Jézabel (m. c. 842 av. JC) était la princesse phénicienne de Sidon qui épousa Achab, roi d'Israël (r. c. 871 - c. 852 av. JC) selon les livres bibliques I et II des Rois, où elle est dépeinte de manière défavorable comme une prostituée complice qui corrompt Israël et bafoue les commandements de Dieu. Son histoire n'est connue que par la Bible (bien que des preuves archéologiques récentes aient confirmé son historicité) où elle est dépeinte comme l'antagoniste maléfique d'Élie, le prophète du dieu Yahvé.
La lutte entre Jézabel et Elie est présentée comme une bataille pour l'avenir religieux du peuple d'Israël, Jézabel encourageant le polythéisme cananéen autochtone et Elie luttant pour la vision monothéiste d'un dieu masculin unique et tout-puissant. En fin de compte, c'est Elie qui remporte cette bataille, Jézabel étant assassinée par ses propres gardes, jetée d'une fenêtre du palais dans la rue où elle est dévorée par les chiens. Sa mort, notent les auteurs bibliques, avait été prophétisée auparavant par Élie et il est démontré qu'elle s'est produite précisément selon ses paroles et, donc, en accord avec la volonté du dieu d'Élie.
Le nom de Jézabel est devenu synonyme du concept de séductrice maléfique en raison de l'interprétation de certaines de ses actions (comme le fait de se maquiller pour, prétendument, séduire son adversaire Jéhu, qui fut oint par le successeur d'Élie, Élisée, afin de la détruire) et appeler une femme "Jézabel" revient à la qualifier de sexuellement dévergondée et dépourvue de moralité. Des études récentes ont toutefois tenté de renverser cette association et Jézabel est de plus en plus reconnue comme une femme forte qui refusa de se plier à ce qu'elle considérait comme la nature oppressive de la culture religieuse de son mari et essaya de la changer.
L'évolution de la réputation de Jézabel
L'histoire telle qu'elle est racontée dans I et II Rois présente Jézabel comme une influence maléfique dès son arrivée en Israël, qui corrompt son mari, la cour et le peuple en essayant d'imposer ses croyances "impies" au peuple élu du seul vrai dieu. I Rois 16, 30-33 présente le roi Achab comme un roi méchant séduit par l'influence corruptrice de sa nouvelle épouse et constitue une introduction à l'histoire pour le public:
Achab, fils d'Omri, fit ce qui est mal aux yeux de l'Éternel, plus que tous ceux qui avaient été avant lui.
Et comme si c'eût été pour lui peu de choses de se livrer aux péchés de Jéroboam, fils de Nebath, il prit pour femme Jézabel, fille d'Ethbaal, roi des Sidoniens, et il alla servir Baal et se prosterner devant lui.
Il éleva un autel à Baal dans la maison de Baal qu'il bâtit à Samarie,et il fit une idole d'Astarté. Achab fit plus encore que tous les rois d'Israël qui avaient été avant lui, pour irriter l'Éternel, le Dieu d'Israël.
Traditionnellement, l'histoire de Jézabel est celle d'une influence corruptrice sur un roi qui s'était déjà montré un piètre représentant de la culture religieuse de son royaume. Le récit biblique suppose que le lecteur sait que Jézabel, originaire de Sidon, adorait le dieu Baal et sa compagne Astarté, ainsi que de nombreuses autres divinités, et que le polythéisme des Sidoniens était comparable à celui des Cananéens avant l'avènement d'Israël et du monothéisme sur leur terre. Puisque le monothéisme et le royaume d'Israël sont présentés sous un jour positif, Jézabel, Sidon et Achab sont présentés de façon négative.
Il se pourrait que le récit biblique dépeigne les événements avec plus ou moins d'exactitude, mais ce point de vue est remis en question par les études modernes qui penchent de plus en plus en faveur d'une nouvelle interprétation de l'affrontement entre Jézabel et Élie, qui illustre le conflit entre le polythéisme et le monothéisme dans la région au 9e siècle av. JC. Dans cette interprétation, Jézabel est comprise comme une princesse, fille d'un roi et d'un prêtre, essayant de maintenir son héritage culturel dans un pays étranger contre une religion qu'elle ne pouvait accepter. L'historienne et bibliste Janet Howe Gaines commente:
Pendant plus de deux mille ans, Jézabel eut la réputation d'être la mauvaise fille de la Bible, la plus méchante des femmes. Cette ancienne reine fut décriée en tant que meurtrière, prostituée et ennemie de Dieu, et son nom fut adopté aussi bien pour des lignes de lingerie que pour des missiles de la Seconde Guerre mondiale. Mais à quel point Jézabel était-elle dépravée? Ces dernières années, les chercheurs ont tenté de se réapproprier les personnages féminins ténébreux dont les histoires ne sont souvent que partiellement racontées dans la Bible. (1)
Bien qu'elle ait été associée à la séduction, à la dépravation et à la prostitution pendant des siècles, une compréhension plus précise de Jézabel apparaît lorsqu'on envisage la possibilité qu'elle était simplement une femme qui refusait de se soumettre aux croyances et aux pratiques religieuses de son mari et de sa culture. Les études récentes, qui ont permis de mieux comprendre la civilisation de la Phénicie, le rôle des femmes et la lutte des adeptes du dieu hébreu Yahvé pour dominer la foi plus ancienne des Cananéens, suggèrent une image différente, et plus favorable, de Jézabel que la compréhension traditionnelle. La tendance actuelle des chercheurs est d'envisager la possibilité qu'elle ait été une femme en avance sur son temps, mariée à une culture dont la classe religieuse la considérait comme une menace redoutable.
L'histoire de Jézabel
Jézabel fut mariée, par contrat, au roi Achab du royaume d'Israël afin de cimenter une alliance entre ce royaume et son État d'origine, Sidon. Comme le note Gaines, il n'y a aucun moyen de savoir si elle était satisfaite de cet arrangement et, très probablement, elle n'était qu'un simple pion politique:
La Bible ne dit rien de ce que pense la jeune Jézabel de son mariage avec Achab et de son installation en Israël. Ses sentiments n'intéressent pas le deutéronome et n'ont rien à voir avec l'objectif didactique de l'histoire. (2)
Dès son arrivée dans son nouveau pays, elle entra presque immédiatement en conflit avec la classe religieuse en important ses propres prêtres et prêtresses et en érigeant des sanctuaires et des temples aux dieux de sa propre compréhension et de ses propres croyances. Son attitude apparemment rebelle envers la religion de son mari bouleversa le prophète Élie qui s'opposa à elle dès le début. Élie annonça qu'une grande sécheresse allait s'abattre sur le pays, car Dieu était mécontent des actions d'Achab et de Jézabel. Il s'exila ensuite dans le désert où il fut dirigé par son dieu et ramèna à la vie le fils de la veuve de Zarephath (I Rois 17), mais revint ensuite pour défier Achab et Jézabel.
À son retour, la sécheresse s'aggrava et le peuple souffrit d'une famine généralisée. Dieu demanda à Élie de dire à Achab de convoquer le peuple pour assister à un duel entre les prêtres de Baal de Jézabel et lui-même sur le mont Carmel. Élie demanderait à Yahvé d'enflammer un taureau sacrificiel sur un autel et les prêtres de Jézabel feraient appel à Baal; la divinité qui parviendrait à enflammer le taureau remporterait le défi et serait reconnue comme le vrai Dieu. Achab accepta le défi et le peuple, les prêtres de Baal et Élie se rassemblèrent au mont Carmel.
Afin d'attirer l'attention de leur dieu, les 850 prêtres de Baal "sautaient devant l'autel qu'ils avaient fait" (I Rois 18:26). Ils invoquèrent également son nom pour qu'il entende leurs requêtes et envoie du feu sur l'autel. Toute la journée, ils dansèrent et prièrent, mais aucune réponse ne vint. Élie, assis à proximité et les observant, se moqua des prêtres et demanda où était leur dieu. Peut-être, suggèra-t-il, Baal était-il trop occupé quelque part à manger, à faire l'amour ou à s'adonner à un autre plaisir qui l'empêchait de répondre à leurs prières.
Une fois qu'ils renoncèrent, et qu'Élie se lèva pour son tour, l'auteur de I Rois indique clairement quelle divinité était la vraie en faisant en sorte que Yahvé réponde immédiatement à la prière d'Élie:
Et le feu de l'Éternel tomba, et il consuma l'holocauste, le bois, les pierres et la terre, et il absorba l'eau qui était dans le fossé.
Quand tout le peuple vit cela, ils tombèrent sur leur visage et dirent: C'est l'Éternel qui est Dieu! C'est l'Éternel qui est Dieu!
(I Rois 18, 38-39, Louis Segond)
Élie gagna son défi et son dieu fut prouvé comme étant le seul vrai Dieu, maître des cieux et de la terre. En tant que champion de ce dieu, il revenait à Élie d'imposer la volonté de son dieu au peuple d'Israël. Gaines écrit :
Ironiquement, à la fin de l'épisode du Carmel, Elie se révèle capable des mêmes penchants meurtriers que ceux qui caractérisaient Jézabel auparavant, bien que ce soit seulement elle que le deutéronome critique. Après avoir remporté le concours du Carmel, Élie ordonne immédiatement à l'assemblée de capturer tous les prophètes de Jézabel. Elie déclare avec insistance: " Saisissez les prophètes de Baal, qu'aucun d'eux n'échappe! " (1 Rois 18, 40). Élie conduit ses 450 prisonniers au Wadi Kishon, où il les massacre (1 Rois 18:40). Bien qu'ils ne se rencontreront jamais en personne, Élie et Jézabel sont engagés dans une lutte acharnée pour la suprématie religieuse. Élie révèle ici que Jézabel et lui possèdent une ferveur religieuse similaire, bien que leurs loyautés soient très différentes. Ils sont également déterminés à éliminer les partisans de l'autre, même si cela implique de les assassiner. La différence est que le deutéronomiste décrie le meurtre des serviteurs de Dieu par Jézabel (à 1 Rois 18:4) mais sanctionne maintenant la décision d'Élie de massacrer des centaines de prophètes de Jézabel. En effet, une fois qu'Élie a tué les prophètes de Jézabel, Dieu le récompense en envoyant la pluie tant attendue, mettant fin à une sécheresse de trois ans en Israël. Il y a clairement deux poids deux mesures ici. Le meurtre semble être accepté, voire vénéré, tant qu'il est commis au nom de la bonne divinité. (4)
Lorsque Jézabel apprit ce qu'Élie avait fait, elle menaça sa vie et il dut fuir le pays (I Rois 19, 1-3). Mais ce n'était pas la fin de leur lutte pour le pouvoir. I Rois 21 raconte comment Jézabel orchestra le meurtre du propriétaire terrien Naboth (elle aurait utilisé illégalement la chevalière d'Achab pour sceller les messages envoyés) afin de donner à Achab ses vignobles.
Achab avait exigé de Naboth qu'il lui vende les vignobles car il était roi et les vignobles étaient proches de son palais. Lorsque Naboth refusa, Jézabel le fit accuser de trahison puis le fit exécuter. Tout se passa comme si Jézabel avait fait preuve de duplicité dans ses transactions en utilisant la bague d'Achab pour signer l'arrêt de mort de Naboth. Or, de récentes découvertes archéologiques révèlent qu'elle avait son propre anneau et, par conséquent, l'autorité en tant que monarque pour prendre les mesures qu'elle jugeait nécessaires (Science Daily, 1). S'il ne fait aucun doute que le meurtre de Naboth était injuste, pour une reine habituée à n'en faire qu'à sa tête, il pouvait sembler simple de supprimer un sujet qui refusait la volonté de la monarchie.
Quoi qu'il en soit, Élie revint confronter Achab pour ce meurtre et prédit la mort d'Achab et de Jézabel, affirmant que les chiens lécheraientnt le sang d'Achab sur le sol où le sang de Naboth avait été versé et "Les chiens mangeront Jézabel près du rempart de Jizreel" (I Rois 21, 17-23). Achab espèra échapper à ce sort en se repentant et en se revêtant d'un sac, ce qui apaisa Dieu qui repoussa le jour du jugement jusqu'aux règnes des fils d'Achab.
Élie avait auparavant oint un successeur, Élisée, qui oint maintenant le général Jéhu comme nouveau roi d'Israël afin de détruire la maison d'Achab et de Jézabel. À ce moment-là, Achab mourut, tué par des blessures reçues au combat, et le récit note que les chiens lèchèrent son sang sur le sol, comme l'avait prophétisé Élie. Le fils d'Achab, Joram, lui succèda mais il fut tué par Jéhu, tout comme le neveu de Joram, Achazia, roi de Judée.
Jéhu s'approcha alors des murs de la ville de Jizreel alors que Jézabel "mit du fard à ses yeux, se para la tête, et regarda par la fenêtre." (II Rois 9:30), ce qui a traditionnellement été interprété comme un effort pour séduire Jéhu et se sauver. Si cette interprétation est correcte, il est difficile de comprendre pourquoi elle insulte Jéhu, le traitant de meurtrier, alors qu'il arrive sous sa fenêtre.
Jéhu ignora son insulte et rallia ceux qui l'entouraient à sa cause. Au cri de Jéhu demandant qui se tenait avec lui contre Jézabel, "Et deux ou trois eunuques le regardèrent en s'approchant de la fenêtre. Il dit: Jetez-la en bas! Ils la jetèrent, et il rejaillit de son sang sur la muraille et sur les chevaux. Jéhu la foula aux pieds" (II Rois 9:32).
La célèbre scène de II Rois 9:30 dans laquelle Jézabel se maquille avant de mourir, traditionnellement interprétée comme une tentative de séduire Jéhu pour qu'il lui épargne la vie, et qui a largement contribué à sa réputation de "putain", est aujourd'hui considérée par certains spécialistes comme l'action appropriée d'une princesse de Sidon et d'une reine d'Israël, se préparant à sa fin avec dignité en tant que monarque et véritable prêtresse de ses dieux.
Après avoir piétiné son corps sous les sabots de ses chevaux, Jéhu entra dans la ville pour manger et boire et ce n'est que plus tard qu'il donna l'ordre que quelqu'un aille enterrer Jézabel car "elle était fille de roi" (II Rois 9:34). Cependant, lorsque le peuple alla l'enterrer, il ne trouva que son crâne, ses pieds et ses mains ; le reste de son corps avait été dévoré par les chiens sous les murs de Jizreel, conformément à la prophétie d'Élie.
Conclusion
Comme nous l'avons vu, les nouvelles études interprètent l'histoire de Jézabel sous un jour beaucoup plus positif que les générations précédentes. Elle a traditionnellement été considérée comme une méchante unidimensionnelle, mais, comme le suggère Gaines,
Il y a plus dans cette souveraine complexe que l'interprétation standard ne veut l'admettre. Pour parvenir à une évaluation plus positive du règne troublé de Jézabel et à une compréhension plus profonde de son rôle, nous devons évaluer les motifs des auteurs bibliques qui condamnent la reine. En outre, nous devons relire le récit du point de vue de la reine. Au fur et à mesure que nous reconstituons le monde dans lequel Jézabel a vécu, une image plus complète de cette femme fascinante commence à émerger. L'histoire n'est pas belle à voir, et certains lecteurs - peut-être la plupart - resteront perturbés par les actions de Jézabel. Mais son caractère n'est peut-être pas aussi sombre que nous avons l'habitude de le penser. Sa méchanceté n'est pas toujours aussi évidente, incontestée et inégalée que l'auteur biblique ne veut le faire croire. (1)
Les femmes phéniciennes jouissaient d'une énorme liberté et étaient considérées presque comme les égales des hommes. Les hommes et les femmes présidaient les rassemblements religieux en tant que prêtres et prêtresses et, en tant que fille d'un grand prêtre, Jézabel aurait naturellement été initiée au sacerdoce. Son conflit permanent avec Élie a été interprété par certains comme un simple choc culturel impossible à comprendre, car les Israélites n'étaient pas habitués à une femme forte au pouvoir et Jézabel n'avait pas l'habitude d'être considérée comme un citoyen de second rang.
Ses actions n'ont peut-être pas toujours été les plus prudentes et, parfois, elles étaient tout simplement mauvaises (comme dans le cas de Naboth), mais elles peuvent être comprises comme la façon dont une princesse phénicienne aurait géré une situation sans tenir compte des normes culturelles de la culture de son mari. Jézabel rejetait clairement l'interdiction faite aux femmes de participer pleinement aux rituels religieux et les restrictions qui leur étaient imposées, comme le décrit l'universitaire Monique Alexandre:
À la maison, les femmes étaient responsables de la pureté alimentaire et sexuelle mais jouaient peu de rôle religieux au sens strict. Il est vrai qu'elles avaient le privilège d'allumer les bougies du sabbat et de cuire le pain du sabbat, et qu'il leur incombait de laver et d'habiller les corps des morts et de pleurer leur décès. Mais les bénédictions et les prières étaient réservées aux hommes. (Pantel,417)
Jézabel a rejeté ce type de vie pour elle-même et pour les femmes du royaume sur lequel elle est venue régner, tentant de remplacer la culture monothéiste patriarcale qu'elle trouvait intolérable par celle dans laquelle elle avait grandi. Il appartient naturellement à chacun de décider si Jézabel doit être considérée selon ces lignes ou selon celles de son image traditionnelle. Cependant, un examen attentif du texte, en gardant à l'esprit l'objectif narratif et le but des auteurs de I et II Rois, peut donner au lecteur une raison de repenser l'image populaire de la "méchante" reine Jézabel et de la voir, ainsi que son nom infâme, sous un jour nouveau et meilleur.