Zénon d'Élée (c. 465 av. J.-C.) était un philosophe grec de l'école éléatique et un élève de son aîné Parménide (c. 485 av. J.-C.), dont les travaux ont influencé la philosophie de Socrate (c. 470/469-399 av. J.-C.). Zénon et Parménide sont tous deux définis par les chercheurs modernes comme des philosophes présocratiques, dans la mesure où leurs travaux sont antérieurs à ceux de Socrate.
Les conclusions tirées par les philosophes présocratiques et par Socrate seraient plus tard développées par les élèves de Socrate, notamment par Platon (428/427-348/347 av. J.-C.), qui influencerait ensuite son élève Aristote (384-322 av. J.-C.), et la contribution particulière de Zénon à cet égard serait l'établissement de la dialectique, une méthode d'enquête et d'argumentation philosophique que l'on connaît mieux grâce aux dialogues de Platon. Les œuvres de Platon et d'Aristote formeraient plus tard la base de la philosophie occidentale et influenceraient le développement des fondements philosophiques des trois grandes religions monothéistes que sont le judaïsme, le christianisme et l'islam.
On sait peu de choses sur la vie de Zénon en dehors de son association avec l'école éléatique fondée par Parménide. Parménide s'opposait à la validité des sens et à la prétendue vérité qu'ils révèlent sur le monde. Comme tous les écrits des philosophes présocratiques, l'œuvre de Parménide cherche à établir la forme sous-jacente de l'être - la Cause première - cette "matière" essentielle d'où provient toute la vie et le monde sensible.
Parménide affirmait que les définitions précédentes de cette "matière" étaient erronées en ce sens qu'elles postulaient des éléments individuels comme l'eau (selon Thalès de Milet, c. 585 av. J.-C.) ou l'air (selon Anaximène, c. 546 av. J.-C.) alors qu'en fait, aucun de ces éléments ne pouvait être la Cause première parce qu'ils faisaient partie de la réalité observable et expérimentale. Selon Parménide, la cause première devait être la forme sous-jacente de la réalité, et il affirmait que cette forme sous-jacente était en fait la réalité elle-même (qu'il appelait Être) et que toute la réalité et l'existence observable étaient Une. Ses affirmations furent clarifiées par Mélissos de Samos (c. le Ve siècle av. J.-C.), qui est souvent considéré comme le "troisième éléate" après Parménide et Zénon pour ses développements de la vision moniste de l'existence.
Le monisme de Parménide
Parménide est connu en tant que fondateur du monisme, selon laquelle la réalité est uniforme, entière, ininterrompue et indestructible, et que le changement est donc illusoire. Ce que l'on perçoit comme un changement dans la vie, y compris le temps et le mouvement, n'est qu'une altération de l'apparence et non de l'essence. Si l'on voyageait d'Athènes à Éleusis, par exemple, on comprendrait que les rues, les bâtiments et les gens différents que l'on rencontrerait à Éleusis signifieraient que cette ville est différente d'Athènes et que l'on a changé d'endroit. En réalité, selon Parménide, Athènes et Éleusis participent toutes deux à l'uniformité de la réalité et sont, par essence, le même endroit; seule la perception sensorielle permet de conclure à tort qu'elles sont différentes.
Selon Parménide, si une personne plaçait une planche, un marteau et un clou sur une table, la perception sensorielle indiquerait qu'il y a trois objets distincts sur cette table. Pour Parménide, cette conclusion serait toutefois erronée, car la planche, le marteau et le clou sont tous composés du même matériau de base et participent à l'unité de l'existence; ainsi, malgré ce que l'on pourrait conclure par les sens, les trois objets ne font en réalité qu'un. Comme Parménide avait de nombreux détracteurs qui affirmaient qu'il était évident qu'une planche, un marteau et un clou étaient différents et qu'Athènes et Éleusis l'étaient également, Zénon écrivit 40 paradoxes philosophiques célèbres (connus sous le nom d'Arguments sur le mouvement) qui cherchaient à prouver logiquement la véracité de l'affirmation de son maître.
Les paradoxes de Zénon
Sur les 40 paradoxes que Zénon est censé avoir écrits, moins de dix existent aujourd'hui, conservés dans la Physique d'Aristote. On ne sait pas quels sujets les autres abordaient, mais ceux qui ont survécu se concentrent sur l'impossibilité du mouvement. Zénon devait prouver que le mouvement était une illusion car mouvement = changement (on se déplace d'un endroit à un autre dans un laps de temps donné) et, si l'Être est Un et indivisible, le changement ne peut en faire partie.
Arguant contre le mouvement, l'acceptation de la perception sensorielle et la pluralité suggérée par les sens, il a écrit les Paradoxes du mouvement comme une méthode de preuve pour démontrer que, logiquement, le changement et le mouvement ne peuvent pas exister. Son argumentation philosophique est présentée à travers les paradoxes connus sous les noms de La dichotomie, L'Achille, La flèche et Le stade, tous présentant le même point de vue fondamental. Les paradoxes de Zénon fascinent les mathématiciens et les logiciens depuis des centaines d'années et n'ont toujours pas été résolus de manière satisfaisante.
Le paradoxe de la dichotomie montre que le mouvement est un mensonge des sens et qu'il ne peut exister logiquement en montrant que l'on ne peut jamais atteindre une destination donnée. Ce paradoxe affirme que, si une coureuse doit faire un sprint de 100 mètres, elle doit d'abord parcourir la moitié de cette distance. Pour parcourir la moitié de cette distance, elle doit d'abord parcourir la moitié de cette distance et, pour ce faire, elle doit d'abord parcourir la moitié de cette distance. Par cette progression, Zénon a montré que, quelle que soit la distance parcourue, il était toujours impossible, logiquement, pour le coureur d'atteindre son objectif. Quelle que soit la distance parcourue, il y aura toujours une distance qui séparera le coureur du but, en raison de la divisibilité infinie de la ligne médiane. Puisque le mouvement est impossible, Zénon prétend prouver que le changement est impossible et que toute la réalité perçue doit être Une, immuable, incréée et éternelle. Les arguments qui s'y opposent, selon lui, proviennent de l'illusion créée par la perception sensorielle.
Le paradoxe d'Achille présente le même argument mais utilise deux figures, un coureur rapide (un homme puissant comme Achille), poursuivant un coureur lent qui a une avance considérable. Zénon soutient que le coureur lent ne sera jamais dépassé par le coureur rapide car, à tout moment, le coureur rapide doit d'abord atteindre le point où le coureur lent a commencé à courir et doit ensuite atteindre le point à mi-chemin entre ce point et le point où le coureur lent se trouve devant lui et puisque, comme dans la dichotomie, il y a plusieurs points à mi-chemin, le coureur rapide ne peut pas rattraper le coureur lent et donc le mouvement, et le changement, sont illusoires. Un athlète compétent, affirme Zénon, ne pourrait même pas rattraper le coureur le plus lent, car celui-ci serait toujours en tête.
Dans La flèche, Zénon s'oppose à nouveau à la possibilité du mouvement en établissant tout d'abord que tout objet matériel, par nature, occupe de l'espace. Lorsqu'une flèche est tirée d'un arc, elle semble se déplacer dans l'espace mais, comme il s'agit d'un objet matériel, elle doit occuper l'espace dans lequel elle se trouve et, à chaque instant, elle est immobile dans cet espace. La flèche peut sembler se déplacer dans l'air mais, logiquement, elle ne se déplace pas du tout. Le paradoxe du stade présente le même argument que les autres, mais utilise plusieurs personnes se déplaçant dans des directions différentes sur le terrain d'un stade pour faire valoir son point de vue.
L'affirmation de Parménide et les paradoxes de Zénon semblaient absurdes à un public antique (comme ils pourraient l'être à un public moderne), mais leur affirmation était que toutes les choses doivent provenir de quelque chose - rien ne vient de rien - mais l'Être ne suggère pas de point d'origine. L'être a toujours existé et a toujours existé en tant qu'essence unique. Les gens perçoivent les différentes entités, les objets et les animaux comme étant nombreux, mais ces nombreux sont un en essence. Les apparences peuvent changer - il peut sembler qu'une flèche vole d'un point à un autre - mais ces apparences ne peuvent en aucun cas affecter l'essence de la réalité immuable.
La critique de Platon
Parmi ceux qui ont critiqué les paradoxes, on trouve Platon. La philosophie de Platon fut fortement influencée par Parménide dans le développement de sa théorie des formes, un domaine supérieur de la vérité dont le monde observable n'est qu'un reflet. Comme l'essence immuable de Parménide, les Formes de Platon étaient parfaites, éternelles et informaient le monde des sens, qui était en grande partie illusoire. En même temps, Platon critiquait les paradoxes de Zénon comme établissant des paradigmes confus et manquant la vérité fondamentale de l'Unité.
Dans son dialogue du Parménide, Platon énonce la critique fondamentale des affirmations de Parménide et de Zénon lorsqu'il fait dire à Socrate:
Si quelqu'un pouvait prouver que le semblable absolu devient différent, ou que le contraire absolu devient semblable, ce serait, à mon avis, une merveille; mais il n'y a rien d'extraordinaire, Zénon, à montrer que les choses qui ne font que participer à la ressemblance et à la non ressemblance connaissent l'une et l'autre. De même, si quelqu'un montrait que tout est un en participant à un, et en même temps plusieurs en participant à plusieurs, cela ne serait pas très étonnant. Mais s'il me montrait que l'un absolu est multiple, ou que le multiple absolu est un, je serais vraiment stupéfait. Et il en va de même pour tous les autres: Je serais surpris d'apprendre que les natures ou les idées elles-mêmes ont ces qualités opposées; mais pas si quelqu'un voulait me prouver que je suis plusieurs et aussi un. Si l'on veut prouver que je suis multiple, on dira que j'ai un côté droit et un côté gauche, un devant et un derrière, une moitié supérieure et une moitié inférieure, car je ne peux nier que je participe à la multitude; si l'on veut prouver que je suis un, on dira que nous sommes sept, nous qui sommes ici réunis, et que je suis un et que je participe à l'un. Dans les deux cas, il prouve ce qu'il avance.
De même, si quelqu'un démontre que des choses telles que le bois, les pierres et autres, qui sont multiples, sont également une, nous admettons qu'il démontre la coexistence de l'un et du multiple, mais il ne démontre pas que le multiple est un ou que l'un est multiple; il n'énonce pas un paradoxe, mais un truisme. Si toutefois, comme je viens de le suggérer, quelqu'un devait abstraire les notions simples de semblable, de différent, d'un, de plusieurs, de repos, de mouvement et d'autres idées semblables, et montrer ensuite que ces notions admettent en elles-mêmes le mélange et la séparation, je serais très étonné. Cette partie de l'argument semble être traitée par vous, Zénon, d'une manière très vive; mais, comme je le disais, je serais bien plus étonné si quelqu'un trouvait dans les idées elles-mêmes qui sont appréhendées par la raison, la même énigme et le même enchevêtrement dont vous avez montré l'existence dans les objets visibles. (127E)
Dans ce passage, Socrate demande comment le "plusieurs" peut être "un" dans le monde physique, et pas seulement dans le monde abstrait. La planche, le marteau et le clou placés sur la table sont, de toute évidence, trois objets qui ne participent pas aux propriétés les uns des autres. La planche est en bois, le marteau en bois et en métal, le clou en métal uniquement. Il est impossible de classer ces objets dans la catégorie "un", mais il faut nécessairement les considérer comme "plusieurs". Puisque, selon l'argument de Socrate, Zénon ne va jamais au-delà des phénomènes observables pour faire valoir son point de vue, la vérité de l'uniformité de la réalité n'est pas prouvée.
Réponse de Zénon
Zénon répond à cet argument en montrant que le "plusieurs" doit être "un" car, pour que la pluralité existe, la logique ne pourrait pas exister. Puisque la séquence logique et la compréhension existent, il ne peut y avoir de pluralité. Le professeur J. M. Robinson commente ce point:
Comme nous pouvons le voir dans la première hypothèse du premier argument du traité de Zénon, la thèse selon laquelle les choses sont multiples donne lieu à des conséquences qui sont même incohérentes entre elles; car si les choses sont multiples, elles doivent être "à la fois semblables et différentes" et cela est impossible non pas parce que cela viole la perception sensorielle (qui est, après tout, faillible), mais parce que cela viole la loi de la contradiction, qui est à la base de toute pensée. (128)
On ne peut donc pas prétendre que la planche, le marteau et le clou sont "plusieurs" en ce sens que les trois objets participent de la même substance de base de l'Un. Une personne peut regarder les trois objets et prétendre qu'il y a "beaucoup" d'objets sur la table, mais ce ne serait que l'expression d'une confiance dans la perception sensorielle, et non une appréhension valide de la vérité. En outre, l'affirmation selon laquelle il y a "plusieurs" qui constituent la réalité, au lieu d'un seul, rend la logique impossible parce que l'on aurait alors affaire aux nombreuses réalités de chaque personne individuelle mais, parce que le discours logique et l'argumentation philosophique sont possibles, il doit y avoir un terrain commun partagé par tous; ce terrain commun est l'Être.
Conclusion
Zénon soutenait que la confiance dans les sens mène à des conclusions contradictoires, dans la mesure où quelque chose qui existe et qui "est" ne peut pas ne pas exister et ne pas être, et pourtant les sens nous disent que tout est toujours en train de changer de ce qu'il "est" à quelque chose qu'il "n'est pas". La perception sensorielle soutient l'affirmation du philosophe présocratique Héraclite (c. 500 av. J.-C.) - avec lequel Parménide et Zénon étaient en désaccord - selon laquelle "la vie est un flux" et que tout est en mouvement et en transformation constants. Pour Héraclite, la cause première était le feu - un élément transformateur - et cela reflétait la nature même de la vie qui était, en fait, un changement constant.
Pour Zénon, il s'agissait d'une conclusion erronée fondée sur une perception sensorielle peu fiable. Ce qui est ne peut pas ne pas être, car il contiendrait alors en lui-même la contradiction d'avoir les qualités d'"être" et de "ne pas être" et, comme cela défie la logique, il ne peut pas être tenu pour vrai. En cela, Parménide et Zénon étaient en totale contradiction avec la philosophie d'Héraclite mais, en même temps, ils semblaient partager sa conviction que la majorité des êtres humains ne pouvaient pas, ou ne voulaient pas, chercher à comprendre la vérité qui se cache derrière la réalité apparente fournie par les sens. Bien que les trois philosophes se soient opposés à l'acceptation de la perception sensorielle en tant que vérité, ils ont reconnu que les gens en général sont plus à l'aise pour appeler leurs perceptions et leurs opinions "vérité" que pour les remettre en question.
Cette concession à l'égard de l'autre n'irait cependant pas plus loin, car la vision philosophique d'Héraclite est totalement opposée à la vision moniste. Le monisme de Parménide et les paradoxes de Zénon ne pouvaient admettre aucune vérité de la pluralité et rester cohérents. Selon eux, ils n'avaient pas à le faire, car on pouvait admettre l'apparence du changement sans reconnaître un quelconque changement dans l'essence de la réalité fondamentale.