
Argula von Grumbach (née von Stauff, 1490 à c. 1564) était une théologienne, écrivain et réformatrice bavaroise, qui devint une figure controversée après sa lettre de 1523 Contre l'université d'Ingolstadt protestant contre l'arrestation d'un jeune universitaire pour avoir enseigné les préceptes luthériens. Elle souffrit pour ses convictions, mais resta engagée dans la Réforme jusqu'à sa mort.
Von Grumbach était instruite et avait lu la Bible dans une traduction allemande avant que Martin Luther (1483-1546) ne commence ce qui allait être connu sous le nom de Réforme protestante en 1517. Elle se convertit aux "nouveaux enseignements" vers 1520 ou 1522 après avoir lu les œuvres du bras droit de Luther, Philippe Melanchthon (1497-1560), et devint une personnalité publique en 1523 après la publication de sa lettre Contre l'université d'Ingolstadt. Elle continua à publier l'année suivante, jusqu'à ce que la guerre des paysans allemands (1524-1525), que beaucoup associèrent aux enseignements de Luther, ne l'incite à faire une pause, bien qu'elle ait continué à écrire des lettres privées.
Elle entretint une correspondance étroite avec Luther, Melanchthon et d'autres réformateurs, dont Martin Bucer (1491-1551), mais ne s'associa jamais publiquement à leur activisme parce qu'elle était une femme. Ses écrits furent dénoncés par les autorités catholiques et critiqués par d'autres pour la même raison, et son premier mariage fut perturbé par sa notoriété. Malgré cela, elle continua à voyager et à plaider en faveur de la réforme tout au long de sa vie, au prix d'un effort personnel si important qu'elle fut incluse dans l'édition de 1572 de l'Histoire des martyrs par Ludwig Rabus (1524-1592), ancien élève de Luther, même si rien ne prouve qu'elle soit morte pour sa foi.
Comme pour beaucoup de femmes désormais célèbres de la Réforme protestante, ses huit lettres publiées entre 1523 et 1524 ont été ignorées par les historiens jusqu'à l'ère moderne, et von Grumbach ne commença à recevoir une attention sérieuse qu'à la fin du XXe siècle. Aujourd'hui, elle est reconnue comme une figure importante des premières années de la Réforme en tant que défenseur de l'égalité des femmes.
Jeunesse et conversion
L'année de naissance de Von Grumbach est parfois donnée comme étant 1490 mais a également été citée comme étant 1492 ou même 1493, et sa date de décès est tout aussi incertaine, allant de 1554 à 1564 ou même 1568. Les dates de 1490 à 1564 environ sont communément admises, mais ne sont en aucun cas certaines. Elle était issue de la famille noble von Stauff de Bavière, et son père ignora la croyance dominante selon laquelle l'éducation des filles était une perte de temps (voire les troublerait et les conduirait au péché) et la fit éduquer dans le privé, tout comme ses frères et sœurs. La famille avait des relations politiques et occupait son siège baronnial traditionnel au château d'Ehrenfeis à Ratisbonne.
À l'âge de dix ans, elle reçut un exemplaire de la Bible de Koberger (publiée en 1483), une traduction allemande de la Vulgate latine. Bien que l'Église catholique ait interdit les traductions de la Bible en langue vernaculaire, plusieurs ecclésiastiques l'avaient fait depuis John Wycliffe (1330-1384) en Angleterre et Jan Hus (c. 1369-1415) en Bohême. Le fait que son père lui ait offert une Bible en langue vernaculaire suggère fortement que la famille n'était pas orthodoxe, ce qui contribua sans doute à sa réceptivité ultérieure à la vision de la Réforme.
À l'âge de seize ans environ, elle fut envoyée à la cour royale de Munich pour servir de dame d'honneur à la duchesse Cunégonde d'Autriche (1465-1520). Cunégonde était bien éduquée et spirituelle, et semble avoir encouragé l'étude de la Bible et les discussions sur les Écritures. Elle invitait également divers ministres et théologiens à sa cour, où von Grumbach rencontra Johann von Staupitz (c. 1460-1524), mentor de Martin Luther.
En 1509, ses deux parents moururent de la peste et elle fut adoptée par son oncle, Hieronymous von Stauff, qui serait exécuté en 1516, accusé d'intrigues politiques. La même année, elle épousa Friedrich von Grumbach (+ 1530), lui aussi issu d'une prestigieuse famille bavaroise, qui occupait un poste administratif à Dietfurt. Le couple s'installa à Dietfurt et aurait quatre enfants: George, Hans Georg, Gottfried et Apollonia.
Entre 1516 et 1522 environ, la famille est supposée avoir été entièrement catholique, mais après que les œuvres de Luther et de Melanchthon eurent commencé à circuler vers 1520, von Grumbach se convertit à la vision réformée du christianisme et insista pour que ses enfants soient élevés selon ses préceptes. Cette datation est basée sur la déclaration d'Argula von Grumbach à l'université d'Ingolstadt en 1523, date à laquelle elle était déjà acquise à la cause protestante. Son mari resta catholique, ce qui, selon ses écrits ultérieurs, aurait provoqué des tensions importantes au sein du couple.
Contre l'université d'Ingolstadt
Alors que le discours de Luther à la Diète de Worms en 1521 lui faisait gagner de plus en plus d'adeptes, sa vision devint particulièrement attrayante pour les étudiants de l'université. À l'université d'Ingolstadt, le théologien catholique Johann Eck (1486-1543), qui avait dénoncé et débattu avec Luther à Leipzig en 1519, interdit l'enseignement et la diffusion de la théologie luthérienne, la condamnant en tant qu'hérésie. Un jeune étudiant, Arsacius Seehofer (c. 1504 à c. 1539), s'était inscrit à Ingolstadt en 1518 mais se rendit à Wittenberg, siège de la Réforme de Luther, vers 1521 pour étudier avec Melanchthon. De retour à Ingolstadt en 1522, il fut mis en garde par Eck contre l'introduction de concepts luthériens au sein du corps étudiant.
Jeune membre de la faculté (environ 18 ans) au printemps 1523, Seehofer ignora l'avertissement d'Eck et présenta une conférence sur la théologie de Melanchthon. Il fut censuré et son appartement fut fouillé à la recherche d'ouvrages hérétiques. 17 textes luthériens furent saisis et Seehofer fut renvoyé de l'école, arrêté et menacé d'être exécuté sur le bûcher s'il ne renonçait pas à la théologie luthérienne. Seehofer semble avoir d'abord refusé, mais son père intervint et fit passer l'affaire du tribunal ecclésiastique au tribunal séculier, qui accepta de renoncer à la perspective de la peine capitale si Seehofer se rétractait, ce qu'il fit. Il fut néanmoins exclu de l'université et fut envoyé à l'abbaye d'Ettal, où il resterait prisonnier jusqu'en 1524.
Von Grumbach, furieuse que personne ne prenne la défense de Seehofer, écrivit une lettre désormais célèbre Contre l'université d'Ingolstadt, demandant à la faculté d'expliquer de quoi Seehofer était coupable et, par extension, pourquoi les œuvres de Luther et de Melanchthon devaient être considérées comme hérétiques alors qu'elles n'adhéraient qu'à l'Écriture sainte. L'universitaire Kirsi Stjerna commente:
Argula fut poussée à l'action par Dieu et par l'injustice dont elle était témoin. Elle fonda ses arguments sur la primauté des Écritures, étayant son argumentation par plus de 80 citations et une rhétorique astucieuse. Elle avait peut-être été inspirée par les paroles de Luther sur la nécessité pour les femmes de prêcher l'Évangile lorsque les hommes se taisent. Elle exigea avec audace que les hommes de l'université ne se contentent pas de l'écouter, mais qu'ils lui répondent personnellement. Ni son statut de laïque, ni son sexe, ni son manque de connaissances en latin n'ont constitué un obstacle pour elle. Avec une autorité basée sur les Ecritures et le devoir moral chrétien d'intervenir lorsqu'une université financée par des fonds publics était coupable de mauvaise conduite, elle était indignée. (76-77)
Eck et le reste de la faculté ignorèrent sa lettre, et Seehofer était toujours prisonnier à l'abbaye d'Ettal, elle fit donc publier ses écrits. Ils avaient déjà circulé dans la ville à l'automne 1523 sous forme de copies manuscrites jusqu'à ce que l'ami de von Grumbach (et collègue réformateur) Andreas Osiander (1498-1552) ne lui suggère de les publier officiellement et n'écrive une préface à l'ouvrage, qui devint un best-seller et connut 14 éditions en seulement deux mois. Encouragée par ce premier succès, elle écrivit ensuite d'autres lettres, désormais adressées à la noblesse de la région, citant les Écritures et plaidant pour leur soutien à la Réforme.
Vie conjugale et persécution
Seehofer fut libéré en 1524 et, revenant sur sa rétractation antérieure, reprit la cause, devenant par la suite prédicateur et enseignant protestant. On ne sait pas si c'est la lettre de von Grumbach ou les relations de Seehofer qui conduisirent à sa libération, mais la popularité de sa lettre semble suggérer qu'elle aurait exercé une certaine influence, ne serait-ce qu'en mettant les autorités dans l'embarras du fait qu'une femme s'était montrée aussi versée dans les Écritures qu'elles prétendaient l'être. À cette époque, ses autres lettres avaient également été publiées (certaines à son insu ou sans son consentement) et ces pamphlets circulaient dans toute la région au nombre de plus de 30 000. À l'automne 1524, elle était un auteur à succès et un personnage public controversé.
La Bavière était encore une région largement catholique, et von Grumbach faisait partie de la minorité, soutenant publiquement la cause de Luther (bien qu'elle n'ait jamais été identifiée comme luthérienne, mais seulement comme chrétienne), et elle aurait donc pu être arrêtée pour hérésie. Il semble qu'elle ne l'ait pas été en raison de son statut social de femme noble, mais aussi parce que les autorités avaient appris, après avoir persécuté Luther, qu'essayer de supprimer une figure populaire ne faisait qu'accroître le soutien à leur cause. En outre, la guerre des paysans allemands avait commencé et les gens, en général, avaient de plus grands soucis que de répondre aux écrits de von Grumbach. Il a également été noté que, bien qu'elle ait écrit pour défendre Luther et Melanchthon, elle ne citait que les Écritures, et non leurs œuvres.
Comme les autorités ne pouvaient pas l'attaquer directement, elles s'en prirent à son mari, qu'elles démirent de ses fonctions administratives. Il a été suggéré, avant ou après son licenciement, que des collègues et des supérieurs l'avaient encouragé à briser les mains de sa femme, à lui couper les doigts, et qu'aucune accusation ne serait portée si elle était assassinée, bien que ces affirmations aient été contestées. Si ces suggestions ont bel et bien été faites, Friedrich les ignora, mais selon les lettres de von Grumbach, il "a fait tout ce qu'il pouvait pour persécuter le Christ en elle" (Stjerna, 79), bien que la forme que cela aurait pris ne soit pas claire.
Après la publication de sa lettre contre Ingolstadt, un membre de la faculté, le professeur Hauer, la dénonça publiquement dans ses sermons comme une "chienne hérétique", une "putain éhontée", une "femme désespérée" et une "fille d'Ève", et d'autres se firent l'écho de ces sentiments. Après que son mari eut perdu son emploi, la famille fut bannie de Dietfurt et déménagea peut-être à Lenting ou dans un autre village des environs. Friedrich ne trouva pas de travail et von Grumbach mit ses bijoux en gage à plusieurs reprises pour payer ses dettes et assurer l'approvisionnement de la maison. Bien qu'elle ait été admirée par les réformateurs protestants, dont Luther, il n'existe aucune preuve qu'ils l'aient aidée financièrement ni défendue publiquement.
Luther et von Grumbach
Friedrich mourut en 1530, alors que ses enfants étaient pratiquement adultes, et elle voyagea seule pour aller à la rencontre de Luther à Cobourg, pendant que Melanchthon et d'autres se rendaient à la Diète d'Augsbourg. Les écrits personnels de Luther expriment une grande estime pour von Grumbach, mais ses écrits publiés ne la mentionnent jamais, même lorsqu'il aborde des questions telles que l'arrestation et l'emprisonnement de Seehofer. Il semble qu'il ait bénéficié personnellement de leur association, car elle était une noble Bavaroise. L'universitaire Lyndal Roper fait remarquer que:
C'est sans doute son statut social de membre de la noble famille Staufen qui lui a permis de devenir l'amie de Luther - elle appartenait au groupe social que Luther avait toujours cultivé - [mais] le monde de l'égalité intellectuelle entre hommes et femmes qu'elle avait osé imaginer ne s'est pas réalisé. Elle fut tournée en dérision par l'université et moquée par les hommes qui trouvaient ses actions et son comportement inappropriés pour une femme. (407)
Luther semble également avoir jugé inopportun de reconnaître et de soutenir publiquement une femme qui prétendait enseigner à des hommes, car cela était interdit par les Écritures, notamment par le passage de I Timothée 2:12 ("Je ne permets pas à une femme d'enseigner ou d'avoir autorité sur un homme; elle doit se taire"). Von Grumbach a cependant toujours maintenu son droit d'enseigner et d'écrire conformément à un concept défendu par Luther lui-même, le sacerdoce de tous les croyants, selon lequel toute personne ayant des convictions chrétiennes sincères est égale à toutes les autres, sans hiérarchie ecclésiastique, sans éducation formelle ou, selon von Grumbach, sans distinction de sexe.
Von Grumbach cite en fait "une école de femmes" qui la soutenait, même s'il est clair qu'elle avait agi et écrit seule, et semble se référer à des contemporaines, et pas seulement à des figures féminines de la Bible. On ne sait pas qui étaient ces femmes qui "sont capables et lisent mieux que moi" (Stjerna, 78), puisque beaucoup de membres de la famille de von Grumbach l'avaient désavouée, mais il y avait beaucoup de femmes actives dans les efforts de la Réforme à la même époque, y compris Marie Dentière (c. 1495-1561) à Genève, Katharina Schutz Zell (1497-1562) à Strasbourg, Marguerite de Navarre (1492-1562) en France et la propre femme de Luther, Katharina von Bora (1499-1552), en Allemagne.
Ces femmes, et bien d'autres, firent progresser la Réforme dans ses premières années, mais ne furent pas reconnues publiquement par leurs homologues masculins de l'époque. Luther et Jean Calvin (1509-1564) avaient tous deux un grand respect pour leurs épouses et, en privé, approuvaient leurs efforts, tout en maintenant publiquement que les femmes étaient subordonnées aux hommes, conformément aux Écritures. Lorsque von Grumbach tenta d'organiser une rencontre entre Melanchthon (luthériens) et Bucer (zwingliens) à Augsbourg en 1530, afin de réconcilier leurs divergences sur le rite de la Cène, elle fut rejetée en tant que femme, alors que ses ouvertures auraient été bien accueillies si elle avait été un homme, puisque cette même réconciliation avait été tentée un an plus tôt lors du colloque de Marbourg.
Les attaques contre von Grumbach, quelle qu'ait été la forme qu'elles prirent, finirent par se concentrer sur le fait qu'elle était une femme qui prétendait enseigner à des hommes. L'une des attaques les plus connues est celle d'un certain Johann de Landshut en 1524, qui la satirisa dans un poème, affirmant qu'elle devrait cesser de faire semblant de s'occuper d'affaires d'hommes et retourner filer de la laine, tout en suggérant que c'était uniquement son désir pour Luther qui l'avait attirée dans le mouvement. Von Grumbach répondit à ce poème par l'un des siens, mais il n'y a aucune preuve que Luther ou un autre ait contribué à sa défense.
Conclusion
Von Grumbach se maria une seconde fois en 1533 avec le comte von Schlick, qui soutenait la Réforme, mais il mourut en 1535. Elle survécut à trois de ses quatre enfants, puisque George et Apollonia moururent en 1539 et Hans Georg en 1544. Elle maintint néanmoins sa foi et, en 1563, elle est mentionnée comme ayant été emprisonnée pour avoir troublé la paix en "faisant circuler des livres protestants, en organisant des services religieux dans des maisons privées et en officiant lors d'enterrements sur des tombes" (Stjerna, p. 82). Bien que l'histoire la connaisse pour ses huit lettres publiées entre 1523 et 1524, les archives publiques et les lettres d'autres personnes montrent clairement qu'elle resta une activiste tout au long de sa vie et qu'elle incarna l'esprit des premières réformes, qui portaient l'espoir de l'égalité des femmes. Stjerna écrit:
Argula est née au bon moment de l'histoire, à l'époque où il était possible d'écrire des pamphlets pour les laïcs, avant que cette opportunité ne devienne plus contrôlée. Argula et Katharina Schütz Zell représentent ce qui "aurait pu être" pour les femmes protestantes au XVIe siècle et plus généralement. Son histoire montre également les obstacles auxquels les femmes écrivains et enseignantes étaient confrontées. Elle a incarné les espoirs d'un laïc émancipé, et plus particulièrement d'une femme laïque. Elle incarne le zèle des premiers évangélistes lorsqu'elle s'exprime par conviction et confession, en tant que chrétienne, enseignante de la Bible et défenseur des droits religieux des gens, offrant une vision de l'Écriture qui pourrait avoir des ramifications radicales tant sur le plan social que sur le plan théologique. Ses actes et ses paroles contenaient de potentielles répercussions sur l'émancipation des femmes et la rébellion des peuples opprimés, tels que les paysans. (84)
Bien que ses lettres aient contribué à la diffusion de la Réforme en Allemagne et qu'elle ait été admirée en privé par ses contemporains plus connus du mouvement, les œuvres de von Grumbach ont été oubliées après sa mort. Les événements de ses dernières années sont en fait obscurs, et sa tombe inconnue. Comme beaucoup d'autres femmes réformatrices, elle a été éclipsée dans l'histoire par les hommes de la Réforme jusqu'à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, bien que l'intérêt des chercheurs pour son œuvre n'ait commencé à se manifester qu'au cours des 30 dernières années. Aujourd'hui, elle est souvent citée, avec d'autres femmes de son époque, comme une proto-féministe et une activiste, ce avec quoi elle serait probablement d'accord, mais elle serait sans doute plus à l'aise avec le terme "chrétienne", qu'elle entendait comme signifiant quelqu'un en qui vit le véritable esprit du Christ.