Les terrasses géothermiques roses et blanches en cascade d'Aotearoa Nouvelle-Zélande ont souvent été qualifiées de huitième merveille du monde, tant au niveau international qu'en Nouvelle-Zélande. Elles étaient une attraction touristique célèbre au 19ème siècle jusqu'à ce que les terrasses ne soient détruites par l'éruption volcanique du Mont Tarawera le 10 juin 1886. Les terrasses étaient considérées par les Māori comme un taonga ( un trésor).
Situées sur les rives du lac Rotomahana, à 20 kilomètres (12,4 mi) au sud-est de Rotorua, sur l'île du Nord, les terrasses roses et blanches avaient été formées par des eaux riches en silice qui s'étaient écoulées de geysers en ébullition, dévalant le flanc de la colline, créant des terrasses cristallisées, des bassins de baignade et des escaliers naturels dont l'âge est estimé à plus de 1 000 ans.
La terrasse blanche en forme d'éventail ou Te Tarata ("la roche tatouée") était la plus grande formation, s'étendant sur environ huit hectares (20 acres). La hauteur de Te Tarata était de 30 mètres (98 ft), et elle comportait 50 couches ou terrasses de dépôts de silice cristallisée. Elle était située à l'extrémité nord-est du lac Rotomahana, à environ 1,5 kilomètre (0,9 mi) de la terrasse rose.
La terrasse rose ou Te Otukapuarangi ("la fontaine du ciel nuageux") était plus basse et sur le côté ouest du lac Rotomahana. Les eaux géothermiques d'Otukapuarangi étaient appréciées des visiteurs qui se baignaient dans les piscines d'eau bleue de la terrasse supérieure pour leurs bienfaits sur la santé. L'aspect rose saumon de cette terrasse, qui tournait au rose délicat au sommet, était probablement dû aux oligo-éléments tels que le fer et le manganèse qui se dissolvaient dans les sources d'eau chaude.
Les Te Arawa iwi (tribu) locaux, qui avaient des droits ancestraux sur le lac Rotomahana, considéraient la terrasse blanche comme masculine et la terrasse rose comme féminine.
Bien que la merveille naturelle de la Nouvelle-Zélande ait été vraisemblablement détruite, une riche histoire visuelle demeure, et certains affirment que les vestiges des terrasses ont été récemment redécouverts.
Les premiers visiteurs européens
Les terrasses roses et blanches se trouvaient au pied du mont Tarawera, sur le plateau volcanique de l'île du Nord (connu sous le nom de centre volcanique Ōkataina). Le Tarawera lui-même était tapu (tabou), car ses pentes étaient le lieu de repos final des tapuna (ancêtres) de l'iwi local, et les pakeha (Européens) ne pouvaient pas y mettre les pieds. Cependant, les premiers visiteurs des terrasses pouvaient séjourner chez les missionnaires de la région avant la construction d'hôtels commerciaux dans les années 1870.
À l'époque, la Nouvelle-Zélande était une colonie isolée au sein de l'Empire britannique. Le monde victorien découvrit les terrasses lorsque Sir George Grey (1812-1898), soldat britannique et deux fois gouverneur de Nouvelle-Zélande, les visita en 1849 et fit connaître leur beauté spectaculaire. Les touristes de l'époque victorienne, après un voyage en mer vers la Nouvelle-Zélande pouvant durer jusqu'à six mois, parcouraient ensuite 200 kilomètres en train à vapeur d'Auckland à Tauranga, puis utilisaient un service de car cahoteux jusqu'à Rotorua. De là, un autre voyage à cheval à travers des terres non cultivées jusqu'à Te Wairoa, la porte des terrasses, où l'on pouvait voir la vapeur des geysers bouillonnants s'élever au-dessus de la brousse Tikitapu et des grandes fougères arborescentes environnantes. L'hébergement était assuré par l'hôtel Rotomahana, propriété de Joseph McRae (1849-1938), qui survécut à l'éruption du Tarawera. Un voyage de deux heures en canoë vers les terrasses avec des guides Māori locaux était alors organisé le soir pour le jour suivant.
L'un des premiers visiteurs européens des terrasses fut le naturaliste allemand Ernst Dieffenbach (1811-1855), qui vivait et travaillait en Nouvelle-Zélande. En juin 1841, Dieffenbach, qui fut le premier Européen à réussir à escalader le Mont Taranaki, effectuait des relevés pour la Compagnie néo-zélandaise. Son livre, Travels in New Zealand, publié en 1843, décrit les eaux bleues vives des piscines contre la blancheur cristalline des terrasses, ce qui contribua à susciter l'arrivée de touristes. Les voyageurs qui se rendaient sur les terrasses étaient ceux qui pouvaient se permettre le long voyage ou étaient des officiers des forces britanniques en Nouvelle-Zélande.
Le romancier victorien Anthony Trollope (1815-1882) se baigna dans une piscine en forme de coupe sur les terrasses roses en 1874 et déclara :
Vous passez d'un bain à l'autre, en essayant la chaleur de chacun. L'eau ruisselle de celui du dessus à celui du dessous, venant de la vaste piscine bouillante du dessus, et les plus bas sont donc moins chauds que les plus hauts. Les bains ont la forme d'une coquille, comme de vastes coquillages ouverts, dont les parois sont concaves et les lèvres ornées de mille formes. Quatre ou cinq personnes peuvent s'adonner au sport dans l'un d'eux, chacune sans sentir la présence de l'autre. Je n'ai jamais entendu parler d'autres bains de ce genre dans le monde. (cité dans Conly, 5).
Le fils de la reine Victoria, Alfred, le duc d'Édimbourg (1844-1900), laissa son empreinte en 1870 lorsqu'il griffonna son nom sur un mur de la terrasse. Les visiteurs prirent l'habitude de graffer les terrasses ou d'emporter un souvenir tel que des plumes et des fleurs indigènes incrustées de silice.
Heureusement, un riche héritage d'œuvres d'art consigna le paysage visuel des terrasses roses et blanches avant leur destruction. L'artiste d'origine anglaise Charles Blomfield (1848-1926) - connu comme l'artiste des terrasses - et sa fille Mary campèrent et peignirent pendant six semaines en 1885, faisant même bouillir un pudding aux prunes attaché à une longue ficelle en le plongeant dans les sources chaudes. John Hoyte (1835-1913), qui arriva de Londres en Nouvelle-Zélande en 1860, peignit également les terrasses, les représentant dans une douce lueur dorée. Les photographes aussi furent attirés par terrasses et ils affluèrent dans la région chargés de tout l'équipement nécessaire à la photographie sur plaque. Les frères Burton, un studio photographique basé à Dunedin, produisirent des tirages albuminés des terrasses.
Même un ancien premier ministre néo-zélandais et ami proche du poète Robert Browning (1812-1889), Alfred Domett (1811-1887), fut inspiré et écrivit que chaque terrasse coquille débordait "d'eau - brillante, mais de la teinte/ du bleu le plus tendre et délicat de la campanule/ s'intesifiant jusqu'au violet" (A New Zealand Verse, 42).
Guides Māori et avertissements fantomatiques
Sophia Hinerangi (c. 1834-1911) et Keita Rangitūkia Middlemass ( années 1880-1918) étaient deux guides Māori populaires, connues respectivement sous le nom de Guide Sophia et Guide Kate. Hinerangi signifie " jeune fille au ciel ", et le père de Guide Sophia était Alexander Grey (1796-1839), un Écossais, et sa mère était de l'iwi Ngāpuhi. Les deux guides parlaient couramment l'anglais et accompagnaient les touristes sur les terrasses. Il s'agissait d'une activité touristique lucrative avec des estimations de 4 000 £ de revenus par an pour les iwi locaux.
La guide Sophia n'était pas seulement un guide populaire, elle fut aussi l'une des premières à remarquer les signes d'avertissement avant l'éruption du Mont Tarawera - signes qui furent largement ignorés. L'histoire du canoë fantôme serait peut-être passée dans le domaine de la mythologie Māori s'il n'y avait pas eu de témoins pakeha indépendants. Le 31 mai 1886 - onze jours avant la catastrophe - la guide Sophia se trouvait sur le lac Rotomahana avec un groupe de six touristes lorsque le niveau du lac baissa soudainement puis augmenta à nouveau. Un waka (canoë de guerre) fantôme à double coque traversa alors le lac à toute vitesse et en silence, avec un équipage de 13 Māori en robe de lin, la tête baissée. Pour les spectateurs Māori, dont la guide Sophia, la signification était claire comme de l'eau de roche : il s'agissait d'un waka wairua ou canoë des esprits, transportant les âmes des défunts vers le Mont Tarawera, où les ancêtres étaient enterrés.
Dans le canoë avec la guide Sophia se trouvaient trois autres femmes Māori, le père Kelliher, un prêtre d'Auckland, le Dr T. S. Ralph d'Australie, M. et Mme Sise de Dunedin, et William Quick, qui confirmèrent tous avoir vu le canoë, qui disparut sous leurs yeux.
La guide Sophia constata également que le ruisseau Te Wairoa s'était asséché au point de débarquement de Waituhurihuri, et que les canoës étaient coincés dans la boue craquelée. Au cours de la saison 1885-1886, le lin ne fleurit pas, ce qui fut interprété comme signifiant qu'un long été chaud était à venir, accompagné d'un grand tremblement de terre en 1886.
Un dernier signe inquiétant fut la collecte de miel pollinisé par des abeilles sauvages sur le Mont Tarawera. Il était considéré comme du miel tapu, et la Guide Sophia refusa de le manger lorsqu'on le lui offrit. Il est dit que tous ceux qui mangèrent le miel tapu périrent dans l'éruption volcanique. Guide Sophia elle survécut.
La dernière personne à avoir vu les terrasses roses et blanches fut l'Anglais Edwin Armstrong Bainbridge (1866-1886), un jeune homme de 20 ans qui faisait un grand tour du Pacifique. Héritier d'Eschott Hall, Felton, Northumberland, Bainbridge et deux autres Anglais avaient été emmenés par la guide Sophia pour voir les terrasses l'après-midi précédant l'éruption du Mont Tarawera. L'hôtelier, Joseph McRae, s'était ensuite arrangé pour que Bainbridge aille chasser le faisan, mais le soir du 9 juin 1886, Bainbridge était certain que ce serait sa dernière nuit sur Terre.
La nuit de l'éruption du Mont Tarawera
Aux premières heures du matin, le jeudi 10 juin 1886, le Mont Tarawera entra en éruption. La veille au soir, les habitants de Te Wairoa avaient passé le temps à observer la conjonction de Mars et de la Lune qui s'était produite à 22 h 20. À minuit et demi, le premier tremblement de terre fut ressenti. Joseph McRae, qui se préparait à se coucher après une longue nuit, senti la secousse du tremblement de terre. La vaisselle de l'hôtel s'écrasa sur le sol de son hôtel, mais McRae alla se coucher, les tremblements de terre étant monnaie courante en Nouvelle-Zélande.
Un fort grondement se fit ensuite entendre vers 2 h 15 du matin, lorsque le Mont Tarawera se fendit, projetant des scories et des cendres dans un ciel éclairé par des éclairs ramifiés. Un nuage éruptif d'un noir d'encre, éclairé par des charges électriques et atteignant 9,5 kilomètres, obscurcit le ciel alors que le sol tremblait violemment et que des vents de la force d'un ouragan soufflaient. Les habitants d'Auckland pensèrent que le grondement était un signal de détresse d'un navire en détresse au large de Takapuna ou un navire de guerre russe. Les cloches d'alarme incendie de la caserne de Dunedin, située à 925 kilomètres (574 mi) au sud de Te Wairoa, sonnèrent par intermittence pendant quelques heures.
Les cendres volcaniques et la boue recouvrirent une zone estimée à 15 000 kilomètres carrés (5791 milles carrés). Plus de 150 personnes furent tuées, certaines enterrées vivantes dans leurs maisons à une profondeur de 1,5 mètre (4,9 ft), et Te Wairoa fut détruit. Plus de 60 personnes se réfugièrent dans le whare (hutte) de Guide Sophia, à 150 mètres (492 ft) de l'hôtel Rotomahana, tandis que d'autres trouvèrent refuge dans un poulailler. L'hôtel de Joseph McCrae s'effondra sous une grêle de roches volcaniques chauffées à blanc. Pendant que l'éruption se produisait, le jeune touriste Edwin Bainbridge, qui séjournait à l'hôtel McCrae et qui fut tué par l'effondrement d'un balcon de l'hôtel, réussit à écrire ses derniers mots :
C'est le moment le plus terrible de ma vie. Je ne peux pas dire quand je serai appelé à rencontrer mon Dieu. Je suis reconnaissant de trouver Sa force suffisante pour moi. Nous sommes sous les lourdes chutes des volcans... (cité dans Conly, 40).
Le maître d'école Charles Haszard (1839-1886) et sa famille avaient fêté l'anniversaire de sa femme Amelia la nuit précédant l'éruption. Charles Haszard et trois de ses enfants furent ensevelis lorsque le toit de leur maison s'effondra sous une pluie de lave. Ina Haszard (c. 1870-1953), l'une des filles, et Amelia Haszard survécurent, et Ina produira plus tard une archive visuelle de son expérience. Sa peinture de 1935, Mt Tarawera in Eruption (Mt Tarawera en éruption), qui fait partie de la collection du musée néo-zélandais Te Papa Tongarewa, est basée sur ses souvenirs de l'événement survenu près d'un demi-siècle auparavant.
Le Pompéi de la Nouvelle-Zélande
L'éruption dura six heures. Les survivants se dirigèrent vers Rotorua tandis qu'une équipe de recherche était envoyée. Le maître de poste, le capitaine Roger Delamere Dansey, était en service à Rotorua au moment de l'éruption du Tarawera et il resta à son poste pour annoncer au monde entier que le Mont Tarawera était entré en éruption.
Le premier sauveteur à atteindre Te Wairoa arriva avec des tonneaux d'eau le vendredi 11 juin 1886, la poussière et les cendres l'aveuglant, lui et son cheval. Au cours des semaines suivantes, il devint évident que le lac Rotomahana avait complètement disparu, laissant derrière lui des trous fumants et de la boue chaude, que les flancs des collines étaient couverts de cendres et que les terrasses roses et blanches avaient été détruites.
Une personne illustre impliquée dans les opérations de sauvetage fut Alfred Patchet Warbrick (1860-1940). Fils d'un immigrant anglais et d'une mère Māori, Warbrick était un joueur de rugby et un constructeur de bateaux réputé. Warbrick, qui s'identifiait à l'iwi Ngāti Rangitihi, assista à l'éruption depuis une cabane de brousse sur la colline Makatiti, au nord du lac Tarawera. Le 14 juin, Warbrick conduisit un groupe de neuf personnes pour découvrir ce qui était arrivé aux habitants du petit kainga (village) Māori de Moura sur le promontoire du lac Tarawera. Le kainga avait été complètement enterré et il n'y avait aucun survivant. Ironiquement, le frère de Warbrick, Joseph Warbrick (1862-1903), qui aida Alfred dans les efforts de sauvetage et qui était également joueur de rugby et guide touristique, mourut lors de l'éruption du geyser Waimangu à Rotorua en 1903.
Alfred Warbrick fut également chargé d'essayer de découvrir ce qui était arrivé aux terrasses, et avec le correspondant spécial J. A. Philp de l'Auckland Evening Star, il explora l'un des cratères remplis de soufre qui avait été le lac Rotomahana. Warbrick rapporta qu'il croyait pouvoir voir la terrasse rose enfouie sous la boue, mais les conditions étaient trop dangereuses pour poursuivre l'exploration. Alfred Warbrick ne put jamais accepter que les terrasses rose et blanche aient été détruites, bien que l'assistant Surveyor-General Stephenson Percy Smith (1840-1922), qui avait été envoyé par le gouvernement pour fournir des preuves scientifiques de la catastrophe, ait déclaré qu'elles avaient disparu à tout jamais.
Le village de Te Wairoa fut déclaré tapu car certains corps n'avaient pas été récupérés ou furent découverts dans un bon état de conservation. Le corps d'une femme Māori, avec une jeune fille en travers de ses genoux, fut retrouvé en position assise, une Bible dans un châle enroulé autour d'elle.
L'un des guides touristiques qui travaillait sur les terrasses fournit un témoignage imortalisant la terreur de cette nuit-là, à une station de radio lors du 68e anniversaire de l'éruption en 1954.
Les terrasses redécouvertes
Le village enterré de Te Wairoa devint une attraction touristique, mais ce que l'on ignorait toujours, c'est si les terrasses avaient été enterrées par la boue et les débris ou complètement détruites. En 2011, deux véhicules sous-marins automatisés de la Woods Hole Oceanographic Institution (WHOI) ont localisé ce que les scientifiques pensent être des vestiges de la terrasse rose à une profondeur de 68 mètres (223 pieds). Une vue détaillée de la topographie du fond du lac a montré le fond du lac après l'éruption - une carte gratuite est disponible.
Une partie du problème est que l'emplacement exact des terrasses roses et blanches n'est pas connu. La seule étude des terrasses avant l'éruption avait eu lieu en 1859 lorsque Christian Gottlieb Ferdinand von Hochstetter (1829-1884) arriva en Nouvelle-Zélande en tant que géologue d'une expédition scientifique mondiale autrichienne. Le carnet de route de Hochstetter et son étude de la région du lac Rotomahana, qui fut complètement transformée par l'éruption du mont Tarawera qui augmenta considérablement la taille et la profondeur du lac, ont été découverts dans la bibliothèque de la famille Hochstetter en Suisse en 2010. Cette découverte est importante car l'étude de Hochstetter contenait des relevés de boussole qui pouvaient être utilisés pour trouver les terrasses. Les chercheurs ont procédé à une rétro-ingénierie du travail de Hochstetter six ans après la collecte des données sous-marines du WHOI et pensent avoir établi l'endroit où Hochstetter se serait tenu en 1859 pour entreprendre le relevé. La conclusion est que les terrasses n'ont pas coulé au fond du lac Rotomahana mais sont restées enfouies à une profondeur d'environ 15 mètres (49 ft).
Les scientifiques du WHOI ont réaffirmé leurs conclusions en 2018, mais toute enquête approfondie nécessite l'autorisation des iwi locaux qui possèdent les terres ancestrales où se trouvaient autrefois les terrasses roses et blanches. Ainsi, pour le moment, le site historique et culturel emblématique de la Nouvelle-Zélande, bien que l'on pense l'avoir retrouvé, reste enfoui.