La guerre en Mésopotamie passa des milices civiles de Sumer aux armées professionnelles permanentes d'Akkad, de Babylone, d'Assyrie et de Perse ainsi que des conflits pour les droits sur la terre ou sur l'approvisionnement de l'eau aux guerres de conquête et de suprématie politique. L'évolution de l'armement, de l'entraînement et des tactiques ont permis aux armées de Mésopotamie de figurer parmi les plus efficaces du monde antique.
La première guerre répertoriée dans l'histoire eut lieu entre Sumer et l'Élam vers 2700 av. J.-C., mais il ne fait aucun doute que les conflits militaires n'étaient pas répertoriés avant cette date. Par la suite, les conflits sont régulièrement attestés par des inscriptions, des œuvres d'art et des preuves archéologiques, depuis la Période des dynasties archaïques (2900-2334 av. J.-C.) jusqu'à l'Empire sassanide (224-651 ap. J.-C.). Le professeur Stephen Bertman observe:
La géographie de la Mésopotamie a encouragé la guerre. La Mésopotamie est définie par ses montagnes au Nord, ses plaines alluviales au Sud et les fleuves qui les relient. L'existence non pas d'une, mais de deux vallées fluviales majeures a favorisé le développement de multiples colonies; la fertilité des vallées a généré de la richesse; la richesse, à son tour, a incité à la concurrence et à la cupidité; et l'absence de reliefs dans les plaines a rendu les communautés individuelles vulnérables à l'attaque. Ce qui a eu pour effet la coalescence du pouvoir et de l'impérialisme: Akkad a absorbé Sumer, et Babylone a absorbé les deux. Finalement, l'Assyrie montagneuse du Nord - qui avait toujours été topographiquement séparée du Sud et, en raison de son terrain, plus facile à défendre - a marché sur le Sud et l'a conquis, puis a continué à construire un empire encore plus vaste. En Mésopotamie, la guerre était donc une condition naturelle de la vie. (262)
L'affirmation de Bertman est étayée par les inscriptions royales, par la littérature mésopotamienne, par les preuves archéologiques, par l'art mésopotamien (y compris l'Étendard d'Ur) et l'architecture (en particulier l'existence des murs défensifs), qui suggèrent un état de guerre permanent pendant plus de 3 000 ans, entrecoupé de périodes de paix brièvement maintenues par les vainqueurs.
La guerre sumérienne
Dans la série des nombreuses «premières» de la civilisation sumérienne, on trouve la première guerre enregistrée ainsi que le premier monument commémorant une victoire militaire: la Stèle des vautours, datée de la période du début de la IIIe dynastie (2600-2334 av. J.-C.). La stèle commémore la victoire d'Eannatum, roi de Lagash, sur Ush, roi d'Umma. Le monument, qui tire son nom de la représentation de vautours survolant les corps des morts, montre d'un côté Eannatum menant son armée victorieuse sur les corps des hommes d'Umma tandis que, sur l'autre côté, le dieu de la guerre Ninurta capture les ennemis d'Eannatum dans un filet. La déesse mère Ninhursag est représentée en train de donner sa bénédiction.
Les deux faces de la Stèle des vautours (conservée au Louvre aujourd'hui à l'état de fragments) illustrent la manière dont les guerres étaient menées dans l'espace sumérien, ainsi que la raison invoquée: la guerre n'opposait pas deux rois mais leurs dieux. En l'occurrence, Ninurta, dieu protecteur de Lagash, était en guerre contre Shara, dieu protecteur d'Umma; Eannatum et Ush n'étaient que les instruments par lesquels ils agissaient. On pensait que les humains avaient été créés pour servir les dieux et que les rois étaient les représentants de ces dieux. En conséquence, la guerre était justifiée par la volonté des dieux de maintenir l'ordre établi.
La guerre entre Lagash et Umma portait sur un terrain fertile qui se trouvait entre les deux villes et qui avait été délimité par une pierre. Ush avait enlevé cette pierre et pénétré sur le territoire de Lagash. En Mésopotamie, les terres ouvertes pour le pâturage du bétail étaient vitales pour la survie d'une ville. Les champs entourant directement une colonie étaient consacrés à l'agriculture, puis les champs plus éloignés étaient nécessaires pour le bétail. Il y a sans doute eu de nombreux conflits non répertoriés pour les terrains fertiles et les réserves d'eau.
En retirant la pierre de délimitation, Ush aurait transgressé la volonté des dieux, qui avaient créé l'ordre à partir du chaos, et aurait manqué à sa responsabilité de contribuer au maintien de cet ordre. Eannatum, répondant à la volonté de Ninurta, affirmait sur la Stèle qu'il avait triomphé au nom de la justice et du rétablissement de l'ordre. Ush était dépeint comme promettant de ne plus jamais menacer la stabilité de la région.
On ne peut pas savoir si un roi y a réellement cru. La guerre d'Eannatum contre Umma n'était qu'une des nombreuses guerres qu'il mena pour conquérir Sumer et créer un empire. Bien qu'il ait pu croire qu'il le faisait pour maintenir l'ordre, il semble plus probable qu'il l'ait fait pour contrôler les centres de production et les routes commerciales qui traversaient la région. Le roi Lugal-zagesi d'Umma (r. d'environ 2358 à 2334 av. J.-C.) suivrait plus tard la même voie et, probablement, pour les mêmes raisons.
Chacune des cités-États contre lesquelles marchaient Eannatum ou Lugal-zagesi disposait de sa propre milice, mobilisée selon les besoins. Les soldats portaient des lances de bronze ou de fer pour le corps à corps, des javelots à lancer, ainsi que des haches, des poignards, des frondes et des arcs simples. Les chars, tirés par des ânes, étaient des véhicules lourds à quatre roues qui se déplaçaient lentement et qui semblent avoir servi d'armurerie mobile puisqu'ils sont généralement représentés avec une réserve de lances ou de javelots. Les armures et les casques des troupes étaient initialement en cuir, mais, vers 2500 av. J.-C., ils étaient fabriqués en cuivre et en bronze. Les Sumériens eurent également l'honneur de posséder le «premier casque» - la perruque d'or (casque de Meskalamdug) - daté de 2500 avant notre ère.
L'armée d'Akkad
Les forces de la milice pouvaient compter de quelques centaines à 6 000 personnes ou plus, en fonction de la taille et de la richesse de la ville. Le chercheur Paul Kriwaczek décrit les troupes telles qu'elles auraient été formées pour la bataille:
Nous devrions considérer une unité militaire sumérienne comme composée d'une force de choc centrale, une phalange serrée de plusieurs centaines, voire milliers, de lanciers. Pour les contrôler, les entraîner et les maintenir en formation, il aurait fallu de nombreux sous-officiers compétents et parlant fort; pour les maintenir au pas, marchant régulièrement vers l'avant ou manœuvrant en ordre serré, ils auraient eu besoin de musique, peut-être d'un corps de tambours. Et derrière cette force de frappe centrale, un millier de frondeurs, l'équivalent des francs-tireurs, tirailleurs ou même artilleurs d'aujourd'hui, auraient été rassemblés en formation libre, bourdonnant comme des guêpes en colère, envoyant des pluies mortelles de projectiles petits et gros, au cœur des formations ennemies, soutenus par les chars de combat tirés par des ânes et transportant des réserves de missiles. (93)
L'armée d'Eannatum était de ce type, et il la dirigea contre les autres cités-États, servant de modèle à Sargon d'Akkad (Sargon le Grand, r. de 2334 à 2279 av. J.-C.). Il conquit Sumer en 2334 avant J.-C. et établit l'empire akkadien (2334-2218 av. J.-C.), le premier empire multinational du monde. Sargon commença sa conquête avec des troupes qui lui étaient fidèles, puis en enrôla de nouvelles dans les villes vaincues. Une fois qu'il eut consolidé son pouvoir et que Sumer fut soumise, il mit en place une armée permanente, professionnelle et entraînée et étendit son empire jusqu'à la région de l'actuelle Syrie, en passant par le Liban, jusqu'aux monts Zagros et à la région de l'actuel Iran.
Pour maintenir l'ordre dans tout son empire, il installa des fonctionnaires de confiance et des membres de sa famille comme gouverneurs, grands prêtres ou encore prêtresses. Les administrateurs dans toutes ses villes étaient des personnes qui lui étaient loyales et pas nécessairement à la population de la ville. Il mit en garnison ses propres troupes dans chacune des villes conquises, après avoir dissous les milices. Kriwaczek ajoute:
Il devait s'agir d'une société fortement militarisée, où l'on voyait souvent des guerriers armés patrouiller dans les rues, en particulier dans les villes de province, dont le pouvoir ne pouvait pas toujours compter sur la loyauté. Sargon a écrit que chaque jour, 5 400 hommes, peut-être le maillon d'une armée permanente, prenaient leur repas devant lui à Akkad. (125)
Après avoir remplacé les milices locales par une armée professionnelle, Sargon améliora leur formation et leur portée d'action. Il entraina les troupes à se battre en phalange serrée de six hommes de profondeur, la ligne de front étant protégée des tirs ennemis (frondes et arcs) par de longs boucliers rectangulaires. Lorsque la phalange marchait vers l'armée adverse pour briser sa ligne, les frondeurs et les archers situés derrière elle ouvraient le feu sur l'ennemi. Les archers utilisaient la technologie la plus importante dans le domaine de la guerre: l'arc composite.
L'arc composite, conçu de couches de bois et d'os (ou parfois de bois provenant de différents types d'arbres) collées ensemble, avec des tendons en guise de corde, avait une plus grande force - et donc une plus grande portée - que l'arc simple des Sumériens. Il était également plus précis. Bertman cite le commentaire de l'historien Yigael Yadin:
L'invention de l'arc composite, avec sa longue portée, fut aussi révolutionnaire en son temps, avec des résultats comparables, que la découverte de la poudre à canon des milliers d'années plus tard. (265)
Tandis que Sargon améliorait son armement, ses adversaires tentaient de l'égaler avec le leur, comme le note Bertman:
Les équipements offensifs et défensifs évoluaient réciproquement et soutenaient une course aux armements: les développements en matière d'armement entraînaient des réponses en matière d'armure, et les innovations en matière de d'armure inspiraient d'autres progrès dans le domaine de l'armement. L'introduction du casque métallique, par exemple, a conduit à l'introduction d'une hache de guerre à tête en forme d'herminette pour percer la coque métallique du casque. (264)
Sargon déplaça également les chars lourds à l'arrière et les relégua en véhicules de transport pour éviter qu'ils n'interfèrent dans les mouvements de troupes. Il n'y avait plus besoin d'armureries mobiles puisque les archers portaient leurs propres flèches. Les frondeurs quant à eux créaient leurs propres projectiles à partir de l'argile abondante à l'extérieur de toute ville mésopotamienne, les transformant en «balles» qui pouvaient être tirées à partir de la fronde avec une précision et une vitesse considérables. Certains de ces projectiles, retrouvés récemment sur des sites, montrent qu'ils n'étaient pas complètement secs lorsqu'ils furent utilisés au combat, car des traces de matériaux y avaient adhéré, contrairement aux «balles» complètement sèches qui ne présentent pas de tels ajouts.
L'armée akkadienne se déplaçait également avec des scribes qui étaient chargés de calculer la quantité de force nécessaire pour abattre un mur d'enceinte ou la quantité de terre nécessaire pour construire une rampe offensive jusqu'aux remparts Les scribes calculaient également le nombre de prisonniers capturés et notaient ce qu'on en faisait, c'est-à-dire lesquels étaient vendus comme esclaves, gardés par les généraux ou exécutés. Avec cette armée, Sargon conquit la Mésopotamie, sécurisant les routes commerciales et les centres de production, comme Eannatum l'avait fait auparavant, mais à une échelle beaucoup plus grande.
Ur III et la conquête Babylonienne
L'empire akkadien déclina et tomba aux mains des Gutis, qui furent vaincus et chassés de la région par les rois sumériens de la période Ur III (2047-1750 av. J.-C.). Ur-Namma (r. de 2047 à 2030 av. J.-C.) identifiait son règne à ceux de Sargon et ses successeurs, mais sous la forme d'un pouvoir royal moins cruel et plus paternel. Son fils, Shulgi d'Ur (r. de 2029 à 1982 av. J.-C.), semble aussi s'être inspiré du modèle militaire de Sargon pour vaincre les Gutis mais, tout comme son père, il encouragea une image plus douce de la monarchie que celle des Akkadiens. Le cycle littéraire poétique, le Cycle d'Aratta, écrit pendant la période Ur III, présente une vision des résolutions non violentes des conflits politiques.
Au XXᵉ siècle avant notre ère, les Amorites s'étaient établis dans la région et régnaient sur d'importants centres de commerce et de culture, dont Babylone. Le roi amorite Hammurabi (r. de 1792 à 1750 av. J.-C.) s'inspira également du modèle militaire de Sargon. Lorsqu'il accéda au pouvoir, il forma une armée professionnelle et s'allia à Larsa pour vaincre les Élamites. Dès que la menace élamite fut neutralisée, il se retourna contre Larsa, lui prit les villes d'Uruk et d'Isin en s'alliant aux rivaux de Larsa, dont Lagash et Nippur, et les conquit par la suite. Il soumit ainsi toutes les cités-États de Mésopotamie et régna depuis Babylone.
Hammurabi perfectionna une tactique de prise de villes utilisée par son père, Sîn-Muballit (r. de 1812 à 1793 av. J.-C.), qui consistait soit à bloquer l'approvisionnement en eau de la ville jusqu'à ce qu'elle ne se rende, soit, lorsque les circonstances le suggèraient, à endiguer l'eau et à la relâcher soudainement pour inonder la ville juste avant son attaque. Cette tactique s'avéra efficace et, après sa conquête de la région, Hammurabi gouverna habillement, promulguant ses célèbres lois, le Code d'Hammurabi, et reconstruisant ou améliorant ce qu'il avait endommagé ou détruit.
L'empire Assyrien
L'empire d'Hammurabi lui survécut très peu de temps et fut pris par les Kassites entre 1595 et 1155 av. J.-C.. Les Hittites, à cette époque, possédaient déjà des villes importantes et contrôlaient la majeure partie de la région entre 1700 et 1200 av. J.-C., utilisant également une armée professionnelle entraînée qui s'inspirait du modèle babylonien. Leur roi Suppiluliuma Ier (r. de 1344 à 1322 av. J.-C.) conquit le royaume de Mitanni, qui avait les Assyriens en vassaux. Une fois la puissance mitannienne brisée, les Assyriens, sous la direction d'Adad Nirari Ier (r. d'environ 1307 à 1275 av. J.-C.), s'affirmèrent et établirent l'empire assyrien.
Tukulti-Ninurta Ier (r. d'environ 1244 à 1208 av. J.-C.) vainquit les Hittites à la bataille de Nihriya vers 1245 av. J.-C. et, la même année, saccagea Babylone, pour remplir le trésor assyrien. Bien qu'il ait été assassiné plus tard pour ce sacrilège, Babylone étant considérée comme une ville sainte, la richesse accumulée permit de financer l'armée et favorisa le succès ultérieur de Tiglath-Phalazar Ier (r. d'environ 1115 à 1076 av. J.-C.), qui revitalisa l'économie et améliora l'armée.
L'empire assyrien se développa par la conquête militaire et, à l'époque de Assurnasirpal II (r. de 884 à 859 av. J.-C.), il perfectionna l'art de la guerre en prenant des villes. L'historien Simon Anglim écrit à ce propos:
Plus que toute autre chose, l'armée assyrienne excellait dans la guerre de siège et fut probablement la première force à disposer d'un corps d'ingénieurs distinct... L'assaut était leur principale tactique contre les villes lourdement fortifiées du Proche-Orient. Ils ont mis au point une grande variété de méthodes pour ouvrir des brèches dans les murs ennemis: des sapeurs étaient employés pour saper les murs ou pour allumer des feux sous les portes en bois, et des rampes étaient construites pour permettre aux hommes de franchir les remparts ou de tenter une brèche dans la partie supérieure du mur, là où il était le moins épais. Des échelles mobiles permettent aux assaillants de franchir les douves et d'attaquer rapidement n'importe quel point des défenses. Ces opérations étaient couvertes par des masses d'archers, qui constituaient le noyau de l'infanterie. Mais la notoriété de la formation de siège assyrien résidait dans ses engins. Il s'agissait de tours en bois à plusieurs étages, dotées de quatre roues et d'une tourelle au sommet, et d'un, ou parfois de deux, béliers à la base. (186)
Les Assyriens perfectionnèrent l'art de la guerre et poursuivirent la tradition consistant à justifier les conflits par la volonté des dieux. Eannatum avait invoqué Ninurta, Sargon fit appel à Inanna/Ishtar, Hammurabi revendiqua le grand dieu Marduk comme son commandant, et les Assyriens élevèrent leur dieu Assur à une suprématie presque monothéiste en tant que chef de leurs troupes. Lorsque Sargon II (r. de 722 à 705 av. J.-C.) de l'empire néo-assyrien vainquit l'Urartu en 714 av. J.-C., contre toute attente, c'est à Assur qu'il attribua le mérite de la victoire.
Conclusion
L'empire néo-assyrien tomba en 612 av. J.-C. face à une coalition de Babyloniens, de Mèdes et de Perses. Par la suite, le roi perse Cyrus II (Cyrus le Grand, r. d'environ 550 à 530 av. J.-C.) établit l'empire achéménide (c. 550-330 av. J.-C.), qui, toujours grâce à une armée professionnelle entraînée, conquit une plus grande étendue que celle acquise par les Assyriens. Alexandre le Grand renversa l'empire achéménide qui, après la mort d'Alexandre, fut remplacé par l'empire séleucide (312-63 av. J.-C.), qui céda la place à l'empire parthe (247 av. J.-C.-224 ap. J.-C.), lequel céda le pas à l'empire sassanide (224-651 ap. J.-C.). Bien qu'il y ait eu des réformes importantes en cours de route, notamment le char à deux roues, beaucoup plus rapide et mobile, le paradigme de toutes ces armées était basé sur celui établi initialement par Sargon d'Akkad.
L'empire sassanide tomba aux mains des Arabes musulmans qui invoquèrent également une divinité pour justifier leur conquête. L'affirmation selon laquelle un dieu est de notre côté dans une campagne militaire a été faite par de nombreux dirigeants au cours des siècles et se poursuit, sous une forme ou une autre, jusqu'à aujourd'hui. À chaque fois, cette affirmation est présentée comme une vérité évidente et totalement nouvelle, alors qu'elle n'est que la répétition d'une justification de la violence et de l'effusion de sang qui remonte à plus de 4 000 ans.