La deuxième guerre anglo-sikhe (1848-1849) vit une fois de plus la Compagnie britannique des Indes orientales vaincre l'Empire sikh dans le nord de l'Inde. La guerre, qui débuta comme une rébellion contre la domination coloniale britannique, comporta la très meurtrière bataille de Chillianwala, mais le conflit finit par être remporté par l'EIC grâce à une victoire décisive lors de la bataille de Gujrat en février 1849.
L'EIC et l'empire sikh
La Compagnie britannique des Indes orientales (EIC) s'était emparée de territoires depuis ses victoires à la bataille de Plassey en 1757 et à la bataille de Buxar en 1764, ce qui lui avait permis d'obtenir des revenus importants et réguliers sous forme de taxes locales, ainsi que d'autres richesses. L'EIC poursuivit son expansion et battit le royaume méridional de Mysore lors des trois guerres de Mysore (1767-1799) et la confédération marathe des princes hindous du centre et du nord de l'Inde lors des trois guerres anglo-marathes (1775-1819). Vint ensuite l'expansion dans l'extrême nord-est et de nouvelles victoires lors de la guerre anglo-népalaise (1814-1815) et les trois guerres anglo-birmanes (1824-1885). La cible suivante et finale de l'EIC était le nord-ouest de l'Inde et le Pendjab, le cœur de l'empire sikh.
Le Pendjab, situé au nord-ouest du sous-continent indien, est une région qui couvre aujourd'hui une partie du Pakistan et de l'Inde. L'empire sikh naquit du déclin progressif de l'empire moghol (1526-1857). Les territoires sikhs étaient divisés en 12 misls ou armées, chacune dirigée par un chef qui formait collectivement une confédération souple. Le plus grand des chefs sikhs fut Ranjit Singh (1780-1839), le "Lion de Lahore". Il forgea l'empire sikh en modernisant l'armée et en conquérant Multan et le Cachemire (1819), le Ladakh (1833) et Peshawar (1834). Cette expansion tira la sonnette d'alarme dans les bureaux de la Compagnie britannique des Indes orientales, surtout après l'échec de la première guerre anglo-afghane (1838-42) au nord.
En 1839, les Sikhs, les Afghans et les Britanniques signèrent un traité visant à protéger les frontières existantes. Ranjit Singh mourut en juin 1839 et les troubles politiques affaiblirent le contrôle du gouvernement sikh sur sa propre armée. Le plus jeune fils de Rajit Singh, Duleep Singh (1838-1893), fut choisi comme nouveau souverain sikh en 1843, mais comme il n'était encore qu'un enfant, sa mère, Jind Kaur (alias Rani Jindan, décédée en 1863), assura la régence. Jind Kaur était favorable à une expédition militaire contre les Britanniques car, même si les Sikhs perdaient, cela réduirait la taille de l'armée, mettrait peut-être fin à l'ingérence des généraux dans les affaires du gouvernement et réduirait certainement la menace d'un coup d'État militaire.
L'EIC exploita les troubles et conquit la province du Sind (au sud-ouest du Pendjab) en 1843. Convaincus que certains des misls sikhs de l'est étaient favorables à un rapprochement avec l'EIC, les Britanniques se préparèrent à la guerre au Pendjab et rassemblèrent une armée de 40 000 hommes au sud-est de l'État sikh. Dans le monde plus vaste des empires, les Britanniques ne considéraient plus l'empire sikh comme une zone tampon utile en cas d'expansion de l'empire russe en Afghanistan et dans le nord de l'Inde - ce que l'on appelait le Grand Jeu. Les Sikhs devraient désormais combattre les armées apparemment inarrêtables de la Compagnie des Indes orientales.
Première guerre anglo-sikhe
La première guerre anglo-sikhe avait éclaté lorsqu'une grande armée sikhe avait traversé la rivière Sutlej pour pénétrer sur le territoire de la Compagnie britannique des Indes orientales le 11 décembre 1845. Bien que l'armée sikhe sait été bien entraînée et bien équipée, en particulier son artillerie, elle subit des défaites dans les quatre grandes batailles de la guerre: la bataille de Mudki le 18 décembre 1845, la bataille de Ferozeshah les 21 et 22 décembre, la bataille d'Aliwal le 28 janvier 1846 et la bataille de Sobraon le 10 février. À l'exception d'Aliwal, toutes les batailles se s'étaient soldées par un grand nombre de pertes dans les deux camps. Si les troupes de l'EIC s'étaient montrées courageuses et disciplinées, les pertes sikhes s'expliquèrent en grande partie par le fait que plusieurs des principaux commandants sikhs sur le terrain avaient un œil sur la position qu'ils occuperaient en cas de changement de régime. À maintes reprises, des tactiques défensives furent utilisées alors qu'une utilisation plus agressive de la cavalerie aurait pu permettre à l'armée sikhe de remporter la victoire. Les troupes sikhes ordinaires et les misls avaient le sentiment d'avoir été gravement déçus par les généraux, en particulier Tej Singh (1799-1862), le commandant en chef sikh, et Lal Singh (mort en 1866), qui avaient tous deux obtenu des postes importants sous le nouveau régime britannique. Nombreux sont ceux qui pensaient qu'ils devraient tenter de nouveau d'affronter les Britanniques, surtout si l'on considère les termes sévères du traité de paix qui avait mis fin à la première guerre.
Les causes: Le traité de Lahore
Aux termes du traité de Lahore, signé le 9 mars, le Pendjab devint un "État parrainé" et certaines parties de l'empire sikh - les territoires situés au sud de la rivière Sutlej - passèrent sous le contrôle direct de l'EIC. Daleep Singh restait nominalement le maharaja sikh officiel, mais sous la surveillance d'un résident britannique et d'un conseil de régence, qui comprenait les deux généraux Tej Singh et Ranjodh Singh, sympathisants de l'EIC. L'armée sikhe avait été définitivement réduite, tous ses canons confisqués et elle ne pouvait plus recruter de mercenaires étrangers. L'EIC reçut une indemnité massive; elle prit également le contrôle du Jammu et du Cachemire (en guise de paiement partiel de l'indemnité). Compte tenu de ces conditions difficiles, les militants sikhs qui souhaitaient reprendre la guerre firent valoir qu'ils avaient peu à perdre et beaucoup à gagner s'ils parvenaient à vaincre l'EIC. Les militaristes s'attirèrent la sympathie non seulement des milliers d'anciens soldats qui avaient perdu leur emploi lors de la dissolution de l'armée sikhe, mais aussi des membres de la société qui avaient perdu leur poste sous le nouveau régime britannique. Nombreux étaient ceux qui s'indignaient de l'érosion constante des pratiques religieuses et culturelles traditionnelles. L'exil de Jind Kaur en août 1847, séparée de son fils et enfermée dans la forteresse de Sheikhapur, constituait un autre point sensible. Les rebelles s'organisèrent de plus en plus et choisirent comme figure de proue Mul Raj, l'ancien gouverneur de la ville fortifiée de Multan.
Deuxième guerre
La deuxième guerre anglo-sikhe (1848-1849) débuta en avril 1848 et se déroula principalement dans le sud et l'ouest de ce qui avait été l'empire sikh. Les principales batailles de la deuxième guerre anglo-sikhe furent les suivantes:
- Siège de Multan - avril 1848 au 22 janvier 1849
- Bataille de Ramnagar - 22 novembre 1848
- Bataille de Sadulapur - 3 décembre 1848
- Bataille de Chillianwala - 13 janvier 1849
- Bataille de Gujrat - 21 février 1849
L'étincelle qui déclencha la deuxième guerre fut le meurtre, en avril, de deux officiers britanniques à Multan (alias Moultan) par deux soldats déserteurs de la garnison. Les victimes de l'EIC étaient le lieutenant William Anderson et le résident Patrick Vans Agnew. La ville fut ensuite reprise par les rebelles. L'EIC envoya une force pour reprendre Multan en mai-juin, mais, avec ses 5 000 hommes, elle était trop faible pour être efficace. Cette première réaction permit au moins de contenir la révolte et d'éviter qu'elle ne s'étende à d'autres forts et à d'autres villes. Une armée plus importante de l'EIC fut ensuite envoyée pour assiéger Multan en août-septembre, mais son important contingent de Sikhs rejoignit la cause des rebelles, et le noyau restant fut obligé de se retirer. Cette débâcle ne fit qu'encourager d'autres sikhs à rejoindre la rébellion. L'EIC réagit prudemment en attendant que la chaleur insupportable de l'été (plus mortelle pour un soldat britannique qu'une balle sikhe) ne soit passée et en prenant le contrôle de plusieurs forts au Pendjab, mais cela ne fit qu'intensifier la résistance locale à l'autorité britannique. La rébellion s'étendait désormais à l'ensemble du Pendjab.
Prise de Multan
En septembre et en octobre, l'EIC rassembla deux grandes armées qui furent envoyées au Pendjab pour en reprendre le contrôle. L'une d'entre elles fut envoyée pour reprendre Multan et l'autre dans la zone de troubles située au nord de Lahore. Une fois de plus, l'EIC se retrouva mêlée à une guerre d'occupation désordonnée. Multan, en particulier, s'avéra être une dure à cuire avec ses formidables fortifications:
... un mur hexagonal de 40 à 70 pieds de haut... Un fossé de 25 pieds de profondeur et de 40 pieds de largeur se trouve à l'avant du mur, à côté duquel se trouve un glacis ... À l'intérieur du fort, et sur une élévation considérable, se trouve la citadelle, elle-même d'une très grande force. Les remparts sont équipés de quatre-vingts pièces d'artillerie. (Holmes, 375)
Tout au long du mois de décembre, Multan fut régulièrement encerclée et l'EIC positionna ses gros canons pour faire sauter la forteresse, comme le décrit John Clark Kennedy:
Quel curieux spectacle ! D'abord vint l'escorte et les canons de vingt-quatre livres tirés chacun par vingt magnifiques taureaux avec un éléphant derrière chacun d'eux. Celui-ci baissait la tête et donnait une poussée au canon chaque fois qu'ils arrivaient à un endroit escarpé. (Holmes, 381-2)
Après que l'artillerie eut son mot à dire, détruisant d'abord les canons ennemis et se concentrant ensuite sur le pilonnage des murs de la ville, l'infanterie s'efforça d'entrer dans la ville fortifiée. Lors d'une attaque menée le 4 janvier, l'armée de l'EIC pénétra dans la ville, mais dut ensuite se battre rue par rue jusqu'à la forteresse intérieure de la ville, où 3 000 soldats sikhs se préparaient à se battre jusqu'à la mort. La forteresse fut finalement prise le 22 janvier. S'ensuivit une série brutale de représailles et de pillages, avec le meurtre de femmes et d'enfants.
Bataille de Chillianwala
Le 13 janvier 1849, une armée de l'EIC composée de 14 000 hommes et dirigée par le commandant en chef, le lieutenant-général Sir Hugh Gough (1779-1869), affronta une armée sikhe commandée par Sher Singh Attariwalla. Gough était un vieux vétéran qui dirigeait depuis le front; il avait remporté la victoire lors de la première guerre anglo-sikhe et avait dirigé les armées en personne lors des batailles sanglantes de Ferozeshah et de Sobraon. Au cours de cette deuxième guerre, Gough remporta une courte victoire à la bataille de Ramnagar - essentiellement un affrontement de cavalerie - mais sa réputation de lanceur d'hommes sur des défenses bien construites signifiait que ses propres officiers avaient du mal à rester fidèles à ses décisions de commandement. Gough ne montra aucun signe d'amélioration à Chillianwala et, une fois de plus, il ordonna des charges d'infanterie face à un barrage d'artillerie sikh brutal et à des tirs de fusils encore plus violents. Le 24e régiment perdit la moitié de ses effectifs, une perte effroyable pour la guerre de cette période. Ailleurs sur le champ de bataille, les troupes de l'EIC remportèrent plus de succès, mais les Sikhs, comme d'habitude, se battirent avec ténacité, et au coucher du soleil, il n'y avait toujours pas de signe de victoire claire. Sher Singh demanda une conclusion négociée de la bataille, ce qui lui fut refusé; il ordonna alors le retrait de ses troupes pour se battre un autre jour. Ayant perdu un quart de ses hommes, Gough ne prit pas le risque de les poursuivre.
Chillianwala fut une telle catastrophe en termes de vies perdues que le général Gough fut sévèrement critiqué en Grande-Bretagne. En conséquence, les directeurs de la Compagnie britannique des Indes orientales remplacèrent Gough en tant que commandant en chef de l'armée indienne par Sir Charles Napier. Cependant, lorsque Napier arriva dans le sous-continent, la bataille suivante, toujours sous la direction de Gough, avait déjà eu lieu et la victoire avait été remportée.
Bataille de Gujrat
Les deux camps s'affrontèrent à nouveau sur les rives de la rivière Chenab, près de Gujrat, le 21 février 1849. Gough commandait à nouveau l'armée de l'EIC et Sher Singh celle des Sikhs. Gough avait l'avantage de bénéficier d'un important renfort provenant de la campagne achevée contre Multan, ce qui lui permettait de commander un effectif impressionnant de 23 000 hommes.
Gujrat fut surnommée "la bataille des canons", car Gough changea enfin de tactique, passant de charges d'infanterie avec des baïonnettes fixes à une meilleure utilisation de sa supériorité en artillerie, environ 100 canons contre 50 pour les Sikhs. Pendant deux heures, les canons de l'EIC tirèrent sur l'armée de Sher Singh, retranchée dans d'excellentes fortifications défensives. Les artilleurs sikhs commirent l'erreur de tirer trop tôt, avant que l'ennemi ne soit à portée. L'infanterie et la cavalerie légère de l'EIC furent alors envoyées et ne subirent pas les lourdes pertes typiques de ces deux guerres sikhes. La cavalerie de l'EIC s'occupa ensuite de l'infanterie sikhe qui battait en retraite, dans une combinaison classique d'artillerie, de cavalerie et d'infanterie. Comme dans la plupart des batailles de cette guerre et de celles qui l'avaient précédée, les Sikhs payèrent cher une stratégie défensive au lieu d'attaquer l'ennemi avec leur propre cavalerie. Le courage des commandants sikhs a pu être remis en question, mais pas celui des simples soldats sikhs, comme le décrit ici le soldat John Ryder :
Nous avons pris tous les canons que nous avons approchés, mais leur artillerie s'est battue désespérément; ils sont restés debout et ont défendu leurs canons jusqu'au bout. Ils les entouraient de leurs bras, les embrassaient et mouraient. D'autres nous crachaient dessus lorsque la baïonnette avait traversé leur corps.
(Holmes, 343)
L'armée de Gough continua ensuite à rassembler les soldats rebelles sikhs à Rawalpindi et à Peshawar tout au long du mois de mars. Les forces sikhes restantes ailleurs dans le Pendjab furent obligées de rendre leurs armes. Comme lors de la première guerre, l'EIC gagna les batailles et la guerre, mais de justesse, et au prix d'un lourd tribut en hommes et en matériel.
Suites de la guerre
Les Britanniques annexèrent tout le Pendjab en mars 1849 qui devint une province de l'Inde britannique, et des administrateurs coloniaux prirent le relais, notamment John (1811-79) et Henry Lawrence (1806-57). Le Cachemire avait déjà été donné (à prix d'or) au Raja de Jammu pour son soutien dans la guerre, une séparation territoriale qui aurait des conséquences durables. Duleep Singh fut exilé en Angleterre où il fut rejoint par sa mère.
Les Britanniques gagnèrent 15 000 milles carrés supplémentaires d'empire et, soit sous leur contrôle direct, soit par le biais d'alliances subsidiaires, ils possédaient désormais l'ensemble de l'Inde. Les deux guerres anglo-sikhes furent les plus sanglantes et les plus coûteuses que la Compagnie ait jamais entreprises. L'acquisition du diamant de Koh-i-Noor constituait une belle compensation. Cette superbe pierre, qui appartenait à Duleep Singh, fut remise à la reine Victoria (r. de 1837 à 1901), conformément aux termes du traité de paix. Les coûts des guerres furent compensés par une autre compensation plus précieuse: impressionnés par leurs capacités martiales, les Britanniques recrutèrent un grand nombre de Sikhs dans leurs armées. Après la révolte des cipayes en 1858, les Sikhs étaient considérés comme l'un des groupes les plus fiables pour le recrutement de soldats. Lors de la Première Guerre mondiale (1914-18), quelque 700 000 soldats de l'armée indienne étaient originaires du Pendjab.