Située le long d'antiques routes commerciales, la Sicile est une île dont l'emplacement stratégique en Méditerranée et les ressources naturelles ont suscité la convoitise d'empires consécutifs, de Carthage jusqu'à Rome en passant par Athènes. De telle sorte que, jamais bien loin du centre de la scène politique régionale, l'île fut le théâtre de très nombreuses guerres au cours de l'Antiquité. Les invasions, les tyrans et les guerres finirent tout de même par laisser la place à plusieurs siècles de prospérité et de paix relatives, une fois la Sicile devenue province romaine. Elle nous a légué quelques-uns des monuments antiques les mieux conservés et les plus impressionnants du bassin méditerranéen à ce jour, témoignages de sa riche histoire culturelle.
Histoire précoce
Les populations indigènes de la Sicile antique se divisaient en trois groupes : les Élymes dans la partie occidentale de l'île, les Sicanes au centre, et les Sicules à l'est – dont le nom est à l'origine de celui de l'île –, respectivement originaires de Troie, de la péninsule ibérique et de l'Italie continentale, d'après Thucydide. Les découvertes de céramique et de lingots de cuivre indiquent que ces peuples commerçaient avec d'autres populations de l'âge du bronze tardif, tels que les Mycéniens et les Chypriotes. Malgré les récits traditionnels affirmant que les Phéniciens auraient colonisé l'île les premiers, il n'existe aucune preuve indiquant qu'ils aient précédé les colons grecs. Les principales cités phéniciennes étaient Motyé, Panorme et Solonte, tandis que les sites élymes principaux, tous alliés de Carthage, étaient Ségeste, Erice et Entella. La colonisation grecque commença autour de 735 av. J.-C. et exerça une forte influence politique et culturelle sur les populations locales, directement comme à travers les échanges commerciaux. Ce processus d'hellénisation est particulièrement évident dans l'architecture, avec les grands temples doriques érigés à travers toute la Sicile. L'expansion de l'habitat urbain et les premières émissions de monnaie sicilienne à la fin du VIe siècle av. J.-C. témoignent de la prospérité dont jouissaient de nombreuses cités-États, ou poleis. Les colonies phéniciennes repoussaient inlassablement l'avancée des Grecs dans leurs territoires, notamment en 580 av. J.-C. environ contre Pentathlos et, de nouveau, autour de 510 av. J.-C. contre Dorieus.
Les tyrans, Carthage et Athènes
Les formes de gouvernement des différentes poleis suivaient divers modèles grecs, mais la plus répandue était la tyrannie. Akragas (Agrigente) et Géla comptent parmi les premières poleis à avoir été gouvernées par des tyrans, et Hippocrate de Géla fut le premier d'une longue lignée de tyrans siciliens célèbres (il convient de remarquer que le terme grec "tyran" désignait un dirigeant unique, qui n'était pas toujours un tyran au sens péjoratif que ce mot a pris aujourd'hui). Le successeur d'Hippocrate, Gélon (r. de 491 à 478 av. J.-C.), déplaça sa capitale à Syracuse, colonie de Corinthe à l'origine, fondée en 734 av. J.-C. Après la défaite de Carthage et de ses alliées siciliennes à la bataille d'Himère en 480 av. J.-C., Syracuse devint la polis dominante en Sicile et la deuxième plus grande cité du monde grec après Athènes, même si elle finit par la dépasser en nombre d'habitants.
À partir du Ve siècle av. J.-C., la démocratie devint la forme de gouvernement dominante, mais les poleis, encore indépendantes les unes des autres, commencèrent à attirer l'attention de la plus grande puissance maritime de l'époque : Athènes. À la première tentative ratée d'accroître l'influence athénienne dans la région, entre 427 et 424 av. J.-C., succéda un fiasco spectaculaire entre 415 et 413 av. J.-C, connu comme l'expédition de Sicile. Le plan athénien pour attaquer Syracuse avait été préparé par Alcibiade, mais les Athéniens finirent par cafouiller et perdirent, en fin de compte, la totalité de leurs troupes d'invasion. Athènes avait surestimé le soutien que lui apporteraient localement des poleis siciliennes mécontentes et avait sous-estimé les fortifications de Syracuse ainsi que la détermination de ses habitants. Quand Gylippe arriva de Corinthe avec des renforts, le sort des Athéniens était scellé et, dans un coup cinglant porté à l'orgueil militaire d'Athènes, leurs deux commandants furent exécutés.
Syracuse s'impliqua ensuite activement dans une alliance avec Sparte, au moment où la guerre du Péloponnèse déferlait sur Athènes et ses alliées, tandis que Carthage saisissait l'opportunité d'accroître son influence en prenant Sélinonte et Himère en 409 av. J.-C., puis Akragas et Géla trois ans plus tard. Syracuse reprit toutefois l'avantage sous le règne de l'un des plus grands dirigeants de l’histoire sicilienne : Denys l'Ancien, général talentueux, politicien et mécène. Celui-ci prit le pouvoir en 405 av. J.-C. et permit à Syracuse d’imposer enfin sa domination sur la Sicile, grâce à une grande armée de mercenaires, contraignant les Carthaginois à garder seulement un pied dans la partie occidentale, situation qui perdura jusqu'à la mort du tyran en 367 av. J.-C. Il fut un allié considérable pour Sparte pendant la guerre de Corinthe, entre 395 et 386 av. J.-C., et développa l'influence de Syracuse jusqu'à y inclure de grandes portions du Sud de l'Italie continentale. C'était un chef militaire novateur et c'est à lui que l'on attribue la première utilisation, dans toute l'histoire des guerres grecques, de tours de siège et de catapultes tirant des flèches.
La Sicile hellénistique et romaine
Après le règne de Denys l'Ancien et durant toute la période hellénistique, Syracuse fut contrainte de solliciter l'aide de Corinthe pour faire face à la menace carthaginoise. Timoléon mena Syracuse à la victoire lors de la bataille de Crimisos, autour de 341 av. J.-C., lui permettant de récupérer le contrôle de son royaume, supprima les tyrannies, engagea un programme de restauration et encouragea les arrivées de nouveaux colons venus de Grèce et d'Italie. De nombreux États retrouvèrent alors la prospérité en Sicile, mais le chaos politique s'installa après la mort de Timoléon. Cependant, cette période tumultueuse de gouvernement oligarchique prit fin avec l'arrivée d'un nouveau tyran puissant, qui restaura la grandeur de Syracuse. Ainsi, Agathoclès prit le pouvoir en 317 et s'auto-proclama roi de Sicile en 305 av. J.-C. environ, après s'être emparé de la majeure partie de l'île. Mais, comme souvent lorsque meurt un chef puissant, une nouvelle période de troubles et de régression s'installa rapidement après sa mort. La cité redevint florissante sous les règnes de Pyrrhos Ier et de Hiéron II au IIIe siècle av. J.-C., mais toute la Sicile devait perdre son indépendance dans les décennies suivantes.
Carthage demeura une menace permanente pour les cités siciliennes, mais, au milieu du IIIe siècle av. J.-C., un nouvel acteur avait fait son entrée sur la scène géopolitique : Rome. Les deux grandes puissances s'affrontèrent au cours des guerres puniques et firent de la Sicile leur champ de bataille. Rome finit par triompher, et la Sicile, toute première d'une longue série, devint province romaine. Hiéron II de Syracuse avait changé de camp pour s'allier à Carthage, mais, grâce à la chute de la cité aux mains des Romains en 211 av. J.-C., l'île fut enfin unifiée au sein d'une seule entité gouvernable, bien que dominée par une puissance étrangère.
Malgré cette unification, les Romains différencièrent les cités de leur nouvelle province en fonction de leurs alliances antérieures : certaines eurent donc plus de liberté politique et moins de charge fiscale que d'autres. Néanmoins, dans l'ensemble, l'île prospéra jusqu'à la période impériale, grâce au souci des Romains d'assurer la fiabilité des ressources en grain, et vit co-exister les cultures grecques et latines. Auguste créa plusieurs colonies pour les vétérans en Sicile, et l'agriculture se développa grâce à la fondation de nombreuses grandes propriétés impériales, de sorte que l'île devint une importante productrice de vin, de laine et de bois. Avec le temps, la valeur de la Sicile s'estompa aux yeux de Rome, mais cela n’empêcha pas Syracuse de devenir un important centre du christianisme et de le rester jusqu'au VIIe siècle.