Jérémie (c. 650-570 av. J.-C.) est un prophète important d'Israël dans la Bible hébraïque. Outre son livre de prophéties, on lui attribue également la rédaction des livres des Rois et des Lamentations (peut-être écrits par son scribe, Baruch). Appelé à prophétiser vers 626 avant notre ère, nous en savons plus sur la vie de Jérémie que sur celle de tout autre prophète.
Les prophètes
Les prophètes étaient la version juive des oracles dans le monde antique. Ce terme désignait aussi bien une personne qu'un lieu. Classé dans la catégorie de la divination, c'est ainsi que les hommes communiquaient avec leurs dieux. L'oracle était possédé par la divinité et servait de véhicule aux paroles. Parfois, la divinité apparaissait dans une vision. D'autres fois, le prophète pouvait faire l'expérience d'un voyage extracorporel au ciel et recevoir des informations de Dieu ou de ses anges.
En 722 avant notre ère, l'Empire assyrien conquit et détruisit le Royaume d'Israël du Nord. C'est à cette époque que dix des douze tribus d'Israël furent perdues dans l'histoire. En 587 avant notre ère, l'empire babylonien conquit et détruisit le royaume de Juda et le temple de Salomon à Jérusalem. Les prophètes d'Israël expliquèrent ces deux catastrophes en affirmant que les péchés des Israélites (en particulier leur idolâtrie) avaient conduit Dieu à les punir. Cependant, ils offrirent également un message d'espoir: dans l'avenir, Dieu interviendrait à nouveau dans les derniers jours (eschaton en grec). À ce moment-là, il redonnerait à Israël sa gloire d'antan et corrigerait toutes les injustices.
L'appel de Jérémie
Jérémie fut appelé par Dieu pour annoncer la destruction imminente par les Babyloniens en 626 avant notre ère. Il était fils du prêtre Hilkija, du village d'Anathoth (dans le territoire de la tribu de Benjamin).
La parole de l'Éternel me fut adressée, en ces mots: Avant que je t'eusse formé dans le ventre de ta mère, je te connaissais, et avant que tu fusses sorti de son sein, je t'avais consacré, je t'avais établi prophète des nations. Je répondis: Ah! Seigneur Éternel! voici, je ne sais point parler, car je suis un enfant. Et l'Éternel me dit: Ne dis pas: Je suis un enfant. Car tu iras vers tous ceux auprès de qui je t'enverrai, et tu diras tout ce que je t'ordonnerai. Ne les crains point, car je suis avec toi pour te délivrer, dit l'Éternel. Puis l'Éternel étendit sa main, et toucha ma bouche; et l'Éternel me dit: Voici, je mets mes paroles dans ta bouche. Regarde, je t'établis aujourd'hui sur les nations et sur les royaumes, pour que tu arraches et que tu abattes, pour que tu ruines et que tu détruises, pour que tu bâtisses et que tu plantes.
(Jérémie 1,4-10).
Les épreuves de Jérémie
Par sa prédication et ses actes symboliques, Jérémie subit des persécutions. Les hommes de son village tentèrent de le tuer, mais Dieu l'avertit de s'enfuir. Un fonctionnaire du Temple le fit battre et le plaça au pilori à la grande porte de Benjamin pendant toute une journée. Sous le règne du roi Sédécias, Dieu ordonna à Jérémie de fabriquer un joug et de le porter autour du Temple. Cela indiquait que la nation serait bientôt sous le joug de Babylone.
Dieu ordonna à Jérémie d'acheter un pot d'argile (ou une jarre), de le briser devant la porte des Potiers et de dire au peuple:
Voici, je vais faire venir sur ce lieu un malheur Qui étourdira les oreilles de quiconque en entendra parler. Ils m'ont abandonné, ils ont profané ce lieu, Ils y ont offert de l'encens à d'autres dieux, Que ne connaissaient ni eux, ni leurs pères, ni les rois de Juda, Et ils ont rempli ce lieu de sang innocent; Ils ont bâti des hauts lieux à Baal, Pour brûler leurs enfants au feu en holocaustes à Baal...
(Jérémie 19:3-5).
Un précédent roi maléfique, Manassé, avait construit ce type d'autel au sommet de la vallée de Hinnom, dans la ville, et avait brûlé des enfants. Ce site devint le symbole d'une première version de l'enfer, la Géhenne.
Un autre fonctionnaire pressa le roi de le mettre à mort parce que sa prédication décourageait les soldats et le peuple. Jérémie fut jeté dans une citerne, enterré dans la boue. Un Koushite (juif éthiopien) le sortit de la boue, mais il resta en prison jusqu'à la chute de Jérusalem en 587 avant notre ère. L'attitude des Babyloniens à l'égard de Jérémie fut tout autre: ils le libérèrent et le laissèrent gentiment choisir l'endroit où il voulait vivre. Il se rendit à Mitspa avec Guédalia, qui fut nommé gouverneur de Judée.
Guédalia fut assassiné et remplacé par Johanan, qui ne tint pas compte du conseil de Jérémie de ne pas fuir et déplaça sa communauté en Égypte. Il emmena Jérémie, son scribe et les filles du roi.
Ainsi parle l'Éternel des armées, le Dieu d'Israël: Voici, j'enverrai chercher Nebucadnetsar, roi de Babylone, mon serviteur, et je placerai son trône sur ces pierres que j'ai cachées, et il étendra son tapis sur elles. Il viendra, et il frappera le pays d'Égypte; à la mort ceux qui sont pour la mort, à la captivité ceux qui sont pour la captivité, à l'épée ceux qui sont pour l'épée! Je mettrai le feu aux maisons des dieux de l'Égypte; Nebucadnetsar les brûlera, il emmènera captives les idoles, il s'enveloppera du pays d'Égypte comme le berger s'enveloppe de son vêtement, et il sortira de là en paix. Il brisera les statues de Beth Schémesch au pays d'Égypte, et il brûlera par le feu les maisons des dieux de l'Égypte.
(Jérémie 43:10-13)
L'Égypte fut conquise par les Babyloniens après la bataille de karkemish en 605 avant notre ère. Il n'y a aucune trace de la mort de Jérémie. Il passa probablement ses dernières années en Égypte.
Critique des cultes indigènes
Un thème dominant dans la construction des conceptions religieuses anciennes était la nécessité de la fertilité; fertilité des personnes, des cultures et des troupeaux. Ainsi, les dieux étaient toujours représentés accompagnés de déesses (consorts), et la procréation humaine devenait essentielle à la survie. Les prophètes d'Israël utilisèrent des allégories et des métaphores du mariage et du divorce pour critiquer ces concepts, affirmant que le péché d'idolâtrie conduisait à l'immoralité sexuelle. Dieu était l'époux et Israël devait être l'épouse fidèle.
Dans un passage bien connu de Jérémie, il reproche aux Juifs d'adopter des rituels indigènes qui conduisent à un mode de vie immoral:
Lorsqu'un homme répudie sa femme, Qu'elle le quitte et devient la femme d'un autre, Cet homme retourne-t-il encore vers elle? Le pays même ne serait-il pas souillé? Et toi, tu t'es prostituée à de nombreux amants, Et tu reviendrais à moi! dit l'Éternel. Lève tes yeux vers les hauteurs, et regarde! Où ne t'es-tu pas prostituée! Tu te tenais sur les chemins, comme l'Arabe dans le désert, Et tu as souillé le pays par tes prostitutions et par ta méchanceté. Aussi les pluies ont-elles été retenues, Et la pluie du printemps a-t-elle manqué; Mais tu as eu le front d'une femme prostituée, Tu n'as pas voulu avoir honte. Maintenant, n'est-ce pas? tu cries vers moi: Mon père! Tu as été l'ami de ma jeunesse! Gardera-t-il à toujours sa colère? La conservera-t-il à jamais? Et voici, tu as dit, tu as fait des choses criminelles, tu les as consommées. L'Éternel me dit, au temps du roi Josias: As-tu vu ce qu'a fait l'infidèle Israël? Elle est allée sur toute montagne élevée et sous tout arbre vert, et là elle s'est prostituée.
(Jérémie 3:1-6)
Les mots "sur toute montagne élevée" et "sous tout arbre vert" font référence aux images des Baals locaux (divinités cananéennes) et à leurs consorts féminins. Il réprimanda les femmes qui "offraient de l'encens à la reine des cieux" (Jérémie 44:19), Astarté. Il convient de noter que la polémique prophétique contre l'idolâtrie des Israélites ne constitue pas une preuve historique de ces péchés. L'accusation est une rationalisation pour expliquer pourquoi Dieu permit la conquête et la destruction par des puissances étrangères.
Confessions et lamentations
Plusieurs passages de Jérémie sont décrits comme des confessions personnelles, en ce sens qu'il pleure le fait que sa prédication n'a pas abouti au salut d'Israël. Les lamentations sont des structures poétiques peut-être basées sur des traditions plus anciennes de lamentations de villes mésopotamiennes. Les lamentations des villes déploraient la désertion des dieux traditionnels qui permettait à l'ennemi de conquérir et de massacrer. À l'instar des chants funèbres, les passages s'adressent aux morts pour leur expliquer le sort qui leur est réservé. Cependant, la complainte de la ville se terminait dans l'espoir, par la construction d'une nouvelle ville ou de nouveaux temples. Les Lamentations, en revanche, omettent ce concept, dans le contexte historique où Jérusalem n'avait pas encore été restaurée.
L'arche perdue
Les livres des Maccabées décrivent la rébellion contre le souverain grec de l'Empire séleucide, Antiochos IV Épiphane (r. de 175 à 164 av. J.-C.), en 167 av. J.-C. Il tenta d'interdire les coutumes juives et souilla l'autel et le temple en y érigeant la statue de Zeus. Les Juifs, sous la direction de la famille hasmonéenne, se rebellèrent et le chassèrent.
Le livre 2 Maccabées s'ouvre sur une histoire devenue légendaire:
On trouve dans les archives publiques que le prophète Jérémie ordonna à ceux qu'on déportait, de prendre le feu sacré, ainsi qu'il a été dit; et comment le prophète fit des recommandations aux déportés, en leur remettant un exemplaire de la loi, afin qu'ils n'oubliassent pas les préceptes du Seigneur, et qu'ils ne s'égarassent pas dans leurs pensées en voyant des idoles d'or et d'argent et les ornements dont elles étaient revêtues. Entre autres discours de ce genre qu'il leur tint, il les exhorta à n'éloigner jamais la loi de leur coeur. On lisait dans les mêmes écrits comment le prophète, sur un ordre reçu de Dieu, fit transporter avec lui le tabernacle et l'arche, et qu'il se rendit ainsi à la montagne que gravit Moïse et d'où il contempla l'héritage de Dieu. Arrivé là, Jérémie trouva une habitation en forme d'antre, et il y déposa le tabernacle et l'arche, ainsi que l'autel des parfums, et en boucha l'entrée. Quelques-uns de ses compagnons étant venus ensuite pour marquer le chemin par des signes, ils ne purent le trouver. Jérémie le sut et il les blâma: "Ce lieu, leur dit-il, doit rester caché jusqu'à ce que Dieu ait rassemblé son peuple et lui ait fait miséricorde. Alors le Seigneur révélera ces objets sacrés, la gloire du Seigneur apparaîtra, ainsi que la nuée, comme elle apparut au temps de Moïse, et lorsque Salomon fit une prière pour que le temple fût glorieusement sanctifié."
(2 Maccabées 2:1-8)
Des archéologues, ainsi que des amateurs aventureux, fouillent continuellement la région à la recherche de "l'Arche perdue".
Le judaïsme rabbinique
La littérature rabbinique postérieure (la Aggadah) utilise un passage du discours d'adieu de Moïse dans lequel Dieu dit: "Je leur susciterai un prophète comme toi [Moïse] parmi leurs compatriotes israélites, et je mettrai mes paroles dans sa bouche". (Deutéronome 18:18). Ils affirmèrent que Jérémie était ce nouveau Moïse et comparèrent leurs expériences (y compris la rébellion contre les discours de l'un et de l'autre).
Le christianisme
Le Nouveau Testament chrétien contient 40 citations directes de Jérémie. L'utilisation dominante était basée sur Jérémie 31:31-34:
Voici, les jours viennent, dit l'Éternel, Où je ferai avec la maison d'Israël et la maison de Juda Une alliance nouvelle, Non comme l'alliance que je traitai avec leurs pères, Le jour où je les saisis par la main Pour les faire sortir du pays d'Égypte, Alliance qu'ils ont violée, Quoique je fusse leur maître, dit l'Éternel. Mais voici l'alliance que je ferai avec la maison d'Israël, Après ces jours-là, dit l'Éternel: Je mettrai ma loi au dedans d'eux, Je l'écrirai dans leur coeur; Et je serai leur Dieu, Et ils seront mon peuple. Celui-ci n'enseignera plus son prochain, Ni celui-là son frère, en disant: Connaissez l'Éternel! Car tous me connaîtront, Depuis le plus petit jusqu'au plus grand, dit l'Éternel; Car je pardonnerai leur iniquité, Et je ne me souviendrai plus de leur péché.
Il fallut que Dieu envoie Jésus dans le monde pour déclarer une nouvelle alliance. Les critiques de Jérémie contre les Juifs corrompus et idolâtres devinrent la preuve chrétienne de la raison pour laquelle Dieu permit aux Romains de détruire Jérusalem et le Temple en 70 de notre ère. En même temps, une "alliance écrite sur leur cœur" devint la justification de l'acceptation des païens croyants sans les marqueurs d'identité ethnique des Juifs: la circoncision, les lois alimentaires et l'observance du sabbat.
Les souffrances et les persécutions de Jérémie ont pu influencer la manière dont l'évangile de Marc a dépeint le harcèlement, la persécution et finalement les souffrances de Jésus par les Juifs dès le début de son ministère. L'incident du Temple de Marc, où Jésus renverse les tables des vendeurs d'animaux et des changeurs de monnaie, reflète les manifestations de Jérémie sur l'imminence d'un malheur dans les cours du Temple.
Paul, l'apôtre des nations, se servit d'un concept similaire de Jérémie pour affirmer que, dans sa vision de Jésus, il était appelé à sa mission: "Mais, lorsqu'il plut à celui qui m'avait mis à part dès le sein de ma mère, et qui m'a appelé par sa grâce, de révéler en moi son Fils, afin que je l'annonçasse parmi les païens." (Galates 1,15-6).