Naram-Sin (r. de 2261 à 2224 av. J.-C.) fut le dernier grand roi de l'empire akkadien et le petit-fils de Sargon d'Akkad (r. de 2334 à 2279 av. J.-C.) qui avait fondé l'empire. Il est considéré comme le roi akkadien le plus important après Sargon (voire, selon certains, avant lui) et est devenu, avec son grand-père, une figure quasi-mythique de la légende et de l'histoire mésopotamiennes.
Les récits des exploits de Naram-Sin et de Sargon le Grand étaient encore racontés en Mésopotamie des milliers d'années après leur mort. Naram-Sin a fait l'objet de nombreux récits, légendes et chansons, mais il est intéressant de noter qu'il est surtout connu dans la légende grâce à un récit le décrivant comme le roi qui finit par détruire l'empire akkadien par ses actes impies, un récit connu sous le nom de La malédiction d'Akkad, écrit pendant la période d'Ur III (c. 2047-1750 av. J.-C.).
Cette légende n'a cependant aucune valeur historique et les spécialistes la classent aujourd'hui dans le genre de la littérature mésopotamienne naru - la première fiction historique au monde - qui met en scène un personnage célèbre dans un récit fictif. Naram-Sin aurait été choisi comme personnage principal en raison de sa célébrité, comme il le fut dans des œuvres telles que la Légende de Cutha et La Grande Révolte, qui ne sont pas non plus historiquement exactes.
Les légendes et les récits décrivent tous Naram-Sin comme un souverain extrêmement sûr de lui, fier et arrogant. Il est le premier souverain mésopotamien à s'être déifié pendant son règne et à avoir signé des documents officiels avec le sceau d'un dieu, le dieu d'Akkad en personne. Son règne a marqué l'apogée de la dynastie sargonique et, après sa mort, l'empire a commencé à se désagréger.
Règne et campagnes militaires
Après la mort de Sargon, son fils Rimush monta sur le trône et régna entre 2279 et 2271 avant notre ère. Les villes de l'empire se rebellèrent après la mort de Sargon et Rimush passa les premières années de son règne à rétablir l'ordre. Il fit campagne contre l'Élam, qu'il battit, et déclara dans une inscription avoir ramené de grandes richesses à Akkad. Il ne régna que neuf ans avant de mourir et c'est son frère Manishtusu qui lui succéda (r. de 2271 à 2261 av. J.-C.).
Manishtusu dut également réprimer des rébellions lors de sa succession. Il mourut après un règne de 15 ans et son fils Naram-Sin (également connu sous le nom de Naram-Suen) lui succéda. Tout comme son père et son oncle avant lui, Naram-Sin dut réprimer des rébellions dans tout l'empire avant de pouvoir commencer à gouverner (ce qui aurait sans doute inspiré la légende de la Grande Révolte) mais, une fois qu'il eut commencé, l'empire prospéra sous son règne.
Au cours de ses 36 années de règne, il étendit les frontières de l'empire, maintint l'ordre à l'intérieur, développa le commerce et fit personnellement campagne avec son armée au-delà du golfe Persique et, peut-être même, jusqu'en Égypte. La stèle de la victoire de Naram-Sin (actuellement conservée au Louvre) célèbre la victoire du monarque akkadien sur Satuni, roi des Lullubis (une tribu des monts Zagros), et représente Naram-Sin gravissant une montagne, piétinant les corps de ses ennemis, à l'image d'un dieu.
Comme son grand-père, il se proclama "roi des quatre quarts de l'univers" mais, plus audacieux encore, il commença à écrire son nom avec un signe qui le désignait comme un dieu au même titre que tous les autres du panthéon mésopotamien. Le sumérologue Samuel Noah Kramer décrit le règne de Naram-Sin:
Naram-Sin éleva Agade [Akkad] à de nouveaux sommets de puissance et de gloire...Ses succès militaires furent nombreux et prodigieux: il vainquit une puissante coalition de rois rebelles de Sumer et des terres environnantes; il conquit la région à l'ouest jusqu'à la mer Méditerranée et les chaînes du Taurus et de l'Amanus; il étendit sa domination à l'Arménie et érigea sa statue de la victoire près de l'actuelle Diyarbakır; il combattit les Lullubis dans le nord des chaînes du Zagros et commémora sa victoire par une magnifique stèle; il transforma l'Élam en un État vassal partiellement sémitisé et construisit de nombreux édifices à Suse; il rapporta du butin de Magan après avoir vaincu son roi Manium, que certains érudits ont identifié avec le célèbre Ménès d'Égypte. Il n'est pas étonnant qu'il se soit senti assez puissant pour ajouter l'épithète de "roi des quatre quartiers" à son titre et qu'il ait été assez présomptueux pour se faire déifier en tant que "dieu d'Agade". (62)
La malédiction d'Akkad
Malgré son règne spectaculaire, considéré comme l'apogée de l'empire akkadien, les générations suivantes l'associeront à la Malédiction d'Akkad, un texte littéraire daté de la troisième dynastie d'Ur, mais peut-être écrit plus tôt. La Malédiction d'Akkad, qui fait partie du genre littéraire mésopotamien connu sous le nom de "littérature naru", suit le modèle des autres œuvres naru en faisant passer à un public un message religieux ou culturel important et, dans ce cas, la relation appropriée entre un roi et les dieux.
Ce récit raconte l'histoire de la destruction de la cité d'Akkad par la volonté des dieux en raison de l'acte impie d'un roi, et ce roi est Naram-Sin. Il aborde également de manière très intéressante le problème de la souffrance apparemment dénuée de sens en décrivant la tentative de Naram-Sin d'arracher aux dieux, par la force, une raison à sa misère.
Selon le texte, le grand dieu sumérien Enlil aurait retiré sa faveur à la ville d'Akkad et, ce faisant, aurait interdit aux autres dieux d'entrer dans la ville et de l'honorer plus longtemps par leur présence. Naram-Sin ne savait pas ce qu'il avait bien pu faire pour provoquer ce mécontentement et pria, demanda des signes et des présages, et tomba dans une dépression de sept ans en attendant la réponse du dieu.
Finalement, fatigué d'attendre et furieux de n'avoir reçu aucune réponse, il rassembla son armée et marcha sur le temple d'Enlil à l'Ekur dans la ville de Nippur qu'il détruisit. Il "opposa ses bêches aux racines, ses haches aux fondations jusqu'à ce que le temple, tel un soldat mort, ne tombe prostré" (Leick, Invention of the City, 106). Cette attaque provoqua bien sûr la colère d'Enlil mais aussi des autres dieux qui envoyèrent les Gutis, "un peuple qui ne connaît pas l'inhibition, avec des instincts humains mais une intelligence canine et des traits de singe" (Leick, 106) pour envahir Akkad et la mettre à sac.
Après l'invasion des Gutis, la famine sévit partout, les morts pourrissaient dans les rues et les maisons, la ville était en ruine et c'est ainsi que, selon le conte, la ville d'Akkad et l'empire akkadien prirent fin, victimes de l'arrogance d'un roi face aux dieux.
Il n'existe cependant aucune trace historique de Naram-Sin écrasant l'Ekur à Nippur ou détruisant le temple d'Enlil, et l'on pense que La malédiction d'Akkad serait une œuvre beaucoup plus tardive, écrite pour exprimer "une préoccupation idéologique pour la bonne relation entre les dieux et le monarque absolu" (Leick, 107), dont l'auteur avait choisi Akkad et Naram-Sin comme sujets en raison de leur statut, alors légendaire.
La littérature Naru était un genre très populaire en Mésopotamie et souvent, semble-t-il, la version du passé présentée dans ces récits finissait par être acceptée comme l'histoire réelle. Selon les archives historiques et les preuves archéologiques, Naram-Sin honorait les dieux, faisait placer sa propre image à côté de la leur dans les temples et était assez pieux en dépit de son arrogance invétérée.
Mort et chute de l'Empire
Naram-Sin mourut, probablement de causes naturelles, et son fils Shar-Kali-Sharri lui succéda. Il régna de 2223 à 2198 avant notre ère. Le règne de Shar-Kali-Sharri commença comme celui de ses prédécesseurs: il dut lui aussi déployer d'énormes efforts pour réprimer les révoltes après la mort de son père mais, contrairement à ses prédécesseurs, il ne semble pas avoir été capable de maintenir l'ordre et ne fut pas en mesure d'empêcher d'autres attaques contre l'empire.
Leick écrit: "Malgré ses efforts et ses campagnes militaires réussies, il ne fut pas en mesure de protéger son État de la désintégration et, après sa mort, les sources écrites se sont taries dans une période d'anarchie et de confusion accrues"(A-Z of Mesopotamia, 159). Il est intéressant de noter que "son projet de construction le plus important fut la reconstruction du temple d'Enlil à Nippur" et que cet événement, associé à l'invasion des Gutis et à une famine généralisée, est peut-être à l'origine de la légende qui donna naissance à la malédiction d'Akkad.
Shar-Kali-Sarri mena une guerre presque continuelle contre les Élamites, les Amorites et les envahisseurs gutis, mais c'est l'invasion guti, associée au changement climatique qui provoqua la famine, qui est le plus souvent considérée comme responsable de l'effondrement de l'empire akkadien et de l'âge sombre mésopotamien qui s'ensuivit. Les événements du règne de Shar-Kali-Sarri se mêleraient plus tard à ceux des autres rois akkadiens pour former la base de fables et d'histoires racontées pendant des milliers d'années.
Au VIIe siècle avant notre ère, les Assyriens lisaient et racontaient encore les histoires de Sargon le Grand et de Naram-Sin. Ces ouvrages ont été découverts dans les ruines de la bibliothèque d'Assurbanipal (r. de 668 à 627 av. J.-C.) à Ninive au milieu du 19e siècle, avec plus de 30 000 autres textes, offrant à ces légendes un nouveau public plus de 3 000 ans après leur rédaction. Lorsque les armées d'invasion des Mèdes, des Babyloniens et des Perses détruisirent les grandes villes assyriennes, elles ont enterré ces récits sous les décombres des bâtiments en flammes et, ce faisant, les ont préservés de sorte que, des milliers d'années plus tard, les gens lisent encore les récits des héros akkadiens et du grand roi, Naram-Sin.