L'amphictyonie était une des premières formes de conseil religieux dans la Grèce antique. Elle était généralement composée de délégués de plusieurs tribus ou ethnies vivant à proximité d'un sanctuaire important et prospère, qui collaboraient alors à la supervision de l'entretien du temple, à la gestion de ses finances, à l'organisation des rituels et des jeux sacrés, et à la protection de son temenos (enceinte sacrée).
Les exemples les plus significatifs et les mieux documentés sont les amphictyonies de Délos et de Delphes, qui présidaient toutes deux les sanctuaires d'Apollon, ses oracles pythiques et les jeux pythiques.
Si une amphictyonie était avant tout une organisation religieuse, elle jouait parfois un rôle important dans les affaires politiques et militaires de la Grèce antique. L'implication la plus notable d'une amphictyonie dans la guerre grecque se produisit au cours d'une série de conflits connus sous le nom de Guerres sacrées pour le contrôle du sanctuaire de Delphes. Ces conflits eurent un impact considérable sur le cours de l'histoire grecque et sur le développement des poleis (cités-États), favorisant des changements qui finirent par atténuer les plans ambitieux de Philippe II de Macédoine (r. de 359 à 336 av. J.-C.) et de son fils Alexandre le Grand (r. de 336 à 323 av. J.-C.), visant à conquérir le monde hellénique.
Origines et structure
Les origines exactes des amphictyonies sont entourées de mythes et de légendes, mais il est généralement admis qu'au VIIe siècle avant notre ère, la réunion d'un conseil de représentants de tribus pour s'occuper de leur sanctuaire local était une pratique déjà reconnue dans la Grèce archaïque (c. 800-480 av. J.-C.). Selon Hérodote (8.104) et Pindare (Odes pythiques, 4.66, 10.8), le mot grec amphictiones (άμφικτίονες) signifie "ceux qui habitent autour", ce qui implique la solidarité entre tribus voisines en raison de leur lien avec un lieu sacré central et de l'attention qu'elles lui portent.
Dans la mythologie grecque, Amphictyon, le fondateur légendaire des amphictyonies, était le fils de Deucalion et Pyrrha, le couple survivant du Grand Déluge dans la version grecque de l'histoire, et le frère cadet d'Hellen, dont le nom est devenu la dénomination générale du peuple grec en tant qu'Hellènes (Graecus, l'éponyme des Graeciens, nom donné par les Romains aux Grecs, était le fils de Zeus et de Pandora). Après le déluge, Amphictyon se réfugia avec sa famille à Athènes, où il devint le gendre puis le successeur du roi Cranaos. Amphictyon devint ensuite roi des Thermopyles, près de Phthiotis en Thessalie, où régnait son frère Hellen. Étant donné que Cranaos, Deucalion et de nombreux autres souverains fondateurs grecs légendaires étaient considérés comme chthoniens, c'est-à-dire nés de la Terre mère, le premier conseil amphictyonique fut formé pour protéger et assurer le sanctuaire de Déméter Amphictyonis à Anthela, dans les Thermopyles, puisque Déméter était la déesse du monde souterrain dans ses cultes plus anciens.
En raison de ce lien inhérent avec le monde souterrain, les membres du conseil amphictyonique (pylaia) étaient connus sous le nom de pylagorai, gardiens de la porte du monde souterrain. Un deuxième groupe de délégués, supérieur, était constitué par les hieromnemones, les rapporteurs sacrés, qui avaient le pouvoir de finaliser les décisions débattues en votant (Aristote, Politique 8.6). Les pylaia se réunissaient deux fois par an, au printemps à Delphes et à l'automne à Anthela. Leur ordre du jour couvrait essentiellement les questions relatives à l'entretien et à la protection du sanctuaire, qui se composait généralement d'un temple central (et souvent de temples annexes, de sanctuaires et d'autels), du téménos et du trésor. L'organisation et la supervision des rituels sacrés qui se déroulaient dans le sanctuaire, y compris les jeux et les concours publics, constituaient une autre tâche importante du conseil amphictyonique.
Bien que supposées plus ou moins omniprésentes, seules quelques amphictyonies nous sont connues en dehors de celles de Délos et de Delphes: l'amphictyonie d'Onchestos près de Thèbes en Béotie dédiée au temple de Poséidon, l'amphictyonie d'Amarynthos en Eubée entretenant le sanctuaire d'Artémis, et l'amphictyonie de Kalauria, une île près de la côte de Troezen. Cette dernière, également liée au culte de Poséidon, est considérée par Strabon (8.6.14) comme l'une des plus anciennes de l'époque archaïque - elle fonctionna au moins jusqu'à la fin du 4e siècle avant notre ère - et les preuves archéologiques situent sa fondation entre 680 et 650 avant notre ère. D'autre part, une autre légende fait état de l'unification des conseils gardiens de l'Amphictyonis de Déméter et de l'Apollonion à Delphes sous la forme de la Grande Ligue Amphictyonique au lendemain de la guerre de Troie, vers 1200 avant notre ère. Historiquement, cependant, la grande amphictyonie de Delphes fut fondée au plus tôt vers 590 avant notre ère. Il s'agit du conseil de ce type le mieux documenté et dont l'histoire est la plus longue, notamment en raison de son rôle central dans les Guerres sacrées.
Guerres sacrées
La première guerre sacrée (c. 595-585 av. J.-C.) opposa la Ligue amphictyonique à la ville de Krisa (ou Krissa), l'une des plus anciennes cités de Grèce. L'emplacement exact de Krisa reste à découvrir, mais elle se trouvait certainement quelque part au sud-ouest de Delphes, près du mont Parnasse, en Phocide. La guerre éclata à la suite d'un différend entre Delphes et Krisa au sujet de leurs parts respectives des bénéfices obtenus grâce à leur garde in situ de l'oracle de Delphes et de son trésor, des jeux Pythiques et d'autres primes et avantages qui en découlaient. Krisa voulait imposer une taxe aux pèlerins et aux visiteurs, et Delphes était consciente de la croissance économique rapide de Krisa. Les délégués de Krisa se retrouvèrent en minorité face aux représentants d'Athènes, de Sicyone et de Thessalie, qui se rangèrent tous du côté de Delphes. Les conflits durèrent environ 10 ans, vraisemblablement le temps du siège de la ville de Krisa et du blocage de son port à Kirrha. Les alliés amphictyoniques finirent par empoisonner une source d'eau importante de la ville avec de l'ellébore, laissant les défenseurs et le reste de la population affaiblis par la diarrhée. La ville ainsi capturée, les alliés rasèrent Krisa et tuèrent la plupart de ses habitants, dédiant ses terres au sanctuaire apollinien, mais en lui interdisant toute utilisation.
Malgré cette fin tragique pour Krisa, la première guerre sacrée apporta d'importantes avancées à l'amphictyonie de Delphes: sa délégation passa de 3 à 12 cités-États alliées, son enceinte et ses richesses se multiplièrent, la variété des compétitions des Jeux pythiques passa d'une à plusieurs épreuves, s'assurant ainsi une place parmi les jeux panhelléniques quadriennaux, et, surtout, le conseil fut salué pour sa position importante parmi les États grecs. L'oracle de Delphes était considéré comme un principe sacré appartenant à tous les Grecs et fonctionnant pour eux. La protection et la prospérité de Delphes avaient donc la plus haute priorité et la plus grande importance. Lorsque les Phocéens envahirent Delphes en 449 avant notre ère, ils furent confrontés à Sparte, qui les vainquit lors de la deuxième guerre sacrée.
La troisième guerre sacrée (356-346 av. J.-C.) est peut-être la plus importante de l'histoire de la Ligue, car elle eut de profondes conséquences sur l'équilibre des pouvoirs en Grèce. Cette guerre fut déclenchée lorsque les Phocéens s'emparèrent du sanctuaire de Delphes pour protester contre les lourdes amendes qui leur étaient imposées par la Ligue amphictyonique pour avoir cultivé les terres sacrées prises à Krisa. Très vite, Athènes et Sparte les rejoignirent en tant que puissants alliés, tandis que Thèbes, la Thessalie, Locris, Doris et la Béotie envoyèrent des forces militaires pour aider l'amphictyonie de Delphes. Avec le trésor d'Apollon en leur possession, les Phocéens parvinrent à conserver leur position de contrôle à Delphes tout en repoussant les forces de l'amphictyonie. La décennie suivante vit la guerre s'étendre à différentes parties du territoire grec, notamment la Thessalie, le Locris, le Doris, la Béotie, l'Eubée et le Péloponnèse.
L'épuisement des ressources financières à Delphes et les luttes non concluantes entre toutes les forces combattantes des deux camps appelaient à une poigne de fer pacificatrice. Philippe II de Macédoine (r. de 359 à 336 av. J.-C.), fort de son éducation militaire et diplomatique en tant qu'otage royal à Thèbes, l'une des plus puissantes cités-États, avait déjà réussi à vaincre tous les adversaires de la Macédoine et à étendre son royaume en conquérant leurs terres et au-delà. En 354 avant notre ère, les Thessaliens demandèrent à Philippe d'aider l'amphictyonie lors d'une bataille cruciale. Ses victoires, qui changèrent la donne, encouragèrent d'autres demandes d'aide, ce qui lui ouvrit la voie vers des conquêtes successives, tout en gagnant la direction de diverses ligues de cités-États alliées. Il finit par vaincre et déraciner les Phocéens, ce qui lui valut une suprématie presque incontestable sur la Ligue amphictyonique. Peu après, Philippe obligea les Athéniens à signer un traité de paix avec lui, puis envahit et détruisit l'hégémonie spartiate sur le Péloponnèse. Les triomphes militaires et politiques de Philippe et le contrôle qu'il exerça ensuite sur l'amphictyonie marquèrent ainsi la montée en puissance du pouvoir macédonien en Grèce.
La quatrième guerre sacrée fut en fait l'escalade d'une résistance stricte contre le pouvoir accumulé par Philippe, menée par Démosthène et sa faction anti-macédonienne à Athènes. Les hostilités ouvertes commencèrent en 339 avant notre ère, lorsque Philippe se fit nommé leader d'une expédition contre Amphissa, près de Delphes, à nouveau accusée de cultiver les terres sacrées prises à Krisa. Philippe détruisit la ville, puis se tourna avec toute sa force vers Athènes, Thèbes et d'autres cités-États venues pour riposter et stopper ses avancées impitoyables. Les conflits se soldèrent par une défaite décisive et paralysante face à Philippe et à son fils, Alexandre, lors de la bataille de Chéronée en 338 avant J.-C. - un point final pour la démocratie, l'indépendance et l'autorité athéniennes.
Déclin et héritage
Avec la prédominance croissante de la Macédoine en Grèce et, après la mort d'Alexandre le Grand, la division de son empire hellénistique au cours des guerres des Diadoques entre la Macédoine, l'empire séleucide, l'Égypte ptolémaïque et d'autres royaumes, l'influence de la Ligue amphictyonique commença à s'affaiblir en même temps que l'autonomie des différentes cités-États grecques. Quoi qu'il en soit, l'amphictyonie avait déjà violé les serments de ses membres dans de nombreux cas. Aeschines (2.11.5) nous dit que le serment était verbalement censé protéger les cités associées contre la ruine et la privation de l'accès à l'eau. Krisa et Phocis avaient cependant connu la destruction de leurs villes et leurs habitants avaient été tués par l'eau empoisonnée ou, dans le cas de Phocis, avaient été dispersés de force dans de petits villages.
Néanmoins, l'amphictyonie continua d'exister pendant la période hellénistique et même jusqu'à l'époque romaine, bien que son pouvoir ait été limité, encore une fois, aux questions religieuses et sans activité politique perceptible dans l'ombre de la domination macédonienne et ensuite romaine. En 279 avant notre ère, les Gaulois envahirent la Grèce dans le cadre de leurs tentatives d'expansion visant à exploiter les possibilités offertes par la lutte prolongée pour le pouvoir dans l'Empire macédonien hellénistique après Alexandre. Leur invasion fut repoussée par une remarquable alliance des cités-États grecques, et l'amphictyonie de Delphes applaudit leur victoire en réadmettant les Phocéens et en y ajoutant la ligue étolienne. L'amphictyonie fut reconfirmée avec respect sous l'empereur romain Auguste (r. de 27 av. J.-C. à 14 de notre ère) avec des changements mineurs, et finalement en 131 de notre ère, elle fut remplacée par le Panhellenion d'Hadrien (r. de 117 à 138 de notre ère), qui ne dura pas plus d'un an.
L'amphictyonie était une institution importante dans l'histoire de la Grèce antique, illustrant l'interaction complexe entre la religion, la politique et la diplomatie dans le monde classique. Si sa fonction première était religieuse, son implication dans les affaires militaires et politiques eut des conséquences considérables sur le développement du système administratif grec. L'amphictyonie pourrait bien avoir servi d'ébauche au modèle démocratique de gouvernance, en réunissant une assemblée de représentants du peuple pour discuter des affaires publiques et prendre des décisions en votant, des centaines d'années avant l'établissement des premières procédures démocratiques dans la Grèce classique.