La théorie microbienne (alias théorie des germes), apparue à la fin du XIXe siècle, démontra que des germes microscopiques étaient à l'origine de la plupart des maladies infectieuses humaines. Les microbes en question sont les bactéries, les virus, les champignons, les protozoaires et les prions. Louis Pasteur (1822-1895), chimiste et microbiologiste français, et Robert Koch (1843-1910), médecin et microbiologiste allemand, furent à l'origine de la découverte de la théorie microbienne dans les années 1860-1880.
Considérée comme la découverte la plus importante de l'histoire de la médecine, la théorie microbienne a poussé la profession médicale à réévaluer sa conception de la maladie, a offert des possibilités de prévention et de traitement des maladies, ainsi que la découverte et la mise en œuvre de nouvelles technologies de lutte contre les maladies.
Auparavant, les médecins partaient du principe que la maladie était un processus interne au corps humain, en particulier la théorie des quatre humeurs d'Hippocrate, connue de longue date, selon laquelle les excès ou les carences de quatre fluides corporels (le sang, le flegme, les biles jaune et noire) entraînaient des maladies et des affections. La théorie microbienne contredit cette idée en séparant la maladie des personnes atteintes. En outre, la nouvelle théorie introduisit une méthode de classification des maladies (nosologie) en fonction du type de micro-organismes à l'origine de la maladie.
Théories historiques de la maladie
Avant la découverte de la théorie microbienne, diverses théories avaient été avancées pour expliquer la maladie chez l'homme. La théorie la plus ancienne était celle des miasmes, attribuée à Hippocrate (460-370 av. J.-C.), un médecin grec. Dérivée du mot grec signifiant "pollution" ou "mauvais air", la théorie des miasmes suggère que les particules en décomposition provenant de matières organiques, de plantes ou d'animaux, empoisonnent l'air. Bien que ces miasmes soient facilement détectés par l'odorat, les personnes qui inhalent ce "mauvais air" tombent malades. En outre, les mouvements planétaires, les perturbations de la Terre, le manque d'hygiène et l'eau polluée contribuaient souvent aux miasmes. Les tentatives d'élimination des déchets et la propreté étaient jugées nécessaires pour améliorer l'atmosphère et éviter les infections et les maladies.
Aristote (384-322 av. J.-C.), philosophe grec, proposa la génération spontanée des maladies. Aristote pensait qu'il était possible que des organismes vivants surgissent de la matière non vivante. De plus, ce processus, comme l'apparition d'asticots à partir de chair morte, est un phénomène régulier et naturel.
Galien (129-216 de notre ère), médecin romain, élargit les spéculations antérieures d'Hippocrate sur le déséquilibre des fluides corporels en tant que cause de maladie. Galien associa chacune des quatre humeurs à une saison particulière caractérisée par le chaud, le froid, le sec et l'humide. Par exemple, les rhumes et les grippes surviennent le plus souvent par temps froid et humide. Tout changement de temps ou de saison pouvant perturber l'équilibre des quatre humeurs, des traitements furent mis au point pour rétablir cet équilibre (purges, saignées, lavements et vomissements, par exemple). Ces théories anciennes dominèrent la pensée médicale occidentale sur la maladie jusqu'au 19e siècle.
Une autre théorie sur l'origine des maladies faisait référence à des causes surnaturelles. Les péchés d'une personne l'auraient amené à contracter une maladie en guise de punition des dieux ou de Dieu. Les fantômes, les démons et les mauvais esprits avaient également la capacité de rendre une personne malade. La magie, la divination, les sortilèges, l'exorcisme et divers médicaments étaient utilisés pour diagnostiquer et traiter les maladies. Il incombait à divers guérisseurs - chamans, prêtres, devins, hommes-médecine - de chasser les mauvais esprits. Par la suite, les théologiens chrétiens présentèrent la maladie comme une punition pour les péchés, ainsi qu'un test de foi.
D'autres théories sur l'origine des maladies continuèrent à voir le jour. C'est à Girolamo Fracastoro (1476-1553), un médecin italien, que l'on doit la première utilisation du mot "contagion" pour décrire la transmission des maladies. Sa théorie des "germes de maladie" soutenait que les maladies pouvaient se propager par contact direct ou indirect, ou sur de longues distances sans aucun contact. Un chimiste allemand, Justus von Liebig (1803-1873), l'un des premiers fondateurs de la chimie organique, suggéra qu'à la suite d'un processus chimique à partir de matières organiques en décomposition, la maladie apparaissait simplement dans le sang (l'"usine chimique" de l'organisme).
Fondements de la théorie microbienne
Paracelse (alias Theophrastus von Hohenheim, 1493-1541), médecin suisse, et Jean Baptiste van Helmont (1579-1644), chimiste et médecin néerlandais, furent les chefs de file de la révolution médicale qui se déroula pendant la Renaissance. Paracelse, souvent considéré comme le père de la toxicologie, étudia les effets néfastes des substances chimiques sur les organismes vivants. J. B. van Helmont, fondateur de la chimie pneumatique, identifia les propriétés physiques des gaz. Les deux hommes conclurent que les germes à l'origine des maladies étaient extérieurs à l'homme et qu'une fois à l'intérieur du corps humain, ils s'attaquaient à n'importe quel organe interne.
Plus important encore, l'émergence de nouvelles technologies, en particulier le microscope, stimula la discipline de la bactériologie (une branche de la microbiologie qui implique l'identification, la classification et la caractérisation des espèces bactériennes). Antonie van Leeuwenhoek (1632-1723), un microbiologiste néerlandais, créa le premier microscope à lentille unique qui lui permit, ainsi qu'à d'autres chercheurs, de voir et de travailler avec des micro-organismes. Souvent considéré comme le père de la microbiologie, Leeuwenhoek fit de la microbiologie une discipline scientifique. La microbiologie n'étudie pas seulement les micro-organismes trop petits pour être vus par l'œil humain, mais elle contribue également à la création de médicaments conçus pour prévenir et guérir les maladies et les affections. Deux éléments essentiels de la bactériologie sont alors apparus et ont étayé la théorie microbienne:
- les maladies proviennent de micro-organismes
- la maladie se transmet d'une personne à l'autre par la propagation de ces minuscules germes.
John Snow (1813-1858), médecin britannique, rejeta la théorie des miasmes selon laquelle toutes les maladies se propagent à cause du mauvais air, devenant ainsi l'un des premiers partisans de la théorie microbienne. Dans son ouvrage intitulé Work on the Mode of Communication of Cholera (1849), Snow révéla que le choléra était causé par un micro-organisme que les humains avalent et qui se fixe dans leurs intestins, et non dans leurs poumons. Plus précisément, à la suite d'une épidémie de choléra à Londres en 1854, Snow identifia une pompe à eau sur Broad Street comme étant la source de l'eau polluée provenant de la Tamise. Snow conseilla à la population de faire bouillir l'eau avant de l'utiliser afin de tuer les germes à l'origine de la maladie (un conseil qui est encore pratiqué dans le domaine de la santé publique moderne). Cet exemple de la première application pratique de la théorie microbienne fut rejeté par les confrères de Snow qui n'acceptaient pas l'idée que des micro-organismes invisibles puissent être à l'origine de maladies.
Ignaz Semmelweis (1818-1865), un médecin hongrois, fut à l'origine de la nécessité de procédures antiseptiques en chirurgie et dans les services hospitaliers. Semmelweis découvrit que dans les maternités, les maladies se transmettaient par contact interhumain, en particulier par les médecins qui venaient d'être en contact avec des cadavres dans les morgues, contrairement aux sages-femmes qui travaillaient exclusivement avec les femmes enceintes et les jeunes mères. Il recommanda alors de se laver les mains entre l'examen des cadavres et des patients et entre les patients, ce qui permit de réduire considérablement les cas de septicémie puerpérale ("fièvre du lit de l'enfant") et d'abaisser considérablement les taux de mortalité.
Joseph Lister (1827-1917), chirurgien britannique, fut un autre pionnier de la médecine et de la chirurgie antiseptiques. Lister détermina que les microbes provoquaient la putréfaction des plaies et recommanda que les mains du chirurgien, mais aussi les instruments chirurgicaux, soient lavés pour chaque patient. La mise en œuvre de cette mesure sanitaire unique entraîna une diminution notable du nombre de décès dans les services de chirurgie.
Pasteur et Koch: Les fondateurs de la théorie microbienne
Le 19 février 1878, le chimiste et microbiologiste français Louis Pasteur (1822-1895) proposa pour la première fois la théorie microbienne devant l'Académie de médecine. Pasteur, ainsi que ses collaborateurs Jules Joubert (1834-1910) et Charles Chamberland (1851-1908), identifièrent trois caractéristiques spécifiques de la nouvelle théorie:
- des germes particuliers créent des conditions uniques
- les germes particuliers provoquent la maladie, la fermentation et la putréfaction
- les vaccins deviennent possibles une fois que les germes particuliers sont connus.
Les recherches de Pasteur sur les germes commencèrent en 1857, lorsque des fabricants de bière français lui demandèrent de découvrir la raison pour laquelle la bière et le vin se dégradaient. Pasteur découvrit que des bactéries provoquaient la transformation de l'alcool en vinaigre. Il recommanda de chauffer le produit pour tuer les germes - ce processus serait connu sous le nom de pasteurisation. Ces premières expériences dans l'industrie des spiritueux démontraient le lien entre les micro-organismes et les maladies.
En 1881, Pasteur utilisa des méthodes similaires pour prouver le lien entre le charbon bactéridien et les animaux. Lors d'expériences sur des moutons, des chèvres et des vaches, Pasteur injecta aux animaux un vaccin contenant des bactéries atténuées qu'il avait produites en chauffant le germe de la maladie du charbon. Il injecta le vaccin à des moutons, ce qui provoqua la formation d'anticorps par le système immunitaire des moutons. Il injecta ensuite à deux groupes de moutons - l'un vacciné, l'autre non - du charbon bactéridien actif. Le groupe de moutons vaccinés survécut, le groupe non vacciné mourut. L'expérience de Pasteur prouva donc que le système immunitaire produisait des niveaux d'anticorps suffisants pour protéger les moutons de la mort.
Les expériences de Pasteur sur la rage, commencées au début des années 1880, permirent de conclure que les vaccins pouvaient créer une immunité même si le sujet était déjà infecté. La rage se révéla un véritable défi, car le micro-organisme n'était pas visible à l'aide des microscopes de l'époque (l'identification visuelle nécessite un microscope électronique, qui ne fut inventé que dans les années 1930). Néanmoins, Pasteur injecta d'abord le virus à des lapins, observant ainsi que la période d'incubation pour le développement de la rage était de six jours. Il se livra ensuite à une série d'expériences sur des chiens afin de déterminer la puissance nécessaire du vaccin, en utilisant à nouveau des doses graduelles pour produire l'immunité nécessaire.
L'expérience la plus controversée de Pasteur sur un être humain eut lieu en juillet 1885 sur Joseph Meister, âgé de 9 ans. Le garçon avait été mordu par un chien enragé. Pendant 14 jours, en utilisant des doses de plus en plus fortes du vaccin, Joseph survécut. Dans le cadre d'une expérience beaucoup plus vaste, le nouveau vaccin contre la rage fut proposé à des milliers de personnes dans le monde entier. Pasteur fut critiqué pour avoir injecté un vaccin potentiellement dangereux, car toutes les personnes mordues par des animaux enragés ne développaient pas nécessairement la rage. Une étude menée sur dix ans et achevée en 1915 donna raison à Pasteur, puisque seulement 0,6 % des 6 000 personnes vaccinées contre la rage en moururent. Les travaux de Pasteur sur la théorie émergente des germes réfutaient la théorie antérieure de la génération spontanée. Ses expériences, en particulier celles concernant la fermentation de l'alcool, établirent le fondement biologique de la détérioration et de la maladie. Pasteur est souvent appelé le "père de la microbiologie" en raison de ses découvertes révolutionnaires.
Robert Koch (1843-1910), médecin et microbiologiste allemand, contemporain de Pasteur, mena des expériences similaires, qui contribuèrent à l'élaboration de la théorie microbienne. En 1876, Koch observa la bactérie en forme de bâtonnet qui provoque la maladie du charbon chez les vaches. Il injecta un peu de sang infecté à des souris qui contractèrent la maladie du charbon, prouvant ainsi qu'un germe spécifique était à l'origine d'une maladie spécifique.
Après ses recherches sur le charbon, Koch tira des conclusions plus définitives sur la tuberculose et le choléra. En mars 1882, devant une assemblée de la Société de physiologie de Berlin, Koch démontra que le mycobacterium tuberculosis était la cause de la tuberculose. Un an plus tard, d'abord en Égypte, puis en Inde, Koch conclut que le vibrio cholera (le bacille virgule) est le micro-organisme responsable du choléra. La bactérie est présente dans l'intestin humain et se transmet principalement par la consommation d'eau polluée, ce qui corrobore les conclusions de John Snow à Londres 30 ans plus tôt. Avec ses étudiants, les méthodes de Koch, liant des micro-organismes spécifiques à des maladies spécifiques, permirent d'identifier toute une série d'autres maladies: la diphtérie, la typhoïde, la pneumonie, la peste, le tétanos, la syphilis et la coqueluche.
Plus important encore, Koch élabora quatre postulats permettant d'identifier des germes particuliers comme étant à l'origine de maladies spécifiques :
- le micro-organisme doit être présent chez tous les humains/animaux atteints de la maladie
- le micro-organisme doit être isolé et cultivé en dehors de l'animal ou de l'homme malade
- ce micro-organisme cultivé, lorsqu'il est introduit chez un homme/animal sain, doit provoquer la maladie à laquelle le germe est lié
- le micro-organisme cultivé doit être réisolé et identique au micro-organisme naturel.
Les recherches et les conclusions de Koch ont pratiquement clos le débat sur la question de savoir si les germes étaient à l'origine des maladies. Ses travaux firent également de la bactériologie une discipline scientifique distincte et unique.
Conséquences
La découverte de la théorie des germes donna lieu à des mesures préventives, notamment des vaccins, et à des médicaments, notamment des antibiotiques, qui permirent de prévenir, de minimiser les effets ou de guérir des maladies mortelles. À la fin du XIXe siècle, près de 30 % des décès étaient dus à des infections. En l'espace d'une centaine d'années, le taux de mortalité tomba à 4 %, en particulier chez les enfants. L'efficacité des programmes de vaccination et l'utilisation d'antibiotiques ont non seulement permis de réduire le taux de mortalité, mais aussi d'augmenter l'espérance de vie de 30 %.
La théorie microbienne stimula également le mouvement de santé publique en transformant l'hygiène publique et privée. La diffusion de l'information au sein du public, selon laquelle les micro-organismes causent des maladies humaines, suscita un sentiment croissant de responsabilité, les gens pouvant agir de diverses manières pour prévenir l'apparition et la propagation des maladies. Les campagnes d'hygiène ont identifié la pollution, les ordures, les égouts, le smog et la malpropreté générale comme des terrains propices à la prolifération de germes mortels. Le public en est venu à associer la saleté et les germes à l'infection et à la maladie. Même si la cause spécifique d'une maladie donnée restait parfois un mystère, les actions publiques et personnelles étaient considérées comme efficaces dans la prévention des maladies.
Les 19e et 20e siècles ont vu l'adoption généralisée de travaux municipaux axés sur la prévention des maladies. Ces initiatives comprenaient le balayage des rues, la construction d'égouts, de stations d'épuration, le ramassage des ordures et la réglementation sur la pureté des aliments. Au niveau personnel et domestique, les campagnes de propreté visaient à encourager les gens à garder leur logement, leurs vêtements et leur corps propres en se lavant régulièrement et en se débarrassant des ordures et des déchets de manière appropriée.
La théorie microbienne, combinée au mouvement de santé publique, stimula le développement de l'"entretien ménager scientifique" (ou économie domestique) au début du XXe siècle. Le balayage, le nettoyage, le lavage, le bain et le blanchiment des vêtements sont devenus essentiels à la lutte contre les germes et à l'amélioration de l'hygiène. En 1900, il n'y avait pas de médicaments, à l'exception des vaccins contre la rage et la variole, pour aider à lutter contre les maladies, de sorte que l'économie domestique joua un rôle central dans le domaine de la prévention de la santé publique. Selon Nancy Tomes, dans Spreading the Germ Theory : Sanitary Science and Home Economics, 1880-1930, le mouvement de l'économie domestique reconnut que les micro-organismes étaient responsables des maladies humaines, en particulier les germes présents dans l'air, l'eau et la saleté. Une bonne santé était le résultat d'un nettoyage rigoureux de la maison.
La théorie microbienne introduisit l'étude de la bactériologie, une branche de la biologie, qui permit d'identifier, de classer et de caractériser les différentes bactéries à l'origine des maladies humaines. La théorie microbienne favorisa également l'étude de l'immunologie qui a servi à étudier les systèmes immunitaires de tous les animaux. La première idée de la façon dont le système immunitaire contribue à protéger contre les maladies remonte à la peste d'Athènes, entre 430 et 427 avant notre ère, lorsque Thucydide observa des personnes qui avaient attrapé la maladie, avaient survécu et s'étaient rétablies, puis avaient porté assistance à d'autres malades sans tomber à nouveau malades.
Le mouvement de santé publique encouragea les autorités à créer, puis à développer, des services de santé dans le double but d'améliorer les systèmes sanitaires - filtration de l'eau, systèmes d'égouts et collecte des ordures - et d'instituer des réglementations concernant la plomberie, la préparation des aliments et d'autres questions d'hygiène. Toutes ces mesures de prévention des maladies, combinées au mouvement de l'économie domestique, ont permis d'appliquer la science à la vie domestique, donnant ainsi naissance à l'hygiène domestique.
Les progrès réalisés en matière d'assainissement, d'hygiène et de pathologie dans le cadre de l'étude des germes et des maladies découlant de la théorie microbienne ont davantage contribué à changer la société que toute autre innovation médicale. En 2000, le magazine Life a classé la théorie microbienne dans son Top 10 des avancées importantes du dernier millénaire, seule avancée médicale à y figurer. La théorie microbienne a permis de protéger et de sauver des milliards de vies, des vies qui auraient été perdues à cause de germes invisibles.