Diego de Almagro (1475-1538) était un conquistador espagnol qui fut l'associé de Francisco Pizarro (1478-1541) lors de son expédition contre la civilisation inca à partir de 1531. Almagro forma plus tard sa propre expédition en vue d'explorer le Chili, mais il y chercha en vain les cités d'or qu'il s'était imaginé. Victime des rivalités particulièrement cruelles qui se développèrent entre conquistadors, Almagro fut garroté en 1538.
Le Panama et la rencontre avec Pizarro
Diego de Almagro vit le jour à Almagro, dans la province d'Estrémadure, en Espagne, vers 1475. Du fait de sa naissance illégitime, ses chances d'ascension sociale étaient des plus minces. À l'instar de nombreux autres jeunes hommes dans la même situation à cette époque et dans cette province en particulier, Diego ne reçut aucune éducation. Ne sachant ni lire ni écrire, il dut se tourner vers la mer afin de trouver un moyen d'échapper à sa condition et de faire fortune.
Diego fit partie de l'expédition de 1514 à destination du Panama dirigée par Pedro Arias de Ávila (alias Pedrarias Dávila, né en 1442), un autre conquistador qui se fera plus tard un nom dans les annales sanglantes de la conquête, Hernando de Soto (vers 1500-1542). Au Panama, Almagro reçut une encomienda, c'est-à-dire le droit d'exploiter les ressources et la main-d'œuvre locales pour son propre usage, et il s'installa donc dans un domaine près de la capitale, Darien, où il s'essaya également à l'orpaillage. Pendant son séjour au Panama, Almagro fit la connaissance de Francisco Pizarro, et les deux hommes s'associèrent pour trois expéditions en Amérique du Sud, à partir de 1524. Les aventuriers étaient désireux d'imiter leur compatriote Hernán Cortés (1485-1547) au Mexique, qui avait su conquérir la civilisation aztèque et se bâtir une immense fortune. Almagro était particulièrement doué pour la logistique et le recrutement, deux domaines essentiels pour toute expédition en terre inconnue.
L'historien C. Howard donne la description suivante d'Almagro:
Il était facile à vivre et désinvolte. Il était petit et beaucoup moins visible que Pizarro, à l'exception des vêtements souvent voyants qu'il portait. Contrairement à Pizarro, qui pouvait parfois être très éloquent, Almagro avait fréquemment du mal à s'exprimer. De plus, son visage était défiguré par la perte d'un œil, et tout son corps portait les cicatrices d'innombrables campagnes héroïques. Un peu emporté et plutôt passionné dans l'action, il était à son aise parmi les hommes du rang et se montrait plus compréhensif envers ses soldats. (12)
Un chroniqueur espagnol contemporain fit preuve d'un peu plus de sévérité dans sa description de la personnalité d'Almagro :
C'était un homme de petite taille, aux traits disgracieux, mais doté d'un grand courage et d'une grande endurance. Il était généreux, mais orgueilleux et avait tendance à se vanter, se perdant à l'occasion dans d'interminables bavardages... il était né de parents si humbles qu'on aurait pu dire que sa lignée commençait et finissait avec lui-même.
(Sheppard, 84)
Les 1ère et 2ème expéditions vers le sud
L'expédition de 1524-25 explora la côte nord de l'Amérique du Sud et tenta de remonter le fleuve Biru, mais ne put avancer que difficilement face à des vents et des courants contraires. Le groupe se heurta ensuite à une tribu hostile à Punta Quemada, où Pizarro ne reçut pas moins de sept blessures et où un certain nombre de ses hommes trouvèrent la mort. C'est à la suite de cette première expédition qu'Almagro perdit son œil en raison d'une blessure causée par un javelot autochtone.
Imperturbables, Pizarro et Almagro lancèrent une autre expédition dans la région en mars 1526. Naviguant jusqu'au fleuve San Juan, Pizarro s'enfonça dans les terres mais se retrouva cette fois bloqué par des étendues marécageuses. Entre-temps, Almagro retourna au Panama pour y renouveler le ravitaillement et le pilote de Pizarro, Bartolomé Ruiz traversa l'équateur (le premier Européen à y parvenir dans le Pacifique), où il découvrit un radeau de balsa chargé de marchandises, notamment d'objets en or. Les conquistadors avaient enfin la preuve qu'ils pouvaient mettre la main sur de grandes richesses si seulement ils parvenaient à en localiser la source. Faisant fi des ordres du gouverneur qui lui ordonnait de retourner au Panama, Pizarro conserva une force de volontaires et navigua jusqu'au golfe de Guayaquil (où les côtes de l'Équateur et du Pérou se rejoignent). Il y découvrit le très aanimé port de Tumbes. Ce fut pour lui une nouvelle preuve de la présence d'une grande civilisation. Il y avait donc vraiment quelque chose en Amérique du Sud qui valait la peine d'être recherché.
La 3e expédition vers le sud
En juillet 1529, Pizarro retourna en Espagne. Sa détermination sans failles se vit récompensée par l'octroi du statut convoité d'adelantado, qui lui conférait le droit légal, accordé par le roi d'Espagne, Charles Quint, Saint Empereur romain germanique (r. de 1519 à 1556), de devenir le gouverneur de toute nouvelle terre qu'il coloniserait lors de son expédition vers le sud. Tout au long de l'année 1530, Pizarro organisa sa troisième expédition et, en décembre, il se lança une nouvelle fois dans l'inconnu. L'expédition, composée de deux caravelles, longea les côtes de la Colombie et de l'Équateur. Pizarro conduisit moins de 200 combattants dans les Andes. Une fois de plus, son commandant en second était Diego de Almagro. Ce dernier dut toutefois rester en arrière après avoir été chargé d'une dernière campagne de recrutement de conquistadors supplémentaires au Panama.
Almagro n'avait reçu de l'empereur que le titre plutôt décevant de commandant de la forteresse de Tumbes. C'est ici que se situe le début d'un différend entre Almagro et Pizarro, le premier pensant que le second, pendant son séjour à la cour, n'avait fait que s'occuper de ses propres intérêts. Le désaccord se trouva temporairement résolu lorsque le bailleur de fonds historique des deux conquistadores, Hernando de Luque, fit promettre à Pizarro qu'il demanderait à l'empereur de concéder à Almagro une zone de la conquête prévue afin qu'il la gouverne lui-même. Il fut également convenu que Pizarro ne favoriserait pas les membres de sa propre famille au détriment d'Almagro et que toute richesse issue de la conquête serait divisée entre les trois hommes de manière égale.
En novembre 1532, Pizarro entra en contact direct avec les Incas. Leur chef Atahualpa fut capturé et un immense trésor fut rassemblé pour payer sa rançon, littéralement constituée de plusieurs tonnes d'or et d'argent. Comme Almagro était arrivé après que cette rançon eut été partagée, lui et ses hommes n'obtinrent que des miettes de ce fabuleux trésor. Cuzco, la capitale inca, tomba aux mains des Espagnols en novembre 1533. Bien que vaste par sa taille, l'élite dirigeante inca, relativement peu nombreuse et déjà affaiblie par une guerre civile dévastatrice ainsi que par les maladies européennes arrivées d'Amérique centrale avant même l'arrivée des Espagnols, était dans l'impossibilité de gagner une guerre contre de la cavalerie, des armes d'acier et des armes à feu.
Confrontation avec Alvarado
Le plan de Pizarro et d'Almagro visant à se partager le Pérou subit un coup d'arrêt en février 1534 lorsque le redoutable Pedro de Alvarado (vers 1485-1541) débarqua sur les côtes de l'Équateur avec une flotte de 12 navires, 500 conquistadores et 4 000 portefaix. Alvarado était devenu gouverneur du Guatemala et brûlait d'envie de découvrir de quelles quantités d'un empire inca en voie d'effondrement il pourrait s'emparer. Il décida imprudemment de traverser les Andes et, après avoir réussi cet exploit quasi impossible, il n'avait presque plus d'hommes ni de chevaux. Ayant eu vent de cette expédition, Pizarro envoya Almagro pour s'assurer que nul conquistador supplémentaire ne viendrait empiéter sur ce que les deux hommes considéraient comme leur propre chasse gardée. À Quito, Almagro se joignit à une autre troupe de conquistadores dirigée par Sebastián de Belalcázar. Là, ils attendirent l'arrivée d'un Alvarado épuisé. Hors d'état de se battre, Alvarado dut se contenter d'accepter un chargement de lingots d'argent contre la promesse de retourner immédiatement au Guatemala.
L'Expédition vers le Chili
Pizarro nomma Almagro gouverneur de Cuzco en janvier 1535. Pizarro, quant à lui, se dirigea vers la côte où il établit Ciudad de Los Reyes (Lima) en janvier 1535. Charles Quint décida alors que sa vaste nouvelle colonie d'Amérique du Sud serait partagée entre Pizarro et Almagro, le premier prenant la moitié nord et Almagro la moitié sud. Dans ce plan, la question de savoir qui contrôlait Cuzco - située à peu près au milieu - restait dangereusement floue. En conséquence de son nouveau droit sur la moitié de la colonie, Almagro quitta Cuzco en juillet 1535 pour explorer ce qui est aujourd'hui le Chili et ce que les Espagnols appelèrent la Nouvelle Tolède. Cortés avait pillé les richesses des Aztèques, Pizarro celles des Incas, à présent, Almagro espérait trouver sa propre culture riche en or pour la soulager de ses trésors. L'expédition d'Almagro était de taille respectable. Il commandait environ 600 Espagnols, 1 000 alliés indiens et 100 esclaves africains.
Sur une période de 20 mois, Almagro conduisit ses hommes à travers ce qui est aujourd'hui la Bolivie et le nord de l'Argentine pour atteindre le Chili. La terre était stérile, rude et singulièrement pauvre en or. Le conquistador établit une base dans la vallée de l'Aconcagua et envoya de petites expéditions dans de multiples directions. Les hommes d'Almagro subirent les affres de la traversée de l'Altiplano bolivien, s'enfoncèrent en vain dans le Chili et essuyèrent de graves défaites, comme les armées incas avant eux, face au peuple Mapuche. Ailleurs, ils recrutèrent de force des membres de la population locale pour remplacer les porteurs morts en cours de route. Les Espagnols durent également affronter la désolation du désert d'Atacama - le plus sec du monde - sur leur chemin de retour vers le nord. La plupart des chevaux d'Almagro périrent pendant le voyage, ainsi qu'un grand nombre de ses hommes. On ne connaît pas la proportion de victimes parmi les indigènes forcés à les suivre en tant qu'esclaves, mais qui ne survécurent pas à l'expédition.
Almagro se prit à penser qu'après tout, la meilleure source d'argent et d'or était Cuzco, ce qui n'était pas forcément vrai puisqu'il y avait à Potosí, au sud de l'actuelle Bolivie, la plus grande mine d'argent inexploitée du monde. La montagne attendrait encore un peu avant de livrer ses trésors aux conquistadors.
Retour à Cuzco
Entre temps, il se trouvait que les Incas n'en avaient pas complètement fini avec Cuzco. Le souverain inca fantoche mis en place par Pizarro, Manco Inca Yupanqui (vers 1516-1544), prit la tête d'un soulèvement et tenta de s'emparer de la capitale inca. Le siège de Cuzco qui s'ensuivit en 1536-1537 fut une bataille très âprement disputée. Ce n'est qu'avec une colonne de secours (à la troisième tentative) envoyée par Pizarro depuis Lima et le retour fortuit d'Almagro et de sa force encore imposante de 400 hommes que les Espagnols purent espérer reprendre le contrôle de la capitale inca et en briser le siège. Almagro, cependant, profita de la situation pour mettre enfin la main sur la ville dont il avait été nommé gouverneur et qu'il considérait toujours être dans sa moitié du Pérou.
Le 8 avril 1537, Almagro envoya un message au commandant espagnol de la ville, Hernando Pizarro, le frère de Francisco. Les deux hommes avaient déjà une longue histoire d'hostilité mutuelle. Almagro demanda à Hernando de lui céder Cuzco. Hernando refusa. Une trêve temporaire, arrangée par des magistrats, fut conclue entre les deux armées de conquistadors, mais lorsqu'Almagro apprit que la colonne de secours de Pizarro était sur le point d'arriver, il prit une décision radicale et marcha sur la ville. Le 18 juillet, un groupe d'hommes d'Almagro incendia les quartiers d'Hernando et le mit aux arrêts. Certains des Almagristes (alias Hommes du Chili) voulaient exécuter Hernando et son frère Gonzalo Pizarro qu'ils avaient également capturé, mais Almagro ne voulut pas dépasser la mesure.
En juillet, la colonne de secours envoyée par Pizarro arriva à Cuzco. Almagro conduisit son armée à sa rencontre, regroupant ses forces autour d'un pont crucial sur le fleuve Abancay. Grâce à un traître du côté des hommes de Pizarro, Almagro put remporter la victoire ; il semblait que Cuzco allait enfin lui appartenir. Pizarro dut être déçu par ce retournement de situation, mais il attendit son heure et rassembla une autre armée forte, constamment renforcée par de nouveaux arrivants des Caraïbes espagnoles. Impatient de finalement vider sa vieille querelle, Almagro fit marcher son armée vers Lima, son atout étant son prisonnier, Hernando Pizarro. Francisco Pizarro était prêt à négocier afin de résoudre le problème ; il proposait une solution : Almagro pourrait garder Cuzco jusqu'à ce que l'empereur décide de trancher la question, et Hernando serait libéré mais ensuite banni du Pérou. Almagro accepta. La générosité d'Almagro ne fut pas appréciée par son commandant en second, Rodrigo Orgóñez, qui avertit son chef du danger d'un Hernando libre : 'Votre seigneurie a lâché le taureau. Il vous attaquera et vous tuera sans respect pour la parole donnée ni pour son serment' (Thomas, 278). En effet, une fois son frère en sécurité, Francisco Pizarro revint sur sa parole et déclara que désormais, Almagro devrait se battre s'il voulait conserver Cuzco.
Les deux troupes de conquistadores, toutes deux dirigées par des commandants en second puisque Pizarro et Amalgro étaient désormais trop âgés et trop faibles pour participer aux combats, s'affrontèrent sous les murs de Cuzco le 26 avril 1538. Cette bataille sanglante, observée avec beaucoup d'intérêt par les Incas, est connue sous le nom de bataille de Las Salinas, car elle se déroula près d'une mine de sel locale. L'affrontement d'armes à feu, de piques et d'épées tourna en faveur des Pizarros, mais environ 200 Espagnols trouvèrent la mort dans chaque camp.
Mort et vendetta
Lorsqu'Hernando Pizarro retrouva ses fonctions de gouverneur de Cuzco, il ordonna le procès pour trahison, puis l'exécution d'Almagro. Le 8 juillet 1538, Diego de Almagro fut garroté dans sa cellule, puis son cadavre fut transporté sur la place publique où il fut décapité. Almagro fut enterré dans la plus grande église de Cuzco.
Lorsqu'il eut vent de ces événements, Francisco Pizarro se mit très en colère. La Couronne espagnole ne vit pas non plus d'un très bon œil le meurtre d'un de ses adelantados et, dès son retour en Espagne en 1539, Hernando Pizarro fut jeté en prison pour les 20 années suivantes. Pendant ce temps, en Amérique du Sud, la famille et les partisans d'Almagro étaient devenus des parias et ne se trouvaient pas mieux lotis dans la colonie que les nouveaux venus d'Europe, en raison de la politique de Francisco Pizarro consistant à favoriser les membres de sa propre famille. Ce népotisme s'avérera toutefois une erreur coûteuse. En effet, le 26 juin 1541, Pizarro fut poignardé à mort chez lui par un groupe de fidèles d'Almagro, parmi lesquels se trouvait le fils d'Almagro, Diego de Almagro le Jeune. La vendetta entre les familles Pizarro et Almagro se poursuivit jusqu'à la génération suivante. Gonzalo Pizarro (1506-1548) se désigna comme le successeur de son frère Francisco et devint ainsi le gouverneur du Pérou, mais le fils d'Almagro revendiquait toujours des droits sur Cuzco. L'imbroglio ne sera résolu qu'en septembre 1542, avec l'arrivée de Cristóbal Vaca de Castro, qui avait reçu l'ordre de l'Espagne de prendre le poste de gouverneur du Pérou, mais même ainsi, les luttes intestines se poursuivront jusqu'à ce que la Couronne espagnole finisse par prendre le contrôle total de sa colonie en 1554.