Tokugawa Tsunayoshi (1646-1709) gouverna le Japon en tant que cinquième shogun de la période Edo (1603-1876). Il a souvent été ridiculisé sous le nom de "shogun des chiens" en raison des lois qu'il promulgua pour protéger la vie des animaux. Sur le plan économique, cependant, la période de son règne fut prospère et, sur le plan culturel, elle fut l'une des plus brillantes de l'histoire du Japon.
Jeunesse
Tsunayoshi était le fils du troisième shogun, Tokugawa Iemitsu, et de l'une de ses concubines. Iemitsu mourut alors que Tsunayoshi n'avait que cinq ans, et son frère aîné Ietsuna (1641-1680) devint le quatrième shogun. Ietsuna lui-même n'avait que dix ans lorsque cela se produisit, de sorte que le pouvoir était entre les mains de régents qui gouvernaient en son nom. En 1661, Tsunayoshi devint le daimyo du domaine de Tatebayashi, dans l'actuelle préfecture de Gunma. À la mort soudaine d'Ietsuna en 1680, Tsunayoshi devint shogun. Au cours de ses premières années en tant que shogun, Hotta Masatoshi (1634-1684) joua un rôle important dans la gestion des affaires gouvernementales, comme il l'avait fait sous Ietsuna. En 1684, cependant, Masatoshi fut assassiné par l'un de ses proches, ce qui donna à Tsunayoshi l'occasion de promouvoir un certain nombre de ses propres partisans à des postes importants. À partir de ce moment-là, les politiques gouvernementales reflétèrent davantage les idées de Tsunayoshi. Son règne fut une période d'éclat culturel, mais ce fut le résultat non pas tant de ses actions que de changements plus larges dans la société japonaise.
Changements dans la société japonaise
Entre 1600 et 1720, la population du Japon doubla quasiment, passant de 15 à environ 30 millions d'habitants. Cette augmentation spectaculaire était due à la fin des guerres civiles qui avaient ravagé le Japon pendant les 140 années qui avaient précédé l'établissement du shogunat Tokugawa en 1600. La paix s'étant installée dans le pays, la population put consacrer davantage d'efforts au développement de l'agriculture. De nouvelles terres furent ouvertes à la culture du riz et d'autres produits; les systèmes d'irrigation furent améliorés et de nouvelles techniques agricoles furent mises au point. L'augmentation de la production de produits de base tels que le papier, la cire, le tissu et le sel conduisit à l'expansion du commerce. Au départ, il s'agissait d'échanges locaux, mais avec le développement des réseaux de transport terrestres et maritimes, ces échanges devinrent de plus en plus interrégionaux et, plus tard, nationaux.
L'augmentation de la population entraîna la croissance des villes. Dans un grand nombre des quelque 270 domaines en lesquels le Japon était divisé, il y avait un château entouré d'une ville-château. La politique gouvernementale voulait que la classe des guerriers, qui représentait environ 7 % de la population, vive dans ces villes. Les guerriers avaient besoin de divers types de biens et de services, ce qui attirait les roturiers dans les zones urbaines. À la fin du XVIIe siècle, Edo (l'actuelle Tokyo) comptait environ un million d'habitants. Dans l'ouest du Japon, Osaka se développa en tant que grand centre de commerce. Contrairement à Edo, qui était une ville dominée par les guerriers, Osaka, elle, était une ville de marchands.
Sous la loi Tokugawa, les gens étaient divisés en quatre classes héréditaires. Les guerriers occupaient la première place, car ils gouvernaient la société. Venaient ensuite les fermiers, qui produisaient la nourriture dont les gens avaient besoin. Au-dessous d'eux se trouvaient les artisans qui étaient appréciés parce qu'ils fabriquaient des objets. Au bas de l'échelle se trouvaient les marchands, qui n'étaient pas tenus en haute estime parce qu'on pensait qu'ils n'apportaient rien et qu'ils se contentaient de gagner de l'argent en utilisant le travail des autres. Au fil du temps, cependant, cet ordre social serait bouleversé. Avec le développement de l'économie commerciale, les guerriers eurent tendance à s'appauvrir et les marchands à s'enrichir. Le gouvernement adopta diverses lois pour tenter d'enrayer ce phénomène, mais aucune d'entre elles ne fut efficace.
La période Genroku
Reflétant cette évolution sociale, une nouvelle forme de culture urbaine se développa. L'apogée de cette nouvelle culture se situe pendant la période Genroku, de 1688 à 1704. Dans l'histoire du Japon, les années étaient calculées en fonction de la période de règne d'un empereur, c'est-à-dire la période pendant laquelle un empereur particulier du Japon était sur le trône. Ces périodes de règne étaient désignées par des noms de bon augure, dans l'espoir qu'elles porteraient chance.
La période du Genroku non seulement fut marquée par une relative opulence, elle fut également l'occasion pour certains des plus grands écrivains japonais d'exercer leur activité. Dans le domaine de la poésie, Matsuo Basho (1644-1694) porta la poésie haïku à un niveau de sophistication inégalé. En littérature, Ihara Saikaku (1642-1693) écrivit des romans qui décrivent de manière vivante la vie des guerriers et des citadins. Dans le domaine du théâtre, les théâtres kabuki (avec de vrais acteurs) et bunraku (avec des marionnettes) se développèrent. Chikamatsu Monzaemon (1653-1724), le plus grand dramaturge japonais, écrivit de nombreuses pièces pour ces deux formes de théâtre à cette époque.
La littérature produite par ces écrivains nous permet de mieux comprendre la société japonaise que pour les périodes antérieures. Les lieux de divertissement centrés sur les théâtres et les maisons closes sont l'une des principales caractéristiques de la vie urbaine de l'époque. Le mode de vie associé à ces lieux était appelé ukiyo, ce qui signifie "monde flottant". Hishikawa Moronobu (1618-1694) joua un rôle important dans le développement d'une nouvelle forme d'art appelée ukiyo-e, qui signifie "images du monde flottant". On pourrait décrire cela comme blocs de bois qui fournissent des images étonnantes, bien que très stylisées, de la population et des lieux japonais de l'époque.
Diffusion du néoconfucianisme
Le XVIIe siècle fut également une période d'innovation dans le monde intellectuel. Avant 1600, le shintoïsme et le bouddhisme étaient les religions dominantes, mais au XVIIe siècle, le confucianisme devint influent au Japon. Le confucianisme, tel qu'il se développa en Chine au Ve siècle avant notre ère, n'était guère plus qu'un système d'éthique sur la manière dont les individus et les dirigeants devaient se comporter. Cependant, après la propagation du bouddhisme de l'Inde vers la Chine au IIe siècle de notre ère, les intellectuels confucéens commencèrent à développer un ensemble d'idées beaucoup plus sophistiquées. À l'époque des Song (960-1279), des penseurs comme Zhu Xi (1130-1200) élaborèrent une théorie globale de l'individu, de la société et de l'univers, connue sous le nom de néoconfucianisme.
L'une des idées centrales du néoconfucianisme est que la nature humaine est essentiellement bonne, mais que cette bonté peut être obscurcie par l'engagement dans le monde. Pour retrouver sa bonté originelle, l'individu doit se cultiver. Les philosophes n'avaient pas tous la même idée de ce qu'était la culture de soi et de la manière de s'y prendre. Certaines de ces idées néo-confucéennes avaient été introduites au Japon au cours des périodes Kamakura (1185-1333) et Muromachi (1333-1573), en même temps que de nouveaux types de pensée bouddhiste. Ce n'est toutefois qu'au début de la période Edo que le néo-confucianisme se développa en tant qu'école de pensée distincte du bouddhisme. Les premiers confucianistes étaient traités avec suspicion par le gouvernement, car on pensait qu'ils prônaient une certaine forme de christianisme, que les Tokugawa avaient interdit dans les années 1620. Peu à peu, cependant, une classe d'érudits indépendants apparut et put vivre de l'enseignement du confucianisme.
On pensait autrefois que le confucianisme était simplement une idéologie conservatrice qui soutenait l'ordre social hiérarchique imposé au Japon par les Tokugawa. Des recherches plus récentes ont cependant montré que ce n'était pas le cas. En Chine, le confucianisme faisait partie de l'appareil d'État. Pour devenir fonctionnaire, il fallait passer les examens de la fonction publique de la Chine impériale sur la base d'une compréhension des classiques confucéens enseignés dans les écoles parrainées par le gouvernement. Même si, en réalité, seuls les membres de l'élite riche pouvaient y parvenir, en théorie, les nominations au gouvernement chinois étaient fondées sur le mérite.
Au Japon, en revanche, la situation était totalement différente. Le gouvernement était entre les mains d'une aristocratie militaire héréditaire, et toute suggestion visant à ce qu'il en soit autrement était mal vue. À cet égard, Yamaga Soko (1622-1685) est un exemple d'érudit qui s'attira des ennuis. Yamaga était préoccupé par le fait que, depuis l'avènement de la paix au Japon, les guerriers avaient perdu leur rôle traditionnel de combattants. Selon lui, en tant que classe dirigeante, les guerriers avaient désormais l'obligation non seulement de gouverner, mais aussi de servir de modèle aux autres membres de la société. Pour ce faire, ils devaient se cultiver dans les domaines de l'entraînement militaire et des arts littéraires. Les idées de Soko reflétaient le fait que, depuis la fin des guerres civiles, la société japonaise avait subi de profonds changements.
Édits sur la compassion pour les êtres vivants
Les premiers shoguns Tokugawa, comme Ieyasu et Hidetada, ne s'intéressaient guère à ce type de réflexion, car ils étaient avant tout des combattants. En revanche, Tsunayoshi, qui dès l'enfance avait développé un intérêt pour la littérature et la religion, apparemment sous l'influence de sa mère, promut activement le confucianisme. C'est son désir d'améliorer les normes morales de la population qui le conduisit à introduire certaines des lois pour lesquelles on se souvient principalement de lui aujourd'hui.
Il commença par des lois obligeant les gens à porter assistance aux voyageurs malades et aux bébés abandonnés (qui, semble-t-il, étaient nombreux à l'époque). Plus tard, cependant, il promulgua des lois interdisant aux gens de faire du mal à toute créature vivante. Ces lois s'appliquaient tout particulièrement aux mauvais traitements infligés aux chiens et des peines sévères furent introduites. En conséquence, le nombre de chiens à Edo s'accrut considérablement et des chenils spéciaux durent être construits dans les banlieues pour les héberger. Ce sont ces lois qui lui valurent son surnom de "shogun des chiens" et qui amenèrent certains historiens à douter de sa santé mentale.
L'incident d'Akō
L'événement le plus célèbre survenu sous le règne de Tsunayoshi est sans nul doute l'incident d'Akō. En 1701, le seigneur d'Akō (un domaine situé à l'ouest du Japon), Asano Naganori, attaqua un fonctionnaire appelé Kira Yoshinaka dans le château d'Edo alors qu'il se préparait pour une cérémonie à la cour. Le motif de l'attaque n'est pas connu. Kira ne fut que légèrement blessé, mais le fait de troubler l'ordre public de cette manière constituait un crime capital. Asano reçut l'ordre de se faire seppuku, ce qui était le mode d'exécution des guerriers à l'époque. Son domaine fut également confisqué, ce qui signifia que ses serviteurs devinrent des ronin ou des guerriers sans maître.
Par la suite, le principal serviteur d'Asano, Oishi Yoshio, organisa un complot secret contre Kira car il pensait qu'il était responsable de la mort d'Asano. La raison pour laquelle il pensait cela n'est pas claire, car c'est Asano qui avait attaqué Kira en premier lieu, et non l'inverse. De plus, c'est le gouvernement qui avait condamné Asano à mort, et non Kira. Environ deux ans plus tard, Asano et ses partisans attaquèrent par surprise le manoir de Kira à Edo et le tuèrent. Sa tête coupée fut transportée au temple Sengakuji où Asano était enterré. Là, les comploteurs attendirent l'arrivée des autorités. Ils furent arrêtés et, après une enquête menée par des fonctionnaires du gouvernement, ils reçurent également reçu l'ordre de se faire seppuku. Ce verdict est important car il montre qu'en dépit de la loyauté guerrière dont ont fait preuve les serviteurs envers leur ancien seigneur, le gouvernement n'était pas disposé à tolérer des actes de violence commis au hasard.
L'incident d'Akō est l'un des événements les plus mal compris de l'histoire du Japon. En 1748, environ 40 ans après l'incident, une pièce intitulée Chushingura fut jouée au théâtre bunraku. Cette pièce a été traduite en français par "Le trésor des vassaux fidèles", bien qu'elle soit plus connue sous le nom de l'histoire des quarante-sept ronin. On pense généralement qu'il s'agit d'un récit de l'incident d'Akō, mais il est en fait largement inventé. Les gens ont tendance à confondre l'incident d'Akō, qui était un événement réel, avec Chushingura, qui était une œuvre de fiction.
Visite d'Engelbert Kaempfer au Japon
Un dernier point intéressant lié au règne de Tsunayoshi concerne la visite d'Engelbert Kaempfer (1651-1716) au Japon. Pendant la période Edo, les contacts entre le Japon et les pays étrangers étaient sévèrement limités. Les seuls Européens autorisés à entrer au Japon étaient les marchands hollandais, qui étaient en grande partie confinés à Nagasaki. Kaempfer était un naturaliste allemand qui visita le Japon à bord d'un bateau hollandais en 1691. Il passa deux ans au Japon et écrivit un livre décrivant les conditions qui y régnaient. Ce livre fut traduit en anglais et publié après sa mort. Pendant plus de cent ans, ce livre fut la principale source d'informations générales sur le Japon pour les Européens. Il est toujours intéressant aujourd'hui car il décrit, d'un point de vue européen, ce qu'était le Japon à l'époque où Tsunayoshi était shogun.