Les muqarnas sont des éléments décoratifs architecturaux tridimensionnels qui s'épanouirent dans leur forme la plus complète principalement au cours de la période islamique et qui sont surtout utilisés dans les dômes et les demi-dômes. L'une des principales caractéristiques de ces éléments fascinants est leur géométrie qui reste encore un mystère et qui a nécessité une étude approfondie de la part des artistes et des historiens de l'art.
Étymologie et origine
L'étymologie du mot "muqarnas" fait toujours l'objet de débats. Mohammad al-Asad suggère quelques possibilités parmi lesquelles le mot grec koronis qui inspira également le mot anglais cornice.
L'origine de ces éléments décoratifs est également sujette à débat. Certains exemples précoces et plus simples de muqarnas remontent à l'empire achéménide en Iran (vers 550-330 av. J.-C.), et sont devenus plus complexes à l'époque de la Parthie (247 av. J.-C. à 224 ap. J.-C.) et de l'empire sassanide (224-651 ap. J.-C.), ce qui suggère une origine iranienne pour cet élément architectural. D'autres chercheurs ont suggéré que les muqarnas, dans leur forme actuelle, se développèrent et prospérèrent pendant l'ère islamique, et que l'on en trouve des exemples dès les IXe et Xe siècles dans des endroits tels que l'Afrique du Nord, le nord-est de l'Iran et l'Égypte. Ils s'accordent généralement à dire que c'est à Bagdad, au centre du monde islamique, que la forme actuelle est apparue pour se répandre peu après dans tout le Moyen-Orient et, dans certains cas, en Occident. Ce que l'on sait avec certitude, c'est qu'au XIIe siècle, en raison de son utilisation généralisée dans les bâtiments tant religieux que profanes, les muqarnas étaient devenus l'un des éléments de base les plus caractéristiques de l'architecture islamique.
Selon Titus Burckhardt, les muqarnas sont constitués de petites unités sculptées ou moulées assemblées les unes sur les autres selon un certain nombre de modèles basés sur divers facteurs tels que le profil des arcs et le niveau de concavité des voûtes. Il les décrit brièvement comme suit :
Un cas où l'on a des supports de coupoles en forme de niches, répétées les unes après les autres comme se répètent les cellules d'un nid d'abeilles ou comme se groupent les cristaux selon le rayonnement de leurs axes. (Burckhardt, 73)
En raison de leur application dans divers territoires islamiques, on peut trouver des types distincts de muqarnas exécutés avec des matériaux différents selon la situation géographique et la période à laquelle ils ont été créés et utilisés. Par exemple, selon Vincenza Garofalo, alors que les briques recouvertes de plâtre et les tuiles colorées étaient utilisées en Iran et en Irak, le bois recouvert de plâtre était présent en Afrique, et les pierres étaient courantes en Syrie, en Égypte et en Turquie.
Fonction et esthétique
Les muqarnas sont surtout utilisés dans les dômes et les semi-dômes, mais ces éléments architecturaux peuvent également être vu dans les mihrabs (niches dans les murs de la mosquée qui indiquent la direction de la prière) et les iwans (espace rectangulaire, muré sur trois côtés et ouvert sur un). Il a été suggéré que les muqarnas sont associés à la théologie et à l'esthétique islamiques, mais qu'ils ont également une fonction décorative. En tant qu'élément décoratif, les muqarnas facilitent la transition en douceur d'un plan plat et vertical à un plan horizontal et incurvé. En outre, une fois éclairées par la lumière naturelle, les petites unités de leurs formes géométriques créent un effet fantastique qui est encore renforcé lorsque les unités sont recouvertes de carreaux colorés ou, dans des exemples plus complexes, de miroirs.
Burckhardt suggère que les muqarnas ont à la fois un caractère statique et rythmique qui correspond à celui de la base et de la coupole (le carré et le cercle) et à ce qu'elles représentent symboliquement, c'est-à-dire la terre et le ciel. D'un point de vue théologique, les muqarnas peuvent également être considérés comme l'expression de la relation entre l'univers et son créateur.
Une vision qui combine à la fois des fonctions décoratives et structurelles suggère que les origines des muqarnas peuvent être trouvées dans la théologie islamique qui promeut une vision occasionnaliste de l'univers selon laquelle l'existence continue de toute chose dépend de la volonté de Dieu. Les muqarnas sont donc une façon d'exprimer cette vision de l'univers où le dôme semble se tenir sans support visible. (Peterson, 208)
La même théorie est suggérée par Yasser Tabbaa qui se concentre sur la forme des muqarnas et leur division en petites unités :
La division du dôme en segments impliquait une certaine conception non seulement du dôme, mais de son référent, l'univers. (Tabbaa, 68)
Selon lui, l'univers que la coupole représente est constamment créé et en perpétuel changement et a donc besoin d'un créateur éternel qui l'empêche de s'effondrer. Dans cette optique, Tabbaa étudie individuellement les différentes qualités et caractéristiques des muqarnas. Les effets des lumières, tant naturelles que superficielles, sur les surfaces peintes des petites unités de muqarnas communiquent l'idée que les couleurs, les formes et la luminosité sont des accidents de ce monde et qu'elles sont sujettes à un changement continu selon la volonté de Dieu. De plus, en détournant l'attention des trompes et des dômes lisses, on communique l'idée que les unités petites mais distinctes des muqarnas sont entièrement maintenues par la volonté de Dieu, et non par une trompe artificielle.
Quelques exemples
Les muqarnas se présentent sous différentes formes et matériaux selon la région et l'époque où elles ont été créées. Le palais de l'Alhambra (Qal' at al-Hamra) à Grenade, en Espagne, fut construit au milieu du 13e siècle sous la dynastie nasride (1230-1492), la dernière dynastie musulmane de la péninsule ibérique. Le palais a depuis subi de nombreuses rénovations, mais il contient certains des exemples les plus fascinants de muqarnas travaillés dans différentes parties et sections de son architecture, dont deux se trouvent dans les salles du Palais des Lions (Palacio de los Leones). Le plafond et la coupole de la Salle des Abencerrajes (Sala de los Abencerrajes) et de la Salle des Rois (Sala de los Reyes) sont ornés de muqarnas d'une forme assez complexe qui, vue depuis le bas, émerveille le spectateur.
Construite sur l'ordre du Shah Abbas I (également connu sous le nom d'Abbas le Grand, 1571-1629) de la dynastie safavide, la mosquée du Shah faisait partie de l'initiative architecturale mise en place à Ispahan suite à la décision du Shah Abbas de déplacer la capitale de l'empire perse de Qazvin à cette ville centrale. Ce chef-d'œuvre de l'architecture persane est situé sur la place Naghsh-e Jahan. Son iwan d'entrée, semi-dôme, mesure 27 mètres de haut et présente l'un des exemples les plus fascinants de muqarnas qui semble soutenir le balcon de toit du minaret. Recouverts de carreaux de mosaïque polychromes principalement de couleur turquoise, cobalt et bleu marine, les décorations de muqarnas de la mosquée Shah émerveillent les visiteurs dès leur entrée dans le bâtiment. En effet, cet iwan présente l'un des plus grands exemples de jeu de couleurs à grande échelle.
Le palais Tchehel Sotoun (qui se traduit littéralement par le palais des Quarante Colonnes) fait également partie de ce projet architectural. Le pavillon initial de ce bâtiment fut construit sous le règne de Shah Abbas le Grand, tandis que le reste des salles fut ajouté à la structure sous le règne de Shah Abbas II (1632-1666). Bien que le palais soit orné de nombreuses grandes fresques et de panneaux de carreaux peints, l'une de ses sections les plus fascinantes est le grand porche du bâtiment qui fait face au côté est. Le porche à proprement dit se compose de deux sections, dont la galerie des glaces qui sert d'entrée au bâtiment. Comme son nom l'indique, l'espace de cette salle est orné d'un fin travail de miroirs et contient l'un des plus beaux exemples de demi-dômes de muqarnas, qui est également décoré de petites pièces de miroirs, ajoutant à la délicatesse de cet élément architectural.
Un autre bel exemple de muqarnas peut être observé sur la façade du Qûtb Minâr situé dans le complexe Qûtb à Delhi, en Inde, qui fut construit sur l'ordre de Qûtb ud-Dîn Aibak (1150-1210). Ce minaret en briques est l'un des plus hauts de son genre et constitue un bel exemple d'architecture indo-islamique. En raison de sa hauteur, ce minaret ne put pas être utilisé pour appeler à la prière, il devint une tour de la victoire. Inspiré par le minaret de Jam en Afghanistan, le Qûtb Minâr est conçu en plusieurs étages, chacun d'entre eux étant séparé des autres par un balcon en saillie. Ces balcons sont soutenus par des muqarnas en stalactite qui ajoutent une caractéristique unique à la conception générale de la tour.
Qu'il soient utilisés dans leur forme la plus simple ou dans leur géométrie la plus complexe, les muqarnas restent un élément indissociable de l'architecture islamique, exprimant à la fois une fonction esthétique et théologique.