Après avoir vaincu Darius III à la bataille d'Issos en novembre 333 avant notre ère, Alexandre fit marcher son armée (environ 35 000 à 40 000 hommes) jusqu'en Phénicie, où il reçut la capitulation de Byblos et de Sidon. Des envoyés tyriens rencontrèrent Alexandre pendant sa marche et lui déclarèrent leur intention d'honorer ses souhaits.
Causes du siège
La demande d'Alexandre était simple: il souhaitait offrir un sacrifice à Héraclès à Tyr. (Le dieu phénicien Melqart était à peu près l'équivalent de l'Héraclès grec). Les Tyriens comprirent qu'il s'agissait d'un stratagème macédonien pour occuper la ville et refusèrent, déclarant qu'Alexandre était invité à sacrifier à Héraclès dans l'ancienne Tyr, construite sur le continent. L'ancienne Tyr n'avait aucune importance stratégique: elle n'était pas défendue et la marine tyrienne était stationnée dans les ports de la nouvelle ville de Tyr.
Le refus des Tyriens de se plier à la volonté d'Alexandre équivalait à une déclaration de guerre. Malgré la réputation grandissante du jeune Alexandre, les Tyriens avaient toutes les raisons d'être confiants. Outre une marine puissante et une armée de mercenaires, leur ville se trouvait à environ 0,8 km de la côte et, selon le récit de l'historien Arrien, les murailles situées du côté de la terre atteignaient une hauteur impressionnante de 46 m. Il n'est pas certain qu'ils aient réellement atteint cette hauteur, mais les défenses de Tyr étaient formidables et avaient résisté à plusieurs sièges puissants dans le passé. Les Tyriens commencèrent à se préparer et évacuèrent la plupart des femmes et des enfants vers leur colonie de Carthage, laissant derrière eux environ 40 000 personnes. Carthage promit également d'envoyer davantage de navires et de soldats.
Alexandre, conscient de l'imprenabilité supposée de Tyr, convoqua un conseil de guerre et expliqua à ses généraux l'importance vitale de sécuriser toutes les villes phéniciennes avant d'avancer sur l'Égypte. Tyr était une place forte pour la flotte perse et ne pouvait être laissée à l'arrière car elle aurait menacé les arrières d'Alexandre. Dans une ultime tentative pour éviter un siège long et épuisant, il envoya des hérauts à Tyr pour exiger leur reddition, mais les Macédoniens furent exécutés et leurs corps jetés à la mer.
Coup d'envoi du siège
Les négociations ayant échoué, Alexandre commença ses opérations en janvier 332 avant notre ère. Après avoir occupé la vieille ville de Tyr, il entreprit la construction d'une chaussée (ou môle) traversant le chenal en direction des murailles de Tyr, à l'aide de rochers, de bois de charpente et de gravats provenant des bâtiments de la vieille ville. Au début, les travaux avancèrent bien: les eaux près du continent étaient peu profondes et le fond vaseux, mais à mesure que la chaussée s'allongeait, Macédoniens et Grecs commencèrent à rencontrer des difficultés. Le fond marin s'inclinait brusquement près de la ville, jusqu'à une profondeur de 5,5 m. Les travaux ralentirent considérablement et les équipes de travail furent de plus en plus harcelées par les tirs de missiles provenant des remparts de la ville.
Alexandre fit construire deux tours de siège en bois recouvert de cuir brut et les plaça à l'extrémité de la chaussée. Les pièces d'artillerie placées au sommet de ces tours permettaient de riposter aux tirs des murailles, et les équipes de travail érigèrent des palissades en bois pour renforcer la protection. Les travaux se poursuivirent et Alexandre passa une grande partie de son temps sur le môle, distribuant de petits cadeaux d'argent à ses ouvriers en sueur et donnant l'exemple.
Les Tyriens lancèrent alors leur première grande action défensive du siège. Ils prirent un vieux bateau de transport de chevaux et le remplirent jusqu'au plat-bord de matériaux combustibles: paille, torches, poix et soufre. Ils suspendirent au mât des vergues doubles auxquelles ils accrochèrent des chaudrons remplis d'une huile inflammable et volatile. La poupe du navire fut lestée pour soulever les étraves hors de l'eau, et deux galères le remorquèrent vers l'extrémité du môle, provoquant ainsi son échouage et le leur.
Les équipages allumèrent les matériaux à bord du brûlot et tous parvinrent à se mettre à l'abri à la nage. La pointe du môle devint un véritable brasier, le navire brûla et les deux tours s'embrasèrent. Une foule de Tyriens, à bord de petites embarcations, quittèrent la ville à la rame et accostèrent en divers points de la chaussée, engageant le combat avec les assiégeants qui tentaient frénétiquement d'éteindre les flammes. Les engins de siège furent brûlés et les palissades situées au bord du môle, détruites.
Alexandre rassemble sa flotte
L'attaque fut un grand succès pour les Tyriens, mais c'était sans compter sur la détermination d'Alexandre qui ordonna alors l'élargissement de la chaussée et la construction de nouvelles tours. Conscient que la supériorité navale était la clé de la prise de Tyr, il abandonna temporairement le siège et se rendit à Sidon pour y chercher ses propres navires. Il reçut en outre des navires de Byblos, d'Arados, de Rhodes, de Lycie, de Cilicie et de Macédoine. Les rois de Chypre envoyèrent encore 120 navires à Sidon. Au total, Alexandre disposait d'environ 220 navires.
En attendant l'arrivée des différents contingents navals, il passa 10 jours à l'intérieur des terres, se livrant à des opérations mineures en territoire arabe. À son retour à Sidon, il constata avec satisfaction l'arrivée de Cléandre qu'il avait envoyé en Grèce pour recruter des soldats; il revenait avec 4 000 mercenaires.
Sans perdre de temps, Alexandre s'embarqua pour Tyr. Son navire amiral se trouvait à la droite de la flotte et, lorsqu'elle fut en vue de Tyr, la flotte s'arrêta et stationna, permettant ainsi aux observateurs des murs de la ville de se rendre compte de l'impact de leur apparition. Les Tyriens furent pris par surprise: jusqu'à ce moment, ils ne se doutaient pas que la flotte d'Alexandre avait grossi. Ils étaient désormais en infériorité numérique et l'aide promise par Carthage ne s'était pas concrétisée.
Face à une telle situation, un engagement naval était hors de question, et tout ce que les Tyriens pouvaient faire était bloquer l'entrée de leurs deux ports. Ils firent flotter un barrage en travers de l'embouchure du port sud, ou port égyptien, et amarrèrent des trirèmes en ligne en travers de l'entrée du port nord (Sidon).
Alexandre testa la solidité de ces contre-mesures lors d'un assaut sur le port de Sidon, au cours duquel trois galères tyriennes furent éperonnées de front et coulées, mais il ne lança pas d'attaque navale généralisée. Au lieu de cela, il ordonna à son contingent chypriote de bloquer le port nord, tandis que les navires phéniciens veillaient à l'extrémité sud de l'île. Des engins de siège furent montés sur le môle et sur les navires ancrés, et commencèrent un bombardement soutenu des défenses.
Alexandre ne parvint pas à approcher ses navires de la ville elle-même, car les Tyriens avaient jeté d'énormes rochers dans la mer, sous les murailles. Le siège entra alors dans sa phase la plus laborieuse et la plus dangereuse.
Les navires d'Alexandre attraprèrent au lasso certains des rochers et les éloignèrent des murailles. En réponse, les Tyriens revêtirent certaines de leurs galères d'un blindage et s'élancèrent pour couper les câbles d'ancrage des navires assiégeants. Alexandre blinda certains de ses propres navires et les utilisa comme écran devant ses navires de siège, mais les plongeurs tyriens continuèrent de couper les câbles des navires ancrés. Alexandre finit par résoudre le problème en remplaçant les câbles par des chaînes. D'autres blocs de pierre furent arrachés à la chaussée et hissés à l'aide de grues.
Pendant toutes ces opérations, les deux camps se livrèrent à un long et âpre duel d'artillerie, et les Tyriens déversèrent par-dessus les murs des chaudrons de sable chauffé au rouge sur les navires assiégeants. Porté par le vent, le sable mit le feu aux navires et pénétra les vêtements et les armures, réduisant les hommes à l'agonie, carbonisés et boursouflés. Bien qu'efficaces, ces méthodes risquaient très fort d'être mal perçues par les assiégeants.
Conscients de leur danger imminent, les Tyriens déployèrent leurs voiles dans l'embouchure du port nord et, ainsi dissimulés, préparèrent une sortie. Treize galères furent équipées des meilleurs rameurs et marins que les défenseurs purent rassembler et, dans la chaleur de l'après-midi méditerranéen, elles sortirent silencieusement du port en une seule ligne. La plupart des navires chypriotes qui bloquaient le port de Sidon étaient en sous-effectif et les Tyriens créèrent la surprise totale en lançant un assaut féroce accompagné de cris de guerre rugissants. Deux navires chypriotes furent coulés et de nombreux autres furent dispersés.
Alexandre monta à bord d'un navire et mena en personne la contre-attaque avec 5 trières et les quinquirèmes prêtes au combat. Faisant le tour de l'île, il tomba sur la flottille tyrienne, qui rompit immédiatement l'engagement et s'enfuit vers le port nord. Un nombre indéterminé de navires tyriens furent endommagés au cours de l'action confuse qui s'ensuivit, et deux galères furent capturées à l'entrée du port. La plupart des Tyriens parvinrent à rejoindre la ville à la nage.
Assaut final
Alexandre amena ses navires directement sous les murs et commença à les pilonner à l'aide de béliers. Les forces grecques situées à l'extrémité nord de l'île tentèrent d'ouvrir une brèche, mais en vain. Une petite brèche fut ouverte dans les défenses méridionales, mais l'attaque macédonienne par les chaussées se solda par des pertes et des échecs.
Alexandre attendit trois jours avant de reprendre l'assaut. Tandis que des attaques de diversion occupaient l'attention des défenseurs, deux navires équipés d'un pont s'approchèrent de la brèche sud. Alexandre lui-même commandait cette force, composée essentiellement d'hypaspistes et de pezhaitoroi d'élite. Les Macédoniens parvinrent à se frayer un chemin jusqu'à la muraille: Admète, commandant des hypaspistes, fut le premier à monter sur les remparts et fut tué d'un coup de lance alors qu'il exhortait ses hommes à continuer. Quoi qu'il en soit, l'assaut fut un succès et les Macédoniens ne tardèrent pas à se déverser dans la ville, tuant et pillant tout sur leur passage. Une fois cette première brèche ouverte, le commandement d'Alexandrie s'étoffa, car de plus en plus de Grecs et de Macédoniens réussirent à pénétrer dans la ville par différents points, y compris les ports.
Les Tyriens survivants se replièrent sur l'Agenorium, une ancienne forteresse située dans le secteur nord de la ville, mais ne résistèrent que peu de temps avant d'être massacrés. Les assiégeants étaient à bout de nerfs et, après un siège long et pénible, ils n'étaient pas enclins à la clémence. Pendant des mois, ils avaient enduré des travaux pénibles, avaient été tourmentés par l'artillerie et les tirs des arcs, et avaient assisté au massacre de leurs camarades capturés sur les murs de la ville. Six mille Tyriens furent massacrés lors de la prise de la ville et 2 000 autres furent crucifiés sur la plage. Trente mille autres furent vendus comme esclaves. Parmi les épargnés figuraient le roi et sa famille, ainsi qu'un certain nombre de pèlerins carthaginois qui avaient trouvé refuge dans le temple de Melqart. Les pertes macédoniennes s'élevaient à 400 morts.
Le siège étant enfin terminé (il avait commencé en janvier et s'était terminé en juillet), Alexandre offrit un sacrifice à Héraclès et organisa une course aux flambeaux et une procession triomphale dans les rues de la ville. Tyr soumise, Alexandre pouvait alors se consacrer à la soumission de Gaza et de l'Égypte.