La Description de l'Afrique est le premier ouvrage complet sur l'Afrique, écrit par Léon l'Africain, un érudit africain formé dans la tradition intellectuelle islamique, en 1526, pendant la Renaissance italienne. Mélange habile d'anthropologie et de géographie, de récit de voyage et de biographie, cet ouvrage devint la seule source d'information sur le continent africain pour les Européens du début de l'ère moderne.
Léon l'Africain
Léon l'Africain alias Hassan Al-Wazzan (1485-1554) était un érudit andalou dont la famille avait émigré de Grenade à Fès, au Maroc, pendant la Reconquista espagnole, lorsque les monarques catholiques Isabelle Ire de Castille (1451-1504) et Ferdinand II d'Aragon (1452-1516) s'emparèrent de Grenade, marquant ainsi la fin de 700 ans de domination musulmane. Intellectuel et diplomate cosmopolite ayant beaucoup voyagé, il arriva à Rome en tant qu'esclave capturé. Le 6 janvier 1520, il se convertit au christianisme sous la tutelle du pape Léon X de Médicis. Par la suite, Léon l'Africain jouirait d'une vie plutôt privilégiée en tant qu'érudit au sein du Vatican. Il traduisit en latin d'importants manuscrits arabes, publia le premier ouvrage de référence latin sur les nombres et la numérologie arabes, un dictionnaire arabe-hébreu-latin et, surtout, un recueil de biographies d'illustres érudits arabes. Ce livre reste jusqu'à aujourd'hui la source la plus fiable de détails sur la vie de Léon l'Africain.
La Bibliothèque nationale de Rome conserve ce que les historiens pensent être le manuscrit original de 957 pages de Léon, daté de 1527 et intitulé La cosmographia & geographia de Affrica. Le livre fut présenté aux lecteurs européens en 1550, lorsque le célèbre écrivain italien et géographe autoproclamé Giovanni Battista Ramusio publia sa version intitulée La descrittione dell'Africa. Nous savons aujourd'hui que l'édition de Ramusio fut considérablement remaniée et qu'elle diffère du manuscrit de 1527 sur le plan de la langue, du style et du contenu.
Lectorat de l'ouvrage
Léon l'Africain écrivit ce livre pour un public de la Renaissance qui, d'une part, s'intéressait vivement aux progrès réalisés par les érudits arabes pendant l'âge des ténèbres et, d'autre part, avait tendance à vilipender la religion de l'islam. Musulman africain, érudit et connaissant non seulement l'arabe mais aussi le latin et l'italien, Léon, comme la civilisation musulmane qu'il représentait et traduisait, exerçait une double fascination, presque binaire, sur ses contemporains italiens du XVIe siècle - en tant que faqih ou juriste musulman, mais aussi en tant qu'érudit cultivé et plein de charme. Il écrivait dans un style qui cherchait à plaire et à divertir, en précisant qu'il ne disposait d'aucun de ses livres ou documents et qu'il écrivait plutôt de mémoire. C'est pourquoi il commit des erreurs dans certains détails, dans les calendriers et même dans les noms de livres. Néanmoins, il réussit à démanteler les divisions longtemps établies de l'époque médiévale. Son œuvre jeta un pont entre l'Afrique et l'Europe, alignant l'islam et le christianisme en tant que religions dans le giron de la tradition abrahamique. Léon combla également le fossé entre les langues littéraires des érudits, telles que l'arabe et le latin, et les langues plus vernaculaires, familières, parlées par les laïcs, telles que le berbère et l'italien.
Ce travail resta inégalé jusqu'à la fin du XIXe siècle, lorsque les Européens commencèrent à voyager et à explorer l'Afrique, en consignant leurs récits de première main.
Le nom Afrique
La Description de l'Afrique est divisée en sept livres. Le livre 1 est une sorte d'introduction ruminée. En commençant par le nom du continent, qu'il relie au mot arabe Ifriqiya, il désigne ensuite le terrain qui constitue l'Afrique:
Selon les érudits et les cosmographes africains, l'Afrique est limitée à l'est par le Nil, qui s'étend vers le nord depuis les affluents du lac dans le désert de Gaoga, jusqu'aux basses terres d'Égypte où le Nil se jette dans la Méditerranée. Il est délimité au nord par le delta du Nil, qui s'étend à l'ouest jusqu'aux piliers d'Hercule [le détroit de Gibraltar]. La frontière occidentale s'étend de ces détroits près de l'océan jusqu'à Nun, la ville libyenne la plus éloignée de l'océan. La frontière méridionale s'étend de Nun, le long de l'océan qui entoure toute l'Afrique jusqu'aux déserts de Gaoga.
(Oosterhoff & Ossa-Richardson trans., p.5)
Il est intéressant de noter que la Description de l'Afrique ne contient aucune carte. C'est d'autant plus curieux qu'à l'époque de Léon, les érudits et les scientifiques du monde musulman excellaient en cartographie. Après avoir présenté les paramètres du continent, il divise l'Afrique en quatre régions: La Barbarie, la Numidie, la Libye et la Terre Noire. Il aborde ensuite les "colonies", c'est-à-dire les zones où vivent les populations, ainsi que les différentes théories sur leur origine. Léon nous dit que les tribus africaines ont chacune leur propre dialecte et leur propre langue maternelle, mais qu'elles partagent une langue commune connue sous le nom d'agual amazigh. L'arabe semble être la langue véhiculaire de la région à cette époque.
Dans le livre 1, Léon présente la diversité des peuples qui vivent sur le continent. Le premier groupe ethnique dont il parle est celui des nombreux peuples arabes. Les Arabes de Barbarie sont ceux qui sont allés vivre en Afrique dans différentes colonies. Il y a ensuite les Africains qui vivent en Libye et en Égypte, ainsi que les Bédouins qui vivent dans le désert entre la Barbarie et l'Égypte et les bergers. Les peuples qui habitent la Terre des Noirs sont traités séparément et longuement dans leur section du livre 5 et les Égyptiens dans le livre 6. Il donne un récit intéressant de la fondation de la ville du Caire sous le califat fatimide (909-1171).
Les religions indigènes d'Afrique, suivies de l'avènement du judaïsme, du christianisme et de l'islam, font l'objet d'une brève discussion, avec la promesse de plus amples détails dans les livres à venir. Il en va de même pour la discussion sur l'air et le climat africains, les terrains fertiles et fructueux et ceux qui ne le sont pas, les vertus et les défauts des différents peuples africains, les maladies qui les affligent, la santé et la longévité.
Le tout est agrémenté d'un grand nombre de récits enchanteurs, allant du froid intense dont il avait souffert dans les montagnes de l'Atlas - la plus grande aventure de sa vie - aux leçons tirées du Livre des cent contes.
L'auteur a échappé deux fois, comme par miracle, au grave péril de la neige. Au coucher du soleil, lorsque la neige commença à tomber, des Arabes apparurent à cheval, peut-être dix ou douze, l'invitant à quitter la caravane en toute hâte et à monter avec eux. L'auteur se demandait si, par cette invitation, ils n'avaient pas l'intention de l'attirer dans un bois et de le tuer pour ses biens; mais, heureusement, avant qu'ils ne partent, il fit astucieusement semblant d'aller faire pipi et cacha son argent sous un arbre bien marqué. Il chevaucha avec eux jusqu'à minuit environ, lorsqu'ils commencèrent à l'interroger pour savoir s'il avait de l'argent sur lui. Il répondit qu'il l'avait laissé dans la caravane avec un membre de sa famille; non satisfaits de cette réponse, ils le déshabillèrent dans le froid glacial, mais n'ayant pas trouvé d'argent, ils lui rendirent ses vêtements et affirmèrent qu'ils ne faisaient que le chahuter.
(Oosterhoff & Ossa-Richardson trans., p. 36)
Les Arabes d'Afrique du Nord et les Berbères
Léon consacre le livre 2 à la Barbarie et à ses royaumes:
- Marrakech
- Fès
- Tlemcen
- Béjaïa
- Tunis
Chaque royaume est divisé en régions individuelles et comprend une discussion des caractéristiques du pays, de ses habitants et de leur mode de vie, de leurs vêtements et de leurs coutumes. C'est de loin le livre le plus long, car il s'agit de la région qu'il connaît peut-être le mieux, puisqu'il est originaire du royaume de Fès. Chaque localité est animée par une anecdote tirée de l'expérience de Léon ou de sa visite du lieu en question. Il parle ainsi de la ville de Tiout, à Haha, dans le royaume de Marrakech:
L'auteur s'installa une nuit à l'extérieur de la ville dans une ferme délabrée, attachant les chevaux à une mangeoire dans une pièce, et les ayant nourris avec beaucoup d'orge, car c'était le mois d'avril. Ses hommes bouchèrent la porte avec une masse de ronces, montèrent sur le toit qui surplombait la cour et s'endormirent. À minuit, deux énormes lions arrivèrent et tentèrent d'arracher les ronces qui couvraient la porte; les chevaux entendirent et sentirent les lions, et tirèrent avec assez de force pour renverser la mangeoire, l'un d'eux déchirant son licol et faisant un vacarme terrible. Le groupe dont faisait partie l'auteur eut d'abord peur des mâchoires des lions, et d'être attaqué et dévoré; puis ils cessèrent de s'inquiéter pour les chevaux, car ils craignaient que le bâtiment ne s'écroule à cause du bruit, les laissant à la merci des lions. La nuit se prolongea pendant mille ans. Le matin venu, ils se demandèrent dans quel état ils trouveraient les chevaux après tous les coups de pied et les morsures, en particulier la jument de l'auteur; mais sans tarder, ils se mirent en selle et retournèrent auprès du prince.
(Oosterhoff & Ossa-Richardson trans., pp.57-58)
Il est facile d'imaginer à quel point de telles histoires auraient fasciné les lecteurs européens du XVIe siècle.
La mention de la Numidie par Léon dans le livre 3 suit celle de Ptolémée (c. 100-170 de notre ère), l'ancien polymathe égyptien, auquel il fait référence, en plaçant les provinces de Sous, Guzla et al-Hammah dans le royaume de Tunis. La Numidie, ici, borde les déserts libyens, avec des provinces comme Sijilmasa, et des villes comme Irfan et Gafsa qui flanquent les chaînes de l'Atlas et s'étendent vers l'océan Atlantique Nord et la mer Méditerranée. Le chapitre, comme le précédent, est organisé par région, avec une entrée détaillée pour chacune d'entre elles. Bien que cette section soit plus courte, il semble que Léon connaissait assez bien cette région, qui n'était pas sa patrie. Il dit de la ville de Tesset: "Les hommes sont assez brutaux, sombres de peau et illettrés, et ce sont les femmes qui étudient et travaillent comme institutrices pour les filles et les garçons..." (Oosterhoff & Ossa-Richardson trans., p. 343)
La Libye et les terres désertiques
Le livre 4 traverse les déserts de Libye, qui sont divisés en cinq parties tirant leur nom du peuple qui y vit. Le premier est Zanaga, qu'il qualifie de "sec et assoiffé", remarquant que "l'on peut parcourir 100 ou 150 miles [160-240 km] sans trouver d'eau" (Oosterhoff & Ossa-Richardson trans, p. 367). Le deuxième désert libyen s'appelle Wanziga et est "encore plus rude que celui mentionné ci-dessus", il se trouve dans le Royaume de Gobir. Vient ensuite le désert où vivent les Terga, plus habitable car "en deux jours, on peut trouver de l'eau potable dans des puits profonds"(ibid). Le quatrième désert, celui de Lamta, est emprunté par les marchands qui se rendent de Constantine au pays des Noirs et est jugé peu sûr en raison des pirates locaux qui attaquent les étrangers et tuent ceux qui viennent du pays de Ouargala. Le dernier désert est Bardoa, dont le peuplement comprend trois ksars (châteaux) et plusieurs villages. Léon raconte une autre histoire passionnante sur la façon dont les trois châteaux furent découverts:
Ces trois ksars étaient autrefois inconnus, mais il y a dix-huit ans, ils furent découverts par un guide nommé Hammar, qui s'était égaré à cause d'une affection oculaire qu'il avait contractée en route, et il n'y avait pas d'autre guide pour l'aider. Après chaque kilomètre, il avançait sur son chameau et on lui donnait du sable à sentir; grâce à cette pratique, il put dire alors que la caravane était à 65 km: "Nous sommes près d'un campement".
(Oosterhoff & Ossa-Richardson trans., p. 343)
Les talents de conteur de Léon entraînent le lecteur au cœur du récit et le maintiennent captivé malgré des descriptions plus banales du climat, du terrain et de l'agriculture. Il semble imiter par écrit les compétences du hakawati arabe, un conteur oral qui tissait des histoires multiples et complexes pour divertir un public enthousiaste dans les cafés et sur les places publiques, bien avant la radio et la télévision.
La terre des Noirs
Le livre 5 couvre la Terre des Noirs. Dans l'introduction, Léon nous dit que la Terre des Noirs était "inconnue des cosmographes de l'Afrique en détail". Cependant, il concède ici que "leurs connaissances se sont généralement améliorées après que les Libyens sont devenus musulmans". (Oosterhoff & Ossa-Richardson trans., p. 373). Il divise cette région en 17 royaumes et fournit un paragraphe succinct pour chacun d'entre eux, suivant son modèle de description du terrain, du climat et de la population, bien que dans sa description il dise qu'il y a 15 royaumes, il en nomme en fait 17.
Le royaume de Tombouctou
Le nom de ce royaume est moderne, il provient du nom de la ville de Tombouctou qui a été construite en 610 AH (1213-14) par le roi Mansa Suleyman à environ 3 km d'un bras du Niger. La ville est entièrement constituée de huttes faites de poutres recouvertes d'argile... Dans cette ville, il y a de nombreuses boutiques d'artisans et de marchands, en particulier des marchands de textiles en coton. Les esclaves et les femmes libres vendent toutes sortes de produits alimentaires. Les hommes sont bien habillés de coton noir ou bleu et de tissus venus d'Europe grâce aux marchands de la côte des Barbaresques....Le roi de Tombouctou possède d'énormes richesses en pierres précieuses et en lingots d'or, certains pesant des livres, d'autres 300. Sa cour est élégamment vêtue et lorsque le roi se déplace avec ses courtisans d'une ville à l'autre, ils montent des chameaux appelés mehari, les palefreniers menant les chevaux à la main... Si quelqu'un veut parler au roi, il doit s'agenouiller et répandre de la terre sur sa tête et ses épaules - la même obéissance est faite par quelqu'un qui ne lui a jamais parlé auparavant et par l'ambassadeur d'un grand souverain.
(Oosterhoff & Ossa-Richardson trans., pp. 377-378)
C'est certainement la partie de l'Afrique que Léon connaît le moins bien. Il a bien sûr visité l'Empire du Mali et Tombouctou et donne un compte-rendu détaillé de ces lieux. Mais il donne l'impression que sa connaissance du reste de la région vient de ce qu'il aurait entendu dans ces deux endroits et qu'il n'y est pas allé lui-même.
L'Égypte, berceau de la civilisation
Le livre 6 sur l'Égypte est peut-être le plus long après le livre 1 sur la Barbarie. Il est riche en histoire et en détails, tant sur le terrain que sur l'histoire des peuples et des civilisations. De nombreux détails sur la géographie et le climat, et même sur la nourriture et les femmes, nous indiquent que Léon aurait passé pas mal de temps en Égypte et parmi ses habitants. Il divise les régions comme suit:
À l'époque moderne, c'est-à-dire depuis que les musulmans ont commencé à régner, la région et le royaume d'Égypte a été divisé en trois parties: Du Caire à Rosette, appelée Ar-Rif, c'est-à-dire la côte; du Caire à Beja, appelée al-Sa`id, c'est-à-dire la terre; et la partie le long de la branche du Nil jusqu'à Damiette et Tinnis, appelée al-Behriyya, c'est-à-dire la région des lacs.
(Oosterhoff & Ossa-Richardson trans., p. 392)
Citant Moïse dans le Coran, Léon déclare que les Égyptiens sont "les descendants de Mizraim, fils de Cush, fils de Ham, fils de Noé...", puis avoue que "les Arabes appellent également tout le pays Misr..."(ibid.) Les Égyptiens sont décrits comme des gens cultivés, contrairement à certaines tribus du désert libyen et de la Terre des Noirs. Dans cette section, Léon l'Africain nous montre sa connaissance approfondie de l'histoire et du développement culturel en dressant un tableau de l'Égypte plein de profondeur et de complexité - tout cela de mémoire !
Le livre 7 présente les rivières, les animaux et les plantes d'Afrique. Il nomme 25 fleuves en commençant par le Tensift, qui commence dans les montagnes de l'Atlas, et en terminant par le Nil. Cette discussion témoigne à elle seule de la quantité d'informations que Léon a retenues et qu'il peut se remémorer sans avoir recours à d'autres sources.
L'éléphant d'Afrique
La section sur les animaux commence par une note expliquant qu'il ne s'agit pas d'une liste exhaustive de tous les animaux d'Afrique, mais seulement de ceux que l'on ne trouve pas en Europe. Il commence, de manière peut-être un peu prévisible, par l'éléphant, qu'il décrit comme un "animal sauvage mais apprivoisable, que l'on trouve en grand nombre dans les forêts..." (Oosterhoff & Ossa-Richardson trans., 443). Il cite ensuite 33 autres animaux, dont la girafe, le perroquet, l'autruche, le crocodile, etc. La dernière section se termine par une liste de minéraux et de plantes, avec leurs goûts et leurs usages.
Le manuscrit de la Description de l'Afrique est signé:
Ici s'achève le livre ou traité de l'auteur, Messer Giovanni Leone de Grenade, sur ce que l'on entend par Afrique: ses villes, ses déserts, ses montagnes, ses établissements, ses villages, ses rivières, ses animaux et leurs habitudes, ainsi que ses fruits et ses racines inconnus, à la manière d'une cosmographie. Rome, 10 mars 1526.
(Oosterhoff & Ossa-Richardson trans., p. 467)
La figure de l'auteur de ce livre, Léon l'Africain, est aussi énigmatique et intéressante que le livre à proprement dit. La Description de l'Afrique offrait à ses lecteurs européens un énorme volume de connaissances sur l'Afrique qui n'étaient pas disponibles jusqu'alors. Les histoires et les anecdotes tissées dans son récit créent une lecture exotique et fascinante. Des traductions dans les langues européennes, du latin au français, en passant par l'allemand et le néerlandais, ont suivi la publication de l'ouvrage en italien en 1550. L'édition anglaise de John Pory fut imprimée à peine 50 ans plus tard, en 1600. C'est un livre qui, à ce jour, reste essentiel pour comprendre l'histoire de notre monde.