Baal (ou Ba'al) est un dieu cananéen et phénicien de la fertilité et du temps, en particulier de l’orage. Le nom était également utilisé en tant que titre, signifiant 'Seigneur', et était appliqué à un certain nombre de divinités différentes à travers le Proche-Orient ancien. Baal est surtout connu aujourd'hui de la Bible, comme l'antagoniste du culte israélite de Yahweh.
Les récits concernant Baal remontent au milieu du 14ème - fin du 13ème siècle av. J.-C. sous forme écrite, mais on pense qu'ils sont beaucoup plus anciens, transmis par tradition orale jusqu'à leur mise par écrit. Les fouilles de l'ancienne cité d'Ougarit (aujourd'hui Ras Shamra, en Syrie), qui débutèrent en 1929, révélèrent des milliers de tablettes cunéiformes, dont beaucoup relatent les histoires des dieux et, en particulier de Baal, lequel devint le roi des dieux, remplaçant El.
La popularité de Baal est attestée par les nombreuses copies des récits qui constituent ce qu'on appelle le Cycle de Baal, et qui raconte comment Baal vainc la mort et assume la royauté des dieux. L'histoire de la descente aux enfers et du retour de Baal fut souvent citée comme un exemple ancien du schéma du dieu qui meurt et qui revient à la vie, mais cela a été contesté car Baal ne meurt pas réellement et ne revient pas à la vie.
Le nom personnel Baal est également un nom théophore qui pourrait s'appliquer à de nombreuses divinités masculines dans tout le Levant et la Mésopotamie, mais il est le plus souvent utilisé pour désigner Baal Hadad (ou Ba'al Adad), dieu de l’orage dans la religion cananéenne et mésopotamienne, qui finit par devenir aussi un dieu de la guerre. Baal Hadad est le personnage central du Cycle de Baal et il est aussi le dieu qui apparaît dans les livres bibliques de l'Exode et de 1 et 2 Rois, où il est dépeint de manière négative. À l'époque de la Réforme protestante (1517-1648), il fut régulièrement appelé Belzébuth (Beelzebub, 'Seigneur des mouches') et considéré comme synonyme du diable chrétien. De nos jours, l'intérêt pour Baal a été ravivé par des groupes néo-païens et wiccans qui le choisissent souvent comme divinité personnelle dans le cadre d'un culte rituel.
Origines Mésopotamiennes
Baal Hadad est originaire de Mésopotamie sous les noms d'Adad au nord et d'Ishkur au sud. Il est attesté dès l'époque de l'Empire akkadien (2334-2218 av. J.-C.) mais devint plus populaire après la chute de la troisième dynastie d'Ur (2047-1750 av. J.-C.) pendant le premier Empire babylonien (env. 1894 - 1595 av. J.-C.). Ce n'était à cette époque pas une divinité majeure, et il était souvent associé au dieu de la tempête Ninurta en tant que subordonné, ou au grand dieu Enlil comme une sorte de secrétaire personnel. Ce fut à cette époque cependant qu'il en vint à être associé au taureau comme son animal sacré, ce qui devait devenir plus tard un aspect important de son iconographie.
Baal était également lié à Shamash (en tant qu'arbitre de la justice), à la déesse de la lune Nanna en ce qui concerne la fertilité et les récoltes, et à Shala, une déesse du grain. Avec le temps, il fut également associé à Dagan (ou Dagon), le seigneur phénicien des dieux, du fait de son lien antérieur avec Enlil, qui jouait un rôle similaire en Mésopotamie. À un moment donné, il devint un élément central des rituels de divination avec Shamash, très probablement parce que tous deux étaient associés au concept de justice divine et garantissant donc une réponse juste aux prières des fidèles.
Lorsque son culte atteignit Ougarit, Baal Hadad devint une divinité majeure, considérée comme un dieu du ciel, qui apportait la pluie et un ami du soleil qui donnait la vie. À Ougarit, il était considéré comme le fils d'El, le roi des dieux, et l’on disait qu'il vivait dans un palais sur le mont Zaphon (djebel Al-Aqraa, en Syrie actuelle). Une stèle du site le montre avec une masse dans une main et un éclair dans l'autre, l'identifiant ainsi comme un dieu des tempêtes et de la guerre. Il devait être principalement associé aux tempêtes et aux pluies tout au long de son culte à Ougarit, et même plus tard, après la destruction d’Ougarit vers 1200 av. J.-C.
Baal au Levant
Alors qu'elle était encore une ville prospère, Ougarit participa à des échanges commerciaux avec d'autres villes, notamment avec les principaux centres urbains du Levant. Baal Hadad semble y avoir voyagé par le biais du commerce, bien que l'on ne sache pas exactement quand. Il devint une divinité centrale du panthéon cananéen, qui influença d'abord les croyances cananéennes, puis la religion phénicienne. La ville phénicienne de Baalbek (dans l'actuel Liban) était son centre de culte, où il était adoré avec sa compagne Astarté, déesse de l'amour, de la sexualité et de la guerre (associée à la déesse Inanna/Ishtar, entre autres). Malgré cela, Astarté était aussi la divinité la plus populaire à Sidon, éclipsant même Baal par le nombre de temples qui lui étaient consacrés, et elle est également bien représentée à Baalbek.
L'interprétation de l'association de Baal et d'Astarté a été contestée pour diverses raisons, dont la possibilité que la déesse associée à Baal soit sa sœur, Anat, dont on pense qu'elle a pu inspirer le développement d'Astarté. Cet argument semble cependant ignorer la représentation d’Astarté dans le Cycle de Baal et d'autres contes comme La Beuverie d'El (dans lequel elle est clairement différenciée d'Anat), ainsi que ses temples à Baalbek.
La religion phénicienne développa le premier panthéon cananéen, probablement à Byblos, où le dieu El et la déesse Baalat Gebal étaient les plus importants, ainsi que la divinité grecque Adonis qui était associée au dieu babylonien Tammuz. Baal avait sa place parmi les autres dieux, mais en dehors de Sidon, il ne fut jamais été aussi populaire que d'autres divinités telles que Melqart de Tyr (également consort d'Astarté), Dagon, Reshef (dieu de la foudre et du feu), Chusor (dieu de la métallurgie), ou le dieu de l'artisanat, Kothar-wa-Khasis, qui devait figurer en bonne place dans le Cycle de Baal. Et même à Sidon, Baal n'était pas le dieu le plus important, puisque sa divinité protectrice était Eshmoun. Néanmoins, il était suffisamment populaire pour avoir inspiré le Cycle de Baal dans lequel de nombreux dieux apparaissent. Yam, dieu des mers, et Mot, dieu de la mort, étaient également étroitement associés à Baal à travers les récits à son sujet et qui incluaient Astarté et d'autres déesses. Les chercheurs Michael D. Coogan et Mark S. Smith commentent :
Trois déesses apparaissent régulièrement dans les histoires [concernant Baal] - Astarté, mentionnée seulement en passant, Asherah, et Anat. Ces deux dernières ont un rôle important mais non dominant dans les mythes, car la théologie ougaritique, comme la société, était patriarcale. Asherah est la compagne d'El et la mère des dieux. La seule déesse ayant un caractère marqué est Anat. Elle est la sœur de Baal et est étroitement identifiée à lui en tant qu'opposante efficace à [Yam et Mot] et à d'autres puissances destructrices. (7)
Les trois déesses devaient en venir à être étroitement associées à Baal dans les récits bibliques, car Asherah est mentionnée comme un poteau de fertilité sacré (ou peut-être un arbre) dans Deutéronome 16:21, 2 Rois 21:7, 2 Rois 23:4, 6-7, et ailleurs. Avant ces textes, cependant, elle apparaît comme la compagne d'El, et une figure centrale dans le Cycle de Baal.
Le Cycle de Baal
Le Cycle de Baal commence avec Baal, fils de Dagon, confiant qu'il sera choisi comme roi par El, le seigneur des dieux. Mais El déçoit ses attentes en choisissant Yam, qui domine presque instantanément les autres dieux et les oblige à travailler pour lui. Les dieux se plaignent à Asherah qui accepte d'intercéder en leur faveur auprès de Yam. Elle lui offre toutes sortes de trésors, mais il ne cherche qu'à la posséder. Elle accepte mais doit d'abord retourner voir El et la cour divine pour les informer de leur contrat.
Tous les dieux présents soutiennent la décision d'Asherah de se donner à Yam, sauf Baal qui jure de se venger de Yam pour avoir ainsi insulté Asherah et promet de le tuer. Sa réaction est interprétée comme une trahison par certains des autres dieux qui s'empressent d'en informer Yam, et ce dernier envoie alors des émissaires au tribunal pour exiger la reddition de Baal. Les autres dieux montrent aux émissaires le plus grand respect, mais Baal refuse de s'incliner et est dégoûté par le comportement de ses divinités consoeurs.
Aucune décision n'est prise par les dieux, et Yam envoie donc une seconde délégation qui se montre arrogante et néglige les rituels appropriés dus à El et à la cour. Baal veut les tuer pour cet affront, mais il est retenu par Anat et Astarté, qui le mettent en garde contre le péché de tuer un messager qui n'agit que sur ordre et est donc innocent. El n'agit pas non plus contre les messagers mais, au contraire, leur promet que Baal non seulement apparaîtra devant Yam mais apportera de somptueux cadeaux.
Baal enrage mais comprend qu'il n'est pas assez puissant pour vaincre Yam en combat singulier. Kothar-wa-Khasis suggère un moyen cependant, et dit à Baal qu'il peut créer deux massues pour lui, Yagrush et Aymur, qui détruiront Yam si elles sont utilisées comme il l'indique. Kothar-wa-Khasis fabrique les armes et indique à Baal comment les utiliser. Baal va à la rencontre de Yam, sans cadeau. Il frappe Yam sur les épaules avec Yagrush, mais Yam n'est pas blessé. Baal se retire et revient frapper Yam entre les yeux avec Aymur, et Yam tombe. Baal le ramène alors à la cour, annonce sa victoire et rejette Yam dans la mer.
Baal est maintenant le roi des dieux, mais Mot s'oppose à cette usurpation et envoie le monstre marin Lotan (peut-être une forme de Yam) pour attaquer Baal, mais Baal le vainc et le tue. Mot est alors encore plus enragé et jure de dévorer Baal. Mot est inarrêtable et Baal comprend qu'aucune arme magique ne peut vaincre la mort. Il se cache, envoie un double à sa place qui sera dévoré par Mot, et tous les dieux pleurent sa mort. Comme il était le dieu de la pluie et de la fertilité, la terre devient stérile en son absence, et Anat, jurant de se venger, attaque et tue Mot.
Comme Mot est immortel, il revient à la vie, mais Baal sort alors de sa cachette et le soumet, le forçant à retourner dans son monde souterrain et à reconnaître Baal comme roi légitime. Il demande et reçoit alors la permission d'El et des autres dieux pour que Kothar-wa-Khasis lui construise un grand palais au sommet d'une montagne (initialement sans fenêtres car on pensait que Mot entrait dans une habitation par une fenêtre) et commence son règne.
L'histoire est comprise comme illustrant une transition du pouvoir des dieux les plus anciens vers un ensemble plus jeune, un schéma familier dans les œuvres religieuses de nombreuses cultures différentes, comme l'ont noté Coogan et Smith :
Le transfert de pouvoir d'un dieu du ciel ancien à un dieu de la tempête jeune est attesté dans d'autres cultures contemporaines de la Méditerranée orientale. Cronos fut emprisonné et son fils Zeus lui succéda, Yahweh succéda à El comme dieu d'Israël, le dieu hourrite Teshub assuma la royauté dans le ciel après avoir vaincu son père Kumarbi, et Baal remplaça El comme chef effectif du panthéon ougaritique. (104)
L'histoire aborde également le thème de l'ordre contre le chaos exploré dans des mythes célèbres comme l'Enuma Elish de Mésopotamie et le cycle Osiris-Seth de la mythologie égyptienne. Dans les deux cas, l'ordre est menacé, et ce n'est qu'en conquérant les forces du chaos qu'il peut être restauré. La définition des termes 'ordre' et 'chaos' dépend toutefois de la personne qui les utilise. Dans l'ancien Israël, Baal jouait le rôle de la menace chaotique et Yahweh celui du héros d'un monde juste et ordonné.
Baal dans la Bible
Bien que Baal soit mentionné près de 100 fois dans la Bible, il est surtout connu par les récits de 1 et 2 Rois, qui comprennent l'histoire de la princesse phénicienne Jézabel (morte vers 842 av. J.-C.), qui encourageait son culte et sa lutte avec le prophète Élie, champion du culte de Yahweh. Jézabel épouse le roi israélite Achab qui, selon 1 Rois 16, 30-33, est séduit par elle et se détourne de Yahweh pour adorer Baal. En tant que membre de la famille royale phénicienne et fille d'un prêtre de Baal, Jézabel devait avoir naturellement apporté ses propres dieux dans sa nouvelle patrie, mais selon le récit, ceux-ci furent rejetés par les adeptes du culte de Yahweh.
Jézabel et Élie s'affrontent pour la suprématie de leurs croyances respectives jusqu'à ce qu'ils conviennent que l'affaire sera réglée par un duel entre les dieux eux-mêmes au sommet du mont Carmel. Les prêtres de Jézabel invoqueront Baal, et Elie, Yahweh, et le dieu qui répondra en allumant le feu sous un taureau sacrifié sera reconnu comme le seul vrai dieu. Les factions se réunissent au Mont Carmel, et 850 prêtres de Baal l'invoquent toute la journée en dansant autour de l'autel (1 Rois 18:26) tandis qu'Elie se moque d'eux en demandant où est leur dieu et pourquoi il ne répond pas. Lorsque c'est le tour d'Elie, il appelle Yahweh, et le feu descend instantanément du ciel, illuminant l'autel et consumant l'offrande (1 Rois 18, 38-39). Élie proclame Yahweh vainqueur et ordonne l'exécution des prêtres de Baal.
Cependant, Jézabel refuse de reconnaître cette victoire et continue à encourager le culte de Baal, tout en jurant de se venger d'Élie, jusqu'à ce qu'elle soit tuée sur ordre du général Jéhu. Par la suite, le culte de Yahweh le proclame dieu unique, et les temples et sanctuaires de Baal, d'Astarté et des autres dieux cananéens sont détruits. Le culte de Baal en Israël se poursuit cependant dans des récits ultérieurs qui illustrent la lutte entre le polythéisme traditionnel et le monothéisme émergent dans la région au 9ème siècle av. J.-C.
Conclusion
Le culte de Baal fut finalement remplacé par celui de Yahweh, et son nom devint synonyme des ennemis du seul vrai dieu. Dans 2 Rois 1, Ba’al Zebub est associé à Ekron, dieu des Philistins, peuple célèbre pour être l'ennemi d'Israël dans la Bible. Ba'al Zebub sera finalement connu sous le nom de Beelzebub (Belzébuth) par les scribes du Nouveau Testament et associé au diable chrétien, une association qui durera jusqu'à l'époque de la Réforme protestante.
À cette époque, Baal avait également été associé à la figure d'Iblis, le diable de l'Islam, à travers des passages du Coran. Allah, dans l'Islam, et Yahweh, dans le Judaïsme et le Christianisme, étaient reconnus par leurs adeptes respectifs comme le dieu unique, et Baal comme un aspect du chaos, des ténèbres et du mal qui menaçait l'ordre du monde.
À l'origine cependant, Yahweh faisait partie du même panthéon que Baal, et les deux ont dû être considérés comme des alliés dans la cause de l'ordre contre les forces du chaos. Les chercheurs J. Maxwell Miller et John H. Hayes commentent :
Les données archéologiques indiquent une scène religieuse et cultuelle essentiellement continue dans toute la Palestine au cours du premier Âge du Fer. En d'autres termes, rien n'a été découvert qui suggère une quelconque particularité dans la disposition des temples ou le mobilier cultuel pour l'époque et le territoire des premières tribus. La continuité entre la religion israélite primitive et celle des autres habitants de la Syrie-Palestine est confirmée par des parallèles entre la terminologie religieuse et cultuelle des matériaux bibliques et la terminologie correspondante des documents extra-bibliques. Des éléments de la mythologie syro-palestinienne, tels qu'une lutte divine avec le dragon cosmique du chaos, apparaissent également ici et là dans la poésie biblique. Des passages bibliques occasionnels suggèrent, en fait, que Yahweh était autrefois considéré comme un membre du grand panthéon dirigé par El. (111)
Cependant, pour que Yahweh soit reconnu comme le dieu suprême, ses prédécesseurs ont dû être éliminés, et Baal a été diabolisé pour atteindre cet objectif. De nos jours, la réputation du dieu en tant que puissant protecteur et agent d'affirmation de la vie a été ravivée par les mouvements néo-païens et wiccans qui rejettent les récits bibliques et s'appuient sur des constructions plus anciennes comme le Cycle de Baal. Bien que peu répandu, le culte de Baal se poursuit de nos jours aux côtés de Yahweh, plus populaire, reflétant la relation similaire que les deux dieux entretenaient dans le monde antique.