Homo rudolfensis est une espèce humaine primitive qui vivait en Afrique de l'Est il y a environ 2,5 à 1,8 millions d'années. Il est connu grâce à une poignée de fragments de crânes, de mâchoires et de dents qui rappellent alternativement l'Homo ou l'Australopithèque et qui s'assemblent pour révéler une espèce au cerveau relativement large, à la face plate et aux dents robustes, capable de mâcher des plantes coriaces.
Les dates associées signifient que l'Homo rudolfensis existait à une époque qui connut l'émergence de notre genre Homo - une époque encore très mystérieuse car les restes fossiles sont rares et il est donc très difficile de réussir à construire des puzzles à partir de ces restes. Cela se reflète dans les débats qui font rage concernant la relation entre l'Homo rudolfensis et son proche contemporain, l'Homo habilis, et dans le fait que certains scientifiques préfèrent les regrouper en une seule espèce. De plus, on ne sait pas si Rudolfensis et Habilis ont effectivement trouvé leur place au sein de l'espèce Homo, ou s'ils n'auraient pas plutôt leur place au sein de l'espèce Australopithecus (Australopithèque).
Découverte
L'Afrique de l'Est fut le théâtre des premières années de l'espèce humaine, et les paléoanthropologues Louis et Mary Leakey et leurs fils ont joué un rôle central dans sa découverte en tant que telle. Dès les années 1950, leurs travaux dans les gorges d'Olduvaï, en Tanzanie, ont permis de découvrir des outils en pierre appartenant à ce qu'ils ont appelé l'industrie oldowayenne. Dans les années 1960, leur fils Jonathan a trouvé des os et des fragments d'os que l'équipe Leakey a attribués à la nouvelle espèce Homo habilis, qui devint ainsi le premier membre du genre Homo connu à l'époque.
Un projet de recherche axé sur le nord du Kenya, le long des rives du lac Turkana, allait encore modifier l'image des premiers Homo. Richard Leakey - le fils de Louis et Mary - y a mené des travaux de terrain dans les années 1970. En 1972, à Koobi Fora, l'un des membres de son équipe, Bernard Ngeneo, a découvert une intéressante collection de fragments de crânes.
Une fois reconstitué, le visage qui faisait face à l'équipe était frappant: il avait un front raide, une face plate et un large palais - apparemment un mélange de caractéristiques d'Homo et d'Australopithèque qui ne correspondait à rien d'autre de connu à l'époque.
Le crâne, connu sous le nom scientifique de KNM-ER 1470, a été initialement daté d'environ 2,4 millions d'années (puis ajusté à environ 1,8 million d'années en 1989, puis à environ 2 millions d'années en 2013) et attribué par Richard Leakey d'abord à une espèce d'Homo indéterminée, puis à l'Homo habilis. Cependant, comme les caractéristiques du crâne différaient considérablement de celles des spécimens connus d'Homo habilis et que sa capacité crânienne était plus importante, cette découverte a suscité de nombreuses querelles et discussions au sein de la communauté scientifique.
Dès 1978, deux ans seulement après que Leakey eut attribué le crâne à l'Homo habilis, le scientifique russe Valerii Alexeev a proposé de donner au nouveau crâne le rôle principal dans sa propre espèce, en le nommant Homo rudolfensis (d'après l'ancien nom du lac Turkana, le lac Rudolf). Cependant, la version anglaise de l'article d'Alexeev n'a été publiée qu'en 1986 et, comme peu de données ont été présentées, le nom d'espèce Homo rudolfensis n'a été accepté par la communauté scientifique qu'au début des années 1990. Malgré cela, le débat s'est poursuivi, même si, à l'instar de l'Homo habilis, le mélange de caractéristiques de rudolfensis ne lui permet pas d'être clairement assimilé à l'Homo ou à l'Australopithèque.
Apparence
Outre le crâne de KNM-ER 1470, nous disposons de quelques autres indices qui nous permettent de reconstituer ce à quoi aurait ressemblé son visage, mais pas son corps; aucun os appartenant à des parties du corps autres que le crâne n'a été solidement attribué à l'Homo rudolfensis. D'autres fragments de crâne et de mâchoire ont été trouvés à Koobi Fora, près de l'endroit où KNM-ER 1470 a été découvert, tandis que des dents ont été découvertes dans le bassin de la rivière Omo en Éthiopie et qu'une mâchoire a été trouvée dans les Chiwondo Beds au Malawi. Le matériel date d'il y a 2,5 à 1,8 millions d'années, ce qui en fait un contemporain direct de l'Homo habilis (daté d'il y a environ 2,3 millions à 1,5 million d'années).
Nous sommes donc en présence d'une espèce au cerveau plus volumineux, à la face plus plate et aux dents plus grandes que celles de l'Homo habilis. Son front est assez raide et conduit à un crâne bombé, deux caractéristiques du genre Homo. Le cerveau qui se trouve sous ce crâne bombé est estimé à 752 cm³, bien qu'une étude menée en 2008 par Timothy Bromage suggère de réduire ce chiffre à 700 cm³ (ce qui est tout de même beaucoup plus important que la taille générale des cerveaux des australopithèques, qui se situe généralement entre 387 et 560 cm³). Le fait que le milieu de la face de l'Homo rudolfensis soit plus large que la partie supérieure et que le palais qui se trouve en dessous soit peu profond, large et court nous rappelle plutôt l'Australopithèque. Ses canines et ses incisives sont grandes et ses molaires présentent un relief plus important que chez l'australopithèque.
Parmi les quelques ossements qui sont parfois mentionnés en relation avec l'Homo rudolfensis, un seul, à l'heure actuelle, semble pouvoir mériter le qualificatif de "peut-être" : KNM-ER 1472, un fémur provenant de Koobi Fora et daté d'environ 1,9 million d'années. Il est normalement attribué à l'Homo habilis, mais comme il est beaucoup plus grand que tous les autres fémurs de l'Homo habilis, il n'est pas tout à fait à sa place et pourrait plutôt correspondre à l'Homo rudolfensis. Toutefois, cette hypothèse n'a été que suggérée par certains chercheurs et n'a pas été largement acceptée.
Réserves sur la classification
Malgré les différences mentionnées ci-dessus entre les crânes d'Homo rudolfensis et d'Homo habilis, la nature fragmentaire du matériel appartenant aux premières espèces d'Homo datant de cette époque (il y a environ 2,5 à 1,5 millions d'années) entraîne un certain fouillis lorsqu'il s'agit de classer ce matériel, même si des différences peuvent être observées. Les relations entre les différentes espèces suggérées à cette époque, ainsi que l'identité de leurs ancêtres, sont encore mal connues. Comme nous n'avons pas beaucoup de matériel fossile attribué à l'Homo rudolfensis, il devient très difficile de faire des suppositions sur l'espèce dans son ensemble, car il faut s'attendre à une certaine variation au sein de l'espèce.
C'est pourquoi, à ce jour, les chercheurs n'ont pas tous réussi à se mettre d'accord sur la question de savoir s'il fallait conserver l'Homo rudolfensis et l'Homo habilis en tant qu'espèces distinctes ou les regrouper en une seule espèce plus variée. Dans ce dernier cas, le crâne KNM-ER 1470 et d'autres fragments de crâne normalement attribués à l'Homo rudolfensis seraient alors considérés comme les mâles de l'espèce, tandis que les crânes plus petits normalement attribués à l'Homo habilis pourraient être des femelles. Les différences de taille et d'apparence entre les mâles et les femelles - le dimorphisme sexuel - sont courantes chez de nombreux animaux et ont probablement existé aussi chez les premiers Homo. Toutefois, comme le fait remarquer l'archéologue Manuel Will, il est pratiquement impossible d'essayer d'évaluer le sexe de vestiges aussi fragmentaires, et il n'y a aucune raison de s'attendre à ce que des fossiles regroupés présentent un biais systématique en faveur de l'un ou l'autre sexe. À l'heure actuelle, la plupart des scientifiques sont favorables au maintien de la séparation entre les deux espèces, bien qu'ils ne soient pas tous d'accord sur la question de savoir exactement quels spécimens doivent être assignés à quelle espèce.
En raison de son mélange intéressant de caractéristiques rappelant alternativement Homo et Australopithecus, il y a désaccord sur la question de savoir si rudolfensis mérite sa place au sein du genre Homo ou s'il serait mieux placé au sein du genre Australopithecus. La même question se pose pour l'Homo habilis. Si la plupart des scientifiques soutiennent le statut actuel de ces deux espèces - dans le genre Homo, à la base de l'arbre Homo - la définition d'Homo s'en trouve quelque peu élargie. Cependant, on peut dire la même chose si rudolfensis et habilis devaient être ajoutés à Australopithecus. Une troisième option a même été proposée pour rudolfensis: l'anthropologue David Cameron estime qu'il s'inscrit dans Kenyanthropus, un genre plus ancien dont la seule espèce connue, Kenyanthropus Platyops, vivait il y a un peu plus de 3 millions d'années. Cependant, d'autres scientifiques ont jugé cette option injustifiée à l'heure actuelle.
Il est clair que l'Homo précoce (ou l'Australopithèque tardif) est un sacré bazar. Néanmoins, l'espoir pointe à l'horizon: ces dernières années, de nombreuses découvertes importantes ont été faites sur les premiers humains et, si l'on trouve davantage de matériel sur l'Homo rudolfensis, nous serons mieux à même de relier les points concernant ses ancêtres et sa place dans l'histoire de l'évolution au sens large.
Habitat et régime alimentaire
Même si nous ignorons beaucoup de choses sur l'Homo rudolfensis, les sites où ont été découverts des restes normalement attribués à cette espèce - les Chiwondo Beds dans le rift du Malawi au nord du Malawi, Koobi Fora au Kenya et le bassin de l'Omo en Éthiopie - pourraient nous renseigner sur son (ses) habitat(s), son régime alimentaire et son mode de vie. En outre, étant donné que l'Homo précoce est actuellement un puzzle dont les pièces sont beaucoup trop nombreuses et qu'il y a beaucoup de discussions sur le matériel à attribuer à telle ou telle espèce, il est intéressant d'examiner l'ensemble de la collection de fossiles de l'Homo précoce. Des spécimens d'Homo précoce datant d'environ 2,8 à 1,6 millions d'années sont connus dans d'autres endroits tels que Hadar en Éthiopie, Chemeron ainsi que Turkana Ouest et Est au Kenya, Olduvaï en Tanzanie, et Sterkfontein, Swartkrans et Drimolen en Afrique du Sud.
Il y a environ 2,8 à 2,5 millions d'années, le climat africain changea et vit le développement de vastes étendues de savanes boisées et herbeuses contenant des plantes mieux adaptées à des conditions plus fraîches et plus arides. Selon les chercheurs, ces conditions auraient favorisé les espèces dotées de dents plus grandes et plus robustes, car elles pouvaient mieux se nourrir de fruits, de feuilles et d'herbes plus résistants et plus fibreux. Homo rudolfensis, avec ses molaires relativement grandes (bien que moins grandes que celles, par exemple, des australopithèques robustes tels que Paranthropus boisei), aurait été au moins décemment adapté à ce type d'aliments.
Dans le même temps, des changements environnementaux rapides et extrêmes se produisirent et ils auraient nécessité une certaine flexibilité pour survivre. En Afrique de l'Est, les forêts tropicales résistèrent même pendant les périodes de sécheresse, et nous savons que l'Homo rudolfensis survécut également dans la savane boisée relativement fraîche et humide du rift du Malawi il y a environ 2,4 millions d'années, où il se nourrissait de plantes dites "C3". Dans l'ensemble, les données indiquent que les premiers Homo, y compris rudolfensis, étaient des généralistes alimentaires capables de survivre dans différents types d'habitats. Néanmoins, les différences d'usure dentaire entre Homo rudolfensis et Homo habilis indiquent qu'ils avaient probablement des régimes alimentaires différents.
Nous savons que l'Homo habilis utilisait des outils, car des outils de l'industrie dite oldowayenne ont été trouvés à côté d'ossements d'Homo habilis. Bien que l'Homo rudolfensis ne soit pas directement associé à des outils, les outils oldowayens datent d'entre 2,6 et 1 million d'années et chevauchent donc non seulement l'Homo habilis, mais aussi l'Homo rudolfensis et l'Homo erectus, ainsi que les Australopithèques tardifs. Il est certainement possible que toutes ces espèces aient utilisé des outils en pierre à des degrés divers. La plupart des scientifiques s'accordent à dire que l'Homo était probablement le plus habitué à fabriquer des outils. Les outils oldowayens étaient fabriqués en frappant des éclats d'un noyau de pierre à l'aide d'une autre pierre et pouvaient être utilisés pour des activités telles que la boucherie, le travail du bois, la coupe, le creusement et la fissuration (d'os, pour atteindre la moelle, ou de crânes pour extraire le cerveau). Ces activités ont pu jouer un rôle dans la vie des Homo rudolfensis. Les voisins de l'Homo rudolfensis pendant son séjour sur terre n'étaient pas seulement l'Homo habilis, mais aussi le Paranthropus boisei, l'Australopithecus africanus et l'Homo erectus.
Conclusion
Il est clair maintenant que l'Homo rudolfensis peut être utilisé comme une illustration parfaite du peu que nous savons définitivement sur les débuts du genre Homo (ou les derniers jours de l'Australopithecus). Comme Homo habilis, son proche contemporain et principal partenaire dans les débats sur la classification, les quelques restes d'Homo rudolfensis mis au jour jusqu'à présent présentent un mélange intéressant de caractéristiques d'Homo et d'Australopithèque. Bien qu'il existe certainement des différences entre l'Homo rudolfensis et l'Homo habilis, le débat en cours sur la question de savoir si ces différences sont simplement dues à des variations au sein d'une espèce ne sera tranché de manière concluante que si l'on trouve davantage de fossiles.
Cependant, les dix dernières années de paléoanthropologie ont montré que l'histoire de l'évolution des hominines est de plus en plus complexe et fluide. L'ADN prélevé sur des espèces plus récentes telles que l'homme de Néandertal et l'homme de Denisova nous apprend que le métissage au sein d'une même espèce était probablement la norme plutôt que l'exception, du moins à cette époque. Ainsi, les hominines sont entrés et sorties du contact les unes avec les autres et ont influencé leurs voies d'évolution respectives, à l'instar d'un cours d'eau tressé (et non d'un arbre évolutif strict dont les branches ne se rejoignent jamais après s'être ramifiées). Il est fort possible qu'il en soit de même pour l'époque antérieure, aux multiples facettes, à laquelle ont vécu les Australopithèques tardifs et les premiers Homo, y compris Rudolfensis.