La révolte de l'indigo (aussi appelée "émeutes de l'indigo" ou "mutinerie bleue") de 1859-60 au Bengale, en Inde, vit les cultivateurs d'indigo se mettre en grève pour protester contre les conditions de travail et les salaires. La violence qui s'ensuivit visait les propriétaires de plantations européens qui les exploitaient, mais la cause fut, pendant et après, reprise par les libéraux indiens anticolonialistes en tant qu'exemple de la nécessité de l'indépendance.
Le commerce de l'indigo
Au Moyen Âge, l'Inde était connue pour ses textiles en coton. Au milieu du XVIe siècle, le Gujarat, dans le nord-ouest de l'Inde, était une source importante d'indigo, la teinture bleu-violet profond utilisée pour colorer le coton et d'autres matières. L'indigo était très demandé par les sociétés commerciales européennes, notamment la Compagnie britannique des Indes orientales (EIC), qui tirait de gros profits de son exportation. L'EIC utilisait bien l'expertise de longue date des cultivateurs et des teinturiers d'indigo indiens, notamment dans des centres tels que Sarkhej au Gujarat et Bayana au Rajasthan, tous deux situés dans le nord-est de l'Inde.
La fabrication de la teinture d'indigo était un processus long et exigeant en main-d'œuvre. Les boutures de plantes étaient récoltées une fois par an, en juin ou juillet, avant le début de la saison des pluies. Elles étaient ensuite transportées en charrette jusqu'à une manufacture où elles étaient vidées dans de grandes cuves pour tremper dans l'eau. L'eau colorée et la purée étaient ensuite bouillies, ce qui faisait ressortir une couleur plus riche dans les grains d'indigo, qui devaient ensuite être filtrés. Les grains étaient ensuite pressés en galettes sèches, qui étaient à leur tour pressées dans des tonneaux ou, alternativement, la masse était coupée en cubes et emballée dans des coffres prêts pour le transport. La plus grande partie de l'indigo était expédiée à Calcutta (Kolkata) pour être vendue aux marchands qui organisaient ensuite l'expédition vers l'Angleterre ou les Amériques où elle était utilisée pour colorer les textiles. À partir de la fin du 18e siècle, le Bengale devint le principal centre de production d'indigo, représentant 67 % des importations totales de teinture de Londres en 1796 (environ 2 millions de kilogrammes), puis augmentant encore au 19e siècle.
L'industrie de l'indigo était volatile. L'excès ou le manque de pluie affectait grandement la quantité et la qualité de la teinture produite chaque année, et lors des années de prospérité, la surproduction entraînait une chute des prix. Néanmoins, pour l'investisseur à long terme, l'indigo pouvait être une industrie très lucrative. Malheureusement, la spéculation financière qu'entraînait une telle culture avec un potentiel de gains importants était une autre source d'instabilité. Enfin, l'emplacement de nombreuses plantations d'indigo les rendait sujettes aux inondations, qui non seulement endommageaient la récolte mais emportaient souvent les installations de la manufacture.
Les propriétaires de plantations
Les propriétaires de plantations d'indigo, dont beaucoup avaient l'expérience de la gestion de plantations dans les Antilles, étaient l'une des rares catégories de colons que la Compagnie des Indes orientales autorisait sur son territoire en Inde. En effet, les terres agricoles étaient déjà densément peuplées, mais l'indigo était un commerce si lucratif que les investisseurs en indigo devinrent une exception. Malgré tout, contrairement aux systèmes de plantation observés, par exemple, dans les Antilles, les propriétaires de plantations d'indigo dans l'Inde contrôlée par l'EIC ne pouvaient pas posséder la terre. La plupart des propriétaires de plantations d'indigo ne faisaient que louert les terres sur lesquelles se trouvaient leurs cultures et leurs installations de production. Après 1837 et l'assouplissement des règlements de l'EIC, certains propriétaires de plantations commencèrent à acheter ou à affermer des terres.
Le propriétaire de la plantation permettait que des parcelles de la terre qu'il louait lui-même soient cultivées pour l'indigo par des paysans locaux, connus dans ce cas sous le nom de ryots. Ces petits cultivateurs d'indigo, qui surveillaient et fournissaient la récolte lorsque la saison de production arrivait, ne payaient pas de loyer au propriétaire mais recevaient des fonds pour les dépenses d'investissement pour cultiver la plante. En échange de cet investissement, le cultivateur s'engageait à vendre au propriétaire de la plantation une certaine quantité d'indigo à un certain prix à une date ultérieure. Ce système était particulièrement sujet aux problèmes de volatilité du marché mentionnés ci-dessus, et cela signifiait que les relations n'étaient pas particulièrement bonnes entre les propriétaires et les cultivateurs - l'historien D. Gilmour décrit ces "relations industrielles" comme "les pires de l'Inde" (217).
Vivant généralement dans des fermes isolées, il n'y avait qu'environ 200 propriétaires de plantations européens en Inde. Ils formaient une race à part, vivant dans d'immenses pavillons et menant une vie aisée en dehors des périodes de récolte. Ils jouaient au polo, chassaient le sanglier, élevaient des éléphants et buvaient fréquemment à toute heure de la journée, sauf pendant la sieste. En effet, il n'était pas rare de parcourir des kilomètres à cheval pour rejoindre un autre planteur ou une zone urbaine pour l'une des nombreuses fêtes qui égayaient la saison hivernale. Le magistrat en visite Gerald Ritchie donne le résumé suivant de leur caractère général : "Des colons rudes, audacieux et pratiques... [ils étaient] de grands héros à leurs propres yeux... [avec] une note désagréable d'affirmation de soi et de bravade excessives " (Gilmour, 215-16). L'écrivain voyageur Emma Roberts (1791-1840) donna un aperçu similaire, notant la "grandeur barbare"(ibid., 221) dans laquelle ces propriétaires vivaient loin de chez eux.
Les causes de la révolte de l'indigo
Les problèmes de l'industrie de l'indigo commencèrent au milieu du 19e siècle, lorsque l'effondrement économique mondial fit chuter les prix. Pour récupérer l'argent perdu sur les contrats, les petits cultivateurs d'indigo furent contraints de produire de la teinture comme ils l'avaient toujours fait, mais à 30-50% du prix du marché. En outre, les intermédiaires qui percevaient les revenus des contrats au nom des propriétaires demandaient souvent leur propre part, ce qui augmentait encore les coûts financiers pour les cultivateurs. Les cultivateurs qui résistaient au contrôle des prix subissaient des intimidations, des coups et même l'expulsion de la plantation. Il y eut également des accusations de meurtre. Les cultivateurs n'étaient pas non plus autorisés à cultiver des produits alimentaires plus lucratifs comme le riz, car ceux-ci n'avaient de valeur que localement et ne pouvaient pas être exportés à profit vers l'Europe. Souvent, il n'y avait aucun recours juridique, car les propriétaires de plantations européennes savaient très bien qu'ils ne craignaient rien des tribunaux locaux et les magistrats coloniaux allaient rarement au-delà de l'imposition d'amendes dérisoires et d'un avertissement pour ne plus maltraiter leurs travailleurs à l'avenir. Un autre problème était que de nombreux propriétaires de plantations avaient gagné tellement d'argent qu'ils s'étaient déjà retirés en Grande-Bretagne, mais pour maintenir leur source de revenus, ils avaient engagé des directeurs de domaine, généralement choisis spécifiquement pour leur attitude intolérante et leur style de gestion dur et intimidant.
Au début, les planteurs d'indigo adoptèrent une approche non violente - ils refusèrent simplement de cultiver davantage d'indigo, de respecter leurs contrats ou de signer tout nouveau contrat avec les propriétaires. Comme le déclara si bien un planteur, il préférait "mendier plutôt que de semer de l'indigo" (Bhattacharya, 14). Une autre stratégie consistait à rendre la vie difficile aux domestiques indiens des propriétaires de plantations en s'assurant que les villageois ne leur fournissaient pas la nourriture et les services essentiels. Certains propriétaires ont réagi en poursuivant les cultivateurs pour rupture de contrat ou en envoyant des gardes armés pour contraindre les cultivateurs, mais cela ne se terminait généralement que par des affrontements violents où même les femmes étaient impliquées. Les tensions atteignirent un tel degré de fièvre qu'une explosion de violence se produisirent en avril 1860, les cultivateurs s'organisant en groupes armés ou payant d'autres personnes pour se battre pour eux. Au cours de ces émeutes, les cultures d'indigo furent détruites, les bâtiments des plantations incendiés et les propriétaires des plantations eux-mêmes furent attaqués et des membres de leur personnel tués. Les émeutes n'étaient pas coordonnées et dépendaient en grande partie de la façon dont les ryots considéraient leurs propriétaires de plantations individuels. Pour ces raisons, certaines régions connurent peu de violence alors que dans d'autres, les prisons étaient bondées.
Les émeutes de l'Indigo portaient en réalité sur la rupture du système féodal et l'exploitation économique, mais les événements furent rapidement repris par la presse anti-britannique et les classes moyennes indiennes de Calcutta, qui y virent l'occasion de mettre en lumière le sentiment anti-britannique en Inde en général. Ils espéraient une escalade comme la mutinerie des Cipayes de 1858, également au Bengale, lorsque des soldats indiens mécontents de la Compagnie des Indes orientales s'étaient soulevés de colère et avaient ensuite été rejoints par des personnes de toutes les classes et certains dirigeants des États princiers indiens. En réalité, les émeutiers de l'indigo se battaient pour une seule cause et ne furent pas rejoints par d'autres paysans pratiquant d'autres cultures. Les émeutiers n'avaient qu'une seule cible - les propriétaires de plantations - et ils n'attaquèrent ni les représentants ni les institutions du gouvernement colonial britannique.
Réaction et soutien
Les autorités finirent par réprimer les émeutes et une commission d'enquête sur l'indigo fut créée pour enquêter sur les défaillances de l'industrie. Les Bengalis ne furent pas oublié. Dinabandhu Mitra (1830-1873), un maître de poste et inspecteur des chemins de fer bengalais, écrivit en 1860 une pièce de théâtre basée sur la "Mutinerie bleue", son Nil Darpan ("Le miroir bleu"). Cette pièce connut un grand succès et fut considérée comme l'une des œuvres les plus anciennes et les plus importantes du théâtre bengali. La pièce fut traduite en anglais par James Long, un missionnaire irlandais, mais celui-ci fut emprisonné pendant un mois, les autorités affirmant qu'il avait calomnié les propriétaires de plantations d'indigo. En 1860, l'Indigo Act futadopté et il est désormais illégal pour les propriétaires de plantations britanniques d'obliger les locataires de leurs terres à cultiver l'indigo. D'autre part, en 1866, une nouvelle loi sur les contrats fut élaborée pour couvrir les refus d'exécution de contrats tels que ceux constatés par les ryots de l'indigo.
Une décennie plus tard, d'autres émeutes inspirées par l'indigo eurent lieu, notamment dans l'État du Bihar, dans la moyenne vallée du Gange. Les travailleurs de l'indigo semblaient destinés à des conditions de travail qui ne s'amélioreraient jamais. En 1917 encore, le leader du mouvement pour l'indépendance de l'Inde, Mahatma Gandhi (1869-1948), mit en lumière la situation critique des travailleurs de l'indigo en menant l'une de ses campagnes non violentes de satyagraha (désobéissance civile) à Champaran, dans le Bihar, en réponse à la situation critique des cultivateurs d'indigo. À l'époque, l'industrie de l'indigo était déjà gravement menacée. À la fin du XXe siècle, un colorant synthétique à l'indigo avait été inventé en Allemagne, et il était beaucoup moins cher à produire, même s'il était moins brillant que le vrai. En fin de compte, les propriétaires de plantations d'indigo d'Europe et d'Eurasie se déplacèrent pour cultiver d'autres plantes comme le café, le thé et le caoutchouc, tandis que les anciennes manufactures de traitement et les maisons de maître ont été laissées à l'abandon et récupérées par la jungle.