Dolley Madison (1768-1849), née Dolley Payne, fut une éminente première dame américaine, fonction qu'elle occupa tant pendant la présidence de son mari, James Madison, que pendant celle de son prédécesseur, le veuf Thomas Jefferson. Connue pour son élégance et son charme, Dolley Madison était l'hôtesse de la Maison Blanche et elle contribua à définir le rôle de l'épouse du président.
Jeunesse
Dolley Payne vit le jour le 20 mai 1768 dans la communauté quaker de New Garden, dans le comté de Guilford, en Caroline du Nord (aujourd'hui Greensboro). Elle était l'un des huit enfants de John Payne, un marchand, et de sa femme Mary Coles Payne, tous deux issus de grandes familles virginiennes. Peu après la naissance de Dolley, la famille retourna en Virginie; bien que les raisons de ce déménagement ne soient pas certaines, certains historiens ont émis l'hypothèse qu'ils avaient échoué dans leurs affaires en Caroline du Nord et qu'ils voulaient prendre un nouveau départ, ou qu'ils étaient victimes de discrimination en raison de leur religion quaker. Quoi qu'il en soit, la famille s'installa dans une ferme de 176 acres dans le comté de Hanover, en Virginie, où Dolley grandit. Elle passa son enfance à travailler la terre aux côtés de ses parents et de ses frères et sœurs et reçut une éducation quaker très stricte.
Bien que John Payne ne soit pas né dans la Société religieuse des Amis - il avait adopté cette religion en 1765 pour plaire à sa femme quaker - il se révéla rapidement un quaker dévoué. Il se tint à l'écart de la guerre d'Indépendance américaine (1775-1783) pour adhérer à la doctrine quaker du pacifisme, et sa famille ne fut guère affectée par les combats. Avant sa conversion, Payne avait été propriétaire d'esclaves, mais il était devenu "dubitatif et, par la suite, consciencieusement scrupuleux quant à [...] la détention d'esclaves en tant que propriété" (cité dans Feldman, 384). Il souhaitait désespérément émanciper ses esclaves, mais comme la Virginie interdisait l'affranchissement volontaire, Payne et sa famille furent à nouveau obligés de plier bagages et de déménager une nouvelle fois. Cette fois, ils se rendirent à Philadelphie, en Pennsylvanie, qui n'était pas seulement la deuxième ville des États-Unis nouvellement indépendants, mais aussi un bastion du quakerisme. Payne y libéra ses esclaves et installa sa famille dans une maison sur North Third Street. Associé à son fils aîné, il ouvrit une entreprise de fabrication et de vente d'amidon.
À Philadelphie, Dolley, âgée de 15 ans, poursuivit son éducation quaker. En effet, la nièce de Dolley écrirait plus tard que les filles Payne se voyaient refuser "l'acquisition de ces accomplissements gracieux et ornementaux qui sont trop généralement considérés comme les parties les plus importantes de l'éducation féminine" (cité dans Feldman, 384). Pourtant, l'adolescente Dolley ne manquait pas de prétendants, qu'elle rejetait tous pour ne pas "renoncer à son statut de jeune fille"(ibid). Mais Dolley ne pouvait pas s'attendre à rester éternellement vieille fille, surtout lorsque sa famille commença à connaître des temps difficiles. L'entreprise de fabrication d'amidon de John Payne ne fut guère un grand succès et finit par fermer en 1789. Il décida alors de placer l'argent économisé grâce à la vente de la ferme de Virginie dans des investissements fonciers spéculatifs, mais il perdit également cet argent. Payne découvrit soudain que sa famille était "réduite à la pauvreté", mais le coup le plus dur fut lorsqu'il se retrouva ostracisé des réunions quakers pour sa mauvaise gestion financière.
Désemparé et désespéré, John Payne demanda à Dolley d'épouser John Todd, un jeune avocat quaker. Dolley accepta - on ne sait pas s'il y avait de l'amour entre elle et Todd, ou si elle jouait simplement le rôle de la fille dévouée. Quoi qu'il en soit, ils se marièrent en janvier 1790, bien que les Payne n'aient pas été en mesure de fournir une dot. John Payne vécut assez longtemps pour voir sa fille se marier avant de mourir en octobre 1792, ne s'étant jamais remis du stress de ses échecs. Dans le sillage de la mort de son père, Dolley Payne Todd donna naissance à deux enfants: son fils aîné, John Payne Todd (appelé Payne), naquit le 29 février 1792, tandis qu'un second fils, William Todd, vit le jour le 4 juillet 1793. Alors que Dolley prenait ses marques dans sa nouvelle vie de mère, elle était loin de se douter que tout serait bientôt bouleversé par la mort et la tragédie.
L'épidémie
En septembre 1793, une épidémie mortelle de fièvre jaune se déclara à Philadelphie. Dolley Todd prit ses deux fils en bas âge et s'enfuit à 5 km du centre de la ville, à Grays Ferry, sur la rivière Schuylkill. Pendant ce temps, John Todd décida de rester à la maison pour s'occuper de son père malade qui avait contracté la maladie. Dolley elle-même était malade d'inquiétude quant à la sécurité de son mari, écrivant qu'elle était "distraite par la détresse et l'appréhension" (cité dans Feldman, 385). Bientôt, les deux parents de John Todd succombèrent à la fièvre, ce qui lui permit de rejoindre sa femme et ses enfants à Grays Ferry. Cependant, à peine arrivé, il se sentit obligé de retourner à Philadelphie pour fermer son cabinet d'avocat et rendre visite à un autre parent malade. Dolley le supplia de ne pas y aller, mais il ne l'écouta pas. À son retour, il avait lui aussi contracté la fièvre.
John Todd passa plusieurs jours angoissants à Grays Ferry, faisant chambre à part pour ne pas contaminer Dolley ou les enfants. Il finit cependant par se rendre compte qu'il était mourant et retourna chez lui à Philadelphie où il "mourut en quelques heures, tant la peste avait été rapide" (ibid). La brève exposition à la maladie de son mari suffit à infecter Dolley et son fils William, qui contractèrent tous deux la fièvre. Si Dolley finit par guérir, ce ne fut pas le cas de William, qui mourut en octobre 1793. À la fin de l'épidémie, en novembre, plus de 5 000 personnes étaient mortes dans une ville de 50 000 habitants. À seulement 25 ans, Dolley était veuve et avait le cœur brisé par les pertes successives de son père, de son mari et de son fils.
Mariage avec James Madison
C'est au printemps 1794, après que les corps des défunts eurent été déposés dans leurs tombes, que Dolley Payne Todd rencontra James Madison. À 43 ans, il était déjà l'un des hommes les plus célèbres d'Amérique, un dirigeant du Congrès que beaucoup considéraient comme le "père de la Constitution". En même temps, c'était un homme timide, petit et frêle, célibataire à vie, de 17 ans l'aîné de Dolley. Ils furent présentés par le sénateur new-yorkais Aaron Burr, et Madison fut instantanément "frappé par ses charmes" (cité dans Feldman, 387). Dolley dut également se prendre d'affection pour le "grand, petit Madison", comme elle l'appelait de manière espiègle dans une lettre à sa sœur; elle l'invita chez elle où, comme elle s'en vanterait plus tard, elle "conquit le rat de bibliothèque reclus Madison "qui était considéré comme un vieux célibataire""(ibid.).
Peu après ce rendez-vous, Dolley quitta Philadelphie pour se rendre en Virginie, où elle fut assaillie de lettres de plusieurs prétendants, dont Madison. Son cousin lui écrivait au nom de Madison:
Il pense tellement à vous le jour qu'il en a perdu la langue, la nuit il rêve de vous et se met à vous appeler dans son sommeil pour soulager sa flamme car il brûle à un tel point qu'il sera bientôt consumé et il espère que votre cœur sera insensible à tout autre jeune homme que lui... il a consenti à tout ce que j'ai écrit à son sujet avec des yeux pétillants.
(cité dans Feldman, 389).
Que ces mots soient sortis de la bouche de Madison ou non, il est clair qu'il s'était entiché de la jeune veuve. Il la demanda en mariage en août et le couple se maria le 16 septembre 1794, quatre mois après leur première rencontre. Dolley, qui avait peut-être consenti à son premier mariage par devoir, était pleinement consciente de sa décision d'épouser Madison, elle écrit : "Au cours de cette journée, je donne ma main à l'homme que, de tous les autres, j'admire le plus"; après avoir signé par inadvertance la lettre "Dolley Payne Todd", elle se corrigea en écrivant: "Dolley Madison ! Hélas !" (Montpelier.org).
James Madison n'étant pas quaker, Dolley fut exclue de la Société religieuse des Amis pour avoir épousé une personne non croyante. Cela ne sembla guère la perturber outre mesure, et elle assistait désormais aux offices épiscopaux avec son mari. Dolley et James vécurent ensemble à Philadelphie pendant les trois premières années de leur mariage. Puis, lorsque James quitta le Congrès en 1797, elle retourna avec lui dans sa plantation de Montpelier, dans le comté d'Orange, en Virginie. Malgré son éducation quaker et les convictions anti-esclavagistes de son propre père, rien ne prouve que Dolley Madison ait désapprouvé son mari en tant qu'esclavagiste ou qu'elle se soit opposée à la présence d'une centaine d'esclaves à Montpelier.
À Washington
Dolley et James Madison restèrent à Montpelier pendant les quatre années de la présidence de John Adams. En 1801, Thomas Jefferson remporta la présidence à l'issue d'une élection très disputée et invita son ami proche et allié politique, James Madison, à occuper le poste de secrétaire d'État. James accepta et les Madison arrivèrent dans la nouvelle capitale nationale de Washington, D.C., le 1er mai 1801. À cette époque, la capitale n'était rien d'autre qu'un enchevêtrement de bâtiments en bois ou en briques, reliés par des chemins de terre boueux, et peuplés d'à peine 3 000 personnes. Loin de l'élégante Philadelphie, elle ne semblait guère apte à servir de cœur à l'"empire de la liberté" que Jefferson entendait forger. C'est pourtant dans cette ville que Dolley Madison s'épanouirait.
Le président Jefferson et le vice-président Burr étaient tous deux veufs, ce qui faisait de Dolley, en tant qu'épouse du secrétaire d'État, la femme la plus haut placée de la nation. C'est pourquoi on lui demandait souvent de jouer le rôle d'hôtesse lorsque le président Jefferson organisait ses célèbres dîners hebdomadaires à la Maison Blanche. À une époque marquée par les divisions partisanes, Dolley devint rapidement une figure conciliante; lorsque les membres du Congrès commencèrent à se chamailler au début d'un des dîners de Jefferson, le "bruit de ses chaussures à talons hauts" servit à détendre instantanément l'atmosphère, et "tous les mauvais sentiments furent oubliés ou supprimés et le sujet fut changé" (cité dans Feldman, 445). Grâce à son charme et à ses bonnes manières, elle était capable de résoudre les conflits tout en guidant subtilement et habilement ses invités pour qu'ils se rangent du côté de son mari.
Dolley Madison devint ainsi un personnage politique à part entière. Non seulement elle gagna des amis et des alliés aux côtés de Jefferson et Madison, mais elle influença également Jefferson lui-même, agissant comme une voix de modération pour ses idées les plus radicales. Jefferson l'appréciait tellement qu'il provoqua accidentellement un scandale en 1803, lorsqu'il accompagna Dolley au dîner au lieu de la femme de l'ambassadeur britannique, comme l'exigeait le protocole. L'ambassadeur interpréta cela comme un affront, ce qui menaça d'envenimer les relations entre la Grande-Bretagne et les États-Unis à un moment déjà précaire. Dolley désamorça la situation en se liant d'amitié avec l'épouse snobée, Elizabeth Merry, et en invitant les Merry à dîner, où elle les séduisit par son charme.
Première dame
En 1808, James Madison fut élu quatrième président des États-Unis. Après l'élection, Dolley travailla avec l'architecte Benjamin Latrobe pour rénover la Maison Blanche dans un style néoclassique élégant rappelant l'ancienne République romaine qui avait inspiré les fondateurs américains. Le soir de l'investiture de son mari, le 4 mars 1809, Dolley Madison organisa un bal d'investiture, avec une réception à l'hôtel Long's, près du Capitole. Les Madison entrèrent dans la salle au son d'une marche composée spécialement pour l'occasion; alors que le nouveau président était vêtu d'un sobre costume noir, un témoin oculaire observa que la première dame "avait l'air d'une reine [...] elle portait un velours couleur chamois pâle, uni, avec une très longue traîne, mais pas la moindre garniture, et un magnifique collier de perles, des boucles d'oreilles et des bracelets" (cité dans Feldman, 505). En effet, Dolley Madison allait bientôt être considérée comme une icône de la mode. Son look caractéristique - qui comprenait des robes décolletées à taille haute et des turbans en satin blanc - serait bientôt imité par les femmes de tout le pays.
En tant que Première Dame, Dolley fit pour son mari ce qu'elle avait fait pour Jefferson, organisant des dîners et se faisant des alliés. Tous les mercredis soirs, elle organisait des réceptions à la Maison-Blanche, que l'on appellerait bientôt "squeezes", car elles attiraient tellement de monde que les invités devaient se serrer pour faire un peu de place aux autres. Refusant l'élitisme, Dolley ouvrait ses réceptions hebdomadaires à tous ceux qui voulaient y assister. Elle se déplaçait parmi les invités et s'assurait de parler à tout le monde avant la fin de la soirée. Elle s'abstenait d'adopter une position dure sur les questions politiques et était donc en mesure d'amadouer les ennemis politiques de son mari. Selon certains historiens, ce serait son influence charmante qui aurait permis à Madison d'obtenir suffisamment de soutien pour être réélu en 1812.
Cette même année, les États-Unis entrèrent en guerre contre le Royaume-Uni, déclenchant ainsi la guerre de 1812. Deux ans plus tard, le 23 août 1814, les Britanniques avancèrent jusqu'à la périphérie de Washington et se préparèrent à marcher sur la ville. Alors que la capitale sombrait dans la panique, Dolley Madison resta calme, fourrant "autant de papiers de cabinet dans les malles qu'il en faudrait pour remplir une voiture" (cité dans Feldman, 582). Plutôt que de fuir, elle décida de rester à la Maison Blanche pour attendre son mari, qui était parti inspecter les troupes américaines à Bladensburg, non loin de là. Lorsque les Britanniques attaquèrent Bladensburg le 24 août, Dolley attendit anxieusement, écoutant le grondement lointain des tirs d'artillerie, craignant que James n'ait été fait prisonnier. Ce n'est que lorsqu'elle apprit que les Britanniques avaient gagné la bataille et qu'ils marchaient désormais vers la capitale qu'elle décida de s'enfuir.
Elle fit remplir un chariot avec les objets les plus précieux de la maison et demanda à plusieurs travailleurs libres ou esclaves - dont son esclave personnel, Paul Jennings, âgé de 15 ans - de sauver le célèbre portrait de George Washington par Gilbert Stuart, déterminé à ne pas le laisser tomber aux mains des Britanniques. Dans un premier temps, les hommes essayèrent de dévisser le portrait du mur, mais cela prenait trop de temps. Dolley leur ordonna donc de briser le cadre et d'enlever la toile. Ce n'est qu'à ce moment-là qu'ils sautèrent dans les calèches et quittèrent la ville, quelques heures avant que les Britanniques ne l'occupent et ne mettent au feu plusieurs bâtiments publics, dont le Capitole et la Maison Blanche. Dolley se rendit en Virginie pendant quelques jours, le temps que les Britanniques quittent Washington, et retrouva la ville en ruines. Elle retrouva bientôt James, qui n'avait pas été capturé, et le couple s'installa dans l'Octagon House, où Dolley continua d'organiser des événements mondains pendant que la Maison Blanche, et le reste de la ville, étaient reconstruits. La guerre se termina en 1815 et les Madison quittèrent leurs fonctions à la fin du second mandat de James, le 4 mars 1817. Ils quittèrent Washington et retournèrent à Montpelier, se réjouissant à l'idée d'une retraite heureuse.
La retraite à Montpelier
La retraite des Madison n'était pas destinée à être prospère. Une série de mauvaises récoltes leur causa des difficultés financières, aggravées par les frasques du seul fils survivant de Dolley, John Payne Todd. À l'approche de la trentaine, Todd n'avait pas encore trouvé de carrière, mais gaspillait son argent dans la boisson et le jeu. Entre 1813 et 1830, les Madison dépensèrent environ 40 000 dollars (d'une valeur de plus de 1,3 million de dollars aujourd'hui) pour l'aider à rembourser ses dettes. Mais cela ne suffit pas: en 1830, les Madison durent hypothéquer la moitié de la plantation de Montpelier pour libérer Todd de la prison des débiteurs. Pendant ce temps, la santé du président Madison se détériorait lentement. Il mourut le matin du 28 juin 1836 à l'âge de 85 ans, laissant Dolley une fois de plus veuve et très endettée. Elle s'attarderait encore un an à Montpelier, avant de retourner à Washington, D.C., en 1837. Elle laissa la plantation à son fils, espérant que cette responsabilité le mettrait sur une meilleure voie, et s'installa avec sa sœur, Anna Payne Cutts, et son mari sur Lafayette Square.
Même à un âge avancé, Dolley était l'une des femmes du monde les plus recherchées de la ville. Sénateurs, hommes d'affaires et dignitaires s'arrêtaient tous pour lui rendre visite, et elle était l'une des invitées les plus régulières de la Maison Blanche. Mais toute cette attention l'obligea à continuer d'acheter des vêtements à la mode, ce qui alourdit encore sa dette. Todd n'arrangea pas les choses avec sa mauvaise gestion de Montpelier et sa descente dans l'alcoolisme. Finalement, en 1846, Dolley fut contrainte de vendre Montpelier et tous ses esclaves pour rembourser ses dettes; elle vendit même Paul Jennings, qui avait aidé à sauver le portrait de Washington, bien qu'il ait très vite été acheté par le sénateur Daniel Webster, qui le libéra. En 1848, elle vendit les documents du président Madison au Congrès pour 25 000 dollars. Dolley Madison mourut à son domicile de Washington le 12 juillet 1849 à l'âge de 81 ans; son fils ne lui survivrait pas longtemps; il mourut de la fièvre typhoïde en 1852. Aujourd'hui, Dolley Madison est souvent considérée comme l'une des meilleures premières dames, ayant contribué à définir le rôle de l'épouse du président et ayant joué un rôle majeur dans l'administration de son mari.