Papesse Jeanne

Définition

Peter Kauffner
de , traduit par Babeth Étiève-Cartwright
publié le 05 mai 2022
Disponible dans ces autres langues: anglais, portugais
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Pope Joan Giving Birth (by Unknown Artist, Public Domain)
La papesse Jeanne en train d'accoucher
Unknown Artist (Public Domain)

Le papesse Jeanne était une femme légendaire du Moyen Âge qui aurait régné de 855 à 858. Après que son histoire eut été popularisée par l'écrivain italien Giovanni Boccaccio (1313-1375), une statue la représentant fut placée aux côtés de celles des autres papes dans la cathédrale de Sienne. Pendant la Réforme, son statut fut au centre d'une controverse.

Lorsque le réformateur tchèque Jan Hus (1372-1415) évoqua cette histoire lors de son procès devant le Conseil de Constance, aucune des élites de l'Église réunies ne la remit en question. Martin Luther (1483-1546) affirma avoir vu une statue de Jeanne lors de sa visite à Rome en 1510. Luther et Jean Calvin (1509-1564) utilisèrent tous deux Jeanne pour contester la doctrine catholique. Sa statue fut retirée de la cathédrale après que l'histoire eut été mise en doute par l'écrivain français Florimond de Raemond (1540- 1601).

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Selon la légende, Jeanne serait née de parents anglais dans la ville allemande de Mayence. Elle se serait rendue à Athènes avec son amant et se serait déguisée en homme pour recevoir une éducation religieuse. Elle se serait distinguée en tant qu'érudite et aurait gravi les échelons de l'église. En 855, elle aurait été élue pape à l'unanimité par le collège des cardinaux. Elle aurait été démasquée en tant que femme adultère lorsqu'elle aurait accouché inopinément pendant une procession.

Jean de Mailly

Le plus ancien compte rendu de la papauté de Jeanne se trouve dans la Chronique universelle de Metz écrite en 1255 par Jean de Mailly. Jean était un Dominicain de Metz, en Lorraine.

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A vérifier : A propos d'un certain pape, ou plutôt d'une papesse, car c'était une femme. Se faisant passer pour un homme, il fut fait notaire de la curie à cause de la droiture de son caractère, puis cardinal et enfin pape. Un certain jour, alors qu'il était monté à cheval, il donna naissance à un enfant et aussitôt, par la justice romaine, il eut les pieds liés ensemble et fut traîné par la queue du cheval et lapidé par le peuple sur une demi-lieue et là où il mourut, il fut enterré, et c'est là qu'il fut écrit : Pierre, Père des Pères, Publie la Parturition [accouchement] de la Papesse [Petre, Pater Patrum, Papisse Prodito Partum]. Sous lui fut institué le jeûne des Quatre-Temps, appelé le jeûne de la Papesse. (Noble, 220)

Pope Joan
Papesse Jeanne
Unknown Artist (Public Domain)

Bien que Jean ne nous donne pas le nom du pape en question, le texte nous indique une inscription sur une tombe ou un monument quelque part dans les environs de Rome. Peut-être l'ami d'un ami qui avait fait un pèlerinage avait-il remarqué cette inscription. Les inscriptions latines utilisent des initiales, donc celle-ci serait PPPPPP. La signification originale peut avoir été sans rapport aucun avec les papesses. Un petit malin l'aurait déformé en une référence à une femme papesse ayant accouché, inspirant ainsi la légende de la grande papesse qui n'a jamais existé.

Une femme pape semble aller à l'encontre de plusieurs injonctions bibliques.

L'expression "père des pères" est associée à Mithra, dont le culte était important sous l'empereur Dioclétien. Si le monument original était un socle pour une statue de Mithra, l'inscription aurait pu être la suivante : "Aie pitié, père des pères, payé de son propre argent".(Parce, pater patrum, pecunia propria posuit). (Noble, p. 226)

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"Le jeûne des Quatre -Temps" fait référence à la Sainte Lucie (13 décembre), le premier dimanche de Carême, la Pentecôte et le jour de la Sainte Croix (14 septembre).

Martin Strebsky

La version de l'histoire la plus largement acceptée comme historique est donnée dans la Chronique des papes et empereurs romains, écrite par Martin Strebsky de Troppau. L'entrée sur Jeanne apparaît pour la première fois dans l'édition de 1277. Strebsky était un dominicain de Prague et un aumônier papal :

Après ce Léon [c'est-à-dire Léon IV], Jean, un Anglais, né à Mayence, régna pendant deux ans, sept mois et quatre jours. Il mourut à Rome et la papauté resta vacante pendant un mois. Il était, dit-on, une femme, et quand elle était encore une jeune fille, elle fut emmenée à Athènes habillée en homme par un certain amant. Elle fit de tels progrès dans diverses branches du savoir qu'on ne put trouver personne pour l'égaler. Par la suite, elle enseigna au trivium à Rome et eut de grands maîtres comme disciples et auditeurs. Et comme sa vie et son savoir étaient tenus en haute estime dans la ville, elle fut élue pape à l'unanimité. Mais alors qu'elle était pape, elle fut fécondée par son amant. Ne connaissant pas l'heure de son accouchement, alors qu'elle se rendait de Saint-Pierre au Latran, elle accoucha dans un passage étroit entre le Colisée et San Clemente et, après sa mort, comme on le rapporte, elle fut enterrée à cet endroit précis. Comme le pape évite toujours cette rue, beaucoup pensent qu'il le fait en raison de sa détestation de cet événement. Il n'est pas placé dans le catalogue des saints pontifes à cause de la difformité du sexe féminin appliquée à cette affaire. (Noble, 222)

Strebsky nous donne un deuxième élément de base pour l'histoire, une rue prétendument boudée entre le Colisée et l'église Saint-Clément. Cette église est construite sur un mithraeum, une grotte utilisée autrefois pour le culte de Mithra. Cette rue avait été bloquée pendant un certain temps au Moyen Âge, ce qui peut expliquer le détour papal.

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Cult Relief of the Mithraic Mysteries
Relief du culte des mystères mithriaques
Marcuc Cyron (CC BY-NC-SA)

Le fait que Jean et Strebsky étaient tous deux Dominicains peut être significatif. L'ordre refusa de céder un prieuré à Gênes à la famille du pape Innocent IV (r. de 1243 à 1254). En 1254, le pape riposta par un décret restreignant les droits des Dominicains à prêcher et à entendre les confessions. Les Dominicains récitèrent des litanies et le pape fut victime d'une attaque cérébrale et mourut quelques semaines plus tard. D'où l'expression "Méfiez-vous des litanies des Dominicains".

Strebsky nous dit que Jean avait étudié à Athènes. Au 9e siècle, la ville était envahie par les barbares et n'avait pas d'écoles. L'auteur pensait peut-être à Agnodice, une femme grecque légendaire qui s'était déguisée en homme pour étudier la médecine à Athènes au 4e siècle avant Jésus-Christ.

L'histoire de Boccaccio était suffisamment populaire pour que Jeanne soit reconnue comme papesse officielle avec sa propre statue dans la cathédrale de Sienne.

Boccaccio

L'écrivain florentin Boccaccio est à l'origine de la version de l'histoire de Jeanne que les gens du Moyen Âge étaient le plus susceptibles de connaître. Dans son ouvrage Des dames de renom (1362, De Mulieribus Claris), il la place aux côtés de déesses et d'autres figures mythiques, de sorte qu'il n'y a aucune tentative de cacher que l'histoire est une fiction, ou du moins romancée. "Jeanne, anglaise et papesse", voilà comment Boccace la décrivit. Elle était "poussée par le diable qui l'avait entraînée dans cette méchanceté et l'y avait fait persister." (231-232)

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Néanmoins, Boccaccio n'était pas insensible à Jeanne. Elle "avait un bon esprit et était attirée par les charmes de l'apprentissage" et elle était "très vertueuse et sainte." Elle était "réputée avoir surpassé toutes les autres" et elle "donnait des cours au trivium", la version médiévale du métier de professeur de lycée. (231-232) Ce modèle de louanges généreuses alternant avec des passages qui se délectent de l'humiliation d'un sujet est typique de la façon dont Boccace traite les sujets féminins. Vers 1400, l'histoire de Boccace était suffisamment populaire pour que Jeanne soit reconnue comme papesse officielle avec sa propre statue à la cathédrale de Sienne.

Réforme

Lorsque les protestants remirent en question l'autorité du pape pendant la Réforme, les catholiques répondirent en faisant appel à la doctrine de la succession apostolique. Il s'agit de l'idée que l'autorité du pape est confirmée par une lignée ininterrompue qui remonte à Pierre. Rome est l'un des trois sièges apostoliques, avec les églises d'Antioche, également fondée par Pierre, et d'Alexandrie, fondée par Saint Marc.

Physical Examination of a New Pope
Examen physique d'un nouveau pape
Unknown Artist (Public Domain)

Une femme pape semble aller à l'encontre de plusieurs injonctions bibliques. "Et je ne permets pas qu'une femme enseigne ou ait autorité sur un homme", écrivit Paul à Timothée (I Timothée 2:12, NKJV). "Ton désir sera pour ton mari, et il dominera sur toi", dit Dieu à Ève (Genèse 3:16). Pourtant, Timothée avait lui-même été instruit par sa mère Eunice et par sa grand-mère Lois. Déborah était une prophétesse et une juge d'Israël, et elle vainquit les Cananéens guidée par Dieu plutôt que par son mari : "Le Seigneur vendra Sisera entre les mains d'une femme." (Juges 4:9)

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"L'Église n'a-t-elle pas été sans tête et sans chef pendant les deux ans et cinq mois où Jeanne occupa le siège de Rome ?". demanda Hus au Conseil de Constance en 1415. (Stanford, chap. 10) Il utilisa ensuite Jeanne comme un exemple de péché et d'erreur. Selon Hus, la simple élection ne peut suffire à faire un pape. Il fallait en être digne. Le concile ne fut guère impressionné. Il condamna Hus à mort. S'il y avait eu une femme pape, il ne pouvait y avoir une ligne de succession ininterrompue, selon Luther et Calvin. Même si l'on ignorait les papes hérétiques masculins, on ne pourrait jamais "sauter par-dessus la papesse Jeanne", comme le dit Calvin. (Rustici, 40)

Selon une histoire qui est vraiment trop belle pour être vérifiée, Jeanne aurait inspiré l'Église à ajouter un rituel à la cérémonie de couronnement papal pour empêcher une autre femme candidate d'échapper à la détection. Les papes étaient couronnés sur une énorme chaise en marbre violet appelée la chaise Estercoraria. Cette chaise avait une ouverture semblable à celle des toilettes qui permettait à un cardinal de vérifier que le nouveau pape était bien un homme. Après l'examen, il annonçait :"Duos habet et bene pendentes". (Il en a deux et elles pendent bien).

Démystifier le mythe

Le magistrat et écrivain bordelais Florimond de Raemond démystifia l'histoire de Jeanne, du moins en ce qui concerne les catholiques, dans Erreur Populaire de la papesse Jeanne. La première édition publiée en 1587 comportait quarante pages. Des éditions plus fournies furent publiées en 1588 et 1594, ce qui suggère un énorme intérêt public pour ce sujet. Florimond montra qu'une chronique de 1082 par Marianus Scotus avait été modifiée pour inclure une référence à Jeanne. Cela signifie que la plus ancienne référence authentique se situe quatre siècles après l'événement supposé. Quant à l'histoire de la chaise perforée, elle était "si grossière" que la seule réaction appropriée était d'en rire, selon Florimond. (Tinsley, 391) Il fit campagne contre la statue de Sienne qui fut retirée en 1601 et remplacée par une statue du pape Zacharie (r. de 741 à 752).

 Florimond de Raemond
Florimond de Rémond
Unknown Artist (Public Domain)

Chez les protestants, les efforts de Florimond ne firent que se retourner contre lui. L'édition de 200 pages de 1594 se retrouva dans des pays lointains, dont l'Angleterre. Elle donna à la statue de Sienne une attention qu'elle n'aurait peut-être pas reçue autrement. Le retrait de la statue fit naître le soupçon que les catholiques souhaitaient détruire des preuves. Le règne d'Élisabeth Ire d'Angleterre (r. de 1558 à 1603), dont la légitimité en tant que femme dirigeante était remise en question, n'était peut-être pas le bon moment pour soulever cette question. John Jewel, l'évêque de Salisbury (1560-1571) écrivit des pamphlets qui firent de Jeanne un élément de la propagande officielle anti-papale.

L'ecclésiastique protestant français David Blondel (1591-1655) rédigea une thèse discréditant Jeanne en 1647. Peu de protestants étaient prêts à l'écouter à l'époque de Blondel, mais il reçut une critique élogieuse de l'historien britannique Edward Gibbon un siècle plus tard. La papesse Jeanne "a été anéanti par deux savants protestants, Blondel et Bayle", écrivait Gibbon en 1776. Pour Gibbon, le fait que l'histoire soit répétée dans autant de manuscrits montre qu'elle était considérée comme extraordinaire, et qu'elle était donc moins crédible. "Les défenseurs de la papesse Jeanne produisent cent cinquante témoins, ou plutôt des échos, des XIVe, XVe et XVIe siècles", écrit-il. (Gibbon, Vol. 8, Chap. XLIX.)

Le pape Léon IV régna de 847 à 855 tandis que Benoît III régna de 855 à 858, ne laissant aucun créneau pour Jeanne, selon Noble. Il existe une pièce avec Benoît d'un côté et l'empereur franc Lothaire I de l'autre. Cela signifie qu'elle fut émise lorsque les deux hommes régnaient. Lothaire étant mort en septembre 855, la pièce confirme que Benoît était bel et bien pape cette année-là.

Tarot

La carte de la papesse dans le jeu de tarot fait naturellement penser à la papesse Jeanne. La carte originale faisait partie d'un jeu produit pour les Visconti-Sforza, la famille régnante de Milan, au milieu du 15e siècle. Les cartes de ce jeu ne sont pas étiquetées, mais la femme ressemble aux images de la Mère Église qui étaient courantes à l'époque. ("La papesse" étant une allégorie)

Popess Tarot Card
Carte de Tarot papesse Jeanne
Bonifacio Bembo (Public Domain)

Le nom de papesse vient du jeu de carte de Jean Noblet de 1650. Le nom rend sa carte complémentaire à celle du pape. Le jeu de Jean Dodal de 1701 nomme cette carte "La Pances" (le ventre). Cela fait référence à la mère enceinte de l'Apocalypse 12:1-2, interprétée comme la Mère Église. Dans le jeu Rider-Waite de 1909, la carte porte l'inscription "grande prêtresse". Mais le croissant de lune sous ses pieds provient de l'Apocalypse.

Un intérêt durable

Pendant plus de 700 ans, Jeanne a été un sujet populaire auprès des génération d'écrivains successives. Les écrivains protestants utilisèrent Jeanne pour saper l'autorité de la papauté. Au siècle des Lumières, elle représentait l'arriération et la superstition médiévales. Au XIXe siècle romantique, elle représentait la libération joyeuse des rôles traditionnels, selon M. Noble.

Une version cinématographique de la vie de Jeanne, sortie en 1972, a été réalisée par Michael Anderson et mettait en vedette Liv Ullman. Il reçut d'horribles critiques. En 1996, Donna Woolfolk Cross fit revivre le conte avec le roman Pope Joan. En 2009, la réalisatrice allemande Soenke Wortmann réalisa un film librement inspiré du roman de Cross. (Boccace explique le travestissement de Jeanne par son désir de suivre son amant et "d'assouvir ses pulsions lubriques". Après la mort de ce dernier, elle se rendit à Rome pour mettre à profit son apprentissage en tant qu'enseignante, puis en tant que notaire curial. En revanche, le film montre Jeanne adoptant une tenue masculine pour sa sécurité personnelle après un raid viking.

La Jeanne moderne, qui n'est plus une méchante obsédée sexuelle, s'élève héroïquement au sommet de la hiérarchie face à la misogynie. Sa notoriété aujourd'hui n'est pas ce qu'elle était au 19e siècle. Cependant, elle figure toujours parmi les dix premiers papes en termes de mentions sur Google Books, éclipsant la grande majorité des 266 vrais papes.

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Bibliographie

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Traducteur

Babeth Étiève-Cartwright
Babeth s'est consacrée à la traduction après avoir enseigné l'anglais au British Council de Milan. Elle parle couramment le français, l'anglais et l'italien et a 25 ans d'expérience dans le domaine de l'éducation. Elle aime voyager et découvrir l'histoire et le patrimoine d'autres cultures.

Auteur

Peter Kauffner
Peter Kauffner has worked both as a newspaper reporter and as a teacher.

Citer cette ressource

Style APA

Kauffner, P. (2022, mai 05). Papesse Jeanne [Pope Joan]. (B. Étiève-Cartwright, Traducteur). World History Encyclopedia. Extrait de https://www.worldhistory.org/trans/fr/1-20760/papesse-jeanne/

Style Chicago

Kauffner, Peter. "Papesse Jeanne." Traduit par Babeth Étiève-Cartwright. World History Encyclopedia. modifié le mai 05, 2022. https://www.worldhistory.org/trans/fr/1-20760/papesse-jeanne/.

Style MLA

Kauffner, Peter. "Papesse Jeanne." Traduit par Babeth Étiève-Cartwright. World History Encyclopedia. World History Encyclopedia, 05 mai 2022. Web. 21 nov. 2024.

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