Les Pictes étaient une peuplade du nord de l'Écosse définie comme une 'confédération d'unités tribales dont les motivations politiques trouvaient leur origine dans le besoin de s'allier contre leurs ennemis communs'(McHardy, 176). Ils ne formaient pas une seule tribu, ni nécessairement un seul peuple, bien que l'on pense qu'ils soient venus de Scandinavie en tant que groupe homogène. Comme ils n'ont laissé aucune trace écrite de leur histoire, ce que l'on sait d'eux provient d'écrivains romains et écossais postérieurs et d'images que les Pictes eux-mêmes ont gravées sur des pierres. C'est en 297 de notre ère que les 'Pictes' sont nommément désignés en tant que tels pour la première fois par l'écrivain romain Eumenius (Eumène), qui désignait les tribus du nord de la Bretagne sous le nom de 'Picti' ('les peints'), apparemment en raison de leur habitude de se peindre le corps avec de la teinture. Cette version de l'origine de leur nom a toutefois été contestée par les chercheurs modernes, et il est probable qu'ils se désignaient eux-mêmes comme une forme de 'Pecht', le mot désignant 'les ancêtres'. Ils étaient déjà mentionnés par Tacite qui les appelait 'Calédoniens', ce qui était le nom d'une seule tribu.
Les Pictes se sont vus obligés de défendre leur territoire contre les envahisseurs romains à maintes reprises et, bien qu'ils aient perdu un certain nombre de batailles, ils n'en ont pas moins gagné la guerre. L'Écosse présente en effet la particularité de n'avoir jamais été conquise par les envahisseurs romains, même si ces derniers n'ont pas ménagé leurs efforts pour y parvenir. Les Pictes sont présents dans les écrits depuis leur première mention en 297 de notre ère jusqu'à l'an 900, date à partir de laquelle on ne les mentionne plus nulle part. Comme le soulignent les spécialistes modernes, leur disparition de l'histoire écrite ne signifie pas pour autant qu'ils aient mystérieusement disparu ou qu'ils aient été vaincus puis anéantis par les Scots ; cela signifie simplement qu'on ne leur a plus jamais consacré d'écrits, car ils se sont fondus dans la culture des Scots du sud, qui avaient déjà une histoire écrite à cette époque ; à dater de ce moment, les deux histoires n'en firent plus qu'une.
Origines, clans et appellation
Bien qu'il ait été jadis monnaie courante de faire remonter l'arrivée des Pictes en Écosse peu avant leur apparition dans l'histoire romaine, ou de faire état d'une 'invasion picte', les milieux universitaires modernes avancent une date bien antérieure, sans invasion à grande échelle. Selon la Collins Encyclopedia of Scotland, 'les Pictes ne sont pas 'arrivés' un beau jour car en un sens, ils avaient toujours été là dans la mesure où ils étaient les descendants des premiers habitants de ce qui allait devenir l'Écosse' (775). C'est une thèse que soutient l'historien Stuart McHardy, qui écrit que 'les Pictes étaient en fait la population native de cette partie du monde' au moment de l'arrivée des Romains en Bretagne (32). Originaires de Scythie (Scandinavie), ils se seraient d'abord installés dans les Orcades, avant de migrer vers le sud. Cette hypothèse est confirmée par le Dr Gordon Noble, archéologue et professeur à l'université d'Aberdeen, qui déclare : 'Tout porte à croire que les Pictes étaient originaires du nord de l'Écosse... ils ont commencé à se regrouper à la fin de la période romaine et ont formé certains des royaumes les plus puissants du nord de la Bretagne au début de la période médiévale' (Wiener, 2). Ils vivaient dans des communautés très unies et construisaient leurs maisons en bois, bien que leur savoir-faire en matière de sculpture sur pierre soit évident, comme en témoignent les nombreuses pierres levées gravées qui subsistent dans les musées d'Écosse. Ces blocs de pierre sculptés sont les seules traces que les Pictes ont laissées de leur histoire ; le reste est raconté par des auteurs romains, écossais et anglais postérieurs.
McHardy attribue aux Pictes la construction des structures mégalithiques (comme le Ness of Brodgar), que l'on peut encore voir aujourd'hui en Écosse (33). Ils se sont établis sous forme de petites communautés composées de familles rattachées à un clan unique, présidé par un chef de tribu. Ces clans étaient connus sous les noms de Caerini, Cornavii, Lugi, Smertae, Decantae, Carnonacae, Caledonii, Selgovae et Votadini (McHardy, 31). Ces clans (appelés 'kin') agissaient dans leur propre intérêt, se livrant souvent à des raids réciproques pour le bétail, mais savaient se regrouper lorsqu'ils étaient menacés par un ennemi commun. Ils élisaient alors un chef unique pour diriger la coalition ainsi formée. Les kin (mot gaélique signifiant 'enfants') continuaient à suivre et à protéger leur chef, mais ce dernier obéissait au guerrier que tous avaient désigné comme chef du groupe. Concernant le rôle de ce chef, les historiens Peter et Fiona Somerset Fry écrivent :
Le chef du kin était un homme très puissant. Il était considéré comme le père de tous les membres de la famille, même s'il n'était qu'un cousin éloigné pour la plupart. Il commandait leur loyauté : il avait des droits de propriété sur leurs terres, leur bétail ; leurs possessions étaient en quelque sorte les siennes. Ses querelles les impliquaient et ils se devaient d'y prendre part, jusqu'à y laisser leur vie le cas échéant (33).
L'accent mis sur l'importance de la famille et le respect de la figure paternelle pourrait être à l'origine du nom des 'Pictes', comme on les appelle aujourd'hui. McHardy, et d'autres, citent le mot 'Pecht' comme 'un terme générique pour 'les ancêtres' en Écosse' (36). McHardy et les autres historiens affirment que les habitants du nord de l'Écosse se désignaient eux-mêmes sous le nom de 'Pecht', ce qui signifie à la fois qu'ils honoraient leurs ancêtres et qu'ils étaient eux-mêmes de souche ancienne (c'est-à-dire le peuple originel du pays). McHardy cite l'historien Nicolaisen qui montre comment 'le nom romain 'Picte' correspond étroitement au vieux norrois Pettir et au vieil anglais Pehtas' et que ces noms, ainsi que d'autres tirés de la Chronique anglo-saxonne, 'ne dérivent pas les uns des autres mais d'une source commune - probablement un nom autochtone' (McHardy, 36). Dans ces conditions, écrit McHardy, 'il est hautement improbable que les Pictes aient reçu leur nom des Romains et, par conséquent, l'idée que le terme signifie 'les hommes peints' n'a aucun fondement' (37). Cette affirmation, comme beaucoup d'autres concernant les Pictes, a été contestée. Quel que soit le nom qu'ils se soient donné, et quelle qu'en soit la signification, cette coalition de tribus s'étendait sur tout le nord de l'Écosse et remontait au nord jusqu'aux Orcades et au sud jusqu'au Firth de Forth. Les hommes de la tribu étaient tous des guerriers mais, lorsqu'ils n'étaient pas appelés à défendre leur clan ou leurs terres, ils étaient fermiers et pêcheurs. Les femmes étaient également fermières, pêcheuses et élevaient les enfants. En dehors de rares incursions entre tribus voisines pour du bétail, les Pictes semblent avoir vécu plûtôt en paix jusqu'à l'arrivée d'une grave menace extérieure.
L'arrivée de Rome
Les premières incursions de Rome en Grande-Bretagne eurent lieu en 55 et 54 avant J-C sous la conduite de Jules César, mais ce n'est que sous le règne de l'empereur Claude, en 43 de notre ère, qu'elles prirent véritablement de l'ampleur. En 79/80 de notre ère, Julius Agricola, le gouverneur romain de Bretagne, envahit l'Écosse et s'installe sur une ligne entre les rivières Clyde et Forth en 82 de notre ère. Après avoir établi des fortifications, il envahit le nord de l'Écosse en 83 de notre ère et affronta le chef picte Calgacos à la Bataille des Monts Grampians. L'historien Tacite a relaté la bataille et, ce faisant, a été le premier à donner un compte rendu écrit de l'histoire de l'Écosse. C'est du récit de Tacite sur la bataille que provient la phrase souvent citée, 'font-ils d’une terre un désert ? Ils diront qu’ils la pacifient'. La phrase réelle telle que décrite par Tacite est 'La où ils ont créé la solitude, là où ils font le vide et le silence, ils appellent cela la paix'. La Bataille des Mont Grampians est un exemple de rassemblement des Pictes sous un chef unique pour combattre un ennemi commun. Tacite ne qualifie pas Calgacos de roi ou de chef mais écrit : 'L'un des nombreux dirigeants, nommé Calgacos, homme d'une vaillance et d'une noblesse exceptionnelles, convoqua les masses qui avaient déjà soif de bataille et s'adressa à elles' (McHardy, 28). Tacite rapporte que Calgacos avait sous son commandement 30 000 hommes à qui il délivra un discours d'encouragement resté célèbre (qui, selon de nombreux historiens, est une création de Tacite). Le discours de Calgacos à ses guerriers commençait ainsi :
J'ai la certitude que ce jour, et cette union entre vous, sera le début de la liberté pour l'ensemble de la Bretagne. Pour nous tous, l'esclavage est une chose inconnue ; Au-delà de notre terre, il n’y a plus rien. La mer ne nous protège même plus : la flotte romaine nous y attend. Alors, dans la guerre et la bataille, où les braves trouvent la gloire, même les pleutres trouveront la sécurité. Ceux qui autrefois, avec des fortunes diverses, ont combattu les Romains, voyaient encore en nous un dernier espoir de secours, dans la mesure où, étant la nation la plus renommée de Bretagne, issue du cœur même du pays, et n'ayant jamais connu la défaite, nous pouvions préserver jusqu'à notre regard de la contagion de l'esclavage. Nous occupons les confins du monde, la terre des derniers hommes libres, car c’est notre éloignement même et tout ce qui entoure notre réputation qui, jusqu’aujourd’hui, nous ont protégé. Mais maintenant voilà que s’ouvre l’extrémité de la Bretagne. Au-delà, il n’y a plus un seul peuple. Il n’y a plus rien. Rien que des vagues, des écueils et une menace encore plus grande, celle des Romains. Ne croyez surtout pas que vous échapperez à leur fierté méprisante en vous effaçant dans l’obéissance.
Le monde entier est leur proie. Ces Romains, qui veulent tout, ne trouvent plus de terre à ruiner. Alors, c’est la mer qu’ils fouillent ! Riche, leur ennemi déchaîne leur cupidité, pauvre, il subit leur tyrannie. L’Orient, pas plus que l’Occident, n’a calmé leurs appétits. Ils sont les seuls au monde qui convoitent avec la même passion les terres d’abondance et d’indigence. Pillage, massacre et saccage, voilà ce qu’ils appellent à tort leur empire. Font-ils d’une terre un désert ? Ils diront qu’ils la pacifient (29-38).
Agricola affronta les Pictes avec 11 000 soldats de la IXe légion et les battit à plate couture. Les Pictes attaquèrent comme ils en avaient pris l'habitude au cours de leurs guerres tribales, tandis que les Romains défendirent fermement leur position en formation serrée, repoussèrent la charge, puis contre-attaquèrent. Tacite écrit : 'Les Bretons, lorsqu'ils virent que nos rangs restaient solides et fermes et que la poursuite reprenait, firent tout simplement demi-tour et prirent la fuite. Ils ne conservaient plus ni formation ni contact entre eux, mais se séparaient délibérément en petits groupes pour rejoindre leurs retraites lointaines et inaccessibles'. McHardy note cependant que ce que Tacite a perçu comme une déroute était en fait une manœuvre tactique. Il écrit comment les Pictes 's'étaient repliés dans les forêts et les montagnes' et poursuit en notant :
Tacite présente leur fuite comme le résultat de leur défaite mais on pourrait aussi considérer qu'ils avaient choisi de retourner dans leurs communautés dispersées afin de se regrouper. Il est révélateur qu'aucune autre source romaine ne rapporte de bataille rangée comme celle des Monts Grampians dans le nord pendant le reste de la période d'occupation romaine du sud de la Bretagne. Bien qu'il y ait eu plus tard de grandes flambées de guerre comme la Conspiration barbare de 360, il semblerait que les guerriers autochtones aient rapidement compris qu'il ne servait pas à grand-chose de combattre la disciplinée machine de guerre romaine dans des batailles rangées, en particulier en raison du fait que leurs propres compétences en matière de combat avaient été acquises au cours d'attaques éclair à l'échelle locale. La dispersion à laquelle il est fait référence peut être considérée comme le retour des Calédoniens à des groupes de combat de taille réduite après la bataille. Une sorte de guérilla de type moderne s'imposait et semble être devenue la norme pour les trois siècles à venir(48).
Bien que les Romains aient remporté la bataille, au prix supposé de 10 000 guerriers pictes, ils ne purent tirer parti de cette victoire. En effet, contrairement aux autres nations envahies par les Romains, les confins septentrionaux de la Bretagne n'avaient pas de centres urbains importants à conquérir.
McHardy note que 'lorsque les Romains sont arrivés dans la moitié nord des îles britanniques, la méthodologie de conquête et de contrôle qu'ils avaient mis au point avait déjà largement fait ses preuves sur les champs de bataille d'une Europe qu'ils avaient subjugué dans sa grande majorité. Cependant, ils rencontrèrent un problème insurmontable dans la conquête de cette nouvelle partie du monde, peut-être dû au fait qu'il n'y existait aucun site pouvant être considéré comme le siège officiel d'un pouvoir central quelconque' (41). De fait, les Romains n'ont jamais conquis la région qui allait devenir l'Écosse, en dépit de leurs nombreuses tentatives. La nature tribale des Pictes signifiait qu'ils pouvaient se déplacer rapidement d'un endroit à l'autre, qu'ils n'étaient pas liés à un seul site dans une région géographique donnée et qu'ils étaient capables de vivre des ressources de la terre. Les Romains se retrouvaient donc face à des adversaires qui n'offraient pas de grands centres urbains à conquérir, pas d'exploitations agricoles à brûler et qui, après la Bataille des Monts Grampians, refusaient de les affronter en bataille comme l'avaient fait les autres peuples. Les Pictes étaient impossibles à soumettre, car ils présentaient aux Romains un nouveau paradigme auquel Rome ne réussissait pas à s'adapter. Les légions romaines n'avaient encore jamais été confrontées à ce type de guérilla (qui allait également s'avérer efficace lors de la résistance des Goths, sous la direction d'Athanaric, à l'invasion de leurs territoires par les Romains en 367-369 de notre ère) et ne purent donc pas soumettre un ennemi qui vivait, se déplaçait et combattait comme aucun des adversaires qu'ils avaient affrontés auparavant. Les historiens Peter et Fiona Somerset Fry écrivent :
Tacite a décrit la Bataille des Mont Grampians comme une grande victoire romaine et on ne saurait l'en blâmer. Mais le fut-elle vraiment ? Le fait est qu'après la bataille, Agricola s'est retiré vers le sud. De plus, lorsqu'il quitta la Bretagne quelques mois plus tard, la frontière entre Romains et Calédoniens était encore fort éloignée du site de la bataille. En effet, elle se trouvait à plus de 240 kilomètres (150 miles) au sud, et au cours des années qui suivirent, l'occupation romaine de l'Écosse ne cessa de s'amoindrir. Elle ne consista probablement jamais qu'en la possession d'une poignée de forts et de bastions, de moins en moins nombreux au fil du temps (25).
En 122 de notre ère, l'empereur Hadrien ordonna la construction de son célèbre mur, qui allait mesurer 120 km de long, parfois sur une hauteur de 15 pieds, d'une côte à l'autre. En 142 de notre ère, le mur d'Antonin fut construit plus au nord sous le règne d'Antoninus Pius (alias Antonin le Pieux). Ces murs n'ont rien fait pour décourager les incursions pictes. Les Fry notent que 'le mur d'Hadrien et le mur d'Antonin étaient des barrières psychologiques autant que physiques. Ils faisaient en quelque sorte office de frontière, mais aucun des deux camps n'a imaginé un seul instant qu'ils aient pu être imprenables. Peut-être même que les Romains ne les avaient pas conçus comme tels' (27). Les murs servaient de ligne de démarcation entre les territoires du sud sous domination romaine, considérés comme 'civilisés', et le territoire sauvage et barbare du nord, contrôlé par les Pictes. Lorsque les Romains quittèrent la Bretagne en 410, les Pictes vivaient toujours dans les régions situées au nord du mur, comme cela avait toujours été le cas. On ignore quelle influence la présence des Romains a pu avoir sur eux, mais les gravures que les Pictes ont laissées sur leurs pierres levées ne reflètent pas une grande différence de mode de vie entre avant l'arrivée de Rome et après le départ des légions.
L'avènement du christianisme
Au cours de l'occupation romaine de la Bretagne, l'Empire romain avait adopté le christianisme comme religion d'État, à la suite de l'édit de Milan, le décret de tolérance religieuse de l'empereur Constantin, promulgué en 314 de notre ère. Des missionnaires chrétiens commencèrent alors à pénétrer en territoire picte, le premier d'entre eux étant saint Ninian, vers 397 de notre ère. L'activité de ces missionnaires, combinée à la puissance croissante du royaume de Northumbrie dans le sud, aura un impact durable sur les Pictes. Comme l'observe McHardy, 'Là où l'Empire romain a échoué à conquérir les Pictes, l'Église chrétienne a réussi' (93). Les Pictes pratiquaient un paganisme tribal qui semble avoir célébré le culte d'une déesse et une dévotion à la nature qui impliquait un grand respect pour des sites spécifiques de pouvoir surnaturel à travers le territoire où la déesse vivait, marchait ou avait accompli un miracle quelconque. Dans la société picte, les femmes étaient considérées comme les égales des hommes et l'accession au pouvoir (plus tard à la royauté) était matrilinéaire (passait par la mère), le chef régnant étant remplacé par son frère ou peut-être un neveu, mais pas par une succession patrilinéaire de père en fils. Il semble qu'il n'y ait eu aucune trace de la notion de 'péché' dans la croyance picte (comme dans d'autres formes de paganisme) et, comme la déesse vivait parmi le peuple, la terre devait être vénérée comme on l'eut fait pour la maison d'une divinité. Le christianisme a introduit un nouveau paradigme du fonctionnement de l'univers. McHardy écrit :
La nouvelle religion a introduit de nouveaux concepts. L'idée d'un Dieu masculin tout puissant, souvent vengeur, s'accompagnait du concept selon lequel tous les humains, et en particulier les femmes, étaient essentiellement des pécheurs. Ceci, dans une société où il était probable que les femmes étaient pour le moins égales aux hommes, mais où l'on croyait en une Déesse Mère, et peut-être en une sorte de matrilignité, suggère un bouleversement des valeurs. Il y eut d'autres changements radicaux. L'ancienne déesse faisait partie du paysage, là où le nouveau Dieu se trouvait dans un ciel étoilé anonyme. Cela a dû impliquer de grands changements dans la perception que les gens avaient d'eux-mêmes et de l'environnement dans lequel ils évoluaient (94).
Si les efforts de Ninian pour convertir les Pictes furent plus ou moins couronnés de succès, c'est son successeur, Saint Colomba, qui réalisa les plus grandes avancées dans la diffusion du christianisme. Ninian établit le christianisme parmi les Pictes du sud au cours du règne du roi picte Drust Ier (également connu sous le nom de Drest Ier et Drust fils d'Irb) qui régna de 406 à 451 ou de 424 à 451 (pour ne citer que deux des dates possibles de son règne). Colomba arriva d'Irlande vers 563, alors que le roi picte Brude, fils de Mailcon, régnait. Brude (également connu sous le nom de Brude Ier ou Bridei) unifia les Pictes du nord et du sud et, selon la source que l'on accepte, il devint chrétien après avoir rencontré Colomba ou était déjà converti à l'époque de son arrivée.
Lui-même ancien seigneur de la guerre d'une tribu d'Irlande, Colomba savait mobiliser et inspirer d'importants groupes d'hommes et sut mettre à profit ce talent pour convertir les Pictes. C'est de l'époque du missionnariat de Colomba autour de la forteresse picte d'Inverness que date la légende du monstre du Loch Ness. Saint Adomnan, qui a écrit La vie de Saint Colomba, raconte l'histoire d'un énorme monstre qui vivait dans les eaux de la Ness et avait déjà dévoré plusieurs habitants de la région avant l'arrivée de Colomba. Il sauva l'un de ses compagnons du monstre en invoquant le nom de Dieu et en ordonnant à la créature de s'en aller. À ce moment-là, 'le monstre fut terrifié et s'enfuit plus rapidement que si on l'avait tiré avec des cordes'. Cette défaite du monstre aurait si fortement impressionné les Pictes que ceux-ci se seraient alors convertis au christianisme. Bien que cette histoire se rapporte au fleuve Ness, et non au Loch Ness, elle est néanmoins considérée comme la base de toutes les histoires ultérieures concernant le monstre du Loch Ness. Les autres exploits de Colomba, comme le fait de battre les sorciers pictes à leur propre jeu (tout comme Moïse et les prêtres égyptiens dans le livre de l'Exode), renforcèrent sa réputation et firent du christianisme une alternative plus attrayante aux croyances traditionnelles des Pictes.
À l'époque de la mort de Colomba, en 597, les Pictes étaient pour la plupart christianisés et avaient dans l'ensemble abandonné leur mode de vie ancestral. La conversion des Pictes ne se déroula toutefois pas toujours sans heurts. En effet, en 617, de nombreux Pictes étaient encore réfractaires à la nouvelle religion, comme en témoigne le martyre de saint Donnan et de cinquante et un de ses disciples aux mains des Pictes sur l'île d'Eigg. Bien que des documents tels que la Vie de Colomba d'Adomnan, ou les travaux de Bède le vénérable, présentent un narratif dans lequel des missionnaires chrétiens font progresser la foi de façon constante et avec succès, d'autres travaux, tels que les Annales d'Ulster, montrent clairement que le processus de conversion ne se passé pas sans accroc. Même en 673, certains éléments de la population picte étaient encore réfractaires à la nouvelle foi, comme en témoigne l'incendie d'un monastère à Tiree.
La Northumbrie et la bataille de Dun Nechtain
Le mode de vie des Pictes ne subirent pas seulement les assauts des missionnaires chrétiens à l'intérieur de leurs frontières, mais aussi ceux d'une puissance émergente au sud. L'essor du Royaume angle de Northumbrie, qui faisait régulièrement des incursions en terre picte, nécessitait un gouvernement central fort sous la forme d'un roi de toutes les tribus, au lieu de l'ancien système où de nombreux chefs de tribus s'unissaient temporairement sous la direction d'un seul chef. La raison pour laquelle les Pictes ressentirent le besoin d'un gouvernement central n'est pas claire, mais on pense qu'ils auraient attribué l'efficacité des Northumbriens en matière de conquête à leurs rois et auraient donc cherché à protéger leurs territoires en employant le même système de gouvernement.
La Northumbrie disposait des ressources matérielles et humaines nécessaires qui lui avaient permis de s'emparer de vastes portions de terres appartenant à des tribus telles que les Scots, arrivés d'Irlande et installés en Dalriada et en Argyll, et les Bretons de Strathclyde; ils furent tous soumis aux Angles du royaume de Northumbrie. Les Angles s'étaient également emparés de certaines régions des territoires pictes au nord, soumettant le peuple et installant des rois qu'ils jugeaient susceptibles de servir leurs intérêts. L'un de ces rois picte, Bridei Mac Billi (plus connu sous le nom de Brude Mac Bile), est considéré comme l'un des plus grands, sinon le plus grand, des rois pictes pour avoir arrêté l'avancée des Angles de Northumbrie et libéré ses terres de leur influence. Ce faisant, il délivra également les Bretons, les Scots au sud, ainsi que d'autres tribus du joug northumbrien, et définit plus ou moins les premières frontières de ce qui deviendrait plus tard l'Angleterre, l'Écosse et le Pays de Galles.
Le roi de Northumbrie Ecgfrith, qui était le cousin de Brude, l'aurait peut-être aidé à accéder au pouvoir à la condition que Brude lui envoie régulièrement un tribut et travaille pour ses intérêts. Cette affirmation a toutefois été contestée, et l'on pense également que Brude est arrivé au pouvoir après la victoire des Northumbriens sur le roi des Pictes du Nord, Drest Mac Donuel, lors de la bataille des Deux Rivières en 670. Quelle que soit la manière dont Brude arriva au pouvoir, il est clair qu'on attendait de lui qu'il envoie un tribut au sud, en Northumbrie. Brude, cependant, n'avait aucune intention de s'exécuter et, bien qu'il semble avoir initialement envoyé un tribut sous forme de bétail et de céréales, il mit fin à cette pratique peu après avoir consolidé son pouvoir. Ecgfrith n'apprécia guère cette évolution, mais les raids pictes dans son royaume au sud du mur d'Hadrien, désormais en ruines et sans défense, l'irritèrent davantage. Ecgfirth décida qu'il était temps d'écarter Brude et de donner une bonne leçon aux Pictes, mais on lui conseilla d'essayer la diplomatie plutôt que la guerre.
Pendant ce temps là, Brude consolidait encore son pouvoir en soumettant les sous-chefs Pictes rebelles. En 681, il s'empara de la forteresse de Dunottar et, en 682, il disposait d'une marine suffisamment nombreuse et puissante pour naviguer jusqu'aux Orcades et soumettre les tribus qui s'y trouvaient. Après cette victoire, il s'empara de la capitale scote de Dunadd à l'ouest, de sorte qu'en 683, il avait sécurisé ses frontières nord, est et ouest (Orcades, Dunnotar et Dunadd) et n'avait plus à se préoccuper que d'une attaque venant directement du sud.
Cette attaque eut lieu en mai 685, lorsqu'Ecgfirth, ne pouvant plus tolérer les menaces de Brude à son égard, décida d'ignorer les recommandations de ses conseillers et de renoncer aux mesures diplomatiques. Il mobilisa une force de cavalerie (probablement environ 300 hommes) pour réprimer ce qu'il considérait comme une rébellion picte sur ses terres. Les Pictes, sous le commandement de Brude, attirèrent les forces de l'Angle de plus en plus profondément dans leur territoire, puis frappèrent à un endroit connu dans les chroniques anglaises sous le nom de Nechtansmere et dans les chroniques galloises sous le nom de Linn Garan ; les Annales d'Ulster y font référence sous le nom de Dun Nechtain, qui est le nom le plus couramment utilisé par les historiens. Les forces des Angles se retrouvèrent coincées entre l'armée picte, qui aurait compté des milliers de combattants, et les marais du lac. Ecgfirth, conscient de la précarité de sa position, opta pour une charge en règle de sa cavalerie en direction de la colline afin de briser la ligne des Pictes en son centre. Brude, cependant, se replia, feignant de battre en retraite, puis se retourna et tint la ligne. Il repoussa la charge, faisant reculer les Angles vers le bas de la colline et vers les marais ; puis il contre-attaqua. L'historien Bède le vénérable, qui donne le récit le plus détaillé de la bataille, écrit :
L'ennemi fit semblant de battre en retraite et attira le roi dans des passages montagneux étroits, où il fut tué avec la majeure partie de ses forces le 20 mai de sa quarantième année et de la quinzième de son règne... Dès lors, l'espoir et la force du royaume angle commencèrent à vaciller et à décliner, car les Pictes récupérèrent leurs propres terres qui avaient été occupées par les Angles, tandis que les Scots de Bretagne et une partie des Bretons eux-mêmes retrouvaient leur liberté. À cette époque, de nombreux Angles trouvèrent la mort, furent réduits en esclavage ou forcés de fuir le territoire picte. (McHardy, 124)
La bataille de Dun Nechtain mit fin à la puissance de la Northumbrie et sécurisa les frontières des territoires pictes qui, plus tard, deviendront l'Écosse. Elle a également eu pour conséquence de chasser les missionnaires chrétiens angles des territoires pictes, ce qui permit au christianisme originel de Colomban de s'implanter dans les Highlands au lieu du christianisme romain accepté par les Angles. Brude continua à régner jusqu'à sa mort, survenue en 693, date à laquelle son royaume était alors sécurisé et en paix. Un roi impopulaire, Taran, lui succéda. Il fut destitué au bout de quatre ans et remplacé par Brude Mac Derile, qui défit une autre force d'invasion angle en 698 et publia le célèbre édit, promulgué par Saint Adomnan, connu sous le nom de 'Loi des Innocents', qui établit des directives relatives à la conduite de la guerre permettant de protéger les femmes, les enfants, le clergé ainsi que les autres non-combattants.
Les guerres de religion et le Sautoir
Brude Mac Derile mourut en 706 et son frère, Nechtan Mac Derile, lui succéda. Ce dernier privilégiait la version angle du christianisme par rapport à l'église colombienne, ou celte. La principale source de friction entre les deux versions était la date de la célébration de Pâques, ainsi que des questions secondaires telles que la façon dont les moines devaient porter leur tonsure et se comporter. Le problème de fond le plus grave, cependant, était que l'église celtique reposait sur une base locale alors que les Angles avaient choisi de se placer sous l'autorité du pape à Rome. Cela signifie que l'église celte possédait ses propres terres tandis que les églises du sud appartenaient dans les faits à Rome qui les dirigeait aussi ; les prêtres du pays des Pictes étaient issus de la communauté locale, ceux du sud étaient nommés par les autorités catholiques romaines en Italie. La raison pour laquelle Nechtan privilégiait la version catholique romaine du christianisme n'est pas claire, mais en 710, il promulgua un édit royal à l'intention de toutes les églises de son royaume, les enjoignant d'accepter la date catholique romaine de Pâques et de se conformer aux règles catholiques romaines à d'autres égards.
Ce décret fut perçu par les Pictes comme une capitulation devant les Angles du sud, mais ils y obéirent, même à contrecœur, jusqu'en 724, date à laquelle face à une hostilité croissante à l'égard de son règne Nectan renonça à la couronne et se retira dans un monastère. À peine avait-il quitté le trône qu'une guerre civile éclatait dans le pays entre les partisans de l'Église celtique et ceux qui étaient devenus favorables au catholicisme romain. Durant cinq ans, le pays des Pictes se trouva divisé par un conflit presque quotidien entre ces deux branches, mais les combats durèrent en fait plus longtemps, jusqu'en 734, et aucun des rois qui ssuccédèrent à Nectan ne semblait en mesure d'arrêter les massacres. Enfin, en 734, Oengus, fils d'Uurguist, monta sur le trône et prit le contrôle de la situation. Il semble qu'il ait réussi à unifier les Pictes en orientant leur envie d'en découdre vers un ennemi autre qu'eux-mêmes ou les Angles : les Scots de Dalriada. Il envahit Dalriada en 734 et, en 736, s'empara de la citadelle de Dunadd. Les Scots furent vaincus et soumis en 750. Oengus se tourna ensuite vers les Bretons mais fut vaincu à la bataille de Mocetauc.
Après Oengus, d'autres rois régnèrent avec plus ou moins de succès jusqu'à l'arrivée de Constantin, fils de Fergus, en 780, qui consolida les victoires d'Oengus en formant un seul royaume réuni sous son autorité. Constantin unit les Pictes et les Scots et devint le premier souverain scot à être connu sous le nom d'Ard Righ - 'Haut Roi' - des Scots. À sa mort en 820, son frère Angus, fils de Fergus, monta sur le trône. Angus est surtout connu comme le souverain qui eut la vision de la croix de Saint-André dans le ciel, les nuages blancs formant un 'X' sur le fond bleu, qui deviendrait plus tard le Saltire, le drapeau de l'Écosse. Les Angles envahirent à nouveau les terres des Scots et des Pictes et avaient rassemblé leurs forces en Mercie. La nuit précédant la bataille, saint André apparut en rêve à Angus et lui promit la victoire au combat à condition que le roi consacre un dixième de ses richesses au service de Dieu. Angus accepta et, le lendemain matin, la croix blanche apparut dans le ciel pour confirmer l'accord. La coalition Scots-Pictes battit les Anglais assemblés sous le commandement d'Athelstan et Angus adopta le 'X' blanc sur fond bleu comme étendard.
Kenneth Mac Alpin et l'unification
Bien que les Pictes et les Scots aient été unis sous Constantin, l'histoire attribue régulièrement cette union au roi suivant, Cinaed Mac Alpin, plus connu sous le nom de Kenneth Mac Alpin. Une vieille histoire populaire, qui circule depuis longtemps et qui est toujours citée dans les livres d'histoire, raconte que Kenneth était un roi Scot qui, à force d'intrigues et de ruses, réussit à se faire accueillir à la cour du roi Picte, puis assassina la famille royale et s'empara du trône. Les historiens et les chercheurs modernes rejettent complètement cette version des événements. Les sources originales désignent explicitement Cinaed Mac Alpin comme 'roi des Pictes', et non des Scots, et son nom est Picte, et non Scot. L'histoire de son 'escroquerie ou de son massacre des Pictes ne survit que dans des manuscrits médiévaux, sans trace de mention antérieure' (McHardy, 167).
Il est aujourd'hui largement reconnu que Kenneth Mac Alpin descendait du roi Aed Find de la Dalriada scote et de Constantin, fils de Fergus des Pictes ; il était donc un parti acceptable à la fois pour les Écossais et les Pictes. L'affirmation selon laquelle il aurait anéanti la nation picte à l'aide une armée de Scots après avoir assassiné la noblesse de la cour picte est indéfendable. Premièrement, il n'existait pas de 'cour picte' telle qu'imaginée par les auteurs médiévaux postérieurs et, deuxièmement, comme nous l'avons noté, Kenneth Mac Alpin avait un droit légitime au trône des Pictes et n'aurait jamais eu besoin de se saisir du trône par la force. Kenneth Mac Alpin unit les Pictes et les Scots de manière plus durable que Constantin, les dirigeant dans des campagnes contre les Angles pour les chasser complètement de la région qui allait devenir l'Écosse. Il monta sur le trône en 843 et, en huit ans, étendit son royaume plus loin que tout autre souverain de la région avant lui. À sa mort, en 858, les frontières de l'Écosse en tant que nation étaient reconnaissables sous leur forme actuelle et les Angles avaient été repoussés vers le sud, dans leurs propres territoires.
Outre les empiètements angles, Kenneth Mac Alpin dut régulièrement repousser le nombre grandissant de raids vikings qui harcelaient la côte. Il déplaça les reliques de Saint Colomba de l'île sainte d'Iona à Dunkeld (le nouveau siège ecclésiastique), pour les protéger des raids vikings, et on lui attribue également la mise en place de la Pierre du Destin à Scone, symbole de la fierté et de la puissance nationale dans le but d'inspirer son peuple. Après sa mort, les raids vikings se poursuivirent et, comme le note McHardy :
Nombre de ces raids ont été extrêmement brutaux. Les annales qui subsistent, tant en Irlande qu'en Angleterre, font état de raids répétés d'année en année. Les raids se sont poursuivis pendant une grande partie du siècle et, avec le temps, les Vikings ont fini par s'installer. Si la plupart des raids étaient menés par une poignée de bateaux pouvant compter au maximum deux cents hommes, certaines années, les Hommes du nord arrivaient en beaucoup plus grand nombre. Ils réussirent à s'emparer de la majeure partie de l'Écosse au nord d'Inverness, des Hébrides et des îles septentrionales des Orcades et des Shetland, et ils furent à deux doigts de totalement vaincre les Pictes à au moins une occasion. (161)
En réponse à la menace des invasions vikings, les Pictes et les Scots s'unirent encore plus étroitement. Giric, fils de Donald Mac Alpin, le frère de Kenneth, est le dernier souverain mentionné en tant que 'roi des Pictes' et, après sa mort vers 899, les Pictes ne sont plus mentionnés dans l'histoire. McHardy écrit : 'les peuples tribaux d'origine picte et scote se sont combinés pour former la nouvelle entité politique d'Alba qui devint à son tour l'Écosse' (175). Le Dr Gordon Noble étaye cette affirmation en déclarant qu'il y eut 'une fusion croissante des Pictes et des Écossais - probablement en raison de la pression croissante des Vikings sur les royaumes autochtones du nord de la Bretagne' (Wiener, 3). Les Pictes du monde antique n'ont pas disparu, ils n'ont pas davantage été conquis et anéantis ; ils sont restés sur place en tant que peuple autochtone du nord de l'Écosse, et leurs descendants parcourent encore aujourd'hui leurs terres et leurs champs.