
Sojourner Truth (c. 1797 - 1883) était une abolitionniste afro-américaine, une militante pour le droit de vote des femmes et une activiste pour les droits civiques. Elle sortit de l'esclavage en 1826, intenta une action en justice pour obtenir le retour de son fils et, entre 1843 et sa mort en 1883, devint l'une des conférencières et des prédicatrices les plus populaires des États-Unis.
Truth était née en esclavage dans le comté d'Ulster, dans l'État de New York, sous le nom d'Isabella Bomefree (également connu sous le nom de Baumfree). Lorsque son maître refusa de la libérer, comme il le lui avait promis, en 1826, Isabella quitta son domaine et trouva refuge chez un voisin. En 1843, elle changea son nom en Sojourner Truth, convaincue que le Saint-Esprit l'avait chargée de dire la vérité sur l'esclavage. Elle s'impliqua ensuite dans le mouvement pour le droit de vote des femmes aux États-Unis et participa activement au recrutement de soldats noirs dans l'armée de l'Union pendant la guerre de Sécession.
Aujourd'hui, Truth est honorée dans tous les États-Unis par des statues, des noms de lieux, des monuments, et elle est la première femme afro-américaine à avoir un buste à son effigie au Capitole des États-Unis (en 2009).
Jeunesse et ventes
Isabella Bomefree vit le jour à Swartekill, New York (aujourd'hui Rifton, près de la ville d'Esopus), dans le comté d'Ulster, vers 1797. Elle était la fille de James et Elizabeth Bomefree, qui appartenaient au colonel Charles Hardenbergh (également connu sous les noms de Charles Ardinburgh et Johannes Hardenbergh). Elle faisait partie d'une famille de dix ou douze enfants, qui furent presque tous vendus à d'autres esclavagistes alors qu'elle était encore enfant, à l'exception de son frère Peter.
James avait été enlevé par des esclavagistes au Ghana et Elizabeth était la fille d'esclaves enlevés en Guinée. Comme Esopus avait été colonisé par les Néerlandais et comptait encore une importante population néerlandaise à la fin du XVIIIe siècle, ils avaient appris le néerlandais en deuxième langue, et l'enseignèrent à leurs enfants.
Leur mère apprit également à Isabella et Peter à prier, à toujours s'en remettre à Dieu et à se souvenir de leurs frères et sœurs lorsqu'ils regardaient les étoiles et la lune la nuit, vu que leurs frères et sœurs voyaient le même ciel, et qu'ils étaient donc toujours ensemble, même s'ils étaient séparés.
À la mort de Hardenbergh en 1806, Isabella, âgée de neuf ans, fut vendue aux enchères à Kingston, dans l'État de New York, à John Neely. Peter et sa mère devaient également être vendus, mais comme James Bomefree était vieux et infirme, il fut décidé qu'elle serait libérée pour s'occuper de lui, car personne d'autre ne voulait de cette charge. On ne sait pas ce qu'il advint de Peter à ce moment-là. Sa mère, puis son père, moururent quelques années après qu'elle eut été vendue à John Neely.
Dans son autobiographie de 1850, elle raconte qu'elle eut des difficultés dès le début avec les Neely parce qu'elle ne parlait que le néerlandais, que Neely ne connaissait que très peu et que Mme Neely ne connaissait pas du tout. Mme Neely se mettait en colère lorsqu'Isabella (Belle) apportait une mauvaise casserole à la cuisine ou commettait une autre erreur due à la barrière de la langue, et John Neely, alors, la battait.
Elle demanda à plusieurs reprises un meilleur maître et, en 1808, elle fut vendue au tavernier Martinus Scriver (également appelé Schryver) de Port Ewen qui, en 1810, la vendit à John Dumont de West Park. Chez les Dumont, elle eut le même problème avec sa maîtresse, mais pour une raison différente: M. Dumont était sexuellement attiré par elle et la viola à plusieurs reprises.
Vers 1815, Isabella tomba amoureuse de Robert, un esclave du domaine voisin, mais les propriétaires de Robert interdirent cette relation car, si Isabella tombait enceinte, ils n'auraient aucun droit sur les enfants et la relation ne serait donc pas rentable pour eux. Lorsque Robert s'aventura à voir Isabella sans la permission de son maître, il fut attrapé et sévèrement battu, avant de mourir.
Isabella épousa un autre esclave de la ferme Dumont, Thomas, et eut avec lui cinq enfants (dont l'un, Diana, aurait été engendré par Dumont à la suite d'un viol). Dans son autobiographie, elle décrit Dumont comme un maître bienveillant qui la protégeait de sa femme et l'aidait même à s'occuper de ses enfants, mais elle était toujours considérée comme sa propriété, sans pouvoir agir par elle-même.
Sortie de l'esclavage
L'État de New York entama le processus d'abolition de l'esclavage en 1799, la date du 4 juillet 1827 étant fixée pour l'émancipation totale de tous les esclaves. Dumont avait promis à Isabella de l'affranchir un an avant cette date en remerciement de ses bons et loyaux services mais, le moment venu, il refusa, prétextant qu'une blessure à la main l'avait rendue moins productive et qu'elle devrait rester en place une année de plus.
Comme beaucoup d'esclaves aux États-Unis, Isabella avait appris le concept d'Éphésiens 6:5: "Esclaves, obéissez à vos maîtres terrestres avec respect et crainte, et avec sincérité de cœur, comme vous obéiriez au Christ" et elle fila donc pour Dumont une certaine quantité de laine, par respect, mais résolut de partir une fois que ce serait fait.
Tôt un matin de l'automne 1826, Isabella prit sa fille Sophia et ses quelques affaires, et quitta la ferme des Dumont. Comme elle le dirait plus tard, "je ne me suis pas enfuie, car je pensais que c'était mal, mais je suis partie, croyant que c'était bien" (Delbanco, 142). Ne sachant pas où aller, elle s'arrêta pour nourrir Sophia et prier pour être guidée, puis elle se souvint d'un couple d'amis, Levi Rowe et sa femme, qui vivaient à proximité.
M. Rowe la reçut chaleureusement et la dirigea vers la maison de M. et Mme Van Wagener qui l'accueillirent. Lorsque Dumont la retrouva chez eux pour la ramener, M. Van Wagener acheta ses services pour le reste de l'année et la libéra. Elle fut alors connue sous le nom d'Isabella Van Wagener. À ce moment-là, elle apprit à parler anglais, mais garda toujours un accent néerlandais.
Réunion avec son fils
Elle n'avait pas pu emmener ses autres enfants lorsqu'elle partit car, selon la loi de l'État, en raison de leur âge, ils devaient servir un certain temps en tant que serviteurs sous contrat avant d'être pleinement émancipés. Peu après son arrivée chez les Van Wagener, elle appritque son fils, Peter, avait été vendu par Dumont à un parent, qui l'avait vendu à un certain Solomon Gedney, qui l'avait ensuite donné à un autre parent qui l'avait emmené dans sa plantation en Alabama.
Avec l'aide des Van Wagener, Isabella intenta un procès à Gedney pour obtenir le retour de son fils et, en 1828, gagna son procès au motif que Peter avait été illégalement expulsé de New York. Elle resta avec Peter chez les Van Wagener jusqu'en 1829, date à laquelle ils déménagèrent à New York. Entre 1833 et 1834, elle s'engagea dans le mouvement religieux du Royaume à Sing Sing (aujourd'hui Ossining, NY) dirigé par Robert Matthews (1788-1841, connu sous le nom de "Matthias"), un culte messianique appelé dans son autobiographie "The Matthias Delusion" (la délusion de Matthias). Isabella était la gouvernante de Matthews et fut impliquée, avec Matthews, dans le meurtre de l'homme d'affaires Elijah Pierson, mais tous deux furent acquittés par manque de preuves.
Isabella travaillait comme domestique et Peter finit par trouver du travail sur un baleinier. Il lui envoya des lettres de différents ports jusqu'en 1841, date à laquelle les lettres cessèrent d'être envoyées.
Isabella devient Sojourner Truth
Isabella continua à travailler comme domestique à New York jusqu'au dimanche de Pentecôte 1843, date à laquelle elle se sentit appelée par le Saint-Esprit à "prêcher la vérité" sur l'esclavage, changea son nom en Sojourner Truth et, emportant quelques effets personnels dans une taie d'oreiller, se mit en route pour faire ce vers quoi elle sentait que Dieu avait toujours orienté ses pas.
Truth prit la parole partout où elle se sentait appelée et rassembla de petites foules, traversant l'État de New York en direction du Massachusetts. Elle fut attirée par les prédications du pasteur apocalyptique William Miller (1782-1849) et de ses Millérites. Miller avait prédit que la seconde venue de Jésus aurait lieu le 22 octobre 1844 et, comme cela ne se produisit pas, il perdit beaucoup de ses adeptes, y compris Truth.
Elle rejoignit une communauté abolitionniste à Florence, dans le Massachusetts, peu après avoir quitté les Millérites, y rencontra certains des plus célèbres abolitionnistes de l'époque - dont Frederick Douglass (c. 1818-1895) et William Lloyd Garrison (1805-1879) - et prononça son premier discours contre l'esclavage devant un auditoire complet. Garrison fut particulièrement impressionné par Truth, tout comme une autre abolitionniste, Olive Gilbert. En 1850, Truth dicta son autobiographie à Gilbert et Garrison finança la publication de Récit de Sojourner Truth: une esclave du Nord.
Pour promouvoir son livre, et désormais avec le soutien de la communauté abolitionniste, Truth entama une série de tournées de conférences, plaidant en faveur du droit de vote des femmes et contre l'esclavage. En 1851, elle rejoignit l'abolitionniste George Thompson pour une tournée de conférences commune qui l'amena à la Convention des droits de la femme de l'Ohio à Akron, Ohio, événement qui donna naissance au discours le plus célèbre de Truth..
Ne suis-je pas une femme?
"Ain't I A Woman ?" (Ne suis-je pas une femme?), parfois appelée "Aren't I A Woman", est couramment interprété aujourd'hui lors de manifestations en l'honneur de Sojourner Truth, de l'histoire des Noirs en général ou de la commémoration de l'histoire de Juneteenth (jour de l'Émancipation), entre autres. La version habituellement récitée n'est cependant pas celle que Truth prononça en 1851 à Akron, dans l'Ohio, mais une réécriture de 1863 par l'abolitionniste et féministe Frances Dana Barker Gage (1808-1884). Leslie Podell, du projet Sojourner Truth, écrit:
La version populaire mais inexacte fut écrite et publiée en 1863 (12 ans après que Sojourner eut prononcé le discours "Ain't I a Woman") par une abolitionniste blanche du nom de Frances Dana Barker Gage. Curieusement, Frances Dana Barker Gage non seulement changea tous les mots de Sojourner, mais elle choisit également de représenter Sojourner parlant avec l'accent stéréotypé d'une "esclave noire du Sud", plutôt qu'avec l'accent hollandais du haut de l'État de New York, qui était propre à Sojourner. Frances Gage croyait peut-être que son action était bien intentionnée et qu'elle servait le mouvement blanc pour le suffrage et les droits des femmes de l'époque, au détriment de l'action et de l'autodétermination des femmes noires; cependant, sa réécriture était une grossière erreur d'interprétation des paroles et de l'identité de Sojourner Truth... La version la plus authentique du discours de Sojourner Truth "Ain't I a Woman" fut publiée pour la première fois en 1851 par le révérend Marius Robinson, un bon ami de Truth, dans l'Anti-Slavery Bugle et avait pour titre " Des droits des femmes". (1)
Marius Robinson (1806-1878), abolitionniste, écrivain, rédacteur et éditeur, était présent lorsque Truth prononça son discours en 1851; il le mit par écrit et le publia dans son journal antiesclavagiste. Ce discours, cependant, ne fut pratiquement jamais entendu. Le célèbre discours "Ain't I A Woman" a été accepté comme étant celui de Truth, alors qu'il s'agissait en fait d'une réécriture de Gage. Truth parlait un anglais soigné, concis et plein d'esprit avec son léger accent hollandais, comme l'a noté l'universitaire Nell Irvin Painter:
Femme d'une intelligence remarquable, malgré son analphabétisme, Truth avait une grande prestance. Elle était grande, environ 1,80 m, avec une charpente sobre mais solide. Sa voix était grave, si grave que les auditeurs la qualifiaient parfois de masculine, et sa voix chantée était merveilleusement puissante. Chaque fois qu'elle prenait la parole en public, elle chantait également. Personne n'a jamais oublié la puissance et le pathos du chant de Sojourner Truth, tout comme son esprit et l'originalité de son phrasé sont restés dans les mémoires. (3)
La version du discours de Gage effaça la voix de Truth et la remplaça par celle d'une caricature d'une "mère noire" stéréotypée du Sud des années 1850, plus familière à un public blanc. Cette version ne fit pas qu'éloigner Truth de son propre discours, elle l'éloigna du Nord et perpétua le mythe selon lequel l'esclavage était une "institution particulière" propre au Sud des États-Unis. Les deux versions du discours de Truth "Ain't I A Woman" peuvent être lues et écoutées sur le site du projet Sojourner Truth: https://www.thesojournertruthproject.com/compare-the-speeches/
Guerre civile et reconstruction
Entre 1851 et 1856, Sojourner Truth multiplia les discours sur l'esclavage, le droit de vote des femmes et la tempérance. En 1856, elle acheta une propriété à Northampton, dans le Massachusetts, où elle prévoyait de s'installer, mais en 1857, elle la vendit et déménagea à Battle Creek, dans le Michigan, où elle se rallia aux adventistes du septième jour, nouvelle incarnation des millérites.
Elle aida au recrutement dessoldats noirs pour l'armée de l'Union pendant la guerre de Sécession, ce qui, comme le note le chercheur James McPherson, transforma le conflit:
L'organisation de régiments noirs marqua la transformation d'une guerre visant à préserver l'Union en une révolution destinée à renverser l'ordre ancien. Le passage de Lincoln de la réticence à l'enthousiasme à l'égard des soldats noirs témoigna de la progression de cette révolution. En mars 1863, le président écrivit à Andrew Johnson, gouverneur militaire du Tennessee: "La simple vue de cinquante. mille soldats noirs armés et entraînés sur les rives du Mississippi mettrait fin à la rébellion sur-le-champ." (565)
Les efforts de Truth furent reconnus lorsqu'elle fut invitée à la Maison Blanche pour rencontrer le président Lincoln en 1864, alors qu'elle se trouvait à Washington D.C. pour travailler avec la National Freedman's Relief Association. La célèbre gravure de leur rencontre, Sojourner Truth examinant la Bible avec Abraham Lincoln, commémore leur rencontre, bien qu'elle n'ait pas été réalisée à l'époque, mais de nombreuses années plus tard, en 1893.
Pendant la Reconstruction, Sojourner Truth plaida en faveur de l'octroi de terres aux anciens esclaves, estimant qu'ils devaient recevoir des parcelles dans l'Ouest. C'est principalement grâce à l'action de Truth que de nombreux anciens esclaves prirent l'initiative de quitter la côte est et de se rendre dans l'ouest pour s'approprier des terres. Pendant toute cette période, elle continua à attirer des foules nombreuses à ses conférences et ne semblait jamais se fatiguer, même si elle encourageait, ou même menait, de nombreuses initiatives concernant l'égalité des droits pour les femmes et les Noirs. Painter commente:
Seule Truth eut la capacité de continuer à parler, année après année pendant trente ans, pour s'imposer dans plusieurs mouvements réformateurs américains. Même si les objectifs de ses missions sont devenus de plus en plus séculiers après le milieu du siècle, Truth était avant tout une prédicatrice itinérante, mettant l'accent à la fois sur l'itinérance et sur la prédication. De la fin des années 1840 à la fin des années 1870, elle parcourut le territoire américain, dénonçant l'esclavage et les esclavagistes, prônant la liberté, les droits des femmes, le suffrage féminin et la tempérance. (4)
Sojourner Truth poursuivit sa croisade jusqu'à ce que sa santé défaillante et son âge ne la ralentissent et ne la confinent dans sa maison de Battle Creek, dans le Michigan. Deux de ses filles s'occupèrent d'elle jusqu'à sa mort, le 26 novembre 1883, de causes naturelles.
Conclusion
Sojourner Truth était une révolutionnaire dans tous les sens du terme. Après avoir compris que Dumont ne tiendrait pas sa promesse de la libérer et que, si elle voulait la liberté, elle devrait la gagner par elle-même, elle ne cessa jamais de se battre pour renverser l'institution injuste et cruelle de l'esclavage et le système de croyances racistes qui la soutenait.
Quatre-vingt-dix ans avant que la militante Rosa Parks (1913-2005) ne soit arrêtée pour avoir refusé de céder sa place dans un bus à Montgomery, en Alabama, en signe de protestation contre les politiques discriminatoires, Sojourner Truth sautait à bord des tramways ségrégués de Washington, D.C., plaidant en faveur de la déségrégation et de l'ouverture des transports publics à tous, peu importe la couleur de la peau.
Elle se battit toute sa vie pour ses droits et ceux des autres, et nombre des questions contre lesquelles elle s'éleva constituent encore aujourd'hui des obstacles à l'égalité pour tous aux États-Unis. Pour ceux qui poursuivent son combat, Truth est une source d'inspiration et compte parmi les plus grands héros américains.