La machine à vapeur mise au point par l'Écossais James Watt (1736-1819) à partir de 1769 était beaucoup plus efficace en termes de puissance et de consommation de carburant que les modèles précédents, et elle élargit considérablement les possibilités d'utilisation de cette invention clé de la révolution industrielle (1760-1840).
Watt n'est pas l'inventeur de la machine à vapeur et n'est pas le seul responsable des développements techniques qui portent son nom, mais il fut l'élément moteur qui fit de la machine la source d'énergie préférée de nombreuses usines, mines, machines agricoles et modes de transport. Watt et son associé Matthew Boulton (1728-1809) fabriquèrent et vendirent près de 500 machines à vapeur avant que leur brevet ne prenne fin en 1800 et que d'autres investisseurs ne se chargent d'améliorer davantage la puissance et l'efficacité de la machine à vapeur.
Les premières machines à vapeur
La machine à vapeur est une invention qui évolua au fil du temps, les ingénieurs successifs la rendant de plus en plus efficace et l'adaptant à des utilisations plus pratiques et plus rentables. L'objectif premier était de mettre au point une machine capable de remplacer les sources d'énergie traditionnelles telles que les muscles humains et animaux, le vent et l'eau.
La machine à vapeur fut d'abord développée en tant que moyen de pomper les puits de mine pour les débarrasser des eaux de crue, ce qui permettait d'exploiter les mines plus en profondeur. La première pompe à vapeur fut brevetée par Thomas Savery (1650-1715) en 1698. Thomas Newcomen (1664-1729), un ferronnier de Dartmouth, perfectionna sa pompe à vapeur plus puissante pour vider les mines de charbon de leur eau à Dudley, dans les Midlands, en 1712. Le moteur de Newcomen n'était pas encore très économe en carburant, ce qui n'était pas un problème grave dans les mines de charbon où le charbon était évidemment abondant, mais un inconvénient si les machines à vapeur devaient être utilisées ailleurs, comme dans les mines d'étain et les usines. Un autre problème était que le moteur de Newcomen n'était pas particulièrement puissant. Heureusement, la machine à vapeur comprenait de nombreuses pièces différentes, et chacune d'entre elles fut développée au fil du temps par différents inventeurs afin de la rendre plus puissante et plus efficace.
Le principe de la machine à vapeur est que l'eau chauffée produit de la vapeur, qui est 1500 fois plus volumineuse. Lorsqu'elle se refroidit et se condense en eau, la vapeur réduit considérablement son volume et crée un vide partiel. Ce vide crée une force d'aspiration qui peut être utilisée pour aspirer de l'eau. Sur le plan scientifique, des scientifiques comme Galilée (1564-1642) avaient découvert au XVIIe siècle que le poids de l'atmosphère extérieure (pression atmosphérique), dont la pression est supérieure à celle du vide dans la machine, crée une force énergétique qui peut être utilisée pour déplacer un objet d'un endroit à un autre. Au lieu de l'eau, un piston pourrait être aspiré dans le vide pour créer une course de puissance. La course de puissance pourrait alors déplacer une poutre à levier qui assurerait la sustentation de l'objet. Lorsque le réservoir à vide est vidé à l'aide de soupapes pour évacuer la vapeur, la poutre retombe dans sa position naturelle grâce à la gravité, et le piston est alors ramené hors du réservoir à vide, prêt à répéter le cycle. Le moteur avait besoin de deux éléments essentiels : du charbon pour chauffer l'eau et de l'eau douce pure qui n'endommageait pas le fonctionnement interne de la machine.
Savery et Newcomen exploitèrent ces principes pour créer une machine à vapeur fonctionnelle. Newcomen améliora la puissance de la machine de Savery en injectant de l'eau froide pour accélérer le processus de condensation. Il remplaça également la tige du piston par une chaîne qui risquait beaucoup moins de se bloquer. Mais il restait encore beaucoup à faire. Une machine mieux fabriquée, avec des pièces mieux ajustées, serait capable de résister à une pression beaucoup plus importante et donc de fournir plus de puissance. Dans les années 1760, John Smeaton doubla l'efficacité de la machine à vapeur, mais ce n'était pas encore suffisant. En 1769, James Watt, un fabricant d'instruments écossais, trouva la voie à suivre, ironiquement, après qu'on lui eut demandé de réparer une machine de Newcomen.
James Watt
James Watt était né à Greenock, en Écosse, en 1736. Il avait suivi une formation à Londres et était employé par l'université de Glasgow en tant que fabricant d'instruments mathématiques lorsque, en 1764, on lui donna un modèle de la machine à vapeur de Newcomen et que l'université lui demanda de la réparer. Au cours de ses réparations, Watt se rendit compte qu'il y avait plusieurs façons d'améliorer la conception. Cinq années supplémentaires de recherche et de développement s'ensuivirent, avec l'aide financière de John Roebuck, qui prit une participation de deux tiers dans l'entreprise. Dans son autobiographie (curieusement écrite à la troisième personne), Watt explique sa motivation : "il cherchait à rendre les moteurs bons et bon marché" (Dugan, 54).
En 1769, Watt fit breveter son nouveau moteur atmosphérique. Cette machine à vapeur innovante était dotée d'un condensateur séparé afin d'augmenter considérablement l'efficacité. Watt sépara les parties chaudes (cylindre à piston) et froides (condenseur) de la machine, qui interféraient avec l'efficacité de l'action de condensation puisque le cylindre à piston était inutilement refroidi lorsque de l'eau était injectée pour créer de la vapeur. C'est pourquoi sa machine est souvent appelée "condenseur séparé". Watt poursuivit ses expériences en travaillant avec Matthew Boulton, un industriel de Birmingham qui racheta les intérêts de Roebuck dans la grande entreprise de Watt après la faillite de ce dernier. Les deux hommes commencèrent à faire de leur moteur une réalité pratique en 1775, en travaillant à Soho Engineering Works à Birmingham. Watt savait que, selon ses propres termes, "la ligne la plus probable pour la consommation de nos moteurs est leur application aux moulins, ce qui est certainement un domaine étendu" (Allen, 171).
Watt et Boulton continuèrent de peaufiner leur projet au cours des années suivantes. Un développement important consista à augmenter la puissance en s'assurant que la vapeur pousse le piston vers le bas en même temps que le vide le tire vers l'intérieur. La vapeur était désormais introduite alternativement aux deux extrémités du piston, en fonction de la direction dans laquelle celui-ci se déplaçait. C'est pourquoi ce nouveau type de moteur est souvent appelé moteur à double effet. Cette évolution se traduisit par une augmentation de la puissance, une plus grande régularité de la puissance et une distribution plus régulière de cette puissance. Cette puissance s'accrut encore adavantage lorsque Watt remplaça la chaîne reliant le piston à la poutre par un système plus rigide de tiges permettant de pousser et de tirer davantage sur le piston.
Un autre perfectionnement consista à utiliser des pièces mieux ajustées pour le moteur, afin de minimiser les pertes de chaleur et d'énergie. Watt sollicita l'aide des experts en fabrication de canons John et William Wilkinson pour obtenir des pièces en fer mieux ajustées. Grâce à ces nouvelles pièces, l'étanchéité entre le piston et le carter de la machine fut nettement améliorée. En outre, le fer était beaucoup moins cher que le laiton, le matériau précédemment privilégié. D'autres améliorations consistèrent à ajouter une pompe pour évacuer l'air et la vapeur condensés, à isoler le piston chaud pour l'aider à rester chaud et à immerger le réservoir de condensation dans un autre réservoir d'eau pour l'aider à rester froid.
Vente du moteur de Watt et Boulton
La puissance des machines à vapeur était désormais mesurée à l'aide d'une échelle équivalente à la puissance d'un cheval. Le terme "cheval-vapeur" fut inventé par Watt et permit d'évaluer les améliorations apportées aux futurs moteurs. Le dernier développement clé de Watt (qui avait déjà été utilisé par des inventeurs rivaux) consistait à convertir la puissance du moteur non pas en une chaîne verticale ou des tiges, mais en un mouvement rotatif à l'aide d'un lourd volant d'inertie relié par des engrenages solaires et planétaires. Cet arrangement rendait l'action de la machine beaucoup plus douce et moins sujette à l'usure. La machine à vapeur rotative pouvait désormais être utilisée pour pratiquement toutes les tâches nécessitant de tirer, de pousser, de tourner, de soulever et de presser. Le point culminant de cette recherche et de ce développement fut atteint en 1784 avec le moteur que Watt et Boulton fabriquèrent pour Samuel Whitbread (1720-1796). Whitbread dirigeait une brasserie à Londres et le moteur, installé en 1785 et utilisé jusqu'en 1887, connut un tel succès qu'il l'aida à devenir le brasseur le plus important de Grande-Bretagne. La machine est aujourd'hui la plus ancienne machine à vapeur rotative de Watt encore en état de marche et est exposée au Powerhouse Museum de Sydney.
Confiants dans leur produit, en 1784, Watt et Boulton achetèrent le moulin Albion, à Londres, qui fut la première grande usine entièrement alimentée par la vapeur. De nombreux fabricants furent invités à se rendre au moulin pour voir fonctionner les impressionnants moteurs de Watt et Boulton et passer ensuite commande. La stratégie fonctionna et, l'année suivante, une filature de coton appartenant à George et John Robinson à Nottingham devint la première à être équipée d'un moteur James Watt & Co.
Fait crucial pour son succès commercial, la machine à vapeur de Watt ne consommait qu'environ un quart du carburant nécessaire à la machine de Newcomen. Le fonctionnement de la machine devint ainsi abordable pour un plus grand nombre d'entreprises et elle put être utilisée dans des régions éloignées où il n'y avait pas de grandes réserves de charbon. Il s'agissait d'une considération essentielle à l'époque, qui compensait la puissance modeste du moteur, de l'ordre de 15 à 16 chevaux par heure. Comme le note l'historien J. Mokyr, les réalisations de l'Écossais signifiaient que "Watt est comparable à, disons, Pasteur en biologie, Newton en physique ou Beethoven en musique. Certains individus ont compté" (Dugan, 54).
Développements ultérieurs
En 1800, la Grande-Bretagne s'enorgueillissait de posséder plus de 2 500 machines à vapeur (la France, le concurrent le plus proche de la Grande-Bretagne, en avait moins de 200, tandis qu'à la même époque, le nombre de machines aux États-Unis se comptait sur les doigts des deux mains). La plupart des machines britanniques étaient utilisées dans les mines, les filatures de coton et les usines de fabrication. Près de 500 de ces moteurs furent fabriqués par Watt et Boulton. 52 des moteurs de Watt étaient utilisés dans les mines, 84 dans les filatures de coton et le reste dans un large éventail d'industries. Même les usines utilisant des roues à aubes traditionnelles commencèrent à utiliser le moteur de Watt comme solution de secours lorsque les niveaux d'eau locaux étaient trop bas pour être efficaces.
C'est également en 1800 que Watt prit sa retraite, son brevet ayant expiré. La machine survivrait longtemps à son inventeur et continuerait à s'améliorer grâce aux nouvelles idées de jeunes ingénieurs. En effet, le brevet de Watt avait freiné certains autres inventeurs qui étaient désormais libres d'apporter de nouvelles améliorations. Watt fut récompensé pour sa contribution à la science et à l'ingénierie en donnant son nom à une unité de mesure électrique.
Les machines à vapeur continuèrent d'évoluer et bénéficièrent de machines-outils toujours plus performantes, capables de fabriquer des pièces plus solides et mieux ajustées. Au XIXe siècle, les moteurs à vapeur étaient utilisés pour les machines lourdes dans les usines, les batteuses dans l'agriculture, les presses à imprimer et les stations d'épuration dans toute la Grande-Bretagne et ailleurs. Elles révolutionnèrent l'industrie. Par exemple, en 1835, environ 75 % des filatures de coton en Grande-Bretagne utilisaient la vapeur. Même lorsque le travail manuel traditionnel se poursuivait, comme dans l'agriculture, les outils utilisés par les ouvriers étaient souvent fabriqués à l'aide de machines à vapeur. Les premiers moteurs avaient l'avantage d'être économes en carburant et mobiles, ce qui en faisait un produit commercialisable, mais maintenant, avec une puissance beaucoup plus grande, ils pouvaient non seulement remplacer d'autres sources d'énergie comme les roues à eau, mais aussi être utilisés à des fins entièrement nouvelles, comme le transport. Les chemins de fer transformèrent la Grande-Bretagne, les locomotives à vapeur reliant toutes les régions du pays.
Les chemins de fer furent rendus possibles par le développement du moteur à expansion qui éteint la source de chaleur avant que la vapeur ne se soit complètement dilatée, ce qui permet à l'expansion de se poursuivre naturellement et donc d'économiser du carburant. Le contrôle de l'expansion de la vapeur à l'aide de soupapes constitua un autre progrès. Grâce à un bricolage constant de la part des ingénieurs qui utilisaient les moteurs eux-mêmes et observaient leurs particularités, la partie vapeur du processus devint si efficace que la partie condensation n'avait plus d'importance.
Certaines machines à vapeur étaient désormais gigantesques. James Watt mourut en 1819, mais son entreprise continua de fonctionner. James Watt & Co. fournit les moteurs du gigantesque navire à vapeur SS Great Eastern, conçu par Isambard Kingdom Brunel (1806-1859). Chacun des deux moteurs pesait 90 tonnes, ce qui en faisait les plus gros jamais construits jusqu'alors. Leurs cylindres massifs mesuraient 1,88 mètre de long. Les moteurs développaient une puissance totale de 3 150 chevaux, soit le double de la puissance de tous les navires existants. Le Great Eastern effectua avec succès son voyage vers New York en 1860. Watt aurait été très impressionné.
Les moteurs à vapeur avaient alors été adoptés dans toute l'Europe et ils allaient rester la source d'énergie dominante jusqu'au XXe siècle, lorsque le moteur à combustion et l'électricité prirent le relais.
Impact de la machine à vapeur
Les machines à vapeur permirent à des inventeurs comme Watt de connaître le succès et aux fabricants et autres chefs d'entreprise de réaliser d'importants bénéfices grâce à la réduction du coût de la main-d'œuvre et aux économies d'échelle réalisées au niveau de la production. D'autres avantages furent constatés dans l'agriculture où les machines à vapeur mobiles devinrent extrêmement utiles au moment des récoltes ou pour des projets de grande envergure tels que l'assèchement des champs. La vapeur permit aux nouveaux chemins de fer de relier les gens comme jamais auparavant, et les transports plus rapides rendirent les biens de consommation moins chers. Les industries du charbon et de l'acier connurent un véritable essor pour alimenter les machines à vapeur et fournir les matières premières nécessaires à leur fabrication. Il y eut également de nombreux effets moins positifs. Les ouvriers qualifiés du textile perdirent leur emploi au profit des métiers à tisser électriques, tout comme les gérants de diligences, d'auberges et d'écuries lorsque les trains prirent le relais des méthodes de transport traditionnelles. L'urbanisation s'accéléra et les villes devinrent des lieux de vie surpeuplés et pollués. Les usines mécanisées devinrent des lieux de travail bruyants et souvent dangereux. Mais il n'y avait aucun retour en arrière possible. L'énergie des machines, quelle qu'en soit la source, devint indispensable au point qu'il nous est aujourd'hui presque impossible d'imaginer ce qu'était la vie avant la grande révolution de la vapeur.