Le chien, "meilleur ami de l'homme", a une longue histoire qui remonte à une époque bien antérieure à l'établissement de la civilisation de l'Égypte ancienne, mais les Égyptiens furent parmi les premiers à reconnaître la valeur du chien et à manifester leur appréciation pour ses aptitudes et ses talents particuliers.
L'Égypte ancienne est bien connue pour son association avec les chats, mais le chien était tout aussi populaire et très apprécié. L'égyptologue Margaret Bunson note que les chiens "ont probablement été domestiqués en Égypte à l'époque pré-dynastique" et qu'ils "servaient de chasseurs et de compagnons aux Égyptiens, dont certains mentionnaient leurs chiens dans leurs textes mortuaires" (67). Une peinture funéraire datant d'environ 3500 ans avant notre ère montre un homme promenant son chien en laisse dans une scène reconnaissable par tous aujourd'hui.
Le collier et la laisse furent très probablement développés par les Sumériens plus tôt, même si des preuves de leur existence en Mésopotamie apparaissent après 3500 avant notre ère dans des objets tels qu'un pendentif Saluki en or provenant d'Ur et daté de 3300 avant notre ère. Il est toutefois probable que les Sumériens - parmi leurs nombreuses autres inventions - aient également créé le collier et la laisse pour chien, puisque le chien avait été domestiqué plus tôt qu'en Égypte dans cette région.
Domestication et le chien
Les animaux tels que les bovins, les moutons, les chèvres, les porcs, les ânes et différentes sortes d'oiseaux furent domestiqués au cours de la période pré-dynastique (c. 6000 - c. 3150 av. J.-C.), comme en témoignent les objets funéraires et la surexploitation des terres pour le pâturage. Au début de la période dynastique (c. 3150-vc 2613 av. J.-C.), le bétail était l'animal le plus important et était considéré comme un objet de richesse substantielle, comme le montre le compte du bétail égyptien, qui était une forme de calcul et de perception des impôts.
Le chien est cependant antérieur à la domestication de tous ces animaux. Les chercheurs sont parvenus à cette conclusion en s'appuyant sur des preuves matérielles provenant de tombes, d'inscriptions et de peintures funéraires. Le chien, qu'il ait été Basenji, lévrier ou Saluki, était souvent représenté en train d'aider à rassembler le bétail, avec un large collier attaché par un nœud à l'arrière du cou.
Selon l'historien Jimmy Dunn, les chiens "jouaient un rôle dans la chasse, comme chiens de garde et de police, dans les actions militaires et comme animaux domestiques" (1). Le mot égyptien pour chien était iwiw qui faisait référence à leur aboiement (Dunn, 1). Qu'il ait été chasseur, compagnon, garde, policier ou religieux, le chien était un élément commun du paysage de l'Égypte ancienne.
Races de chiens égyptiens
Les chiens sont représentés dans les œuvres d'art égyptiennes de la période pré-dynastique en tant que compagnons, à la chasse ou dans des vignettes de l'au-delà. Ils apparaissent également sur des céramiques telles que les palettes en schiste qui étaient utilisées dans la vie quotidienne (comme la Palette des quatre chiens du Louvre pour les cosmétiques) ou lors de cérémonies ou de commémorations (comme la Palette de Narmer).
Les types de races sont parfois difficiles à identifier mais, pour l'essentiel, il semble qu'il y ait eu sept types distincts. Les chiens de chasse étaient régulièrement appelés tesem, terme qui s'est attaché aux ancêtres des Basenji, mais qui aurait pu s'appliquer aussi bien à tous les chiens utilisés pour la chasse.
Le tesem n'était pas une race de chien mais désignait un chien de chasse. Les races suivantes sont identifiées par leur nom moderne, mais il faut comprendre que ce n'est pas le nom qu'on leur donnait dans l'Égypte ancienne, sauf peut-être pour le Basenji et le lévrier d'Ibiza.
Le Basenji: Cette race est l'une des mieux attestées dans l'Égypte ancienne. Elle est sans doute venue de Nubie où elle semble avoir été assez répandue. Son nom est généralement traduit par "chien des villageois", car il était très souvent associé à des communautés de personnes. Le Basenji était utilisé pour la chasse au petit gibier, comme compagnon, comme animal de compagnie et comme chien de garde. Les Basenjis pourraient faire partie des chiens figurant sur la stèle funéraire d'Intef II (2112-2063 av. J.-C.) de la XIe dynastie et c'était peut-être la race de son chien préféré, Beha, pour lequel il fit sculpter une stèle individuelle.
Le lévrier: Bien que l'origine du lévrier soit contestée, des traces de cette race furent trouvées en Mésopotamie et en Égypte. Les tombes contenant des lévriers en Mésopotamie remontent à la période Ubaïde, vers 5000 avant notre ère, et les images égyptiennes vers 4250 avant notre ère. Le lévrier était utilisé pour la chasse au gros gibier dans des zones ouvertes, mais il était également utilisé comme animal de compagnie et comme chien de garde. Les lévriers sont représentés tout au long de l'histoire de l'Égypte comme des chiens de chasse, mais il se peut aussi qu'ils figurent sur des scènes de bataille comme la stèle de la victoire de Ramsès II (1279-1213 av. J.-C.) célébrant son triomphe sur les Hittites lors de la bataille de Qadech.
Le lévrier D'Ibiza: Probablement le chien le plus souvent représenté dans l'art égyptien. Le lévrier D'Ibiza est d'origine égyptienne mais aurait été amené d'Égypte à l'île d'Ibiza par des marchands phéniciens au cours du VIIe siècle avant notre ère. La race et son nom sont généralement datés de cette époque, mais il n'existe aucune preuve de la présence du chien sur l'île d'Ibiza à l'origine, alors que de nombreux éléments suggèrent sa présence en Égypte. C'est le chien le plus souvent appelé " tesem" et donc le chien égyptien "typique".
Le lévrier du pharaon: On prétend souvent que cette race est née beaucoup plus tard, au XVIIe siècle à Malte, mais on pense que ses ancêtres cohabitaient avec les anciens Égyptiens. Il s'agit très probablement d'une race égyptienne apportée à Malte par les marchands phéniciens. Cette affirmation s'appuie sur des œuvres d'art, comme celle qui figure sur la tombe d'Intef II vers la fin de la première période intermédiaire (2181-2040 av. J.-C.). Sa stèle funéraire représente des chiens qui ressemblent davantage à une race similaire au chien du pharaon qu'à d'autres races égyptiennes connues. Le pharaon est souvent représenté dans des scènes de chasse et était considéré comme la meilleure race pour les sacrifices à Anubis à Cynopolis.
Le saluki: élevé pour la première fois en Mésopotamie par les Sumériens, le saluki était l'une des races les plus populaires dans la région et, plus tard, en Égypte. Les amulettes et les œuvres d'art de Mésopotamie représentent régulièrement cette race et on l'a trouvée dans des tombes avec ou sans restes humains accompagnant les os. Le saluki était bel et bien présent en Égypte, malgré les affirmations contraires, mais pas aussi tôt qu'en Mésopotamie. Les Salukis sont clairement représentés dans les peintures funéraires et les stèles comme chiens de chasse et compagnons.
Le Whippet: Les whippets étaient les chiens des rois égyptiens et étaient très probablement issus du croisement de lévriers avec des chiens parias. Le résultat était un chien de chasse plus petit et plus rapide. Les whippets étaient appréciés pour la chasse en terrain découvert où ils pouvaient tirer le meilleur parti de leur vitesse pour rabattre le gibier. Bien qu'ils soient parfois cités comme une race tardive en Égypte, ils semblent être les chiens représentés dans l'art à partir de l'Ancien Empire.
Le Molosse: élevé en Grèce dans la région de l'Épire, ce chien arriva en Égypte par le biais du commerce. Ils tirent leur nom du roi d'Épire, Molossos, que l'on dit être le petit-fils d'Achille. Ces chiens, ou une variante de ceux-ci, étaient des chasseurs et des chiens de garde bien connus en Mésopotamie et furent utilisés par les Égyptiens dans le même but, mais aussi comme chiens de police. Ils pourraient faire partie des chiens, comme le lévrier, représentés sur la stèle de victoire de Qadech de Ramsès II. Les Molosses seront plus tard mieux connus comme chiens de combat et de guerre de la Rome antique, mais ils semblent être devenus très populaires en Égypte et furent probablement introduits par les Hyksôs au cours de la deuxième période intermédiaire (c. 1782-1570 av. J.-C.).
Il y avait aussi des chiens parias, des chiens sauvages et des chiens errants de race mixte, qui chassaient souvent à la périphérie des villages ou des nécropoles. Ces chiens se déplaçaient souvent en meute et cherchaient de la nourriture. Il a été suggéré que la présence de chiens parias encouragea la pratique égyptienne de l'enterrement dans des tombes afin de protéger les dépouilles de ces chiens. Au début de la période pré-dynastique, les morts étaient enterrés dans de simples tombes en terre, souvent peu profondes, ce qui aurait permis aux chiens parias de creuser facilement et de les déterrer. Il est possible que les mastabas aient été développées en partie pour éviter cela.
Les inscriptions égyptiennes anciennes mentionnent le ketket mais, comme le tesem, il ne s'agit pas d'une race de chien mais d'une description d'un type de chien. Ket signifie "petit" en égyptien ancien et un ketket était donc une sorte de petit chien. Des chiens qui semblent être les ancêtres du harrier moderne étaient également gardés par les Égyptiens, mais on ne sait pas de quelle race il s'agissait. Il semble qu'il s'agissait de chiens de petite ou moyenne taille, d'une rapidité impressionnante.
La petite statue du British Museum intitulée Dog Swallowing A Fish (chien qui avale un poisson, numéro d'article EA 13596), datée de la fin de la XVIIIe dynastie (1350-1300 av. J.-C.), est un exemple de chien qui aurait été appelé " ketket". La statue représente un chiot "portant un collier qui présente des traces de dorure, avec des oreilles en forme de houppe et une longue queue touffue qui s'enroule autour de ses pattes arrière" et "adopte la posture bien connue d'un chien en train de jouer, les pattes avant repliées et la croupe levée en l'air" (British Museum, 237). Le chien tient dans sa gueule un petit objet en bronze qui a été interprété comme la queue d'un poisson ou une grosse mouche avec laquelle il joue. La pièce est sculptée dans une défense, l'objet en bronze étant collé sur la gueule et la base étant percée de deux trous qui permettaient vraisemblablement de fixer la statue à un mur. Le British Museum observe:
La pièce est brillamment observée et appartient à une catégorie de petites sculptures réalisées vers la fin de la XVIIIe dynastie qui représentent des animaux familiers et aimés des Égyptiens. Elle ne peut avoir été réalisée dans un autre but que celui de ravir et d'amuser son propriétaire. (237)
Chiens et Anubis
En fait, les chiens étaient proches et aimés des Égyptiens. Cette dévotion ressort clairement du nombre de fois où ils sont représentés et mentionnés dans l'art et les inscriptions tout au long de l'histoire de la civilisation, ainsi que de la façon dont ils étaient généralement traités.
Comme nous l'avons déjà mentionné, les chiens étaient représentés sur des palettes au cours des périodes pré-dynastique et dynastique précoce. Au cours de l'Ancien Empire, le chien du roi Khéops (2589-2566 av. J.-C.), Akbaru, aurait été enterré avec lui dans la tombe du roi. L'un des chiens les plus connus d'Égypte reçut sa propre stèle funéraire à cette même époque. Abuwtiyuw était le chien d'un serviteur du roi (on ne sait pas exactement quel monarque de l'Ancien Empire) qui fut honoré d'une sépulture digne d'un noble. La stèle du chien se lit comme suit :
Le chien qui était le gardien de Sa Majesté. Son nom était Abuwtiyuw. Sa Majesté a ordonné qu'il soit enterré de façon cérémoniale, qu'on lui donne un cercueil provenant du trésor royal, du linge fin en grande quantité et de l'encens. Sa Majesté donna également de l'onguent parfumé et ordonna qu'un tombeau soit construit pour lui par les équipes de maçons. Sa Majesté a fait cela pour lui afin qu'il [le chien] soit honoré devant le grand dieu Anubis. (Hobgood-Oster, 41-42)
Le Basenji est le chien le plus souvent cité comme source d'inspiration pour l'image d'Anubis, l'un des principaux dieux des morts qui guidait l'âme vers le jugement dans l'au-delà (bien que le lévrier, le Pharaon et lévrier d'Ibiza soient également en lice). Anubis est souvent appelé "le chien chacal", mais ce n'est pas ainsi que le connaissaient les anciens Égyptiens, qui le désignaient toujours comme un chien, comme dans son épithète "le chien qui avale des millions". Il convient toutefois de noter que les Égyptiens ne faisaient pas de distinction entre le chacal et le chien, notamment en ce qui concerne les chiens parias.
La ville de Hardaï était le centre de culte d'Anubis et fut donc appelée Cynopolis ("ville du chien") par les Grecs. Les chiens se promenaient librement dans le temple d'Anubis et étaient également élevés pour les sacrifices. Des chiens momifiés étaient apportés au temple en guise d'offrande à Anubis (le "chien rouge", identifié à la race de pharaon, étant privilégié), mais le taux de mortalité des chiens du temple n'était pas assez élevé pour répondre à la demande de sacrifices momifiés. Une sorte d'usine à chiots fut créée dans le seul but d'élever des chiens destinés à être sacrifiés à Anubis.
Chiens, colliers et vie après la mort
Dans des circonstances normales, cependant, tuer un chien entraînait des sanctions sévères et, si le chien était muni d'un collier et appartenait manifestement à une autre personne, son assassinat constituait un crime passible de la peine capitale. La mort d'un chien de la famille suscitait le même chagrin que celle d'un humain et les membres de la famille se rasaient entièrement le corps, y compris les sourcils. Comme la plupart des Égyptiens et Égyptiennes se rasaient la tête pour éviter les poux et maintenir une hygiène de base, l'absence de sourcils était le signe de deuil le plus notable. À certaines périodes, on observa le contraire et les gens ne se rasaient pas du tout.
Néanmoins, tout comme pour le deuil d'un être humain, on croyait que l'on retrouverait son ami canin dans l'au-delà. Les peintures des tombes du pharaon Toutânkhamon le montrent dans son char avec ses chiens de chasse et Ramsès le Grand est représenté de la même manière. Comme dans le cas de Khéops et de son compagnon, les chiens étaient souvent enterrés avec leurs maîtres afin de les accompagner de près dans l'au-delà. Certains chiens semblent avoir été tués après la mort de leur maître puis momifiés, d'autres sont morts plus tôt et d'autres encore, comme à Cynopolis et peut-être à Saqqara, furent sacrifiés rituellement.
Comme dans beaucoup d'autres cultures, antérieures et postérieures, le chien était considéré comme une sorte d'intermédiaire entre les mondes qui pouvait agir comme un guide; ceci est plus clairement visible dans l'image du dieu-chien Anubis. Le chien qui aidait et guidait une personne dans la vie avait la même fonction dans l'au-delà. La relation intime entre les chiens et leurs maîtres en Égypte apparaît clairement dans les inscriptions des tombes, des monuments et des temples, ainsi que dans la littérature égyptienne. Les chiens, contrairement aux chats, étaient toujours nommés et ces noms étaient inscrits sur leur collier. Dunn écrit:
Nous connaissons même de nombreux noms de chiens de l'Égypte ancienne, inscrits sur des colliers de cuir ainsi que sur des stèles et des reliefs. Il s'agit de noms tels que "Brave", "Fiable", "Bon gardien", "Vent du Nord", "Antilope" et même "Inutile". D'autres noms proviennent de la couleur du chien, comme Noiraud, tandis que d'autres encore reçurent des numéros en guise de noms, comme "Conquième". De nombreux noms semblent représenter un attachement, tandis que d'autres expriment simplement les aptitudes ou les capacités du chien. (Dunn, 2)
Ces colliers pour chiens commencèrent très probablement dans les premières périodes comme une simple corde, probablement similaire aux laisses utilisées aujourd'hui, mais ils évoluèrent avec le temps pour devenir des œuvres d'art complexes. Dès l'Ancien Empire, le collier était un anneau de cuir épais collé ensemble et placé sur la tête du chien. Au cours du Moyen Empire, ces colliers devinrent plus élaborés et étaient souvent ornés de clous en cuivre et en bronze. Au Nouvel Empire (c. 1570-1069 av. J.-C.), le collier pour chien atteignit son apogée avec des colliers en or et en argent portant l'inscription du nom du chien.
Deux pièces particulièrement intéressantes de cette période proviennent de la tombe de Maiherpri, un noble du règne de Thoutmôsis IV (1400-1390 av. J.-C.), dont le nom se traduit par "Lion du champ de bataille" et qui était donc manifestement considéré comme un grand guerrier. Outre son carquois, ses protège-poignets et ses flèches, la tombe contient deux colliers de chien teints en rose et ornés d'images complexes. L'un est orné de fleurs de lotus et de chevaux ponctués de clous en laiton, tandis que l'autre représente des chiens chassant le bouquetin et la gazelle et porte le nom du chien, Tantanuit, ce qui suggère qu'il s'agissait d'une femelle puisque "Tantanuit" était un nom de femme.
Tout au long de l'histoire de l'Égypte, les laisses étaient en cuir ou en corde de papyrus. Un collier de chien exhumé d'une tombe du Soudan moderne, sur le site de la nécropole de Tombos, daté du Nouvel Empire, est une bande de cuir avec une terminaison en forme de diamant qui était insérée dans une fente pratiquée dans le collier; la longueur restante du cuir était alors utilisée comme laisse.
La dévotion des hommes envers leurs chiens, et l'affection que ceux-ci leur rendaient, se poursuivaient dans l'au-delà, où l'on croyait retrouver tout ce que l'on avait apparemment perdu à la mort. Une fois que l'âme avait été justifiée par Osiris et autorisée à poursuivre sa route, on se rendait au Champ des roseaux qui était une version idéalisée de la vie que l'on avait laissée derrière soi sur terre. Tous les êtres chers qui avaient quitté la terre accueillaient l'âme lorsqu'elle pénétrait dans ce royaume. On retrouvait la maison, le jardin, le ruisseau que l'on avait appréciés dans la vie et, avec eux, les âmes retrouvaient leur chien préféré qui attendait fidèlement leur arrivée à la maison.