
Crispus Attucks (c. 1723-1770) était un docker, un marin et un baleinier afro-américain et amérindien qui est devenu célèbre en tant que première personne tuée lors du massacre de Boston du 5 mars 1770, qui suscita des tensions qui mèneraient à la révolution américaine (1765-1789). Il est souvent considéré comme un martyr de la cause de la liberté.
Il est toutefois peu probable qu'Attucks ait rejoint la foule dans la nuit du 5 mars 1770 pour défendre la cause des colons blancs de la classe supérieur qui souhaitaient se libérer de l'autorité britannique. Il est beaucoup plus probable qu'il protestait contre le fait que les soldats britanniques, en garnison à Boston, prenaient des emplois à des personnes de classe inférieure pour compléter la maigre solde de l'armée britannique. Le fait qu'il ait été la première personne tuée lors du massacre de Boston ne fait pas de lui un "martyr de la liberté", pas plus que les quatre autres personnes tuées cette nuit-là.
Le terme "massacre de Boston" fut inventé par le colon patriote Samuel Adams (1722-1803) comme propagande pour faire avancer la cause patriote, et Attucks, dont la race et le statut social furent effacés par des patriotes tels qu'Adams et Paul Revere (1735-1818), devint une figure de choix pour devenir le premier martyr de la révolution américaine. On ignore qui il était réellement et pourquoi il se trouvait sur King Street cette nuit-là.
Théories sur sa vie et ses origines
Le spécialiste Mitch Kachun note:
Il n'y aura probablement jamais de biographie définitive de Crispus Attucks. Des générations d'érudits ont sondé les sources avec un succès limité dans la découverte d'informations sur la vie réelle de cet homme. (2)
Avant le massacre de Boston du 5 mars 1770, ou plutôt avant que l'on parle de l'événement et avant le procès des soldats britanniques impliqués qui suivit, le nom de Crispus Attucks était complètement inconnu. Il est possible qu'il ait utilisé le pseudonyme de Michael Johnson pendant son séjour à Boston et qu'il ait été originaire de Framingham, dans le Massachusetts, ce qui permit de le relier à un avis de recherche avec récompense émis par un certain Deacon William Brown de Framingham en 1750 pour le retour de son esclave évadé, "Crispas".
L'avis de recherche de Brown décrit un homme ayant l'apparence et la taille d'Attucks, et le nom "Crispas" est, bien sûr, très proche de "Crispus"; il est donc compréhensible que les historiens affirment qu'Attucks était l'esclave en fuite, Crispas. Il est possible qu'après sa mort, il ait été confondu avec quelqu'un d'autre portant le même nom. Il avait forcément dû utiliser son propre nom pour qu'on puisse l'identifier comme Crispus Attucks peu de temps après le massacre de Boston.
La "biographie" acceptée de sa vie, cependant, est qu'il était un ancien esclave de Framingham, d'origine amérindienne (très probablement Wampanoag) et africaine, qui s'était échappé et avait trouvé du travail comme docker, marin et baleinier, et qui était peut-être arrivé à Boston au début de l'année 1770 à bord d'un navire en provenance des Bahamas et qui devait repartir sur un autre navire pour la Caroline du Nord.
Attucks est décrit comme mesurant plus d'un mètre quatre-vingt (généralement 6 pieds, 2 pouces ou environ 188 cm) et "robuste", terme désignant une personne de forte carrure, et comme un "mulâtre", terme utilisé à l'époque pour désigner les esclaves noirs, les Noirs libres et les Amérindiens. Kachun et d'autres ont suggéré qu'il était un descendant d'un certain John Attuck de Framingham, pendu en 1676 pour avoir pris le parti de la confédération des Wampanoag contre les colons lors de la guerre du roi Philip (1675-1678).
Comme pour toutes les autres tentatives de retracer la lignée d'Attucks, il n'existe aucune preuve solide de ce lien. Les historiens qui écrivent sur le sujet ont tendance à utiliser des mots comme "probable", "possible" ou "vraisemblable", mais il n'existe aucun document qui établisse fermement un lien entre John Attuck et Crispus Attucks, ni entre une certaine Nanny Peterattucks et Attucks, ni entre Attucks et toute autre personne suggérée comme étant sa mère, son père ou un autre membre de sa famille.
L'affirmation selon laquelle il serait né à Framingham, dans le Massachusetts, repose sur son identification en tant que l'esclave fugitif Crispas - ce qu'il pourrait bien être - mais cela n'a jamais été fermement établi. Cela étant, l'identification de Crispus Attucks avec d'autres personnes de Framingham portant un nom de famille similaire semble être une erreur.
Framingham n'étant pas très éloigné de Boston, il semble peu probable qu'un esclave fugitif s'installe dans cette ville. Rien ne prouve non plus qu'Attucks ait même résidé à Boston en 1770 puisque, comme nous l'avons vu, il n'était arrivé que récemment des Bahamas et devait très vite repartir pour la Caroline du Nord. Il est plus probable qu'il s'agissait d'un marin qui avait trouvé du travail sur les docks de Boston entre deux emplois à bord de navires, et que son implication dans l'événement connu sous le nom de "massacre de Boston" avait bien plus à voir avec le fait que les soldats britanniques avaient pris le travail des dockers (et d'autres travailleurs de classe inférieure) qu'avec la quête d'indépendance des colons à l'égard de la Grande-Bretagne.
Tensions dans la ville coloniale de Boston
En 1770, les tensions étaient vives dans la ville de Boston, où les affrontements entre les soldats britanniques et les habitants étaient de plus en plus fréquents. Ces soldats étaient considérés par beaucoup comme une force d'occupation mais, en même temps, ils avaient tissé des liens profonds avec les habitants de Boston. La spécialiste Serena Zabin écrit:
Chaque soldat qui a participé au massacre était un individu au même titre que tous ceux qui avaient épousé une femme de la région, enterré un enfant ou déserté l'armée. À des degrés divers, chacun de ces hommes s'était fait des relations à Boston. Certains s'étaient fait des amis, d'autres des familles. (137)
Boston avait été occupée par ces troupes en réponse aux objections des colons face au système d'imposition. Pour aider à rembourser la dette de la guerre de Sept Ans (1756-1763), le Parlement britannique avait décidé de taxer ses treize colonies d'Amérique du Nord, en adoptant en 1765 le Stamp Act, une taxe sur les documents, qui devait permettre de financer le déploiement des troupes britanniques dans toutes les colonies.
Les colons de Boston, s'opposant à la "taxation sans représentation" au Parlement, réagirent en pendant l'effigie d'un certain Andrew Oliver, le distributeur de timbres, et en attaquant les maisons des fonctionnaires britanniques. L'orme auquel l'effigie fut pendue devint le célèbre Liberty Tree de Boston, qui jouerait plus tard un rôle dans le massacre de Boston.
La réaction des colons au Stamp Act aboutit à son abrogation en mars 1766, mais entre 1767 et 1768, le Parlement adopta les Townshend Acts, qui taxèrent des articles tels que le verre, le plomb, le papier, la peinture et le thé. Les colons réagirent de la même manière qu'ils l'avaient fait pour le Stamp Act, mais cette fois, le Parlement ne recula pas. Environ 2 000 soldats britanniques furent déployés à Boston en 1768, et les autorités coloniales furent invitées à leur fournir des hébergements, ce qu'elles refusèrent de faire.
Les soldats se logèrent alors partout où ils le purent - chez des particuliers, dans des auberges, dans des entrepôts - et, lorsqu'ils n'étaient pas en service, ils trouvaient des emplois pour compléter leur solde de l'armée. Les soldats étaient prêts à travailler pour un salaire inférieur à celui des Bostoniens, ce qui incita de nombreux habitants à en vouloir encore plus aux "tuniques rouges" pour avoir pris des emplois qui, selon eux, auraient dû revenir à des citoyens de Boston.
Ceux qui s'identifiaient comme des patriotes - prônant une rupture avec la Grande-Bretagne - boycottaient les lois Townshend et encourageaient les autres à faire de même. Un marchand nommé Theophilus Lillie s'opposa aux boycotts et observa les règles des lois Townshend, ce qui finit par conduire à un rassemblement d'une grande foule devant son magasin en signe de protestation le 22 février 1770.
Son voisin, Ebenezer Richardson, intervint mais fut chassé. La foule le suivit jusqu'à sa maison, où Richardson, craignant pour sa vie, tira sur la foule, tuant un garçon de onze ans nommé Christopher Seider. Richardson étant un loyaliste connu de la Grande-Bretagne, le fait qu'il ait tiré sur Seider renforça le ressentiment à l'égard de la Couronne, surtout après que Richardson, condamné pour meurtre, eut été gracié par le roi George III de Grande-Bretagne (r. de 1760 à 1820).
Le massacre de Boston
Les tensions s'aggravèrent davantage encore, comme l'explique Zabin:
Au début du mois de mars 1770, un fabricant de cordes [John Gray] proposa à un soldat un travail ne nécessitant aucune compétence particulière: le nettoyage de ses latrines. Le soldat s'offusqua de ce qu'il prit pour des propos provocateurs, et la querelle s'envenima au cours des jours suivants, chaque camp amenant de nouveaux amis dans la mêlée.
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Selon le site PBS Africans in America:
Une bagarre entre soldats et cordonniers, le vendredi 2 mars 1770, déclencha une série d'affrontements qui aboutirent au massacre de Boston le lundi suivant. Crispus Attucks, un marin mulâtre, cordiste et fugitif, le premier à être tué, était l'un des nombreux marins et dockers présents [lors du massacre].
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Attucks aurait peut-être également assisté à la bataille de la corderie de John Gray ou à celles qui se passèrent les jours suivants. Les soldats britanniques avaient déjà pris les emplois des dockers, et maintenant, semble-t-il, ils essayaient de prendre des postes de cordistes. Les emplois étaient déjà rares, et peu étaient offerts aux membres de la communauté noire libre de Boston. Attucks se joignit donc peut-être à ses collègues dockers pour signifier aux Britanniques qu'ils n'étaient pas les bienvenus dans ces métiers.
Dans la nuit du 5 mars 1770, le soldat Hugh White du 29e régiment montait la garde devant le poste de douane de King Street lorsqu'il entendit un colon, Edward Gerrish, insulter des officiers de l'armée britannique et le frappa. Selon Kachun:
Lorsqu'une sentinelle frappa de son fusil un jeune apprenti perruquier après que celui-ci eut insulté un officier du quatorzième régiment, les habitants de la ville se mobilisèrent. La sonnerie des cloches de l'église - qui était normalement un signal d'alarme en cas d'incendie - fit descendre des dizaines de personnes supplémentaires dans les rues. Vers 9 heures du soir, un groupe de vingt à trente adolescents et jeunes hommes se rassemblèrent autour de la sentinelle fautive, Hugh White, et commencèrent à l'assaillir d'insultes, de boules de neige et de morceaux de glace. White chargea son fusil, se réfugia près de la porte du bureau de douane de King Street et appela la garde principale... Des rumeurs de violence britannique circulaient tandis que les cloches des églises continuaient d'attirer les gens dans les rues. (13)
Selon Zabin et d'autres, il y avait déjà de l'agitation dans les rues, mais pas dans King Street, avant que White ne frappe Gerrish (Zabin, 139). Une rumeur semble avoir circulé selon laquelle les Britanniques prévoyaient d'abattre le Liberty Tree, et certains Bostoniens étaient déjà sortis pour empêcher cela. Zabin suggère que les cris et les hurlements entendus par le soldat White et une femme avec laquelle il parlait, une certaine Jane Crothers, étaient peut-être "des foules de marins, dirigées par un grand homme métis identifié plus tard comme Crispus Attucks" (153). Si Zabin a raison, Attucks aurait peut-être mené les dockers pour affronter les troupes britanniques en raison de ce qu'ils considéraient comme un vol d'emplois.
En réponse à l'appel à l'aide de White, le capitaine Thomas Preston ordonna à six soldats et à un caporal de le suivre et remonta King Street. Le son des cloches de la ville attira de nouvelles personnes dans la rue, dont beaucoup portaient des seaux, pensant qu'elles intervenaient pour un incendie. La compagnie de Preston et le soldat White furent repoussés par la foule vers le poste de douane, où Preston les organisa en demi-cercle. Selon certains rapports, mais pas tous, les soldats furent alors bombardés de boules de neige, de morceaux de glace, de morceaux de bois et de bâtons.
Lorsqu'un morceau de glace toucha le soldat Hugh Montgomery, celui-ci tomba, se releva et tira dans la foule; les autres soldats déchargèrent alors leurs mousquets. Crispus Attucks, Samuel Gray et James Caldwell furent tués sur le coup. Samuel Maverick fut mortellement blessé et mourut le lendemain matin. Patrick Carr, lui aussi mortellement blessé, mourut deux semaines plus tard. Six autres personnes furent blessées, mais sans gravité. Les coups de feu dispersèrent la foule et, le lendemain, le capitaine Preston et ses hommes furent arrêtés. Ils furent défendus au procès quelques mois plus tard par John Adams (1735-1826), le futur deuxième président des États-Unis, et furent tous acquittés à l'exception de deux d'entre eux, qui furent condamnés pour le chef d'accusation le moins grave d'homicide involontaire; ils furent alors renvoyés en Angleterre.
Le rôle d'Attucks
On ne sait pas exactement quel rôle Crispus Attucks joua dans les événements du 5 mars 1770. Lors du procès, certains affirmèrent qu'il était le chef de la foule, d'autres qu'il en faisait simplement partie, et d'autres encore n'avaient aucun souvenir de lui. Zabin écrit:
Seuls trois témoins sur cinquante et un ont mentionné avoir vu un "mulâtre" ou un homme métis avant la fusillade; l'un d'entre eux pensait avoir remarqué qu'Attucks était habillé en marin. Le même témoin a également déclaré qu'Attucks lui avait remis un gourdin et qu'il avait ensuite descendu Crooked Lane jusqu'à l'angle de King Street, où il avait "continué à insulter et à jurer contre les soldats". Quelques témoins de l'accusation ont également aperçu Attucks, bien que la plupart d'entre eux n'aient pas déclaré qu'il était particulièrement agressif. L'un d'eux l'a observé en train de s'appuyer silencieusement sur un bâton; l'autre a affirmé qu'Attucks n'avait ni parlé aux soldats ni lancé quoi que ce soit contre eux.
Un seul témoin, James Bailey, qui s'est exprimé plus tôt et de manière peu efficace pour l'accusation, donna une image différente de Crispus Attucks. Il déclara à la cour qu'il avait vu Attucks "à la tête de 25 ou 30 marins", dont certains étaient armés de gourdins. (214)
John Adams, dans sa défense des soldats britanniques, s'empara du témoignage de Bailey et qualifia Attucks de chef de la foule:
Ce renfort arrivant sous le commandement d'un solide mulâtre dont l'allure suffisait à terrifier n'importe qui, que n'avaient pas à craindre les soldats? Tel fut le comportement d'Attucks, à qui l'on doit, selon toute probabilité, l'effroyable carnage de cette nuit-là. (MA Historical Society History Source)
Cela ne signifie pas pour autant qu'Attucks était le chef de la foule cette nuit-là. La caractérisation d'Attucks en tant que chef n'était qu'une manœuvre juridique d'Adams visant à présenter Attucks comme un étranger, un esclave fugitif venu à Boston - qui n'était pas, à l'époque, l'un des siens - et comme un fauteur de troubles. Selon Adams, le "bon peuple de Boston" avait été induit en erreur par Attucks, et les soldats britanniques avaient tiré sur la foule en simple état de légitime défense.
Seul le témoignage de Bailey affirmait qu'Attucks était à la tête d'une foule ce soir-là et, comme on l'a vu, de nombreuses personnes avaient affirmé qu'elles ne se souvenaient pas l'avoir vu du tout. En tant qu'avocat de la défense, Adams tourna le témoignage de Bailey à son avantage en diabolisant Attucks, mais, en tant que patriote, il semble avoir admiré cet homme. Paul Revere, l'un des plus célèbres patriotes de l'époque, réalisa une gravure du massacre de Boston représentant Attucks au premier rang de la foule, mais en faisant de lui un Bostonien à la peau blanche.
Samuel Adams (frère de John) et les autres Patriotes firent de même, proclamant Attucks martyr, avec les quatre autres, de la cause de la liberté. Les cinq martyrs du massacre de Boston furent enterrés ensemble au Granary Burying Ground, et l'événement et ceux qui étaient tombés dans la lutte pour la liberté furent régulièrement célébrés tout au long de la guerre d'Indépendance américaine.
Conclusion
Avec le temps, cependant, Crispus Attucks tomba dans l'oubli. Après 1783, le massacre de Boston fut de moins en moins célébré, surtout après que le 4 juillet eut été reconnu comme la date de naissance des États-Unis d'Amérique. Au cours du XIXe siècle, cependant, les abolitionnistes ravivèrent le souvenir d'Attucks en tant que "premier martyr de la liberté", afin d'inclure un Afro-Américain parmi les figures fondatrices de l'ère révolutionnaire. Kachun écrit:
Dans les années 1840, une poignée d'activistes noirs ont pris conscience de l'existence de Crispus Attucks, de son identité raciale et de ses actions en 1770. Alors qu'ils construisaient une histoire affirmant la place légitime des Noirs dans la nation, les militants afro-américains ont reconnu le rôle central qu'Attucks pourrait jouer et ont commencé à le réinscrire dans l'histoire de la révolution américaine et dans le panthéon des héros patriotes américains. (45)
Cette tendance s'est poursuivie au XXe siècle, lorsque des livres d'histoire romancés, des livres pour enfants et des bandes dessinées - en particulier dans les années 1960 et au début des années 1970 - ont commencé à dépeindre Attucks comme un révolutionnaire patriote à la tête d'une foule qui avait attaqué un groupe de soldats britanniques afin de gagner la liberté pour les colonies d'Amérique du Nord.
Il est tout à fait possible que Crispus Attucks ait été ce personnage, mais il est beaucoup plus probable qu'il n'ait été qu'un docker essayant de protéger son emploi et celui de ses amis, qui, après avoir été blanchi par les Patriotes des Fils de la Liberté, fut transformé en martyr pour leur cause.