Marie Durand (c. 1715-1776) se distingue dans l'histoire protestante française par son courage dans la lutte pour la liberté de conscience. Emprisonnée pendant 38 ans dans la Tour de Constance à Aigues-Mortes dans le sud de la France, elle fut libérée en 1768 et retourna dans son village natal où elle mourut en 1776.
Le protestantisme en France
La Réforme protestante du XVIe siècle déclencha des siècles de conflits dans une nation connue comme la fille aînée de l'Église catholique. En quelques décennies, l'influence de la Réforme en France "menaçait la perception de la nation forgée à la fois par le roi et les sujets, car le propre serment de couronnement du roi exigeait qu'il protège et défende son royaume et ses sujets contre l'hérésie" (Holt, 23). La religion catholique et la monarchie étaient unies dans leur désir de préserver le statu quo et de prévenir toute contestation de leur autorité. Les conflits étaient inévitables. Le massacre de Vassy en mars 1562 par le duc de Guise laissait présager le bain de sang qui allait suivre lors des guerres de religion françaises (1562-1598). L'enjeu était le statut de la religion réformée dans le royaume. Les guerres et trêves intermittentes ne prirent fin que lorsque Henri IV (r. de 1589 à 1610) se convertit au catholicisme.
Henri IV de France et l'Édit de Nantes en 1598 apportèrent une certaine liberté religieuse aux protestants tout en préservant la position de l'Église catholique. Les protestants purent conserver la possession territoriale de fiefs dans plus de 100 villes de France, dont La Rochelle, Saumur, Montpellier et Montauban. Après la mort d'Henri de la main d'un assassin, les protections dont bénéficiaient les protestants commencèrent à s'effilocher sous son fils et successeur, Louis XIII (r. de 1610 à 1643) et furent supprimées avec Louis XIV et la révocation de l'édit de Nantes en 1685.
Louis XIV (r. de 1643 à 1715) fonda principalement la révocation sur l'idée fictive que tous les protestants s'étaient convertis au catholicisme. La religion protestante fut proscrite et les autorités rendirent obligatoire la participation à la messe et au catéchisme. Pour les obstinés et les récalcitrants, il existait différents moyens de pression : amendes, hébergement des troupes dans les maisons, galères du roi pour les hommes et prison pour les femmes surprises lors de rassemblements non autorisés. La France disposait de prisons disséminées dans tout le royaume. Au nord, les châteaux de Guise et de Ham ; à l'ouest, à Saint-Malo, Saumur, Angers, Niort et Angoulême ; au sud, à Carcassonne, Ferrières et Aigues-Mortes. Lorsqu'on avait besoin de plus d'espace, les dissidents étaient transportés aux Antilles depuis le Languedoc. Les régions du sud-est de la France - Vivarais, Cévennes, Dauphiné et Bas-Languedoc - fournirent la majorité des victimes.
Après la Révocation, les protestants furent déportés, emprisonnés, condamnés aux galères du roi ou exécutés, et plus de 200 000 émigrèrent de France vers des lieux de refuge. Parmi ceux qui restèrent, des milliers furent persécutés et accusés de trahison pour avoir pratiqué leur foi. Beaucoup ont été mis en lumière à travers leur histoire ; beaucoup d'autres ananymes sont restés dans l'ombre.
Jeunesse de Marie Durand
Marie Durand vit le jour en 1715 dans le hameau de Bouchet-du-Pranles, dans le Vivarais, dans le sud de la France, fille d'Étienne et de Claudine Gamonet. Les Gamonet étaient un couple de protestants profondément religieux, convertis de force au catholicisme après la révocation de l'édit de Nantes. Leurs enfants furent contraints d'assister à la messe et au catéchisme et reçurent une instruction protestante en secret. Pierre, le frère aîné de Marie, assistait Antoine Court et l'Église du Désert et fut plus tard consacré au ministère.
Le 29 janvier 1719, Étienne fut arrêté par les soldats du roi lors d'un culte secret à son domicile au cours duquel Pierre prêchait. Pierre s'enfuit en Suisse, sa mère Claudine fut emprisonnée à la citadelle de Montpellier, et leur maison fut détruite. Pierre revint ensuite en France pour prêcher et épousa Anne Rouvier, la sœur d'un ami qui avait été condamné aux galères du roi. Les autorités arrêtèrent à nouveau le père de Pierre en 1729 et l'emprisonnèrent pendant 14 ans.
Emprisonnement
Lorsque son frère s'enfuit en exil et que son père fut emprisonné, Marie se retrouva seule. Sa solitude pourrait expliquer son mariage vers l'âge de 15 ans, en avril 1730. Elle épousa en secret Mathieu Serre, un homme de 25 ans son aîné, contre l'avis de son frère Pierre. Leur vie commune fut brève. Quelques mois seulement après leur mariage secret, Marie et Mathieu furent arrêtés. Mathieu fut emmené au Fort Brescou et libéré 20 ans plus tard, en 1750. Marie fut emprisonnée dans la Tour de Constance à Aigues-Mortes, dans le sud de la France.
A son arrivée, Marie rejoignit 28 autres femmes, pour la plupart des prophétesses du Languedoc et du Vivarais. Emprisonnée pour être la sœur d'un pasteur, elle y passa 38 ans dans des conditions inhumaines. En dehors des enfants nés sur place, elle était la plus jeune prisonnière. Deux ans après son incarcération, son frère Pierre fut arrêté et exécuté par pendaison. Malgré sa grande tristesse, elle surmonta sa peine pour diriger les femmes emprisonnées et écrivit des lettres pour elle-même et pour d'autres afin de demander de l'aide ou de rester en contact avec leurs familles. Ces lettres, dont une cinquantaine ont été retrouvées, ont contribué à sa renommée en fournissant des informations détaillées sur la vie dans la tour de Constance. Dans la prison de la tour, il y a une inscription que l'on peut voir aujourd'hui gravée dans la pierre : "Résistante". Bien qu'il n'y ait aucune preuve que Marie l'ait écrite, ce seul mot évoque le courage des femmes qui ont souffert plutôt que de renier leur foi.
Vie dans la Tour de Constance
La Tour de Constance, située dans la ville médiévale d'Aigues-Mortes, dans la région Languedoc-Roussillon, dans le sud de la France, date du 13e siècle. Cette tour de 33 mètres de haut avait été érigée en même temps qu'un château sous Louis IX (r. de 1226 à 1270). L'origine du nom est contestée mais certains pensent que la tour fut nommée en l'honneur de Constance, fille de Louis VI (r. de 1108 à 1137). Aigues-Mortes était une ville portuaire insignifiante et isolée, entourée de marécages. En 1574, la ville passa sous le contrôle des huguenots et, en 1576, elle fut déclarée l'un des huit havres de paix pour les protestants en vertu de l'édit de Beaulieu. L'Édit de Nantes de 1598 préserva ce statut spécial. Une garnison huguenote y fut cantonnée jusqu'à sa chute en 1622 après un siège mené par le Cardinal Richelieu (1585-1642) sous le règne de Louis XIII (r. de 1610 à 1643). Après la révocation de l'édit de Nantes en 1685, la tour de Constance fut transformée en prison royale pour les dissidents religieux.
À partir de 1715, la tour fut réservée aux femmes reconnues coupables d'assister à des rassemblements illégaux de l'Église du Désert. Les femmes et leurs enfants nés dans la tour vivaient dans des conditions misérables de chaleur extrême en été et de froid en hiver. Ils occupaient deux pièces voûtées entre des murs de plusieurs mètres d'épaisseur. Pendant leurs années d'emprisonnement, ils étaient soutenus par des dons de leurs amis en Suisse et en France. Ils pratiquaient régulièrement leur culte tandis que leur captivité servait d'exemple pour effrayer ceux qui oseraient désobéir à l'édit royal interdisant les rassemblements protestants.
De temps en temps, des prisonniers étaient libérés après s'être convertis au catholicisme ; certains mouraient dans la tour, et d'autres arrivaient pour grossir leurs rangs. Parmi les quatre nouveaux prisonniers qui arrivèrent en 1737 se trouvait Isabeau Menet, une amie de Marie condamnée pour avoir assisté à un rassemblement illégal avec son mari, François Fialès. Il fut condamné aux galères du roi et mourut en 1742. Isabeau souffrit de dépression et fut relâchée dans sa famille en 1749. Sept autres femmes arrivèrent des Cévennes en 1742. En 1761, la dernière prisonnière, Jeanne Darbon de Beaucaire, entra dans la tour et fut libérée un mois plus tard.
Hormis celles qui abjurèrent leur foi ou bénéficièrent d'une dispense spéciale, les premières femmes furent libérées en 1762 grâce à un nouveau commandant militaire, et en 1766, il ne restait plus que 11 prisonnières. Le prince Charles de Beauvau (1720-1793) obtint la libération des prisonniers restants. Marie fut libérée le 14 avril 1768, et les trois dernières détenues, Suzanne Bouzigues, Suzanne Pagès, et Marie Roue furent libérées en janvier 1769. Marie retourna dans son village natal, Bouschet-de-Pranles, où elle vécut avec Marie Vey-Goutète, une compagne de captivité. Elle mourut en juillet 1776, prématurément vieillie et infirme.
Héritage
Grâce au monde de l'art, Marie Durand a un visage, immortalisé plus d'un siècle après sa mort par le peintre Michel Leenhardt. Dans le tableau Femmes huguenotes prisonnières dans la tour de Constance (1892), Marie se tient parmi des femmes fatiguées sur la terrasse supérieure de la tour, le doigt pointé vers le ciel dans une posture de soumission inébranlable à la volonté divine. Ses lettres fournissent des informations sur les conditions de vie dans la tour et sur la correspondance entre la France et les protestants en exil, mais on sait peu de choses sur la vie quotidienne de Marie en détention ou sur la manière dont sa foi était nourrie et soutenue. Ses lettres révèlent peu de choses sur ses luttes spirituelles durant ses 38 années d'emprisonnement.
Quoi qu'il en soit, dans l'histoire du protestantisme français, Marie personnifie la résistance pacifique contre l'oppression religieuse. Bien que son nom figure aujourd'hui sur quelques écoles et rues du sud de la France, elle a été largement oubliée par le public français et reste pratiquement inconnue en dehors de la France. Sa mémoire, cependant, demeure un exemple pour ceux qui luttent pour la liberté de religion et de conscience.