstraits pour l'ensemble du pays, incorporant diverses pratiques locales et le droit traditionnel. Il comprend plusieurs sections principales (droit de la famille, y compris des sous-sections sur l'adultère, l'inceste, le divorce et l'héritage ; droit de propriété et restitution ; contrats de prêt et de location ; et établissement de normes sur les charges et les salaires). Il différencie les amendes et les punitions en fonction du statut juridique de la personne : libre, esclave et une catégorie intermédiaire. (106)
Au lieu d'amendes monétaires, le code s'appuyait sur le concept de justice rétributive (également connu sous le nom de Lex Talionis) défini par le célèbre dicton " œil pour œil et dent pour dent ". Bien que s'inspirant très certainement du code d'Ur-Nammu, les lois de Hammurabi étaient beaucoup plus détaillées afin d'en assurer le strict respect.
Conclusion
Le seul aspect que les deux codes avaient en commun, outre la formule conditionnelle standard (si cela, alors, cela), était l'affirmation selon laquelle ils avaient été reçus des dieux. Cette caractéristique apparaîtra plus tard dans des codes de loi tels que ceux des Assyriens et la loi mosaïque de la Bible. Tout comme Ur-Nammu attribuait à Shamash la paternité de son code, Moïse est présenté comme ayant reçu le sien de Yahvé.
Le code d'Hammurabi était considéré comme le plus ancien code juridique du monde jusqu'en 1947, date à laquelle le code de Lipit-Ishtar a été découvert, puis, en 1948, la tablette du code d'Ur-Nammu a été mise au jour en Iraq. Elle a été traduite par Kramer en 1952, mettant ainsi en lumière le plus ancien code juridique du monde. Kramer commente :
Combien de temps Ur-Nammu conservera-t-il sa place de premier législateur du monde ? Peut-être pas pour longtemps. Certains éléments indiquent qu'il y avait des législateurs à Sumer bien avant la naissance d'Ur-Nammu. Tôt ou tard, un "creuseur" chanceux trouvera une copie d'un code de loi précédant celui d'Ur-Nammu d'un siècle ou plus. (55)
Bien que cela puisse être vrai, aucun autre code de loi antérieur à celui d'Ur-Nammu n'a été trouvé à ce jour et il continue d'être considéré comme le premier législateur. Kramer parle de lui comme du "premier Moïse" qui, en répondant au besoin d'ordre de son peuple, créa le premier ensemble de lois qui s'appliquait à tous de manière égale, indépendamment du statut social ou du privilège supposé.