Halicarnasse (aujourd'hui Bodrum, Turquie) était une ancienne cité grecque ionienne de la région de Carie, située sur la côte de l'Anatolie. Elle est surtout connue pour être la ville natale d'Hérodote (484-425/413 av. J.-C.), le "père de l'histoire", et pour abriter le Mausolée d'Halicarnasse, l'une des sept merveilles du monde antique.
Selon la tradition, la ville fut fondée par des Grecs doriens du Péloponnèse qui s'étaient installés à l'origine sur l'île de Zéphyra, juste au large de la côte. Avec le temps, Zéphyra fut rattachée au continent par une accumulation de limon et les habitants étendirent leur établissement à la région connue par les Cariens sous le nom d'Alos Karnos, hellénisée sous le nom d'Halicarnasse. Cette région abritait à l'origine la civilisation mycénienne, comme le prouve la découverte de ses tombes distinctives, antérieures à celles des Doriens.
La ville prospéra sous les dynasties des Lygdamides (c. 520-450 av. J.-C.) et des Hécatomnides (c. 395-326 av. J.-C.) - en tant que satrapie de l'Empire perse achéménide - et ces deux dynasties jouèrent un rôle important dans l'histoire de la ville. C'est sous la dernière des Lygdamides, en 454 avant notre ère, qu'Hérodote fut contraint de quitter sa ville natale pour entreprendre les voyages qui allaient nourrir ses Histoires et, sous les Hécatomnides, le grand Mausolée fut construit par Artémise II de Carie pour son frère-époux Mausole.
La ville tomba aux mains d'Alexandre le Grand en 334 avant notre ère, après le siège d'Halicarnasse, qui la rendit ensuite à la dernière reine Hécatomnide, Ada, qui la lui légua dans son testament. Après la mort d'Alexandre, Halicarnasse fut prise à tour de rôle par ses généraux en guerre jusqu'à ce qu'elle ne tombe sous l'hégémonie de la dynastie ptolémaïque d'Égypte, qui la contrôla jusqu'à la mort de Cléopâtre VII en 30 avant notre ère, date à laquelle elle fut prise par Rome.
L'Halicarnasse romaine resta un centre de commerce important et, au début de l'ère chrétienne, elle devint l'un des évêchés les plus importants. En 1404, les chevaliers chrétiens de Saint-Jean établirent le château de Saint-Pierre dans la zone de l'ancienne Zéphyra, en utilisant des matériaux provenant des ruines du Mausolée. Le site fit l'objet de fouilles professionnelles en 1856-1857, puis en 1865, et les travaux se sont poursuivis jusqu'à aujourd'hui. Les ruines de la ville antique, ainsi que le château médiéval, figurent régulièrement parmi les attractions touristiques les plus populaires de la région.
Histoire ancienne
La civilisation mycénienne (c. 1700-1100 av. J.-C.) s'établit dans la région qui devint Halicarnasse vers la fin du XVe siècle avant notre ère. Plus de 40 tombes à tholos (en forme de ruche), caractéristiques des Mycéniens, ont été retrouvées près des ruines de la ville antique. Cela n'a rien d'étonnant puisque des centres de commerce mycéniens furent établis dans toute la Méditerranée antique, du Péloponnèse à Athènes, au Levant, en Anatolie, à Chypre et ailleurs.
La société et la culture mycéniennes avaient été influencées par la civilisation minoenne antérieure (2000-1450 av. J.-C.), notamment par le commerce maritime minoen. Successeurs des Minoens, les Mycéniens suivirent les routes commerciales établies et en créèrent de nouvelles, notamment sur le site de la future Halicarnasse. Les navires maritimes tels que l'épave d'Uluburun - un navire marchand du XIVe siècle avant notre ère découvert au large de la Turquie en 1982 - auraient accosté au port d'Anatolie pour échanger leurs marchandises avant de se rendre sur le marché suivant.
Au début de la période archaïque (VIIIe siècle - c. 480 av. J.-C.), les Doriens des villes d'Argos et de Trézène, dans le Péloponnèse, s'installèrent sur Zéphyra, puis gagnèrent le continent avant ou après que l'île eut été rattachée à la côte. Selon la légende, ils auraient été conduits sur le site par Anthas, un fils du dieu de la mer Poséidon, qui devint le fondateur de la ville, Poséidon et Athéna devenant ses divinités protectrices.
Quelque temps après sa fondation (sans que l'on connaisse la date précise), Halicarnasse fit partie de l'Hexapole dorienne, une fédération de six cités doriennes, dont :
- Camiros (à Rhodes)
- Cnide (en Carie)
- Cos (sur Cos ou Kos)
- Halicarnasse (en Carie)
- Ialysos (à Rhodes)
- Lindos (sur Rhodes)
Ces six villes s'allièrent pour leur défense mutuelle et le commerce et célébraient leurs liens par un festival organisé sur la péninsule triopienne (nommée d'après Triopas, le fondateur mythique de Cnide et fils de Poséidon) en l'honneur d'Apollon Triopien dont le sanctuaire était situé à cet endroit. Le festival comportait des jeux avec des règles strictes pour les gagnants du prix du trépied d'airain et ces règles étaient toujours respectées jusqu'à ce qu'un concurrent d'Halicarnasse ne décide de les ignorer. Hérodote raconte comment l'Hexapole dorienne devint la Pentapole dorienne :
Il en est de même des Doriens de la Pentapole, pays qui s'appelait auparavant Hexapole. Ils se gardent bien d'admettre au temple triopique aucuns Doriens de leur voisinage ; et même s'il est arrivé à quelque-un d'entre eux de violer les lois de ce temple, ils l'en ont exclu. En voici un exemple. Dans les jeux qui se célèbrent en l'honneur d'Apollon Triopien, on proposait autrefois des trépieds d'airain pour les vainqueurs ; mais il ne leur était pas permis de les emporter du temple, il fallait les y consacrer au dieu. Un habitant d'Halicarnasse, nommé Agasiclès, ayant obtenu le prix à ces jeux, emporta, au mépris de cette loi, le trépied dans sa maison, et l'y appendit. Les cinq villes doriennes, Lindos, Ialyssos, Camiros, Cos et Cnide, punirent Halicarnasse, qui était la sixième, en l'excluant de leur association. (Livre I.144, trad. Larcher, Remacle)
On ne sait pas quel fut l'impact global sur Halicarnasse, mais l'exclusion de la ville de l'Hexapole dorienne encouragea très probablement sa loyauté ultérieure envers l'Empire perse achéménide, contrairement à d'autres colonies grecques ioniennes et doriennes d'Anatolie.
Dynastie des Lygdamides
Cyrus II (également connu sous le nom de Cyrus le Grand, r. d'environ 550 à 530 av. J.-C.) intégra la Carie à l'empire achéménide en 545 av. J.-C. après avoir conquis le royaume de Lydie en Asie Mineure en 546 av. J.-C. à la suite de la bataille de Thymbra. Conformément à la politique perse, un satrape (gouverneur) fut chargé de contrôler la région et, vers 520 avant notre ère, le satrape qui gouvernait depuis Halicarnasse était Lygdamis Ier (r. d'environ 520 à 484 av. J.-C.), fondateur de la dynastie des Lygdamides. On sait peu de choses de son règne, si ce n'est qu'il était d'origine gréco-carienne et qu'il n'est presque jamais cité qu'en tant que père d'Artémise Ire de Carie, son successeur.
Artémise Ire (480 av. J.-C.) fut rendue célèbre par le récit d'Hérodote sur son commandement des forces perses lors de l'invasion de la Grèce en 480 av. J.-C. sous Xerxès Ier (r. de 486 à 465 av. J.-C.). Selon Hérodote, elle se distingua d'abord en conseillant à Xerxès Ier d'éviter d'engager les Grecs dans une bataille navale, puis, après qu'il eut ignoré son conseil et que la bataille de Salamine fut une défaite pour les Perses, elle se distingua comme l'un des commandants les plus compétents (bien que, toujours selon Hérodote, ce serait en fait pour avoir coulé un navire allié des Perses qui, aucun membre de l'équipage n'ayant survécu, a été supposé être grec). Elle aurait accompagné les enfants de Xerxès Ier à Éphèse après la défaite de ce dernier, avant de disparaître de l'histoire.
Son fils Pisindelis (r. d'environ 460 à 454 av. J.-C.), dont on ne sait presque rien, si ce n'est qu'Halicarnasse semble avoir prospéré sous son règne, lui succéda, ainsi que Lygdamis II (r. d'environ 454 à 450 av. J.-C.). L'autorité de Lygdamis II fut contestée par une coalition de citoyens qui tentèrent de le renverser, dont le poète Panyassis d'Halicarnasse (+ 454 av. J.-C.) qui était un parent (peut-être un oncle) d'Hérodote. Le coup d'État échoua et Panyassis fut exécuté. On pense que cet événement retourna l'opinion populaire contre la famille, ce qui incita Hérodote à quitter la ville et à commencer ses voyages en 454 avant notre ère. Il consigna ces voyages et diverses observations dans les neuf livres de ses Histoires, publiés entre 430 et 415 avant notre ère, qui ont établi le genre de l'écriture historique.
Après la mort de Lygdamis II en 450 avant notre ère, Halicarnasse rejoignit la Ligue de Délos, une fédération de cités-États grecques sous direction athénienne, basée sur l'île de Délos et fondée pour protéger la Grèce d'une nouvelle invasion perse. Après la deuxième guerre du Péloponnèse (431-404 av. J.-C.), la Ligue de Délos fut dissoute par les Spartiates victorieux. En 395 avant notre ère, Halicarnasse repassa sous le contrôle des Perses achéménides, sous la direction du satrape Hécatomnos (r. d'environ. 395 à 377 av. J.-C.), fondateur de la dynastie des Hécatomnides.
Dynastie des Hécatomnides
Mausole (r. d'environ 377 à 353 av. J.-C.) et sa sœur-épouse Artémise II (qui lui succéda en tant que souveraine unique 353-351 av. J.-C.) succédèrent à Hécatomnos. Les Hécatomnides mariaient les frères à leurs sœurs pour s'assurer qu'il n'y aurait pas d'opposants au contrôle du trône par la famille, mais on pense que ces unions étaient symboliques et, peut-être, destinées à véhiculer une image d'équilibre et de stabilité (bien qu'il ne s'agisse là que d'une hypothèse).
Mausole était satrape d'Halicarnasse lors de la grande révolte des satrapes de 372 à 362 avant notre ère, lorsque certains satrapes, mécontents de la politique du souverain perse Artaxerxès II Memnon (r. de 404 à 358 av. J.-C.), se soulevèrent contre lui avec le soutien de l'Égypte. Mausole, manifestement expert en diplomatie, resta fidèle à Artaxerxès II mais joua sur les deux tableaux pour servir ses propres intérêts. Chaque satrapie était tenue de payer des impôts au roi et, à un moment donné, Mausole dit aux satrapes rebelles qu'il n'était pas en mesure de payer mais qu'Artaxerxès II avait fait preuve d'indulgence lorsqu'il lui promit de payer plus que ce qui était dû plus tard. Il les encouragea à en faire de même car, même s'ils étaient en rébellion, ils ne voulaient pas risquer la colère du roi. Les satrapes firent ce qu'il leur proposait et, au moment de payer, le versement plus important couvrit ce que devait Mausole, qui lui ne paya rien.
Bien que nominalement satrape de Perse, la politique de Mausole suivait régulièrement ce même paradigme d'enrichissement personnel et de son royaume aux dépens d'autrui. Autre exemple à l'époque de la révolte du Grand Satrape: il dit aux principaux citoyens d'Halicarnasse qu'il disposait d'informations fiables sur la marche d'Artaxerxès II dans leur direction et qu'il avait besoin de fonds d'urgence pour construire un mur de défense. Après avoir reçu les fonds, il les déposa sur son compte privé et dit au peuple que les dieux l'avaient informé que le moment n'était pas propice à la construction d'un mur et, vraisemblablement, qu'Artaxerxès II avait changé de direction.
Il s'assura cependant que sa ville était bien entretenue, faisant construire de nouvelles routes, des quais, des bâtiments publics et des jardins, des temples, un canal et, finalement, même cette fameuse muraille. Il semble avoir été un souverain populaire et, après sa mort (de causes naturelles), sa femme fit construire un grand tombeau pour lui. Le nom de Mausole est à l'origine du terme mausolée, qui provient de son célèbre tombeau, le Mausolée d'Halicarnasse, l'une des sept merveilles du monde antique.
L'écrivain romain Pline l'Ancien (Ier siècle de notre ère) décrit le mausolée comme une grande structure de 45 mètres de haut et de 140 mètres de circonférence, entourée de 36 colonnes et surmontée d'une pyramide couronnée d'une statue de Mausole en hercule conduisant un char à quatre chevaux (Histoire naturelle, 36.4). Bien que l'ouvrage ait été commandé par Artémise II, il avait été conçu, du moins dans ses grandes lignes, par Mausole, et sa construction fut supervisée par l'architecte Pythéos de Priène (l. IVe siècle av. J.-C.), également connu pour son travail sur le temple d'Athéna Polias à Priène.
Artémise II (titre qui ne lui fut donné qu'à l'époque moderne pour la différencier d'Artémise I de Carie) gouverna seule pendant deux ans après la mort de Mausole jusqu'à ce que, selon Strabon, elle ne "dépérisse et meure de chagrin à cause de son mari" (Géographie, Livre 14 ; 17). Après sa mort, les travaux du mausolée se poursuivirent par respect pour elle et son mari et furent achevés vers 350 avant notre ère. Son frère Idrieus (r. de 351 à 344 av. J.-C.) et sa sœur Ada lui succédèrent.
Après la mort d'Idrieus en 344 avant notre ère, Ada régna seule jusqu'en 340 avant notre ère, date à laquelle elle fut déposée par son frère cadet Pixodaros (r. de 340 à 335 av. J.-C.), qui renonça à la tradition familiale et épousa une noble du nom d'Apheida. De ce mariage naquit une fille, Ada (appelée Ada II pour la distinguer de sa tante), qui épousa le noble perse Orontobatès, qui succéda à Pixodaros à sa mort en 335 avant notre ère. Orontobatès régnait sur Halicarnasse lorsque Alexandre le Grand et son armée apparurent devant la ville.
Siège d'Halicarnasse
Lorsque Pixodaros s'empara du trône, Ada s'enfuit (ou fut exilée) dans la ville d'Alinda, située à l'intérieur des terres et dotée d'une grande forteresse. Alexandre arriva à Alinda en 334 et fut accueilli chaleureusement par Ada. Strabon décrit la suite des événements :
Ada, fille d'Hécatomnos, que Pixodaros avait chassé, implora Alexandre et le persuada de lui restituer le royaume qui lui avait été enlevé, promettant de l'aider à lutter contre les régions en révolte, car ceux qui les détenaient étaient de sa famille. Elle lui donna également Alinda, où elle vivait. Il accepta et la proclama reine. Lorsque la ville [Halicarnasse] fut prise, à l'exception des hauteurs, il lui en confia le siège. Les hauteurs furent prises un peu plus tard, le siège étant devenu un sujet de colère et de haine. (Géographie, Livre 14;17)
Orontobatès et le général Memnon de Rhodes (c. 380-333 av. J.-C.) avaient scellé les portes des murailles d'Halicarnasse contre Alexandre. Avec l'aide d'Ada, Alexandre avait envoyé des émissaires dans la ville pour prendre contact avec les factions qui s'opposaient au règne d'Orontobatès et qui, espérait-on, ouvriraient les portes. Cet effort fut contrecarré par Memnon de Rhodes, un Grec combattant du côté des Perses, qui lança son infanterie, soutenue par des catapultes sur les murs, contre les forces d'Alexandre qui attendaient.
L'infanterie d'Alexandre fut repoussée, mais elle se regroupa, chargea et ouvrit une brèche dans les murs. Comprenant que la journée était perdue, Orontobatès et Memnon s'enfuirent avec leur entourage et tout ce qu'ils purent transporter à Cos après avoir mis le feu à la ville. Le feu se propagea rapidement et la majeure partie d'Halicarnasse fut détruite avant que le feu ne puisse être maîtrisé. Alexandre remit la ville en ruines à Ada, qui l'adopta officiellement comme son fils et lui légua son royaume. Le siège et l'incendie mirent fin aux meilleurs jours d'Halicarnasse qui, même après sa restauration, ne semble pas avoir atteint les sommets qu'elle avait connus sous le règne de Mausole et d'Artémise II.
Conclusion
Après la mort d'Alexandre en 323 avant notre ère, ses généraux se disputèrent le contrôle de son empire dans le conflit connu sous le nom de guerres des Diadoques. Halicarnasse passa finalement à son général Antigone Ier (en 311 av. J.-C.), puis à Lysimaque (après 301 av. J.-C.) et enfin aux Ptolémées d'Égypte jusqu'en 30 avant notre ère, date à laquelle, après la mort du dernier monarque ptolémaïque, Cléopâtre VII, la ville passa sous la domination romaine. Une série de tremblements de terre détruisit une grande partie de la ville ainsi que le grand mausolée, tandis que des attaques répétées de pirates en provenance de la Méditerranée causèrent d'autres ravages dans la région.
Au début de la période chrétienne, alors qu'Halicarnasse était un important évêché, il ne restait plus grand-chose de la ville de Mausole. En 1404, les chevaliers chrétiens de Saint-Jean utilisèrent les ruines du mausolée pour construire leur château à Bodrum (qui existe toujours et où l'on peut encore voir les pierres qui faisaient autrefois partie d'une merveille du monde antique). Comme indiqué, les ruines de la ville ont fait l'objet de fouilles approfondies au XIXe siècle, qui se poursuivent encore aujourd'hui. Une grande partie de la grande muraille, le gymnase, une colonnade tardive, une plate-forme de temple, des tombes taillées dans le roc et le site du mausolée (jonché des pierres non utilisées par les chevaliers) sont encore visibles aujourd'hui et sont visités chaque année par des milliers de touristes du monde entier.