Les Gutis (ou Goutis, Qutis ou Goutéens) étaient un peuple d'Asie occidentale qui aurait vécu autour des monts Zagros, dans une région appelée Gutium. Ils n'avaient pas de langue écrite et tout ce que l'on sait d'eux vient de leurs ennemis, notamment les Akkadiens, les Sumériens et les Assyriens, qui les rendent responsables de la destruction et de la désolation du pays.
Les textes anciens les rendent responsables de la chute de l'empire akkadien et de la désolation de Sumer. Ils sont mentionnés pour la première fois dans des textes akkadiens sous le règne de Shar-Kali-Sharri (r. de 2223 à 2198 av. J.-C.), l'un des derniers rois de l'empire fondé par Sargon le Grand d'Akkad (r. de 2334 à 2279 av. J.-C.), et apparaissent dans les récits du règne de son petit-fils, Naram-Sin (r. de 2261 à 2224 av. J.-C.), ainsi que dans des œuvres ultérieures de la littérature mésopotamienne Naru, notamment La Légende de Cutha et La Malédiction d'Agadé.
Après la chute de l'empire akkadien, les Gutis revendiquèrent la succession et régnèrent sur Sumer (bien que l'étendue de cette domination soit contestée) jusqu'à ce que le roi d'Uruk, Utu-Hegal (c. 2055-2047 av. J.-C.) ne se révolte contre eux. Après la noyade d'Utu-Hegal, la royauté passa à Ur-Nammu (r. de 2047 à 2030 av. J.-C.) d'Ur qui poursuivit la guerre et, lorsqu'il fut tué au combat, son fils Shulgi d'Ur (r. de 2029 à 1982 av. J.-C.) conclut les hostilités en chassant les Gutis du pays.
Les textes assyriens ultérieurs désignent les Mèdes sous le nom de Gutis, et l'on pense que ce terme aurait été utilisé pour désigner tout groupe considéré comme "non civilisé" ou "barbare" par les scribes qui rédigèrent ces histoires. Les Gutis eux-mêmes n'ayant pas laissé de traces, leur mauvaise réputation de barbares nomades, tuant des innocents et détruisant des villes sans raison, est restée largement incontestée. Ce n'est que récemment que les érudits ont commencé à envisager la possibilité que les Gutis n'aient pas été aussi mauvais qu'on les dépeint, mais il n'existe encore aucune preuve à l'appui.
Akkad et les Gutis
Les Gutis sont évoqués pour la première fois à l'occasion de la chute de l'empire akkadien. Sargon d'Akkad établit la première entité politique multinationale et multiethnique du monde en Mésopotamie et maintint son contrôle grâce à des fonctionnaires soigneusement placés dans diverses villes et à sa force militaire. L'empire s'étendit sous le règne de Naram-Sin, considéré comme le plus grand roi akkadien, qui mena une campagne contre les Gutis et les vainquit au combat. Malgré cela, les récits affirment que la victoire fut coûteuse et que les Gutis réussirent à se regrouper par la suite.
On ne sait pas qui ils étaient, ni d'où ils venaient précisément. Tout ce que disent les récits anciens, c'est qu'ils venaient des monts Zagros, au nord de l'Élam, dans ce qui est aujourd'hui l'Iran, mais ces récits ne semblent pas faire référence au même peuple. L'érudit Marc van de Mieroop commente:
Le nom géographique Gutium et l'indication d'un peuple sous le nom de Gutis sont attestés dans les archives mésopotamiennes du milieu du troisième millénaire à la fin du premier millénaire avant J.-C. Il est très improbable que les Gutis soient venus de la région de Zagros. Il est hautement improbable que le nom Gutis ait toujours désigné le même groupe de personnes et Gutium la même région. Les preuves des deuxième et premier millénaires suggèrent principalement une localisation orientale du point de vue mésopotamien, mais nous ne pouvons pas affirmer que c'était le cas auparavant, lorsque les Gutis étaient plus importants dans l'histoire de la Mésopotamie.(Gutiens, 1)
Ils sont mentionnés pour la première fois comme des raiders nomades menant des raids ponctuels sur les villes sous domination akkadienne. Leurs rois figurent dans la liste des rois sumériens, ce qui signifie qu'ils avaient apparemment une certaine forme de gouvernement, mais la nature de celui-ci n'est pas connue. En 2218 avant notre ère, les Gutis se seraient établis à Sumer, sans que l'on sache dans quelle mesure, et en 2083 avant notre ère, ils furent tenus pour responsables de la chute de l'empire akkadien. La période allant de 2218 à 2047 avant notre ère est connue sous le nom de période guti dans l'histoire sumérienne, lorsque les étrangers détenaient le pouvoir avant d'être contestés par Utu-Hegal.
Sumer et les Gutis
Comme pour tous les autres aspects des Gutis, on ne sait pas comment - ni même si - ils conquirent Sumer au combat, mais les scribes ultérieurs les rendirent responsables d'une dévastation et d'une mort généralisées. Le spécialiste Paul Kriwaczek note que les fouilles archéologiques modernes menées sur divers sites de Mésopotamie ne montrent aucun signe d'occupation humaine entre la chute d'Akkad et la renaissance de Sumer sous Ur-Nammu, et poursuit en racontant comment les scribes sumériens tenaient les Gutis pour responsables de cette situation:
Le coupable a été désigné par les anciens comme étant les Gutis, qui avaient déferlé de la haute vallée de Diyala en laissant des traces de dévastation dans leur sillage. "La royauté fut confiée aux hôtes de Gutium qui n'avaient pas de roi", dit la Liste des rois. Une complainte poétique plus tardive, La malédiction d'Agadé, explique que le dieu "Enlil a fait sortir des montagnes ceux qui ne ressemblent pas aux autres peuples, qui ne sont pas considérés comme faisant partie de la Terre, les Gutis, un peuple débridé, doté d'une intelligence humaine mais ayant l'instinct des chiens et l'apparence des singes". La catastrophe qu'ils firent subir à Akkad fut impitoyable: "Rien n'échappait à leurs griffes, personne ne se soustrayait à leur emprise. Les messagers ne circulaient plus sur les routes, le bateau du messager ne passait plus sur les fleuves. Des prisonniers montaient la garde. Des brigands occupaient les routes. Les portes des cités du Pays étaient enfoncées dans la boue et tous les pays étrangers poussaient des cris amers du haut des murs de leurs villes." (129-130)
Kriwaczek souligne que les premiers historiens acceptèrent ces récits comme étant entièrement factuels, mais qu'il est possible que le changement climatique, entraînant sécheresse et famine, ait été le principal responsable de la chute d'Akkad; les Gutis n'auraient fait qu'exploiter cette faiblesse. L'effondrement des normes sociales et des coutumes dont il est question dans les récits pourrait également être le résultat de la famine et de l'incapacité des gouvernements locaux à faire face à la famine généralisée et à la dévaluation de la monnaie. Kriwaczek note qu'"il semble très peu probable que les Gutis aient pu à eux seuls submerger l'empire par la force des armes. Akkad n'avait eu auparavant que peu de difficultés à résister aux assauts d'ennemis bien mieux organisés" (130). Il semble donc possible que les changements environnementaux aient donné aux Gutis l'avantage dans la conquête au moment où ils en avaient besoin.
Cependant, il n'existe aucun moyen de l'affirmer avec certitude. Les preuves archéologiques suggèrent un changement climatique au cours de cette période, mais on ne sait pas s'il entraîna une famine ou les troubles sociaux décrits dans les documents anciens. Les derniers rois akkadiens n'étaient pas aussi puissants que Sargon et Naram-Sin, et le fils de Naram-Sin, Shar-Kali-Sharri, mena des guerres presque continuelles contre les Amorites, les Élamites et les Gutis tout au long de son règne. Les derniers rois d'Akkad ne détenaient que la région autour de leur ville centrale et ne sont pas cités comme monarques d'un empire, mais seulement d'un royaume. Il semblerait qu'Akkad, dans cet état de faiblesse, aurait été une proie facile pour les Gutis, même en l'absence de changement climatique ou de tout autre facteur.
Rois gutis et renaissance sumérienne
Le premier roi guti mentionné comme régnant à Sumer était Imta (également appelé Nibia, vers la fin du troisième millénaire avant notre ère), auquel succéda Inkishush, le premier à figurer sur la liste des rois sumériens. Il régna pendant six ans, mais on ne sait ni d'où ni jusqu'où son influence s'étendait. Sarlagab lui succéda, peut-être le même roi que celui capturé par Shar-Kali-Sharri, mais cela non plus n'est pas clair. 16 autres rois gutis figurent sur la liste des rois sumériens, chacun ne régnant pas plus de sept ans et certains seulement un ou deux ans, jusqu'à Tirigan, qui ne régna que 40 jours avant d'être détrôné par Utu-Hegal vers 2050 avant notre ère.
Selon la stèle de la victoire d'Utu-Hegal, le roi sumérien refusa de négocier avec Tirigan et emprisonna ses émissaires. Tirigan s'enfuit avec sa femme et ses enfants lorsqu'il comprit qu'Utu-Hegal avait le dessus, mais il fut appréhendé et, par la suite, probablement exécuté. La stèle indique seulement que "Utu-Hegal l'a fait s'allonger à ses pieds et a placé son pied sur son cou", mais ne fournit pas d'autres détails, si ce n'est qu'Utu-Hegal restaura la royauté de Sumer et "a défait le serpent Guti des montagnes". Utu-Hegal semble ensuite avoir commis une sorte de péché contre Marduk, le dieu patron de Babylone, ce qui aurait entraîné sa noyade ("le fleuve emporta son cadavre") et la royauté passa à Ur-Nammu d'Ur.
Ur-Nammu est à l'origine de ce que l'on appelle la Renaissance sumérienne de la période Ur III (2047-1750 av. J.-C.), au cours de laquelle il entreprit un certain nombre de projets de construction, redynamisa l'économie et publia son ensemble de lois, le Code d'Ur-Nammu, le plus ancien code juridique au monde. Ur-Nammu fut tué lors d'une bataille contre les Gutis, et son fils, Shulgi d'Ur, poursuivit la guerre contre eux, les chassant finalement de Sumer au début de son règne.
La légende de Cutha
Les Gutis n'avaient cependant pas été vaincus et étaient simplement retournés là où ils vivaient, près des monts Zagros, au nord. Ils ont survécu dans le genre connu aujourd'hui sous le nom de littérature mésopotamienne Naru, qui met en scène un personnage célèbre du passé - presque toujours un roi - dans un drame fictif transmettant une leçon ou une morale importante. Dans La malédiction d'Agadé, par exemple, Naram-Sin est tenu pour responsable de la chute d'Akkad après que, n'ayant pas reçu de réponse à ses prières, il eut attaqué le temple d'Enlil, et que les dieux eurent retiré leur grâce de la ville, permettant aux Gutis de la détruire. La leçon de ce conte est qu'il faut accepter tout ce que l'on reçoit des dieux - même le silence en réponse à une supplication - et ne jamais remettre en question leurs voies.
Dans La légende de Cutha, Naram-Sin apparaît à nouveau comme le personnage principal d'une histoire au thème similaire. Ici, le royaume de Naram-Sin est envahi par de terribles entités surhumaines qui détruisent des villages et des villes apparemment sans raison. Ces créatures sont associées aux Gutis tel un écho de leur barbarie tel qu'elle fut rapportée par les scribes sumériens, mais elles ne sont pas nommées Gutis. En fait, Gutium est l'une des terres mentionnées comme ayant été ravagée par les créatures avant qu'elles n'atteignent Akkad. Naram-Sin envoie l'un de ses soldats piquer l'un des monstres, car s'il saigne, il peut être tué. Lorsqu'il entend les créatures saigner, il consulte les dieux pour savoir quand et où il doit attaquer.
Les dieux lui répondent qu'il doit rester à sa place et ne rien faire du tout, ce qu'il juge inacceptable, et il envoie une armée de 120 000 hommes, dont aucun ne revient. Il envoie ensuite 90 000 soldats qui sont également tués, puis 60 700 soldats qui subissent le même sort. Naram-Sin comprend qu'il a offensé les dieux et s'humilie devant eux. Il capture ensuite 12 soldats ennemis, mais ne les attaque pas avant d'avoir consulté les dieux. Lorsqu'on lui dit de ne pas leur faire de mal parce qu'Enlil a prévu de les détruire à sa manière, il les remet au temple d'Enlil. À la fin de l'histoire, Naram-Sin s'adresse directement au public et lui demande d'obéir aux dieux et de ne pas se fier à sa propre compréhension, car les humains ne peuvent pas savoir ce que les dieux ont prévu.
Le conte semble avoir été populaire au cours du deuxième millénaire avant notre ère, longtemps après la chute d'Akkad et après que Naram-Sin et les autres rois akkadiens fussent devenus des héros populaires. L'association des Gutis à une armée de monstres surhumains montre clairement qu'ils étaient encore considérés comme des ennemis inhumains des dieux qui n'existaient que pour détruire les terres civilisées et qui, en temps voulu, recevraient justice des mains de la volonté divine. Il est probable que l'histoire ait trouvé un écho auprès du public sumérien à cette époque, car Sumer était tombée aux mains des Élamites en 1750 avant notre ère et avait ensuite été envahie par les Amorites qui, en se fondant dans la population indigène, avaient mis fin à la culture sumérienne ou, du moins, avaient contribué à son déclin. Van de Mieroop commente:
Le rôle exact des Amorites dans le renversement de l'État d'Ur III est difficile à discerner, mais nous pouvons établir un parallèle avec le rôle des Gutis dans la fin de l'État akkadien. Les deux groupes sont venus de l'extérieur de la région, ont acquis une importance politique et ont été considérés plus tard comme cruciaux dans le renversement de la situation politique existante.(A History of the Ancient Near East, 83)
Des récits comme La légende de Cutha et La malédiction d'Agadé ont perpétué l'image des Gutis comme "l'autre" qu'il faut craindre et haïr parce qu'il apporte des changements indésirables. Au moment où la Légende de Cutha fut mise par écrit, on pense que l'histoire existait déjà oralement depuis un certain temps et que les Gutis étaient fermement ancrés dans la tradition mésopotamienne en tant qu'ennemis du peuple et des dieux. Van de Mieroop précise:
[Les Gutis] sont toujours décrits de manière extrêmement négative: Ils n'accomplissent pas les rites religieux appropriés et maltraitent le peuple de Babylone en enlevant la femme à son mari, l'enfant à ses parents. Un texte littéraire du début du deuxième millénaire les qualifie de "à visage humain, à la ruse de chien, à l'apparence de singe". Nous pouvons donc conclure que, pendant un certain temps, certaines parties de la Babylonie ont été contrôlées politiquement par des personnes appelées Gutis, qui étaient perçues comme étrangères et barbares par la population indigène.(Gutians, 3)
Van de Mieroop précise toutefois qu'il n'y a aucun moyen de savoir si cette perception est valable. Les Gutis étaient-ils réellement aussi mauvais qu'on les dépeint ou ont-ils été calomniés par des scribes qui s'opposaient à la domination étrangère et aux traditions et rites inconnus? Malheureusement, il n'y a pas de réponse à cette question.
Conclusion
Les Gutis continuèrent à jouer un rôle dans l'histoire de la Mésopotamie après avoir été chassés par Shulgi d'Ur. Les Assyriens désignent les Mèdes comme des Gutis, ce qui confirme la théorie moderne selon laquelle le terme "Guti" est devenu un terme par défaut pour désigner toute personne étrangère et considérée comme dangereuse ou menaçante. Le roi assyrien Assurbanipal (r. de 668 à 627 av. J.-C.) accusa les Gutis d'avoir incité à la rébellion à Babylone et le roi babylonien Nabonide (r. de 556 à 539 av. J.-C.) prétendit qu'ils étaient responsables de la destruction du temple de la ville de Sippar.
En 539 avant notre ère, lorsque Cyrus II (Le Grand, r. v. 550-530 avant notre ère) de l'Empire achéménide prit Babylone, il employa des mercenaires gutis et il est possible qu'il en ait fait de même dans d'autres campagnes. Après la conquête de la Mésopotamie par les Achéménides, les Gutis disparaissent de l'histoire. Leur nom semble avoir survécu dans les références aux "barbares" mais, comme nous l'avons indiqué, il est peu probable que les "Gutis" ultérieurs aient été les mêmes que ceux tenus pour responsables de la chute d'Akkad ou de la désolation de Sumer.
Van de Mieroop observe que "si de nombreuses références aux Gutis et au Gutium peuvent être rassemblées, elles ne nous permettent pas d'écrire l'histoire d'un peuple ou d'un pays"(Gutians, 3). Cette affirmation est malheureusement la plus juste concernant les Gutis. Bien que les chercheurs d'aujourd'hui aient tenté de les relier à l'ethnie kurde, cela n'est pas possible car personne ne peut dire avec certitude qui étaient les Gutis, et cette situation restera inchangée jusqu'à ce que davantage d'informations sur eux ne soient mises au jour.