Le Durbar de Delhi était un événement public spectaculaire organisé en Inde pour commémorer l'accession d'un nouveau monarque britannique au titre d'impératrice ou d'empereur des Indes. Trois Durbars de Delhi eurent lieu : 1877, 1903 et 1911. L'événement comprenait des processions militaires, des éléphants et de magnifiques carrosses, ainsi qu'une foule de dirigeants des États princiers indiens rendant hommage à la couronne britannique en reconnaissance de sa souveraineté sur de grandes parties du sous-continent.
La reine Victoria (r. de 1837 à 1901) n'assista pas en personne au Durbar de Delhi de 1877 mais fut représentée par le vice-roi. De même, lors du Durbar de 1903, un autre vice-roi représentait le roi Édouard VII (r. de 1900 à 1910). Le Durbar de 1911 fut le plus spectaculaire de tous, puisque le roi George V (r. de 1910 à 1936) assista à l'événement en personne.
La tradition du Durbar
Les rassemblements d'hommage spectaculaires de la part de souverains semi-indépendants ou vassaux envers un empereur étaient une caractéristique régulière de l'Empire moghol (1526-1857) en Inde. Ces cérémonies se déroulaient à la cour royale ou durbar, et c'est ainsi que ce nom fut associé à l'acte public d'hommage accompli par les souverains vassaux. Dans le palais royal de Delhi (aujourd'hui connu sous le nom de Fort Rouge), la multitude de souverains subordonnés se réunissait dans une grande cour ouverte, ornée d'auvents et de tentures colorés, tandis qu'au centre, l'empereur moghol attendait leur hommage de loyauté. L'empereur s'asseyait majestueusement sur le trône du Paon, "une étonnante construction d'or et de bijoux surmontée d'une arche en or et surmontée de deux paons dorés, des oiseaux à la chair prétendument incorruptible qui symbolisaient peut-être non seulement la splendeur des Moghols mais aussi leur durabilité" (James, 4). Les durbars moghols ne se contentaient pas d'afficher le pouvoir de l'empereur et l'obéissance de ses sujets, ils étaient aussi l'occasion d'entendre les avis de souverains expérimentés, de se tenir au courant des événements survenus dans les coins les plus reculés de l'empire et de régler les différends ou les questions de justice entre souverains vassaux.
Les Britanniques adoptèrent cette double idée d'affichage du pouvoir et de réception des hommages des souverains alliés. Delhi, la capitale de l'empire moghol en Inde, semblait être un endroit approprié car il impliquait un message de propagande fort "de la prise en charge complète par les Britanniques du pouvoir symbolique et réel autrefois détenu par les empereurs moghols" (Barrow, 126). Calcutta (Kolkata) était l'autre choix possible, car c'était depuis longtemps le principal centre de la Compagnie britannique des Indes orientales, dont la Couronne et le gouvernement britanniques avaient repris les territoires en 1858. Calcutta fut également choisie comme capitale du Raj (gouvernement) britannique en Inde. En 1911, cependant, Delhi remplaça Calcutta dans ce rôle. Pour les durbars, cependant, Delhi fut choisie pour les trois événements. Pour montrer aux dirigeants indiens pourquoi ils rendaient hommage à la Couronne britannique, la version britannique du durbar consistait en une énorme démonstration de la puissance militaire de l'empire.
Le Durbar de Delhi de 1877
La reine Victoria prit place sur le trône britannique en 1837. Le premier Durbar de Delhi ne marqua donc pas son accession mais plutôt la proclamation de sa majesté en tant qu'impératrice des Indes le 1er janvier 1877. La reine était devenue impératrice pour démontrer qu'elle était au-dessus des différents souverains des États princiers indiens semi-indépendants du sous-continent qui avaient été conquis par la force ou étaient devenus des alliés au sein de l'Empire britannique. L'impératrice avait promis dans une proclamation aux princes indiens le 1er novembre 1858 que:
Nous respecterons les droits, la dignité et l'honneur des princes indigènes comme les nôtres et nous souhaitons qu'ils... jouissent de la prospérité et du progrès social... garantis par la paix intérieure et un bon gouvernement.
(Dalziel, 78)
En outre, l'impératrice avait promis qu'aucun Indien ne serait "molesté ou inquiété, en raison de sa foi religieuse" (Barrow, 126).
La reine Victoria avait 58 ans à l'époque et menait déjà une vie semi-reclusive dans ses royaumes d'origine. Il n'est donc pas surprenant qu'elle n'ait pas assisté au durbar en personne. L'impératrice était officiellement représentée par le vice-roi, le 1er comte de Lytton.
Plus de 400 souverains, dont 63 princes, assistèrent à l'événement. Tous les princes défilèrent pour saluer le représentant de l'impératrice, chacun portant une bannière en soie spécialement conçue pour eux pour l'événement. Chaque prince passa dans une hiérarchie d'importance soigneusement sélectionnée. De nombreux maharajas, rajas et princes défilèrent sur des éléphants dont les harnais étaient ornés de bijoux. Du côté britannique, la plate-forme du vice-roi était dotée d'un grand dais dont les poteaux arboraient les symboles de la Grande-Bretagne, tels que la croix de Saint-Georges et le drapeau de l'Union Jack. Au-dessus du vice-roi assis était suspendu un imposant portrait de la reine Victoria, encadré et doré, signé par l'impératrice elle-même.
La puissance militaire réelle de l'empire était démontrée par la présence de 15 000 soldats resplendissants dans leurs manteaux rouges distinctifs. Tous les officiers et dignitaires britanniques étaient vêtus de leurs plus beaux uniformes, les rangées de médailles scintillant au soleil et les chapeaux à plumes ondulant au gré de la brise. Un autre objectif important du durbar était de présenter l'unité de la nouvelle Inde - du moins au sein de son élite dirigeante - et en cela, il connut un certain succès, comme le fit remarquer le Maharaja d'Indore au vice-roi :
L'Inde a été jusqu'à présent un vaste amas de pierres, dont certaines étaient petites. Maintenant, la maison est construite et, du toit à la cave, chaque pierre est à sa place.
(James, 316)
Le Durbar de Delhi de 1903
Ce durbar fut organisé le 1er janvier 1903 pour marquer l'accession au trône d'Edward VII, le fils aîné de la reine Victoria, et donc le premier empereur des Indes. Là encore, le monarque n'était pas présent en personne, probablement parce qu'Édouard avait alors 62 ans. L'empereur fut officiellement représenté par le vice-roi Lord Curzon (en poste de 1899 à 1905). Curzon croyait beaucoup au pouvoir de l'apparat, et ce durbar fut donc encore plus spectaculaire que le précédent.
Le vice-roi et son épouse, Lady Mary, traversèrent le centre de Delhi pour rejoindre leur plate-forme d'observation ombragée à la tête d'une longue procession d'éléphants. Les animaux magnifiquement décorés transportèrent d'autres dignitaires tels que le duc et la duchesse de Connaught autour du périmètre du magnifique Fort Rouge de Delhi pour arriver à un grand espace ouvert. En tant que représentant de l'empereur, Curzon voyagea dans un howdah doré sur son éléphant, protégé du soleil par un grand parasol doré. Une fois que le vice-roi rejoignit son siège sur l'estrade, il reçut le salut royal d'un énorme cortège de soldats britanniques, parmi lesquels se trouvaient des troupes de cipayes (Indiens) telles que "les hommes de la cavalerie indienne - de grands soldats barbus brandissant des lances ornées de fanions et portant des tuniques ocre, vertes et bleues ainsi que des larges ceintures et des turbans aux couleurs vives" (James, 317).
Curzon voulait présenter la continuité entre le passé de l'Inde et l'Inde britannique actuelle, et il inclut donc dans le durbar de nombreux éléments historiques. Il y avait des expositions de biens précieux fabriqués en Inde, tels que des tapis fins, des pierres précieuses, de l'or et de l'argenterie, et de belles peintures. Toutes ces démonstrations et processions se déroulèrent en grande partie en silence, ce qui indique peut-être que Curzon soigna la mise en scène pour le bénéfice des spectateurs de photographies et de films muets. Le nouveau système d'éclairage électrique que le vice-roi avait fait installer aida ceux qui filmèrent l'événement.
Les pellicules de film du durbar - le premier événement filmé dans le sous-continent - furent diffusées dans les cinémas de Grande-Bretagne et d'Inde pendant les bulletins d'information qui ponctuaient les longs métrages. Le durbar contribua sans aucun doute à convaincre le public que le Raj britannique était un régime fondé sur le consentement et l'estime mutuelle, même si c'était loin d'être l'image complète du régime colonial en Inde.
Certains critiquèrent l'événement, estimant que l'apparat n'avait pas de but réel. Certains pensaient que Curzon avait tout manigancé pour se rendre plus important, qualifiant le durbar non pas de festival pour un couronnement mais de "curzonation". Connu pour son amour des formalités et de l'étiquette, Curzon était peut-être une cible injustifiée. Après tout, il était "le premier vice-roi à ne pas posséder d'éléphant, et il a dû en emprunter un à un maharaja pour le durbar" (Gilmour, 151). Les coûts élevés du durbar étaient une autre cible, de nombreux commentateurs indiens notant le contraste frappant entre cet étalage flamboyant de richesse et la terrible famine dont l'Inde avait souffert juste deux ans auparavant.
Le Durbar de Delhi de 1911
Ce durbar se tint le 12 décembre 1911 et fut encore plus spectaculaire que les précédents puisque, pour la première fois, l'empereur était présent en personne. La présence du roi George V et de la reine Mary de Teck posa toutefois un problème aux organisateurs. Une loi interdisant de sortir les joyaux de la couronne britannique des royaumes d'origine, il fallut créer une couronne spéciale pour la cérémonie à Delhi. La couronne impériale de l'Inde comporte huit demi-arches et contient de nombreux joyaux provenant de l'Inde même, les pierres les plus remarquables étant l'émeraude carrée de la croix supérieure. Elle est ornée d'un nombre incroyable de 6 002 diamants et autres pierres précieuses. La couronne ne fut portée qu'une seule fois et se trouve aujourd'hui dans la Tour de Londres.
Peut-être pour s'assurer de la bonne volonté et, surtout, de l'assiduité des participants, de nombreux souverains indiens se virent décerner toutes sortes de titres et d'adhésions à des ordres chevaleresques avant le grand événement. Ces médailles et récompenses pouvaient ensuite être portées avec fierté lors de la procession habituelle d'hommage à la couronne britannique. Le roi et la reine étaient assis sur une plate-forme rouge surélevée, dotée d'un auvent doré. Le couple royal était resplendissant dans ses robes pourpres et d'hermine et ses couronnes ornées de bijoux, visibles par les 100 000 spectateurs de l'événement. Des discours furent lus en anglais et en ourdou et, après une salve de canons royaux, environ 30 000 soldats défilèrent devant leur monarque. George V fut enchanté par le durbar et le décrit comme "le plus beau et le plus merveilleux spectacle que j'aie jamais vu" (McKernan, 130).
Le durbar de 1911 fut également l'occasion d'annoncer deux changements administratifs importants. Le premier était le renversement de la politique controversée de partition du Bengale et le second était le changement officiel de la capitale de Calcutta à Delhi.
Il y eut cependant un hic, et il impliqua Sayagi Rao, le maharaja de l'État de Baroda. Ce souverain n'avait pas reçu de titre de chevalier dans la récente liste des distinctions honorifiques, très probablement en raison de ses opinions tranchées sur l'indépendance de l'Inde. Le maharaja était pourtant fidèle à l'empereur et venait de faire un don massif de 35 000 roupies au Raj britannique. Plutôt mécontent, il décida de montrer son mécontentement en s'approchant de la plate-forme royale et en ne s'inclinant qu'une seule fois devant l'empereur, d'une inclinaison de la tête très courte et nette. Trois saluts avaient été exécutés par tous les autres, et non seulement le geste de Sayagi Rao fut immédiatement remarqué par les personnes présentes, mais il fut également capturé par ceux qui filmaient le durbar pour être montré dans les actualités dans les cinémas britanniques. Comme des clips d'actualités, un film en couleur et des diaporamas "lanterne magique" étaient censés combler le grand intérêt du public pour le durbar, l'incident sonna une note maladroite dans la symphonie d'accord sans faille que les Britanniques avaient souhaité présenter au monde dans leur spectacle soigneusement orchestré.