L'exode des Cheyennes du Nord (1878-1879) est le terme moderne utilisé pour désigner la tentative des Cheyennes du Nord, sous la direction des chefs Morning Star (Dull Knife, c. 1810-1883) et Little Wolf (également connu sous le nom de Little Coyote, c. 1820-1904), de quitter la réserve des Cheyennes dans le Territoire indien (aujourd'hui l'Oklahoma) et de retourner chez eux dans l'actuel Montana.
Après la bataille de Little Bighorn (25-26 juin 1876), au cours de laquelle les Cheyennes, les Sioux et les Arapahos vainquirent le 7e régiment de cavalerie du lieutenant-colonel George Armstrong Custer (1839-1876), Morning Star et Little Wolf rassemblèrent leurs forces pour tenter de remporter une nouvelle victoire amérindienne dans l'espoir de stopper l'expansion des États-Unis vers l'ouest. Ils furent vaincus lors de la bataille de Red Fork (également connue sous le nom de bataille de Dull Knife ) le 25 novembre 1876.
Les Cheyennes se rendirent à Fort Robinson, dans l'actuel Nebraska, en 1877, avec l'idée, basée sur le traité de Fort Laramie de 1868, qu'ils pourraient vivre avec les Sioux sur leurs terres ancestrales. Au lieu de cela, ils furent déportés de force dans le Territoire indien, au sud, où ils trouvèrent les conditions insupportables. En septembre 1878, Morning Star et Little Wolf conduisirent leur peuple hors de la réserve et se dirigèrent vers le nord.
Ils furent poursuivis par les autorités américaines jusqu'à ce qu'ils ne se séparent en octobre 1878, la bande de Morning Star se dirigeant vers la Red Cloud Agency pour demander la protection du chef Red Cloud (né en 1822-1909), et Little Wolf se dirigeant vers le territoire de la Powder River. La bande de Morning Star/Dull Knife fut appréhendée et emmenée à Fort Robinson où les autorités américaines tentèrent de les affamer pour qu'ils se soumettent et retournent dans le sud. La bande de Little Wolf réussit à atteindre la Powder River. Plus tard, les Cheyennes du Nord purent négocier la création de ce qui est devenu la réserve indienne des Cheyennes du Nord dans le Montana, où beaucoup de leurs descendants vivent encore aujourd'hui.
Contexte
L'expansion vers l'ouest des États-Unis au milieu du XIXe siècle avait entraîné des conflits entre les colons et les Indiens des plaines et d'autres peuples qui vivaient sur leurs terres depuis des milliers d'années. Le traité de Fort Laramie de 1851 était censé résoudre ces problèmes en définissant clairement les territoires de chaque nation ainsi que ceux ouverts à la colonisation par les citoyens américains. Ce traité ne fut cependant jamais respecté et fut rompu en 1858 lorsque de l'or fut découvert sur les terres autochtones, ce qui entraîna la ruée vers l'or de Pike's Peak.
Au lieu d'honorer le traité, le gouvernement américain envoya l'armée pour protéger des citoyens américains qui n'avaient aucun droit sur les terres qu'ils exploitaient et sur lesquelles ils s'installaient. La première guerre des Sioux (1854-1856), la guerre du Colorado (1864-1865) et la guerre de Red Cloud (1866-1868) furent autant de réactions autochtones à la rupture du traité et à l'expansion vers l'ouest. Le traité de Fort Laramie de 1868 mit fin à la guerre de Red Cloud et était censé prévenir d'autres conflits en établissant la grande réserve sioux, mais cet accord ne fut jamais respecté par le gouvernement américain et fut abandonné lorsque le lieutenant-colonel George Armstrong Custer découvrit de l'or dans les Black Hills (sur la réserve sioux) en 1874. Cette découverte entraîna la ruée vers l'or des Black Hills en 1876, à laquelle les Sioux, les Cheyennes et les Arapahos répondirent par la grande guerre des Sioux (1876-1877).
Custer et cinq divisions de la 7e cavalerie furent anéantis à la bataille de Little Bighorn par une coalition formée par le saint homme et chef sioux Sitting Bull (c. 1837-1890), qui incluait les Cheyennes et certains Arapahos. Morning Star/Dull Knife ne participa pas à la bataille, pas plus que Little Wolf (bien qu'il ait été sur le terrain le 25 juin). Après la bataille, Sitting Bull, Crazy Horse (c. 1840-1877), le chef de guerre sioux Gall (c. 1840-1894) et les autres chefs se dispersèrent, mais, inspirés par leur victoire, Morning Star/Dull Knife et Little Wolf mobilisèrent les guerriers cheyennes du Nord pour poursuivre le combat. Ils furent vaincus lors de la bataille de Red Fork (Bataille de Dull Knife) le 25 novembre 1876.
Territoire indien et exode
Morning Star/Dull Knife et Little Wolf se rendirent au général George R. Crook (1828-1890) à la Red Cloud Agency au Nebraska et on leur dit qu'ils pourraient y rester au moins un an, le temps de trouver un logement permanent. Les autorités de Washington, cependant, ordonnèrent à Crook d'envoyer les Cheyennes du Nord au sud, dans le Territoire indien, où les Cheyennes du Sud vivaient déjà dans une réserve. Crook et le colonel Ranald S. Mackenzie (1840-1889) promirent aux Cheyennes qu'une fois arrivés dans la réserve, s'ils ne s'y plaisaient pas, ils pourraient faire demi tour.
Morning Star/Dull Knife et Little Wolf refusèrent, mais le chef Standing Elk, plus influent, accepta les conditions et demanda à son peuple de se mobiliser pour partir vers le sud. 972 Cheyennes du Nord partirent en marche, et seuls 937 atteignirent leur destination. Certains d'entre eux quittèrent la colonne en cours de route, d'autres moururent d'épuisement, de maladie ou de froid. Ils atteignirent la réserve des Cheyennes du Sud au début du mois d'août 1877. L'universitaire Dee Brown écrit:
Au bout d'un jour environ, les Cheyennes du Sud invitèrent leurs parents du Nord à une fête tribale habituelle pour les nouveaux arrivants, et c'est là que Little Wolf et Dull Knife découvrirent pour la première fois que quelque chose n'allait pas. Le festin ne consistait qu'en un pot de soupe diluée; c'était tout ce que les Cheyennes du Sud avaient à offrir. Il n'y avait pas assez à manger dans ce pays vide - pas de gibier, pas d'eau claire à boire, et l'agent n'avait pas assez de rations pour les nourrir tous. Pour ne rien arranger, la chaleur de l'été était insupportable et l'air était rempli de moustiques et de poussière.
(334)
L'agent indien en charge, John D. Miles, encouragea les Cheyennes du Nord à se lancer dans l'agriculture et leur promit des rations supplémentaires pendant qu'ils plantaient leurs cultures, mais rien n'arriva. En outre, l'arrivée de 937 personnes supplémentaires mit à rude épreuve les réserves de nourriture et de matériel disponibles, de sorte que les Cheyennes du Sud en vinrent rapidement à éprouver du ressentiment à l'égard de leur présence et à refuser de la nourriture aux nouveaux-venus. Une épidémie de paludisme fut attribuée aux nouveaux arrivants, et le chirurgien du poste se retrouva rapidement à court de quinine pour la traiter; il ferma son bureau et s'en alla - car il ne pouvait rien faire pour qui que ce soit sans fournitures médicales, qui, bien que promises, se faisaient toujours attendre.
Little Wolf dit à Miles qu'il allait ramener son peuple au nord, comme Crook et Mackenzie lui avaient promis qu'il pourrait le faire, mais Miles répondit que c'était impossible à moins qu'un accord n'arrive de Washington, D.C.. Little Wolf poursuivit ses tentatives de négociation pour un départ pacifique des Cheyennes du Nord, mais les réponses de Miles étaient toujours les mêmes. Finalement, Little Wolf et Morning Star/Dull Knife décidèrent qu'ils devaient partir, autorisation ou pas, et Little Wolf alla voir Miles une dernière fois, lui disant qu'ils partaient et ajoutant:
Je ne veux pas voir le sang couler au sein de cette agence. Si vous voulez envoyer vos soldats à ma poursuite, j'aimerais que vous me laissiez d'abord m'éloigner un peu de cette agence. Ensuite, si vous voulez vous battre, je me battrai contre vous, et nous pourrons ensanglanter le sol à cet endroit.
(Brown, 340)
Miles ne croyait pas que les Cheyennes du Nord partiraient où que ce soit mais, pour s'en assurer, il affecta un détachement à leur garde et à la prévention de toute tentative d'évasion. Les soldats, tout comme Miles, ne croyaient pas que les Cheyennes du Nord entreprendraient une telle action et prirent donc l'habitude de dormir pendant la garde de nuit. Un matin, ils se réveillèrent et constatèrent que les Cheyennes du Nord avaient disparu. Les guerriers avaient volé des chevaux pendant des semaines et les avaient cachés en dehors de la réserve. Le 9 septembre 1878, les 350 membres de la bande s'étaient éclipsés, avaient enfourché leurs montures et s'étaient mis en route pour retourner chez eux, dans le nord du pays.
Bataille de Turkey Springs et raids du Kansas
Le 10 septembre à 3 heures du matin, l'alarme fut donnée et, plus tard, le capitaine Joseph Rendlebrock conduisit un détachement à leur poursuite. Little Wolf et Morning Star/Dull Knife l'avaient anticipé et avaient préparé une embuscade à Turkey Springs. Tous deux avaient participé à la guerre de Red Cloud et utilisèrent la même tactique que Crazy Horse lors du combat de Fetterman en décembre 1866, à savoir attirer les soldats dans une embuscade en envoyant des guerriers en petites bandes pour servir de leurres.
Rendlebrock envoya ses deux éclaireurs Arapaho pour négocier, et tandis que Morning Star/Dull Knife et Little Wolf les occupaient, leurs guerriers encerclaient les troupes dans le canyon. À peine les pourparlers terminés et les Arapahos revenus à Rendlebrock avec la nouvelle que les Cheyennes ne les suivraient pas jusqu'à la réserve, il ordonna à ses troupes de faire feu. Les Cheyennes n'ayant que peu de munitions, ils choisirent soigneusement leurs cibles et coincèrent les troupes les 13 et 14 septembre lors de ce que l'on appellerait la bataille de Turkey Springs. Rendlebrock ordonna finalement la retraite sous le feu des Cheyennes, perdant trois soldats mais s'échappant avec seulement trois blessés.
Les Cheyennes se dirigèrent vers le Kansas où Little Wolf envoya des groupes pour ramener de la nourriture, des provisions, des armes et des munitions, ainsi que des chevaux. Les groupes de raiders avaient pour instruction, dans la mesure du possible, d'éviter de tuer qui que ce soit afin de ne pas donner aux autorités américaines une raison supplémentaire de poursuivre les Cheyennes. Malgré cela, quelques personnes furent tuées et les raiders revinrent avec des provisions, des armes et des chevaux. Ces raids furent relatés dans les journaux locaux, encourageant les habitants à se joindre à l'armée pour traquer les Cheyennes.
Le lieutenant-colonel William H. Lewis dirigea ses troupes et ces volontaires, ainsi que des éclaireurs arapahos, pour trouver et soumettre la bande, qui était désormais considérée comme un dangereux groupe de renégats. Little Wolf et Morning Star/Dull Knife préparèrent une autre embuscade à Punished Woman's Fork, mais celle-ci fut gâchée lorsqu'un jeune guerrier tira sur les éclaireurs arapahos devant la colonne avant qu'elle n'ait complètement pénétré dans le canyon. Les Cheyennes ouvrirent tout de même le feu, blessant mortellement Lewis. Alors que les guerriers cheyennes étaient aux prises avec la cavalerie dans le canyon, un contingent de soldats, tournant autour d'eux, découvrit leurs chevaux et les tua. Après le repli des Cheyennes, la plupart d'entre eux durent se déplacer à pied.
Après une marche forcée d'au moins trois jours, les Cheyennes se reposèrent et Little Wolf envoya à nouveau des groupes de raiders. Bien que lui et Morning Star/Dull Knife aient déclaré plus tard qu'ils avaient donné le même ordre pour éviter une effusion de sang inutile, beaucoup plus de colons blancs furent tués cette fois-ci, des biens détruits et des femmes et des jeunes filles violées. Les Cheyennes s'enfoncèrent dans le Nebraska, évitant les troupes qui les poursuivaient à mesure qu'ils progressaient vers le nord.
Différentes routes et massacre de Fort Robinson
En octobre, Little Wolf et Morning Star/Dull Knife décidèrent de se séparer. Morning Star était fatigué de courir et voulait se rendre directement à la Red Cloud Agency, tandis que Little Wolf préférait passer l'hiver dans les collines du Nebraska, hors de vue de la cavalerie, et reprendre la marche au printemps. Morning Star/Dull Knife ignorait que la Red Cloud Agency avait été déplacée dans le Territoire du Dakota et que son ancien emplacement était désormais Fort Robinson.
Le 23 octobre, un contingent du Fort Robinson tomba sur la bande de Morning Star/Dull Knife et ils furent obligés de se rendre. Avant d'accepter de suivre les soldats jusqu'au fort Robinson, les Cheyennes démontèrent leurs fusils, cachant les différentes pièces dans leurs couvertures ou sur leurs personnes pour les faire passer pour des ornements sur les vêtements et les mocassins, ou comme des charmes et des amulettes. Le Fort Robinson ne pouvait pas aisément héberger les 150 nouveaux arrivants qui furent logés dans les baraquements.
Le commandant du fort, le capitaine Henry W. Wessells, souhaitait que les Cheyennes partent le plus rapidement possible, mais comprit que cela serait difficile avec l'arrivée de l'hiver. Il fit part de sa situation à Washington et, dans l'attente d'une réponse, il traita bien les Cheyennes, s'assurant qu'ils avaient suffisamment de nourriture et de couvertures. Le 3 janvier 1879, Wessells apprit que les Cheyennes allaient être renvoyés en Territoire indien. Red Cloud (1822-1909) fut amené à participer aux négociations, mais Morning Star/Dull Knife refusa de retourner dans le sud. Wessells enferma alors les Cheyennes dans les baraquements, barra les fenêtres et bloqua toutes les provisions, y compris l'eau et le bois pour les cheminées.
Le 9 janvier, les Cheyennes rassemblèrent leurs armes et tentèrent de s'enfuir lors de l'événement connu aujourd'hui sous le nom de "Massacre de Fort Robinson". Morning Star/Dull Knife et quelques autres s'enfuirent vers l'est, mais beaucoup d'autres furent capturés ou tués. Le capitaine Wessells trouva entre 32 et 37 Cheyennes, hommes, femmes et enfants, cachés dans un vallon sur Antelope Creek et ordonna à ses hommes de tirer et de continuer à tirer jusqu'à ce qu'ils soient tous morts, bien que douze d'entre eux aient survécu mais certains moururent plus tard de leurs blessures. Les victimes furent enterrées dans une fosse commune, connue sous le nom de "The Pit" (la fosse).
Morning Star/Dull Knife et son petit groupe atteignirent finalement la Red Cloud Agency où ils furent pris en charge et cachés de l'attention des autorités. Little Wolf, après la séparation des deux bandes, passa l'hiver dans les Sand Hills, comme il l'avait prévu, puis entama le voyage vers le nord lorsqu'ils furent trouvés par le lieutenant William P. Clark, qui était sensible à la cause cheyenne et les convainquit de se rendre.
Conclusion
Morning Star/Dull Knife resta ferme dans sa résolution de ne jamais retourner en Territoire indien, et après que les rapports du massacre de Fort Robinson eurent été repris par les journaux, l'opinion publique bascula en faveur des Cheyennes du Nord. Morning Star/Dull Knife réussit à négocier la création de la Tongue River Agency dans le territoire du Montana, aujourd'hui connu sous le nom de réserve indienne des Cheyennes du Nord. Il ne vécut cependant pas assez longtemps pour voir cette réserve officiellement reconnue en 1884, puisqu'il mourut de causes naturelles en 1883.
Little Wolf, comme beaucoup de ses guerriers, s'engagea comme éclaireur dans l'armée américaine et passa le plus clair de son temps à boire jusqu'à sa mort, également de cause naturelle, en 1904. Il est enterré près de Morning Star/Dull Knife dans le cimetière de Lame Deer, dans la réserve des Cheyennes du Nord.
Les décisions des autorités gouvernementales américaines qui conduisirent à l'exode des Cheyennes du Nord et au massacre de Fort Robinson sont typiques des politiques adoptées à l'égard des Indiens des plaines au XIXe siècle. Il n'y avait pas de véritable raison d'envoyer les Cheyennes du Nord au sud, et une fois qu'ils avaient accepté de partir, rien n'empêchait les autorités d'honorer la promesse faite par Crook et Mackenzie selon laquelle, s'ils n'aimaient pas le Territoire indien, ils pourraient rentrer chez eux.
Les Cheyennes du Nord ne demandaient rien de plus que ce qui leur avait été promis dans le traité de Fort Laramie de 1868 et par les deux officiers de l'armée américaine, et pourtant ils furent traités comme des fugitifs une fois qu'ils quittèrent l'Oklahoma et furent poursuivis sur plus de 700 miles (1125 km) dans leur tentative de retourner sur les terres qu'ils avaient toujours connues. Le professeur et auteur Joe Starita commente:
C'est l'un des instincts les plus profonds de la race humaine que de rentrer chez soi. C'est ce qu'ils voulaient faire.
(Williams, 3)
Aujourd'hui, l'exode des Cheyennes du Nord est commémoré par les descendants de ceux qui firent le voyage de l'Oklahoma au Montana et qui survécurent. L'événement est mis en scène dans le film Les Cheyennes (1964) de John Ford, basé sur le livre de Mari Sandoz, et l'histoire de l'exode a été retracée dans de nombreux autres films. L'histoire des Cheyennes du Nord en 1878-1879 reflète celle de nombreux autres peuples autochtones d'Amérique du Nord dont les terres furent arrachées par les États-Unis dans le cadre de leur vision de Destinée Manifeste, de progrès et de civilisation. Les politiques génocidaires des États-Unis ont toutefois échoué, puisque les Cheyennes ont survécu et continuent d'observer leurs pratiques culturelles et leurs traditions à l'heure actuelle.
