Les anciens Égyptiens comprenaient que leurs dieux avaient vaincu les forces du chaos en créant le monde et qu'ils comptaient sur l'aide de l'humanité pour le préserver. Les habitants de la Mésopotamie avaient la même croyance, mais ils avaient l'impression d'être des collaborateurs des dieux, travaillant chaque jour à retenir le chaos par les actes les plus simples, alors que les Égyptiens pensaient qu'il suffisait de reconnaître comment le monde fonctionnait, qui était responsable de son fonctionnement, et de se comporter en conséquence.
Ce comportement était guidé par la valeur culturelle centrale, la ma'at (ou maât, harmonie et équilibre), qui était soutenue par une force sous-jacente connue sous le nom de heka (magie). Le Heka (personnifié sous la forme du dieu Heka) était présent lors de la création du monde, préexistant aux dieux, et permettait à ces derniers de remplir leurs fonctions. Tout le monde, en observant la ma'at, aidait à maintenir l'ordre établi par les dieux grâce au heka, mais une classe spéciale était chargée d'honorer et de prendre soin des dieux au quotidien, et c'était le clergé.
Le clergé de l'Égypte ancienne ne prêchait pas, n'interprétait pas les Écritures, ne faisait pas de prosélytisme et n'organisait pas de services hebdomadaires; sa seule responsabilité était de s'occuper du dieu dans le temple. Hommes et femmes pouvaient être membres du clergé, ils exerçaient les mêmes fonctions et recevaient la même rémunération. Les femmes étaient plus souvent prêtresses de divinités féminines tandis que les hommes servaient les divinités masculines, mais ce n'était pas toujours le cas, comme en témoignent les prêtres de la déesse Serket, qui étaient médecins et aussi bien des hommes que des femmes, et ceux du dieu Amon. La fonction d'épouse du dieu Amon, occupée par une femme, finirait par devenir aussi puissante que celle du roi.
Les grands prêtres étaient choisis par le roi qui était considéré comme le grand prêtre de l'Égypte, le médiateur entre le peuple et ses dieux. Le clergé était déjà établie au début de la période dynastique en Égypte (c. 3150-2613 av. J.-C.), mais elle se développa au cours de l'Ancien Empire (c. 2613-2181 av. J.-C.), parallèlement à la construction des grands complexes mortuaires tels que Gizeh et Saqqarah. Tout au long de l'histoire de l'Égypte, le clergé joua un rôle essentiel dans le maintien des croyances et des traditions religieuses, tout en contestant constamment l'autorité du roi en amassant des richesses et des pouvoirs qui rivalisaient parfois avec ceux de la couronne.
Types de prêtres
Les prêtres masculins étaient appelés hem-netjer et les femmes hemet-netjer (serviteurs du dieu). Il existait une hiérarchie dans la prêtrise, du grand prêtre (hem-netjer-tepi, "premier serviteur du dieu") au sommet jusqu'aux prêtres wab à la base. Les prêtres wab s'acquittaient des tâches essentielles, mais assez banales, consistant à prendre soin du complexe du temple et à remplir toutes les fonctions pour lesquelles ils étaient sollicités, comme la préparation des festivals.
Entre ces deux positions se trouvait un large éventail de prêtres qui accomplissaient toutes sortes de tâches au service des dieux: personnel de cuisine, concierges, porteurs, scribes, tous ceux qui travaillaient dans le complexe du temple et qui avaient un lien quelconque avec le dieu étaient, d'une manière ou d'une autre, des prêtres. Même les chanteurs et les musiciens du culte devaient avoir reçu une certaine formation sacerdotale pour pouvoir exercer leurs fonctions, même si ce n'était probablement pas le genre d'initiation ou d'éducation que suivaient les prêtres proprement dits.
Les prêtres des heures étaient des astronomes qui tenaient le calendrier, déterminaient les jours de chance et de malchance, interprétaient les présages et les rêves. Il y avait aussi les médecins, qui étaient également des prêtres, le swnw (médecin généraliste) et le sau (praticien magique) qui combinaient tous deux la médecine et la magie. Un prêtre ka (également appelé servant ka) était payé par une famille pour effectuer les offrandes quotidiennes sur la tombe du défunt.
Il y avait également des prêtres sem qui présidaient les rituels mortuaires et dirigeaient les services funéraires. Les prêtres sem étaient les embaumeurs qui momifiaient le corps et récitaient les incantations tout en enveloppant la momie. Les prêtres sem étaient très respectés car ils étaient responsables de la prononciation précise des formules magiques qui garantissaient la vie éternelle au défunt. Une exception intéressante était le prêtre sem qui pratiquait l'incision dans le corps pour retirer les organes. Quelle que soit la manière dont il était traité le reste du temps, après cette procédure, il était rituellement insulté par ses pairs et chassé sur la route, très probablement pour éloigner les mauvais esprits associés aux blessures infligées au corps.
Juste en dessous du grand prêtre se trouvait le prêtre lecteur (hery-heb ou cheriheb) qui écrivait les textes religieux, instruisait les autres membres du clergé et récitait le "discours d'autorité", le heka, dans le temple et lors des fêtes. Bien qu'il existe des preuves que des femmes ont occupé toutes les autres fonctions dans la vie du temple, il n'y a aucune trace d'une femme prêtre lecteur. Cela pourrait s'expliquer par le fait que cette fonction était généralement transmise de père en fils.
Outre le grand prêtre, la plupart de ces fonctions étaient exercées à temps partiel. Les prêtres et les prêtresses étaient divisés en "quarts" et servaient le temple un mois sur quatre. À la fin de leur mois de service, ils retournaient à leur travail habituel au sein de la communauté, qui était généralement celui d'un bureaucrate de niveau moyen. Pendant leur service, les prêtres vivaient dans le complexe du temple. On attendait d'eux qu'ils soient rituellement purs, qu'ils se baignent plusieurs fois par jour et qu'ils soient capables d'accomplir les tâches qui leur étaient demandées.
Devoirs et rituels
Bien que les détails ne soient pas clairs, le clergé devait subir une sorte de rituel d'initiation avant d'entrer en fonction. Il a été suggéré que la confession négative, la liste des péchés que l'on pouvait honnêtement prétendre ne pas avoir commis, faisait à l'origine partie de ce rituel d'initiation. À l'époque du Nouvel Empire d'Égypte (c. 1570-1069 av. J.-C.), la confession négative était entièrement associée au jugement d'Osiris dans l'au-delà et incluse dans le Livre des morts égyptien, mais il est fort probable qu'elle ait été développée plus tôt comme une affirmation qu'une personne était digne de servir le dieu.
Il y avait autant de devoirs et de rituels qu'il y avait de prêtres, mais le clergé de haut rang participait quotidiennement à deux d'entre eux qui étaient considérés comme de la plus haute importance: Allumer le feu et tirer le loquet. Lors du rituel du feu, les prêtres se réunissaient avant l'aube dans une salle sacrée proche du sanctuaire du dieu et reconstituaient la première apparition du soleil en allumant un feu dans un brasero. On pensait que la barque du dieu Soleil traversait le monde souterrain pendant la nuit, où elle était menacée par le serpent Apophis. Des rituels étaient souvent observés pour aider le dieu du soleil à effectuer son voyage nocturne en toute sécurité et à vaincre Apophis; allumer le feu du matin en faisait partie.
Après avoir allumé le feu, on devait tirer le loquet, ce qui permettait de déverrouiller la porte de la salle du sanctuaire où se trouvait la statue du dieu. Seul le grand prêtre pouvait pénétrer dans ce sanctuaire intérieur, car on croyait que le dieu ou la déesse vivait dans la statue et que l'on pénétrait dans un espace sacré. Le grand prêtre était considéré comme suffisamment sanctifié pour partager la présence du dieu, mais personne d'autre jusqu'au Nouvel Empire, lorsque la fonction d'épouse d'Amon fut élevée sous Ahmôsis Ier (c. 1570-1544 av. J.-C.). L'épouse d'Amon devint l'homologue féminin du grand prêtre et certaines des épouses d'Amon étaient auparavant des grandes prêtresses. Le prêtre lavait et habillait la statue, puis les personnes de rang inférieur fournissaient la nourriture et la boisson qui étaient apportées au dieu et laissées dans la pièce. Lorsque l'on pensait que le dieu avait absorbé ces offrandes de manière surnaturelle, on les retirait de la pièce et on les remettait au personnel du temple.
Tout au long de la journée, les prêtres, les prêtresses, les chanteurs, les musiciens et d'autres personnes accomplissaient de nombreux rituels au temple et dans le complexe du temple. Une caractéristique importante des temples était l'institution connue sous le nom de Per-Ânkh (Maison de la vie) qui était à la fois bibliothèque, centre d'écriture, scriptorium, centre de conférence et institut d'enseignement supérieur. Les textes religieux et médicaux y étaient écrits, copiés, étudiés et discutés, et c'est peut-être là que les jeunes prêtres et médecins étaient éduqués. Outre les activités au Per-Ânkh, des rituels étaient pratiqués pour honorer des divinités moins importantes associées au dieu principal du temple, pour honorer des rois, des reines ou d'autres personnalités décédées, et pour assurer la fertilité et la santé de la terre.
Aucun de ces rituels n'impliquait un service hebdomadaire au cours duquel le peuple venait vénérer le dieu et écouter le prêtre ou la prêtresse parler. Les gens comprenaient déjà comment le monde fonctionnait et ce qu'on attendait d'eux, et n'avaient pas besoin d'une autorité ecclésiastique pour les instruire. Il est prouvé que les gens venaient au temple pour obtenir une aide médicale, financière et émotionnelle, ainsi que pour demander une protection contre les mauvais esprits ou les fantômes, et il est également clair qu'ils apportaient des offrandes au temple en remerciement des prières qui avaient été exaucées. La plupart du temps, cependant, les Égyptiens interagissaient avec leurs dieux en privé ou lors des nombreux festivals organisés tout au long de l'année. Les prêtres servaient les dieux, pas le peuple.
Évolution de la prêtrise
Avec le temps, cependant, les prêtres commencèrent à se servir plus que les autres. On trouve des preuves de cette tendance dès l'Ancien Empire égyptien, après l'établissement de la grande nécropole royale de Gizeh. À l'époque de l'Ancien Empire, Gizeh n'était pas le plateau de sable solitaire et balayé par le vent que l'on connaît aujourd'hui, mais une communauté prospère de fonctionnaires, de marchands, d'artisans et de prêtres. Ces derniers étaient chargés de fournir les offrandes quotidiennes et de conduire les rituels qui permettaient aux rois de poursuivre leur voyage dans l'au-delà.
L'un des facteurs ayant contribué à l'effondrement du gouvernement central à la fin de l'Ancien Empire est que le roi avait exempté les prêtres du paiement des impôts. Les prêtres vivaient non seulement des offrandes faites aux dieux, mais ils pouvaient aussi tirer profit des terres qu'ils possédaient et auxqelles le trésor royal n'avait pas accès. Il n'y a pas une seule période de l'histoire égyptienne où ce paradigme n'est pas évident. Il a été suggéré, et c'est tout à fait probable, que les réformes religieuses d'Akhenaton (1353-1336 av. J.-C.) au Nouvel Empire étaient davantage une manœuvre politique visant à affaiblir le pouvoir de la prêtrise qu'un effort sincère de réforme religieuse.
À l'époque d'Akhenaton, le culte d'Amon était devenu si puissant et si riche qu'il rivalisait avec le roi. Le poste d'épouse d'Amon, occupé par les femmes royales au temple de Karnak à Thèbes, avait commencé comme un titre honorifique à la fin du Moyen Empire d'Égypte (2040-1782 av. J.-C.) mais, au Nouvel Empire, c'était un poste puissant et, au cours de la Troisième Période Intermédiaire (c. 1069-525 av. J.-C.), la fille du roi Kashta (c. 750 av. J.-C.), Amenardis Ire, dirigeait effectivement la Haute-Égypte depuis Thèbes en tant qu'épouse d'Amon. Akhenaton, qui n'était probablement pas aussi enclin à la mystique ni aussi politiquement inepte qu'il est dépeint, reconnut le danger de voir le culte d'Amon devenir trop puissant et essaya donc d'empêcher cela en établissant le monothéisme.
Ses efforts furent cependant vains, non seulement parce qu'il luttait contre plus de 2 000 ans de tradition religieuse, mais aussi parce que, sur le plan purement pratique, trop de gens devaient leur subsistance au temple et à l'adoration des dieux. Après sa mort, son fils Toutânkhamon (c. 1336-1327 av. J.-C.) abolit la religion de son père et revint aux anciennes coutumes. Ces réformes furent complétées par Horemheb (1320-1292 av. J.-C.) qui effaça le nom d'Akhenaton de l'histoire pour protester contre son impiété.
Déclin et disparition
La prêtrise put donc s'épanouir et devint particulièrement puissante à Thèbes. Amon était de plus en plus considéré comme le roi des dieux et devint le pouvoir politique de Thèbes grâce à son grand temple de Karnak et aux manipulations de la prêtrise.
Selon l'universitaire Marie Parsons, à l'époque du règne de Ramsès III (1186-1155 av. J.-C.), à la fin du Nouvel Empire, les prêtres des différents cultes détenaient plus de pouvoir et de richesses que le pharaon, en particulier les prêtres d'Amon. Parsons écrit:
Sous le règne de Ramsès III, le temple d'Amon à Karnak comprenait 433 vergers, 421 000 têtes de bétail, 65 villages, 83 navires et 46 ateliers, avec des centaines d'hectares de terres agricoles et une main-d'œuvre totale de plus de 81 000 personnes. Le temple de Râ à Héliopolis possédait des centaines d'hectares, 64 vergers, 45 544 têtes de bétail, 103 villages, 3 navires et 5 ateliers, avec un personnel de 12 700 personnes. Les intendants des domaines et des greniers, les scribes, les soldats, relevaient tous des grands prêtres de leur temple. (4)
Comme Akhenaton pouvait le craindre, le pouvoir des prêtres compromettait la position du roi. Au cours de la Troisième Période Intermédiaire en Égypte, Amon était effectivement le souverain de Thèbes et de la Haute-Égypte. Au lieu que le pharaon interprète la volonté des dieux pour le peuple et agisse en tant que grand prêtre suprême, les prêtres consultaient directement les dieux et interprétaient leurs réponses. Les affaires civiques et criminelles, les questions de politique, les problèmes domestiques, les politiques de construction étaient tous décidés à Thèbes par Amon, dont la volonté était ensuite interprétée et mise en œuvre par les prêtres. L'égyptologue Marc van de Mieroop écrit:
Le dieu prenait les décisions de l'État dans la pratique. Un festival régulier de l'audience divine avait lieu à Karnak, au cours duquel la statue du dieu communiquait par le biais d'oracles, en hochant la tête lorsqu'elle était d'accord. Les oracles divins étaient devenus importants à la XVIIIe dynastie; à la troisième période intermédiaire, ils constituaient la base de la pratique gouvernementale. (266)
Tout au long de la troisième période intermédiaire et de la dernière période de l'Égypte ancienne (525-332 av. J.-C.), les prêtres continuèrent à détenir ce niveau de pouvoir, mais la prêtrise commença à décliner à mesure que les fonctions étaient achetées et vendues. L'égyptologue Margaret Bunson commente ce phénomène:
Avec le temps, les prêtres ont assisté à la chute de leurs propres sanctuaires et temples et d'autres membres de leurs rangs sont entrés dans le monde politique avec des ambitions. Même le rôle de la prêtrise était troqué ou dilapidé à des fins lucratives. (209)
Les prêtres maintinrent leur position, avec plus ou moins de succès, pendant la dynastie ptolémaïque (332-30 av. J.-C.) et même dans l'Égypte romaine tardive, mais au moment de l'ascension du christianisme au IVe siècle de notre ère, ils avaient perdu la majeure partie de leur prestige et de leur pouvoir et avaient largement trahi leur position au profit de la richesse matérielle et du pouvoir personnel. C'est en partie à cause de ce déclin de la prêtrise que le christianisme put gagner une telle influence en Égypte et finalement remplacer l'ancienne foi par une nouvelle.