Le Sugar Act de 1764, également connu sous le nom de Plantations Act, était une loi adoptée par le Parlement britannique le 5 avril 1764 afin de réprimer la contrebande de mélasse dans les colonies américaines et de lever des fonds pour financer la défense des colonies. Impopulaire, cette loi contribua à la Révolution américaine (c. 1765-1789).
Au lendemain de la guerre de la Conquête (1754-1763), l'Empire britannique se retrouva en possession de vastes étendues de nouveaux territoires coloniaux qu'il devait défendre. Pour réduire les conflits entre les colons américains et les Amérindiens, comme la récente rébellion de Pontiac (1763-1764), le Parlement décida d'envoyer une armée de 10 000 soldats pour défendre les colonies. Cependant, l'entretien d'une telle armée serait coûteux, et le Parlement était alors aux prises avec des montagnes de dettes d'après-guerre. L'armée étant envoyée pour la défense des colonies américaines, le Premier ministre britannique George Grenville décida que les colons devaient contribuer à payer la facture et conçut la loi sur le sucre, le Sugar Act, à cette fin.
Le Sugar Act était une extension de la loi sur la mélasse de 1733; il réduisait la taxe sur la mélasse de 6 pence par gallon à 3 pence, mais restreignait le commerce d'autres marchandises de valeur et imposait des peines sévères à toute personne reconnue coupable de contrebande de mélasse. La mélasse était un élément important de l'économie coloniale, en particulier en Nouvelle-Angleterre, et une marchandise précieuse dans le commerce triangulaire; pour ces raisons, les marchands coloniaux s'opposèrent au Sugar Act. D'autres colons firent valoir que le Sugar Act portait atteinte à leurs libertés, comme le droit des colonies américaines à se taxer elles-mêmes, ce qui donna naissance au célèbre slogan "pas de taxation sans représentation". Le Sugar Act finit par être remplacé en 1766, mais le Parlement continua à imposer des taxes aux colonies, ouvrant involontairement la voie à la révolution américaine.
Une question de défense
En février 1763, alors que la longue et difficile guerre de la Conquête s'achevait, l'Empire britannique récolta les fruits de la victoire. Le royaume de France, vaincu, fut contraint de céder à la Grande-Bretagne le contrôle du Canada et de toutes ses possessions coloniales à l'est du Mississippi, ce qui élargit considérablement le territoire britannique en Amérique du Nord. Cependant, cet accroissement soudain des possessions coloniales entraîna naturellement une nouvelle série de problèmes auxquels les Britanniques durent faire face, notamment en matière de défense. L'acquisition du Canada s'accompagna de l'arrivée de dizaines de milliers de sujets canadiens-français dont la loyauté était pour le moins douteuse, puisqu'ils avaient trop récemment été les ennemis de la Grande-Bretagne. La présence de l'Espagne en Louisiane et à l'ouest du Mississippi était également inquiétante, les Espagnols étant considérés comme encore plus indignes de confiance que les Français.
Mais ce qui préoccupait le plus les autorités britanniques, c'était les conflits entre les colons américains et les Amérindiens déplacés. Au fur et à mesure que les colons blancs s'installaient sur les terres que la Grande-Bretagne avait gagnées sur la France, ils commençaient naturellement à se battre avec les peuples indigènes d'Amérique du Nord qui y vivaient. Dans l'espoir de limiter ces effusions de sang, le roi George III de Grande-Bretagne (r. de 1760 à 1820) publia une proclamation royale le 7 octobre 1763 qui interdisait aux colons américains de s'installer sur les terres situées entre les Appalaches et le Mississippi. Bien entendu, cette proclamation fut largement ignorée et un flot continu de colons blancs continua à s'installer sur ces terres. En mai 1763, les Amérindiens se révoltèrent. Menés par le chef odawa Pontiac, ils attaquèrent les colonies de Virginie, du Maryland et de Pennsylvanie et s'emparèrent de tous les forts britanniques de l'ouest, à l'exception de Détroit. La rébellion de Pontiac fut matée à la fin de l'année 1764 par les troupes régulières britanniques et la milice américaine, mais elle rappela aux autorités britanniques qu'il faudrait redoubler d'efforts pour maintenir la paix dans les colonies.
Le Premier ministre britannique George Grenville (1712-1770) décida donc d'envoyer une armée permanente pour défendre les colonies américaines et freiner l'expansion illégale vers l'ouest. Mais l'entretien d'une telle armée serait sans aucun doute coûteux, ce qui mettait mal à l'aise le Parlement britannique qui avait accumulé des montagnes de dettes lors de la guerre de Sept Ans. Étant donné que les troupes étaient envoyées en Amérique du Nord principalement pour défendre les colonies, Grenville et ses partisans estimaient qu'il était normal que les colons américains paient une partie de la facture. Bien entendu, le Parlement paierait la majeure partie des 200 000 livres sterling annuelles nécessaires au maintien de vingt bataillons (soit 10 000 hommes) en Amérique, de sorte que de nombreux fonctionnaires n'imaginaient pas qu'il puisse y avoir quelque problème que ce soit.
Rétablissement de la loi sur les mélasses
Pour obtenir ces recettes, Grenville proposa de prolonger et de modifier la loi sur la mélasse de 1733, qui devait expirer en 1763. La loi sur la mélasse était une taxe imposée sur les importations de mélasse en provenance de territoires non britanniques, fixée à six pence par gallon. Cette taxe était évidemment impopulaire parmi les marchands coloniaux; au lieu de payer les droits exigés, de nombreux marchands trouvaient plus avantageux de soudoyer les douaniers britanniques pour qu'ils ferment les yeux sur les cargaisons de mélasse en provenance des Antilles françaises et hollandaises.
À l'époque, la mélasse était un produit important dans les colonies américaines, en particulier dans les colonies de Nouvelle-Angleterre (Massachusetts, Rhode Island, Connecticut et New Hampshire). Résultat de la récolte de la canne à sucre et de sa transformation par ébullition en un sirop sombre et épais, la mélasse était achetée aux plantations des Caraïbes par les marchands américains. De grandes quantités étaient ensuite vendues aux distilleries de Nouvelle-Angleterre, où la mélasse était utilisée pour fabriquer du rhum. Ce rhum était ensuite expédié vers l'Europe et l'Afrique, où il était souvent échangé contre des esclaves, facilitant ainsi le tristement célèbre commerce triangulaire. En bref, la mélasse était importante pour l'économie coloniale. Les Antilles britanniques n'en produisant pas assez pour satisfaire la demande, les marchands étaint contraints de se tourner vers les plantations hollandaises et françaises et, finalement, de recourir à la contrebande pour éviter la taxe.
Pour rendre sa nouvelle version de la taxe sur la mélasse plus acceptable pour les colons, Grenville réduisit de moitié la taxe imposée sur la mélasse étrangère, qui passa de 6 pence à seulement 3 pence par gallon. Cette mesure permettrait de dégager un revenu annuel estimé à 78 000 livres sterling, ce qui contribuerait grandement à l'entretien de l'armée britannique en Amérique. Mais Grenville devait s'assurer que ces taxes seraient effectivement perçues et décida de lutter contre la corruption des fonctionnaires des douanes britanniques. À cette époque, de nombreux percepteurs censés être en poste dans les colonies vivaient en Angleterre et comptaient sur leurs adjoints pour collecter des pots-de-vin auprès des marchands coloniaux. Pour mettre fin à cette pratique, Grenville lança un ultimatum: tous les douaniers devaient retourner à leur poste dans les colonies ou démissionner. Nombre d'entre eux choisirent la démission, laissant à Grenville le soin de pourvoir leurs postes avec des hommes plus fiables.
Après avoir remis de l'ordre dans les collecteurs d'impôts britanniques, Grenville entreprit de présenter sa nouvelle loi sur le sucre au Parlement. Celle-ci fut adoptée sans la moindre opposition et entra en vigueur le 5 avril 1764. Outre la réduction de la taxe sur la mélasse non britannique à 3 pence par gallon, le Sugar Act prévoyait également que certaines marchandises ne pouvaient être expédiées qu'en Grande-Bretagne à partir des colonies, et nulle part ailleurs; il s'agissait notamment du bois de construction, l'une des exportations coloniales les plus précieuses, ainsi que du fer et des fanons de baleine. Les marchands américains et les capitaines de navires devraient désormais tenir des listes détaillées de leur cargaison, et ces documents devraient être vérifiés avant de pouvoir décharger quoi que ce soit de leur navire. Si un capitaine était pris en flagrant délit de contrebande, les douaniers étaient autorisés à le juger devant les tribunaux de la vice-amirauté plutôt que devant un jury dans les tribunaux coloniaux locaux. En effet, les juges et les jurys coloniaux avaient tendance à être favorables aux contrebandiers, tandis que les tribunaux de vice-amirauté ne faisaient pas appel à des jurys et étaient supervisés par une personne nommée par le roi. Une fois condamnés, les contrevenants devaient s'acquitter d'amendes substantielles.
Réaction coloniale
Le Sugar Act entra en vigueur à l'un des pires moments possibles. La fin de la guerre de la Conquête avait entraîné une dépression économique dans les colonies, en partie parce que les entreprises américaines n'étaient plus sollicitées par les militaires britanniques pour s'approvisionner en fournitures de guerre. L'adoption du Sugar Act ayant coïncidé avec le début de ces difficultés financières, de nombreux colons attribuèrent à tort la dépression à Grenville et au Sugar Act. Les marchands coloniaux furent également frustrés lorsqu'ils découvrirent que la nouvelle promotion de douaniers de Grenville était plus résistante aux pots-de-vin que ne l'étaient les anciens. L'indignation suscitée par le Sugar Act gagna rapidement la classe des marchands coloniaux.
Bien qu'il ait été plus difficile pour les marchands de corrompre les percepteurs de Grenville, cela ne mit pas fin à la contrebande de mélasse. L'historien Robert Middlekauff cite l'exemple de marchands de Providence (Rhode Island) qui faisaient charger leur mélasse de contrebande dans de petites embarcations et la dirigeaient à la rame vers des criques désignées près de la ville, au cœur de la nuit. Il était également possible de se procurer de faux papiers de cargaison, moyennant un prix élevé. Mais ces tactiques de contrebande étaient risquées. Souvent, les contrebandiers devaient se méfier des informateurs qui, moyennant une récompense, avertissaient les douaniers de ces pratiques illégales. Les informateurs découverts n'étaient pas bien traités par leurs concitoyens; l'un d'eux, George Spencer, fut arrêté sur ordre d'un juge de New York, apparemment pour ne pas avoir payé ses dettes. Il dut ensuite défiler dans les rues de la ville et reçut des jets de boue de la part d'une foule en délire avant d'être emprisonné. Il ne fut libéré qu'après avoir promis de quitter la ville et de ne jamais y revenir (Middlekauff, 68). De tels exemples illustrent à quel point les marchands coloniaux prenaient au sérieux le commerce de la mélasse et jusqu'où ils étaient prêts à aller pour se la procurer au prix le plus bas.
Les protestations les plus radicales contre l'autorité britannique eurent lieu à Rhode Island, l'une des colonies les plus dépendantes du commerce de la mélasse. En décembre 1764, la marine britannique avait arrêté un navire colonial soupçonné de faire de la contrebande de mélasse. Au cours de la vive discussion qui s'ensuivit, un membre de l'équipage américain attaqua le lieutenant de la marine britannique à l'aide d'une hache, ce qui provoqua une rixe; plusieurs hommes furent jetés par-dessus bord et un marin américain fut transpercé par l'épée du lieutenant. Une affaire plus dramatique eut lieu lorsqu'une dispute au sujet de la contrebande de mélasse amena les autorités coloniales à ordonner aux canons de tirer sur une goélette de la Royal Navy, le St John, qui sortait du port de Newport. Si de violentes bagarres entre marins américains et britanniques avaient déjà éclaté auparavant, l'affaire du St John était plutôt inédite.
Un autre incident concerna John Robinson, le receveur des douanes de Newport, dans le Rhode Island. Après avoir refusé un pot-de-vin de la part des marchands de Rhode Island, Robinson se vit traité avec dédain par les tribunaux locaux. Lorsque Robinson arrêta un contrebandier, le juge colonial attendit que Robinson soit absent pour juger l'affaire; en l'absence de Robinson, l'accusé fut relâché faute de preuves. Les choses se corsèrent en 1765 lorsqu'un shérif du Rhode Island alla jusqu'à arrêter Robinson pour de prétendus dommages causés à un sloop marchand que Robinson avait saisi parce qu'il était soupçonné d'avoir transporté de la mélasse. Robinson languit en prison pendant deux jours, au cours desquels il fut raillé par la foule locale.
Bien entendu, ces incidents furent exceptionnels et de nombreux marchands eurent recours à des moyens de protestation plus subtils, tels que l'embauche de marins que la marine britannique espérait recruter ou le fait de s'assurer qu'aucun pilote n'était présent lorsque les navires de la marine royale entraient dans le port (Middlekauff, 70). Bien que ces actes de protestation aient été de faible ampleur et que les scènes de violence pure et simple aient été rares, ils préfiguraient les formes de protestation beaucoup plus importantes qui éclateraient dans les colonies au cours des années suivantes.
La question de la taxation et de la représentation
Alors que la plupart des marchands coloniaux ne protestèrent contre le Sugar Act que dans la mesure où il affectait leur porte-monnaie, d'autres colons éminents eurent un aperçu de la situation dans son ensemble et y virent une image plus inquiétante. En Grande-Bretagne, l'institution du Parlement avait été créée autour de l'idée que le peuple se taxerait lui-même par l'intermédiaire de ses représentants; l'impôt était donc un don fait par le peuple au gouvernement. Or, les colonies américaines n'avaient pas de représentants au Parlement; pourquoi donc leur imposer un impôt?
Cette question fut posée par plusieurs personnalités américaines de premier plan, telles que James Otis Jr. (1725-1783) de Boston, qui soutint dans un pamphlet de 1764 que toute personne qui s'appropriait un bien sans consentement privait l'individu de sa liberté: "Si un shilling peut m'être pris contre ma volonté, pourquoi pas vingt shillings ? Et si c'est le cas, pourquoi pas ma liberté ou ma vie?". (Schiff, 74). Le protégé d'Otis, Samuel Adams (1722-1803), se fit l'écho de ce sentiment, estimant que si le Parlement commençait à taxer le commerce américain, il ne tarderait pas à taxer les terres américaines. En mai 1764, Adams s'interrogea sur le fait que, si les colonies étaient taxées sans représentation, les colons n'étaient-ils pas alors réduits "du caractère de sujets libres à l'état misérable d'esclaves tributaires" ? (Schiff, 73). Les sentiments exprimés initialement par Otis et Adams, tels que l'imposition sans représentation et l'idée d'être asservi au Parlement, deviendraient des thèmes récurrents à mesure que les colonies se précipiteraient vers la révolution.
Pour l'instant, cependant, la révolution et l'indépendance étaient loin d'être dans les esprits. En fait, en 1764, ces idées étaient impensables, même pour les marchands coloniaux les plus indignés. Ce qui importait dans l'immédiat, c'était l'abrogation du Sugar Act, que plusieurs groupes de marchands coloniaux demandaient au Parlement. Le gouverneur du Rhode Island, lui-même commerçant, rédigea une protestation contre les nouveaux droits sur la mélasse, tandis que les marchands de New York et de Boston acceptèrent de boycotter les produits de luxe fabriqués en Grande-Bretagne. Au cours de l'hiver 1765, les assemblées législatives de neuf des treize colonies avaient envoyé des protestations officielles au Parlement; deux colonies, New York et la Caroline du Nord, étaient allées jusqu'à nier avec force le droit du Parlement d'imposer une taxe aux colonies américaines.
Si la loi sur le sucre fut vivement contestée par les Américains les plus riches, tels que les marchands et les fonctionnaires, le niveau de protestation général resta faible et se limita surtout à la Nouvelle-Angleterre et à certaines des colonies du centre. Comme nous l'avons vu précédemment, des actes de violence furent commis, mais de manière sporadique. Toutefois, l'adoption du Stamp Act en 1765 entraînerait une augmentation des protestations dans les treize colonies.
Conclusion
Le Sugar Act de Grenville resta en vigueur pendant deux ans, jusqu'à ce qu'il ne soit abrogé et remplacé par le Revenue Act de 1766. Ce dernier réduisit davantage encore la taxe sur la mélasse à seulement un penny par gallon pour la mélasse britannique et étrangère, ce qui mit fin à la contrebande de mélasse, puisqu'il était désormais moins coûteux pour les marchands coloniaux de simplement payer la taxe. Toutefois, à ce stade, le mal était fait; l'adoption du Stamp Act en 1765 s'appuya sur les griefs exprimés par les colons à propos du Sugar Act. L'appel à "pas de taxation sans représentation" devint l'un des fondements de la révolution américaine; la loi sur le sucre de 1764 fut donc l'une des premières étincelles directes qui finirent par conduire à l'indépendance des États-Unis d'Amérique.