L'évacuation de Dunkerque du 26 mai au 4 juin 1940, connue sous le nom d'opération Dynamo (ou miracle de Dunkerque), fut la tentative de sauver le corps expéditionnaire britannique en France d'une défaite totale face à l'avancée de l'armée allemande. Près d'un millier d'embarcations navales et civiles de toutes sortes, aidées par un temps calme et le soutien aérien de la RAF, réussirent à évacuer environ 340 000 soldats britanniques, français et alliés.
L'évacuation entraîna une détérioration des relations franco-anglaises, les Français considérant Dunkerque comme une trahison, mais l'alternative était très probablement la capture de l'ensemble du corps expéditionnaire britannique sur le continent. La France se rendit peu après Dunkerque, mais ce retrait permit à la Grande-Bretagne et à son empire de mettre ses ressources à l'abri et de continuer à se battre sur ce qui allait devenir un théâtre de guerre de plus en plus vaste.
Guerre éclair allemande
Au début de la Seconde Guerre mondiale, lorsque l'Allemagne envahit la Pologne le 1er septembre 1939, la France s'appuyait presque entièrement sur une seule ligne de défense pour se protéger contre l'invasion. Il s'agissait de la ligne Maginot, une série de structures en béton, de bunkers et de tunnels souterrains très impressionnants qui longeaient les frontières orientales de la France. Le système de défense, qui comptait 400 000 soldats, avait été nommé en l'honneur du ministre français de la guerre, André Maginot. Les Français pensaient qu'une attaque allemande était susceptible de se produire à deux endroits: les régions de Metz et de la Lauter. En fait, l'Allemagne attaqua la France par les Ardennes et Sedan, à la frontière belge, contournant la majeure partie de la ligne Maginot et débordant les défenses françaises inadéquates autour de la Meuse, inadéquates parce que les Français avaient considéré que le terrain de cette région boisée n'était pas adapté aux chars d'assaut. Plus tard dans la campagne, la ligne Maginot fut percée près de Colmar et de Sarrebruck.
Pour renforcer les défenses de la France, la Grande-Bretagne envoya le Corps expéditionnaire britannique (BEF) sous le commandement du général John Vereker (mieux connu sous son titre ultérieur de Lord Gort, 1886-1946). Environ 150 000 hommes, principalement de l'infanterie, arrivèrent en septembre 1939 pour renforcer la frontière franco-belge. Le BEF comprenait la British Advanced Air Striking Force, composée de 12 escadrons de la RAF. Les avions étaient principalement des chasseurs Hawker Hurricane et quelques bombardiers légers, tous donnés au grand regret des commandants de la RAF qui auraient préféré garder ces avions pour la défense intérieure. Les chasseurs Supermarine Spitfire, plus performants, restèrent en Grande-Bretagne jusqu'aux dernières phases de la bataille en France. Le BEF n'avait pas de divisions blindées et était donc plus une force défensive qu'une force offensive. D'autres divisions d'infanterie arrivèrent jusqu'en avril 1940, ce qui porta la BEF à près de 400 000 hommes, mais 150 000 d'entre eux n'avaient que peu ou pas d'entraînement militaire. Comme le note le général Bernard Montgomery (1887-1976), la BEF était "totalement inapte à mener une guerre de premier ordre sur le continent" (Dear, 130). À cet égard, la Grande-Bretagne et la France étaient restées très attachées au mode de pensée défensif qui leur avait permis de remporter la Première Guerre mondiale (1914-18). Leur ennemi pensait exactement le contraire et avait minutieusement planifié ce qu'il appelait le Fall Gelb (Cas Jaune), l'offensive allemande à l'ouest.
Totalement pris au dépourvu par une guerre de mouvement, les Français, qui pensaient à la défensive, furent submergés au milieu des semaines de mai 1940 par la tactique allemande de la Blitzkrieg ("guerre éclair"), qui consistait à utiliser des chars d'assaut rapides soutenus par des bombardiers spécialisés et suivis de près par l'infanterie. Les forces allemandes déferlèrent sur les trois pays neutres qu'étaient les Pays-Bas, le Luxembourg et la Belgique. La 9e armée perça les Ardennes et s'élança dans une gigantesque courbe à travers le nord-est de la France pour atteindre la côte autour de Boulogne. La BEF et les armées françaises du nord (7e et 1re) furent coupées du reste des forces françaises plus au sud. L'Allemagne avait réussi ce qu'elle appelait la "coupe à la faucille" (Sichelschnitt). Le 24 mai, les troupes françaises et britanniques étaient isolées dos à la Manche, occupant le territoire de Dunkerque à Lille. Malgré les contre-attaques sporadiques des défenseurs, Gort avait déjà conclu que l'armée française s'était effondrée en tant que force opérationnelle. Gort considérait qu'une attaque contre les Allemands au sud, qu'il avait reçu l'ordre de mener, n'aurait pas donné grand-chose, si ce n'est l'anéantissement de son armée. Le BEF devait être sauvé, et il se retira donc vers le nord.
La poche de Dunkerque
Le problème était maintenant de savoir comment évacuer ces hommes et les ramener en sécurité en Grande-Bretagne. Le vice-amiral Bertram Ramsey (1883-1945) eut l'idée de faire appel à l'aide civile en fournissant des navires de tout type capables de traverser la Manche et de transporter les soldats échoués des plages de Dunkerque vers de plus grands navires au large ou même de les ramener jusqu'à Douvres. Les navires demandés devaient mesurer entre 9 et 30 mètres.
L'armée allemande pressant la poche de Dunkerque, mais temporairement retenue par la défense française de Lille et une force combinée britannique et française à Dunkerque, l'amiral Ramsey estima que l'évacuation d'environ 45 000 hommes pourrait être possible si une flotte de sauvetage suffisamment importante pouvait être rassemblée. En fait, les Allemands interrompirent leur progression afin de réapprovisionner leurs divisions blindées, qui se déplaçaient rapidement, et peut-être parce qu'Hitler était convaincu que l'armée de l'air allemande (Luftwaffe) pouvait à elle seule détruire la poche de troupes ennemies qui se rétrécissait de plus en plus. Le haut commandement allemand était divisé sur la question de savoir s'il fallait avancer sur Dunkerque ou conserver ses forces pour la poussée vers Paris. Le général Gerd von Rundstedt (1875-1953), commandant en chef du groupe d'armées A, ordonna l'arrêt des blindés allemands sur le terrain le 24 mai. Le général Brauchitsch, commandant en chef de l'armée allemande (1881-1948), était opposé à cet arrêt, mais Hitler approuva la décision de Rundstedt (von Rundstedt et Brauchitsch furent tous deux nommés maréchaux en juillet). Comme le note l'historien A. Gilbert:
L'ordre de halte fut la seule grande erreur commise par les Allemands au cours de la campagne de 1940 à l'ouest. Si les panzers avaient reçu le feu vert, les Alliés auraient été pris au piège et contraints de se rendre, et plus de 200 000 des meilleurs soldats britanniques auraient été définitivement perdus.
(134)
Le temps exceptionnellement calme de la dernière semaine de mai et des premiers jours de juin constitua un autre atout pour l'opération alliée. Pourtant, la Luftwaffe et les forces navales allemandes étaient déterminées à attaquer l'évacuation (à la fois les troupes sur la plage et les navires dans la Manche). Même dans des conditions idéales, évacuer des dizaines de milliers d'hommes d'une seule plage de 16 km de long était une tâche logistique monumentale.
Flotte des volontaires
Entre 850 et 950 navires de toutes sortes participèrent à l'évacuation de Dunkerque, qui se déroula du 26 mai au 4 juin. Il y avait des remorqueurs, des bateaux de pêche (britanniques, français et belges), des canots de sauvetage, des barges (y compris néerlandaises), des ferry-boats et des bateaux de plaisance de toutes sortes. Ramsey coordonna les efforts des volontaires depuis une base située sur les falaises de Douvres. La salle des opérations de Ramsey avait autrefois abrité une dynamo, ce qui donna à l'évacuation son nom officiel: Opération Dynamo. L'armada de "petits navires" était coordonnée par l'amiral Wake-Walker (1888-1945).
39 destroyers de la Royal Navy jouèrent un rôle clé dans l'évacuation du personnel de Dunkerque, en prenant à leur bord des hommes transportés par des navires plus petits qui pouvaient s'approcher de la plage. Le capitaine de corvette John McBeath, commandant du destroyer HMS Venomous, décrit ainsi la flotte de sauvetage de Dunkerque:
Les autorités britanniques mirent en place cette organisation de flottilles de petits bateaux. Elle démarra de manière plutôt désordonnée, car toutes sortes de bateaux, allant de petits bateaux à moteur familiaux à des bateaux de club beaucoup plus grands, et en fait presque tout ce qui pouvait se rendre de l'autre côté, le firent au début, plutôt par eux-mêmes. Certains d'entre eux n'y parvinrent jamais et beaucoup se rendirent au mauvais endroit, mais ils finirent par gérer le flux et l'on put alors voir un grand nombre de ces petits bateaux qui allaient et venaient, beaucoup d'entre eux avec une douzaine de soldats à bord. (Holmes, 109)
Bertie Good, le chef steward du Royal Daffodil, un ferry civil impliqué dans l'évacuation, donne le récit suivant:
Nous sommes arrivés au large de Gravelines et avons été attaqués par des avions allemands... Nous avons continué jusqu'à Dunkerque... George Johnson nous a pris en charge et nous nous sommes amarrés le long de la côte. Nous avions dix-sept cents hommes à bord et juste au moment où nous prenions la passerelle, trente ou quarante ambulances sont arrivées sur le quai... L'équipage du navire est donc descendu à terre et a sorti tous les hommes des ambulances (six hommes par ambulance) et les a installés dans la salle à manger arrière. Aucun de ces hommes n'avait été pansé, ils étaient dans un état déplorable. Tous les officiers du navire qui disposaient d'une trousse de premiers secours ont commencé à panser leurs blessures.
(Holmes, 108)
Lors de son treizième voyage vers Dunkerque, le Royal Daffodil fut touché par une bombe d'un avion allemand. Le ferry survécut, mais un membre d'équipage fut tué et cinq autres furent blessés par les tirs de mitrailleuses de l'attaquant. Certaines des embarcations qui traversèrent la Manche subirent également des attaques de sous-marins et d'E-boats et, lorsqu'elles s'approchèrent de la côte française, des obus de l'artillerie ennemie. La poche de plus en plus réduite autour de Dunkerque fut soumise à une pression intense venant de trois directions, pression qui ne fit que s'intensifier après la remobilisation des divisions blindées allemandes le 27 mai et la capitulation de la Belgique le 28 mai. Le BEF se livra à un brutal combat d'arrière-garde afin de gagner quelques jours supplémentaires pour l'évacuation en cours, qui avait jusqu'à ce moment-là réussi à sauver un bien maigre contingent de 8 000 hommes.. Un rythme d'évacuation beaucoup plus rapide fut atteint à partir du 28 mai en utilisant le môle est du port de Dunkerque. La défense française acharnée de Lille contribua également à détourner les ressources allemandes qui auraient autrement été mobilisées vers Dunkerque.
La RAF intensifia son engagement dans les derniers jours de l'évacuation, mais les chasseurs britanniques volaient à la limite de leur autonomie en carburant. La Luftwaffe continua de bombarder Dunkerque, détruisant la ville, ses gares de triage, ses docks et les raffineries de pétrole voisines de Saint-Pol-sur-Mer. Le chef d'escadron Max Aitken avait une vue aérienne du rivage:
Dunkerque était en ruine: il y avait un énorme nuage de fumée provenant des navires et des installations pétrolières en feu, et les avions volaient dans cette fumée... Nous avions parfois des combats aériens, mais c'était très confus. Le temps était absolument magnifique - on pouvait voir à des kilomètres à la ronde, à l'exception de la fumée, et la fumée était incroyable. Nous n'avons pas essayé de protéger les troupes au-dessus des plages, ce n'était pas notre travail. Notre travail consistait à empêcher tout avion d'atteindre ces troupes.
(Holmes, 109)
Outre le chaos qui régnait dans le ciel et en haute mer, les plages étaient également le théâtre d'une confusion auto-infligée. De nombreux soldats étaient si impatients de partir qu'ils risquaient de surcharger les bateaux. La plupart des troupes étaient restées sur les plages pendant des jours sans nourriture ni eau, beaucoup étaient presque trop faibles pour marcher ou nager, et donc, inévitablement, les noyades étaient fréquentes. Des files d'attente se formèrent depuis les plages jusqu'à la mer, assez peu profonde pour se tenir debout, mais assez profonde pour que les petites embarcations puissent s'approcher. Certains petits bateaux s'échouèrent délibérément sur la plage pour permettre aux hommes les plus faibles de monter à bord ou pour servir d'embarcadère à un autre bateau. La mer se remplit de bateaux détruits par les bombes et de cadavres, ce qui entravait l'approche des nouvelles vagues de bateaux, qui affrontaient les obus venant de la terre, les bombes venant de l'air et les mines dans la mer. Comme le fit si bien remarquer un soldat cockney pour résumer l'ensemble de l'opération, alors qu'il venait d'être repêché dans la mer et mis à l'abri dans un bateau de sauvetage : "Gawd, what a bloody nightmare!" (Bon Diou, quel foutu cauchemar!). (Liddle Hart, 46).
Les commandants britanniques et français furent également coupables d'avoir contribué à la confusion générale par le biais de plusieurs erreurs de communication et de malentendus. Dans un premier temps, les Britanniques pensaient que leurs propres troupes seraient évacuées tandis que les Français resteraient en arrière-garde. Dans le même temps, les commandants de l'armée française hésitaient à autoriser ou non l'évacuation des troupes françaises. Ce n'est qu'au cours des deux derniers jours de l'opération, lorsque la plupart des Britanniques étaient partis, qu'un effort concerté fut fait pour évacuer également les troupes françaises.
Le bilan
Au final, environ 220 000 soldats britanniques et 120 000 soldats français furent évacués de Dunkerque. Le chiffre de l'Amirauté pour le nombre total de soldats évacués de Dunkerque est de 338 226. Il s'agit d'une évacuation extraordinaire, qui permit à la Grande-Bretagne de poursuivre la guerre. Comme le fit remarquer le Premier ministre Winston Churchill (1874-1965) le 4 juin, "il y avait une victoire dans cette délivrance" (Dear, 243). Cependant, les pertes furent énormes.
Au cours de l'avancée allemande, le BEF perdit 68 111 hommes au combat (tués, blessés ou faits prisonniers) et 600 autres dans des décès accidentels. Les Néerlandais perdirent près de 3 000 hommes et 7 000 autres furent blessés. 7 500 Belges furent tués et 15 850 blessés. 30 000 soldats français restèrent à Dunkerque pour affronter seuls leur destin. Neuf destroyers alliés, diverses autres embarcations navales et environ 200 navires civils de toutes sortes furent détruits par des bombes, des torpilles, des obus et des mines. Le destroyer HMS Wakeful fut torpillé et 600 soldats se noyèrent. 19 destroyers furent endommagés mais ne furent pas coulés. La RAF tenta désespérément de protéger la flotte d'évacuation, mais 106 avions de chasse essentiels furent perdus au cours de l'opération. Au total, la RAF perdit 931 avions et subit plus de 1 500 pertes dans la défense de la France, y compris la perte de plus de 500 pilotes. Tous les moyens de transport et le matériel lourd de la BEF furent perdus, non seulement de la précieuse artillerie (près de 2 500 pièces), mais aussi des éléments essentiels comme les camions-citernes (les aérodromes de la RAF en Grande-Bretagne ressentiraient cette perte pendant un certain temps). Au total, près de 64 000 véhicules furent perdus. 500 000 tonnes de munitions et de réserves furent abandonnées. Ce fut peut-être une grande évacuation, mais comme Churchill le rappela succinctement au Parlement britannique, "les guerres ne se gagnent pas par des évacuations" (Gilbert, 139).
D'autres évacuations de troupes britanniques (et polonaises et d'autres alliés) de France eurent lieu après Dunkerque, notamment au Havre, à Veules-les-Roses et à Saint-Nazaire, avec le naufrage du navire de transport de troupes Lancastria, où 3 000 hommes trouvèrent la mort. Dans l'ensemble, le sentiment en Grande-Bretagne, comme l'exprima si bien Churchill, était qu'une défaite s'était transformée en victoire, ou du moins en victoire du moral. La vaste flotte de volontaires qui avait navigué sur la Manche en ces jours agités de mai et juin 1940 et qui avait impliqué des personnes de tous types et de toutes nationalités, entra dans la légende. L'"esprit de Dunkerque", comme on l'appelait, allait contribuer à inspirer les Britanniques pendant les périodes troublées à venir.
Défense de la Grande-Bretagne
À partir du 5 juin, l'armée allemande déferla sur le sud de la France, de Nantes à Besançon; Paris fut prise le 14 juin. Le gouvernement français s'installa à Bordeaux et se rendit le 22 juin. La chute de la France ne dura que six semaines. Soucieux que la marine française, alors stationnée en Afrique du Nord, ne tombe pas aux mains des Allemands, Churchill demanda aux navires français de rejoindre la Grande-Bretagne ou de se réfugier dans des ports neutres. Les Français ayant rejeté cette idée, la RAF bombarda la flotte en juillet, causant la mort de 1 600 personnes.
Le montant relativement faible de l'aide militaire britannique à la défense de la France, l'évacuation de Dunkerque et ses conséquences immédiates, telles que les bombardements navals, envenimèrent sérieusement les relations anglo-françaises. En tout état de cause, la Grande-Bretagne, durement éprouvée, avait perdu son principal allié et, bien qu'elle puisse faire appel aux troupes de son empire, elle était désormais seule face à l'Allemagne et à l'Italie (qui entra en guerre le 10 juin). Les Britanniques, et en particulier la RAF, durent rapidement se regrouper et se préparer à ce qui semblait alors être une invasion allemande imminente, une attaque qui serait précédée d'une campagne de bombardement des aérodromes et des usines d'aviation dans le but d'obtenir la supériorité aérienne de la Luftwaffe. La bataille d'Angleterre serait la prochaine phase cruciale de la guerre en Europe.