Parmi les œuvres les plus intéressantes et les plus influentes de la littérature égyptienne figurent les récits du cycle connu sous le nom de Setné I et Setné II ou le Cycle de Setné. Il s'agit d'œuvres de fiction datant de la période tardive de l'Égypte ancienne (525-332 av. J.-C.), de la période ptolémaïque (323-30 av. J.-C.) et de l'Égypte romaine (30 av. J.-C.-646 ap. J.-C.).
Ces œuvres mettent en scène le prince Setné-Khâemouaset en tant que personnage principal dans Setné I et en tant que personnage secondaire important et faire-valoir de son fils dans Setné II. Comme toutes les grandes œuvres littéraires, ces pièces peuvent être interprétées de différentes manières, mais leur but premier était de divertir tout en enseignant d'importantes leçons culturelles et religieuses.
Ces histoires ont influencé de nombreux écrivains ultérieurs et d'importantes œuvres littéraires. Hérodote cite Setné sous le nom du grand prêtre Séthos dans l'un de ses passages les plus connus concernant les troupes du roi assyrien Sennachérib vaincues par des souris qui rongent leur équipement pendant leur sommeil (Histoires II. 141). Ce passage est sa version de l'histoire racontée dans le livre biblique de II Rois 19, 35 dans lequel un ange du Seigneur détruit l'armée assyrienne qui assiège Jérusalem. La séquence de Setné II dans laquelle Setné et son fils Siousir se rendent aux Enfers s'inspire de la mythologie grecque et influence les écritures chrétiennes ultérieures dans l'histoire de l'homme riche et de l'homme pauvre dans l'au-delà.
Dans le Cycle de Setné, l'homme riche souffre dans l'au-delà pour ses méfaits sur terre, tandis que l'homme pauvre est récompensé pour avoir maintenu le concept de maât (harmonie et équilibre). Dans le livre biblique de Luc 16:19-31, ce même thème est exploré dans l'histoire de l'homme riche et de Lazare. Ici, un homme riche qui semble s'attendre à une récompense dans l'au-delà est puni, tandis que le pauvre mendiant Lazare est récompensé au ciel pour ses souffrances sur terre.
Il n'est guère surprenant que le Cycle de Setné ait influencé d'autres œuvres, car il semble avoir été très populaire à son époque, puisqu'il existe des copies et des fragments de copies. Les deux sources principales des textes sont des rouleaux de papyrus, écrits en démotique, actuellement conservés au musée du Caire en Égypte (Setné I) et au British Museum à Londres (Setné II). Le début de Setné I est endommagé mais a été raisonnablement reconstitué à l'aide de fragments trouvés ailleurs et d'indices contextuels provenant de la partie intacte du rouleau.
Fondement historique des récits
Le Cycle Setné est basé sur le personnage historique de Khâemouaset (c. 1281 - c. 1225 av. J.-C.), le quatrième fils de Ramsès II (1279-1213 av. J.-C.). Khâemouaset était le grand prêtre de Ptah et responsable de l'entretien des temples d'Égypte. Il alla cependant plus loin dans ses fonctions que tous ceux qui l'avaient précédé ou qui lui succédèrent, en restaurant les temples et les monuments tombés en ruine et en veillant à ce que les noms des propriétaires d'origine y soient inscrits. C'est grâce à ces efforts qu'on se souvient de lui comme du "premier égyptologue", car il étudia et préserva le passé.
Khâemouaset était bien connu pour pénétrer dans les tombes afin d'y effectuer des travaux de conservation et pour sa capacité à comprendre les inscriptions anciennes. À l'époque où les histoires de Setné furent écrites, il était vénéré comme un grand magicien et un sage, et ces aspects de la figure de Khâemouaset figurent en bonne place dans le personnage du prince Setné, dont le nom est dérivé d'une corruption du titre sacerdotal de Khâemouaset, Sem ou Sem de Ptah.
La manie de Khâemouaset de pénétrer sans crainte dans les tombes d'autrui ainsi que sa capacité à lire les inscriptions de l'Ancien Empire sont développées dans Setné I, lorsque le personnage principal pénètre dans une tombe pour en extraire un livre magique. Même si Khâemouaset était très apprécié, cette pratique consistant à s'aventurer dans les tombes ne l'était pas, et le prince Setné est présenté comme un homme insouciant des conséquences de ses actes, qui suivait impulsivement son cœur plutôt que les préceptes de la tradition et les valeurs culturelles.
Setné I
L'histoire de Setné I (également connue sous le nom de Setné et le livre de Thot) commence avec le prince Setné Khâemouaset, fils de Ramsès II, à la recherche d'un ancien tombeau avec son frère adoptif Inaros. Le tombeau est censé contenir un ancien livre de magie, mais lorsqu'il y pénètre, il est confronté aux fantômes de la famille: Nofrekôptah, sa femme Ahouré et leur fils Merib. Ahouré dit à Setné qu'il ne peut pas avoir le livre parce qu'il leur appartient; ils sont tous les trois morts pour lui.
Elle lui raconte alors l'histoire de Nofrekôptah, grand scribe et magicien, qui vola le livre, écrit à la main par le dieu Thot en personne, dans une cachette secrète au fond de la mer. Setné s'en moque et dit qu'il prendra le livre, mais Nofrekôptah le met au défi de jouer à un jeu qu'il perd à chaque fois. Il appelle Inaros, à l'extérieur du tombeau, pour qu'il lui apporte ses amulettes magiques, échappe aux griffes de Nofrekôptah et vole le livre.
Nofrekôptah jure à Ahouré qu'il récupérera le livre, puis la scène bascule à Memphis où Setné se promène dans la rue lorsqu'il aperçoit une belle femme et la convoite. Il envoie un serviteur lui demander si elle veut bien passer une heure avec lui, mais la femme, une fille du prêtre de Bastet nommée Taboubou, l'invite plutôt chez elle à Bubastis.
Setné s'y rend et, dans son désir, lui promet n'importe quoi pour coucher avec elle. Elle lui fait céder sa maison et ses biens, fait venir ses enfants pour qu'ils assistent légalement à la transaction, puis fait tuer les enfants et jette leurs corps dans la rue pour que les chiens les mangent. Setné, en transe de luxure, n'est troublé par rien de tout cela et ne fait que la désirer davantage, mais lorsqu'il s'apprête enfin à embrasser Taboubou, elle crie et disparaît. Setné se retrouve nu dans la rue, le pénis enfoncé dans un pot d'argile.
Alors qu'il se tient debout, Pharaon passe et lui dit que tout ce qui s'est passé n'était qu'un rêve et que ses enfants et ses biens sont tous sains et saufs. Il avertit Setné de rendre le livre à Nofrekôptah. Setné retourne dans la tombe avec le livre, puis se rend à Coptos, où Ahouré et Merib sont enterrés, et ramène leurs momies dans la nécropole de Memphis pour les réunir dans la tombe avec Nofrekôptah. Le tombeau est ensuite scellé pour que le livre ne soit pas retrouvé et l'histoire se termine.
Setné II
Le deuxième conte de Setné (également connu sous le nom de Setné et Siousir) s'ouvre sur la femme de Setné, Méhousékhé, priant pour un enfant dans le temple. Ses prières sont exaucées et elle donne naissance à un fils que les dieux ont déjà dit à Setné de nommer Siousir. Siousir grandit rapidement, son corps et son esprit semblant vieillir beaucoup plus vite qu'il ne le devrait. En quelques années seulement, il a atteint la maturité et compte parmi les scribes les plus sages du pays.
Un jour, son père commente le cortège funèbre d'un homme riche suivi par de nombreuses personnes en deuil et celui d'un pauvre qui n'en a pas, en disant que l'homme riche doit être tellement plus heureux. Siousir corrige l'impression de son père en l'emmenant dans le monde souterrain. Là, ils voient des gens qui ont été malheureux dans la vie et qui poursuivent la même tendance en essayant de tresser des cordes ensemble, mais avant qu'ils ne puissent finir, des ânes rongent leur travail. D'autres personnes qu'ils croisent cherchent de la nourriture et de l'eau au-dessus d'eux, mais avant qu'ils ne puissent les atteindre, d'autres creusent des tranchées à leurs pieds pour les en empêcher. Ces personnes, explique Siousir, sont celles qui étaient avides dans la vie et qui continuent de l'être dans la mort.
Ils passent devant un homme qui pleure bruyamment, écrasé dans le pivot d'une porte, puis voient un homme riche, vêtu de beaux habits, près d'Osiris dans la salle du jugement. Siousir fait remarquer qu'il s'agit du pauvre dont ils ont vu les funérailles plus tôt, et qui est maintenant récompensé pour ses bonnes actions sur terre. L'homme qui pleure dans l'embrasure de la porte est l'homme riche qui a commis de nombreux méfaits sur terre et qui doit maintenant les payer dans l'au-delà. Siousir explique: "Celui qui est bienfaisant sur terre, celui-là est bienfaisant dans l'au-delà. Et celui qui est mauvais, celui-là est mauvais. Il en est ainsi et il en sera toujours ainsi" (Lichtheim, 141). Si-Osire ramène ensuite son père sur la terre des vivants.
Dans la seconde partie de l'histoire, Siousir est un homme mûr quand, un jour, un sorcier nubien se présente à la cour avec un rouleau attaché à son corps et lance un défi: si personne à la cour ne peut lire ce rouleau sans en briser le sceau et l'ouvrir, il retournera dans son pays et racontera à tout le monde la honte des sages égyptiens. Pharaon appelle immédiatement Setné et lui demande conseil, mais Setné n'a aucune idée et demande dix jours pour régler le problème. Le temps lui est accordé, mais il ne trouve pas la réponse à l'énigme et devient déprimé.
Siousir l'amène à parler de son problème et lui dit qu'il peut le résoudre. Il montre son pouvoir en demandant à son père de descendre dans la maison et de brandir un livre que Siousir ne peut évidemment pas voir, mais le jeune homme est tout de même capable de dire exactement de quoi il s'agit et quel est son contenu. Setné amène le garçon au tribunal où il affronte le sorcier nubien et est capable d'énoncer le contenu du parchemin. L'histoire du parchemin raconte la trahison des Nubiens et comment un sage nommé Hor-fils-de-la-nubienne a affronté un magicien égyptien nommé Hor-fils-de-Pnesh. Le magicien égyptien l'emporte et le sage nubien est banni d'Égypte pendant 1 500 ans. À la fin, il est révélé que le sorcier nubien est le sage Hor-fils-de-la-nubienne du parchemin et que Siousir est la réincarnation d'Hor-fils-de-Pnesh qui est revenu sur terre dans ce seul but: sauver l'Égypte et vaincre son ancien ennemi.
Siousir détruit alors le sorcier nubien et sa mère, venue à son secours, avec un feu magique. Alors que les flammes les consument, Siousir disparaît, les flammes s'éteignent et la cour redevient ce qu'elle était auparavant. Setné se lamente bruyamment de la perte de son fils, mais le pharaon le console en lui disant que son fils a sauvé l'Égypte et qu'il sera toujours honoré. L'histoire se termine avec Méhousékhé qui prie à nouveau pour un enfant et tombe enceinte. Le couple a un autre fils qu'il aime, mais Setné n'oublie jamais Siousir et offre des offrandes à son âme jusqu'à la fin de sa vie.
Commentaire
Setné I, en plus d'être un récit d'aventure divertissant, transmet un certain nombre de valeurs culturelles importantes. Les tombes étaient considérées comme les demeures éternelles des morts et le pillage des tombes était un crime très grave. Les textes d'exécration, mieux connus aujourd'hui sous le nom de "malédictions", étaient souvent inscrits sur les murs des tombes, avec l'autobiographie du défunt, et promettaient la vengeance à tous ceux qui profaneraient ou voleraient le corps du défunt. Le fait que Setné, identifié comme un prince, un scribe et un magicien, soit puni pour ce péché montre clairement que personne n'était à l'abri de la justice éternelle et que les personnes de statut inférieur pouvaient s'attendre à un traitement encore plus défavorable.
L'histoire dans l'histoire de Nofrekôptah et de sa famille illustre le danger de voler les dieux. Nofrekôptah est un proto-Setné dans l'histoire, un prince, un sage et un magicien qui ignore les valeurs culturelles et la sagesse pour prendre ce qu'il sait ne pas avoir le droit de prendre. Il est puni par la mort des personnes qu'il aime le plus et perd également la vie. Les deux hommes sont des magiciens, et dans Setné I et Setné II, la magie est un élément important, tout comme elle l'était dans la culture égyptienne; mais Setné I montre comment même un magicien compétent, rompu à son art, peut faire un choix terrible en désirant ce qu'il n'a pas le droit d'avoir.
L'égyptologue Geraldine Pinch remarque que la partie de l'histoire concernant Setné et Taboubou peut être interprétée dans le même sens, mais comme une punition directe de Bastet pour le crime de convoitise de Setné. Setné ne voit jamais Taboubou en tant que personne, en tant qu'individu, mais seulement en tant qu'objet sexuel. Pinch souligne que Bastet, en tant que protectrice des femmes, des enfants et des secrets féminins, aurait été prompte à punir un homme pour avoir si mal traité une femme. Tout au long de l'histoire de l'Égypte, les femmes étaient très appréciées et Bastet figurait parmi les divinités les plus populaires.
Le fait que l'auteur ait choisi Taboubou comme fille d'un prêtre de Bastet invite à cette interprétation. Cette section est également liée à l'histoire de Nofrekôptah et de sa famille qui tentent d'obtenir ce qui n'est pas leur droit. Taboubou rappelle à plusieurs reprises à Setné qu'elle est une femme de haute naissance, associée au clergé de Bastet, et qu'elle doit être traitée avec respect; à chaque fois, Setné ne fait que la presser de terminer ce qu'elle a à faire pour qu'il puisse avoir des relations sexuelles avec elle.
À la fin, tous les torts sont réparés car Setné se repent de son action, rend ce qui ne lui appartient pas et restitue les momies de la famille dans le tombeau. Setné II poursuit l'histoire avec le prince en tant qu'homme marié, dont les autres enfants ont peut-être grandi et sont partis, et comment il est récompensé d'un fils sauveur.
Setné II est une pièce particulièrement intéressante en ce sens qu'elle contient un certain nombre d'éléments grecs dans sa représentation de la vie après la mort et qu'elle s'appuie aussi fortement sur le concept de réincarnation. Pendant la plus grande partie de l'histoire de l'Égypte, la vie après la mort était considérée comme la continuation du voyage sur terre. Une fois mort, l'homme se présentait devant le tribunal divin et, avec un peu de chance, était justifié et rejoignait un paradis éternel qui reflétait parfaitement le temps passé sur terre. À certaines époques, comme au Moyen Empire d'Égypte, cette conception fut remise en question, mais elle resta relativement constante et, même à cette époque, elle était encore acceptée.
Il existait cependant une autre conception, concomitante à celle-ci, qui mettait l'accent sur la nature cyclique de la vie et soutenait le concept de la transmigration des âmes, mieux connu aujourd'hui sous le nom de réincarnation. Une fois l'âme justifiée par Osiris après la mort, elle pouvait aller au paradis ou revenir sur terre pour renaître dans un autre corps. Siousir, bien que certainement fils de Setné, est aussi la réincarnation du sage Hor-fils-de-Pnesh qui est autorisé à revenir sur terre pour une raison bien précise: sauver l'Égypte et le roi d'Égypte de la trahison du sorcier nubien. Cette option semble n'avoir été ouverte qu'aux âmes qui avaient été justifiées par de bonnes actions antérieures sur terre et, à travers elles, par le maintien de l'harmonie et de l'équilibre.
À l'âme justifiée d'Hor-fils-de-Pnesh s'opposent les morts du monde souterrain. Ceux qui n'ont jamais réussi dans la vie et qui accusent tout le monde d'avoir échoué, sauf eux-mêmes, sont condamnés à une futilité sans fin en essayant de tresser des cordes qui sont ensuite mangées par des ânes. Les personnes qui n'étaient jamais satisfaites et qui s'accrochaient sans cesse continuaient à le faire éternellement en luttant pour atteindre la nourriture et l'eau qu'elles n'atteindraient jamais. Ce symbolisme, comme le souligne la spécialiste Miriam Lichtheim, est typiquement grec et rappelle l'histoire de Tantale, de Sisyphe et des Danaïdes.
Le contraste entre l'homme riche et l'homme pauvre dans la vie et dans la mort, utilisé plus tard avec talent par l'auteur du livre de Luc, illustre l'importance de la valeur centrale de l'Égypte ancienne: l'observance de la maât. Il n'y avait rien de mal, en soi, à posséder des richesses. Pharaon, après tout, était assez riche et pourtant personne ne doutait que le roi se trouverait justifié dans l'au-delà et poursuivrait sa route jusqu'au champ de roseaux. Les autobiographies et les inscriptions tombales de nombreux Égyptiens riches, à différentes époques, expriment la même confiance.
Ce qu'il convient de noter dans cette partie du récit, c'est ce qui conduit les deux hommes à leur destin respectif: le pauvre a fait de "bonnes œuvres", tandis que les méfaits du riche ont été plus importants que ses bonnes actions. Cela aurait été compris comme la différence entre le fait de garder maât comme objectif dans la vie ou de faire passer son moi avant le bien d'autrui. L'homme riche n'aurait pas été puni pour sa richesse, mais pour son égoïsme et son manque d'intérêt pour la maât. Dans Setné I, le prince apprend sa leçon sur le fait de prendre ce qui ne lui appartient pas; dans Setné II, on voit dans le destin de l'homme riche ce qui arrive à ceux qui n'apprennent pas cette leçon.