Le char était utilisé dans les guerres chinoises depuis environ 1250 avant notre ère, mais il connut son apogée entre le 8e et le 5e siècle avant notre ère, lorsque plusieurs États se disputaient constamment le contrôle de la Chine. Employé comme symbole de prestige, comme arme de choc, pour poursuivre l'ennemi ou comme moyen de transport pour les archers et les commandants, il fut utilisé avec efficacité dans de nombreuses batailles de cette période. Finalement, avec l'apparition d'une infanterie plus légère et plus mobile, et surtout avec l'introduction de la cavalerie, ses limites apparurent au grand jour, si bien que le char fut relégué à un rôle périphérique dans la guerre à partir du IIIe siècle avant notre ère.
Chars Shang
Les chars apparurent pour la première fois au milieu du 13e siècle avant notre ère et furent probablement introduits depuis l'Asie centrale. Selon la légende chinoise, en revanche, ils auraient été inventés plus près de chez eux par l'empereur Jaune (Huángdì) ou l'un de ses ministres, Hsi Chung. Le fait qu'ils aient été importés est attesté par l'absence d'évolution significative, l'absence de véhicules précurseurs tels que les charrettes et les chariots, et le fait que les premiers chars découverts étaient déjà d'une conception relativement complexe. Une plate-forme rectangulaire à parois était fixée sur un axe transversal autour duquel tournaient les roues. Une perche de trait partant du centre de la cabine permettait d'atteler les chevaux.
Au début, leur utilisation dans l'État Shang (et dans certains pays voisins) était limitée, seuls quelques nobles les employaient au combat, et leur production, comme celle des armes en général, était contrôlée par l'État. Les chars Shang étaient généralement tirés par une paire de chevaux, plus rarement par quatre, qui étaient de petites créatures trapues contrôlées par une bride en corde et un mors, qui évoluèrent vers des versions en cuir, puis en bronze. Les chars étaient équipés de deux roues, dont le diamètre pouvait atteindre 1,5 m et dont le nombre de rayons le plus courant était de 18. Les roues étaient donc beaucoup plus hautes que celles des chars du IIe millénaire avant notre ère de Mycènes et du Proche-Orient.
Fabriqués en bois, en bambou, en rotin et en canne avec quelques accessoires en bronze tels que des parties du joug et de l'essieu, ils avaient un devant ouvert et des côtés bas parfois surmontés d'un garde-corps. L'arrière n'était pas ouvert comme dans les chars d'autres cultures, mais laissait un espace pour monter dans le véhicule. L'équipage du char (ma) se composait du conducteur, d'un archer (qui se tenait généralement sur le côté gauche) et parfois d'un troisième soldat armé d'une lance ou d'une hache (sur le côté droit). Il est intéressant de noter que la plupart des sites funéraires où l'on trouve des chars ne comptent que deux personnes.
Les chars de cette période ont été trouvés dans 25 tombes distinctes et ils avaient été enterrés avec leurs deux chevaux, leur équipement et leur cavalier, ce qui indique le statut élevé du défunt. Au début de cette période, il est donc important de noter que les chars étaient davantage utilisés à des fins cérémonielles, pour donner du prestige aux souverains et comme véhicules de chasse que comme armes de guerre. Enfin, les chars étaient utilisés pour punir de manière horrible des crimes tels que l'incendie criminel, les coupables étant attachés et écartelés par deux chars roulant dans des directions opposées.
Chars des Zhou de l'Ouest
Pendant la période des Zhou de l'Ouest (ou Zhou occidentaux) (c. 1046-771 av. J.-C.), les chars furent dotés de roues plus grandes, avec plus de rayons et une courbe s'éloignant du moyeu, ce qui augmentait leur force. Les attelages de quatre chevaux devinrent alors plus courantes que les paires et l'ensemble du véhicule était somptueusement décoré à l'aide de cauris et d'accessoires en bronze. Les cavaliers portaient désormais des cuirasses et des armures en bronze, en écailles de cuir ou en peaux de rhinocéros et de buffle laquées (Sumatra), tandis que les chevaux étaient protégés par des peaux de tigre avec des ajouts en bronze. Le poids supplémentaire résultant de ces évolutions aurait réduit la mobilité du char et il est possible qu'ils aient été utilisés pour impressionner et démoraliser l'ennemi, tandis que les commandants s'en servaient pour mieux coordonner leurs troupes.
À son apogée, l'armée des Zhou de l 'Ouest disposait d'environ 3 000 chars pour compléter ses troupes de 30 000 fantassins. Les chars étaient disposés, comme sous les Shang, en corps de 25 subdivisés en unités de 5. Les chars continuaient d'être enterrés avec l'élite dans le cadre d'une cérémonie ostentatoire destinée à impressionner. Une fosse funéraire à Liulihe, dans l'État du Yan, contenait 42 chevaux et leurs chars.
Chariots des Zhou orientaux
Au cours de la période des Zhou orientaux (771-226 av. J.-C.), les centaines de petits États chinois se regroupèrent peu à peu en huit grands États. Alors que ces rivaux se disputaient les territoires, la puissance et la menace de leurs armées se mesuraient au nombre de chars de guerre qu'ils pouvaient aligner dans la bataille. La concurrence féroce poussa les États à investir massivement dans le renforcement de leurs armées de chars. Par exemple, en 632 avant notre ère, les Tsin disposaient de 632 chars, mais un siècle plus tard, ils en avaient 4 900. En 720 avant notre ère, les Ch'i disposaient de 100 chars, mais leur nombre passa à 4 000 au début du Ve siècle avant notre ère.
La conception des chars continua à s'améliorer: les roues avaient désormais jusqu'à 26 rayons, le mât central avait été raccourci pour une plus grande stabilité et la cabine était recouverte de cuir trempé pour une protection supplémentaire. Parfois, les chars étaient dotés d'un auvent pour dévier les flèches, arboraient des bannières et étaient équipés de lames de bronze dentelées mortelles fixées aux moyeux des roues. Les quatre chevaux et les trois hommes d'équipage restaient la norme, mais la décoration excessive des chars des Zhou occidentaux avait en grande partie disparu.
Les chars étaient fabriqués à des fins différentes: les plus légers pour poursuivre un ennemi en fuite ou les plus lourds et les mieux armés pour attaquer directement les positions ennemies retranchées. L'un des chars spécialisés de l'époque était le char à nid de pie ou ch'ao-ch'e, dont le châssis était plus haut, les roues renforcées et la cabine surmontée d'une tour afin qu'un homme - parfois même le commandant de l'armée en personne - puisse mieux voir le champ de bataille et transmettre les ordres aux agitateurs de drapeaux qui communiquaient les manœuvres sur le champ de bataille.
Le Luiu-t'ao (Six enseignements secrets), traité militaire datant du Ve au IIIe siècle avant notre ère, décrit la nécessité pour les guerriers sur les chars d'être les meilleurs et les plus aptes de l'armée:
La règle de sélection des guerriers pour les chars était de choisir des hommes de moins de quarante ans, de sept pieds cinq pouces [moderne: 5 pieds 7 pouces] ou plus, dont la capacité de course était telle qu'ils pouvaient poursuivre un cheval au galop, courir jusqu'à lui, monter dessus et chevaucher d'avant en arrière, de gauche à droite, en montée ou en descente, dans tous les sens. Ils devaient être capables d'enrouler rapidement les drapeaux et les fanions et avoir la force de tirer à fond une arbalète de huit pointes. Ils devaient s'entraîner à tirer devant et derrière, à gauche et à droite, jusqu'à ce qu'ils soient parfaitement compétents. On les appelait les "guerriers du char martial". Vous ne pouvez qu'être généreux avec eux. (in Sawyer, 2007, 100)
Déploiement et tactique
Les chars étaient généralement formés en unités de cinq et déployés soit séparément, soit chaque char était accompagné de son propre contingent d'infanterie. Ils pouvaient être alignés en file indienne sur le front des lignes d'infanterie avant la bataille ou regroupés au centre. Un commandant pouvait utiliser un groupe de chars comme arme de choc et charger une zone spécifique de la formation ennemie ou les utiliser dans une attaque feinte pour perturber les manœuvres de l'ennemi ou dans une embuscade rapide.
Un commandant devait faire attention au terrain lorsqu'il utilisait des chars, car ceux-ci risquaient de s'enliser dans des conditions humides ou de casser leurs essieux si le champ de bataille était parsemé de trous et de rochers - dans certains cas, les commandants préparaient le terrain en comblant les trous les plus importants. La manœuvrabilité des véhicules constituait une limitation supplémentaire. Avec un essieu fixe et des chevaux attachés à un axe de trait de manière à ce qu'ils ne puissent pas se déplacer latéralement, un char avait besoin d'un grand espace pour effectuer des virages importants. Les virages ou les retraites devaient être chaotiques, exposant les chevaux et les cavaliers aux attaques de l'infanterie et des archers. On trouve dans les récits de nombreux cas où les cavaliers furent transpercés ou tirés hors du char par l'infanterie et où les roues furent brisées par des lances coincées entre les rayons lorsqu'un char ralentissait pour tourner. C'est pourquoi chaque char disposait généralement de sa propre petite unité d'infanterie pour le protéger. L'ennemi pouvait également prendre des contre-mesures contre les chars, en creusant des trous et des fossés dissimulés sur le champ de bataille ou en dispersant des chausse-trappes (groupes de pointes métalliques) pour neutraliser les chevaux.
Les chars n'étaient peut-être pas toujours utilisés pour affronter directement l'ennemi, mais plutôt pour transporter les troupes sur le champ de bataille, offrir au général et aux commandants d'unité une meilleure mobilité et une meilleure visibilité de ce qui se passait dans le chaos de la bataille, ou servir de plate-forme mobile aux archers pour tirer sur l'ennemi à distance (bien que les secousses du véhicule aient rendu un tir précis extrêmement difficile). Enfin, et probablement en dernier recours, les chars pouvaient être disposés de manière à former un mur défensif derrière lequel les troupes assiégées pouvaient mieux se défendre, comme le faisaient les colons avec leurs chariots dans les films westerns du XXe siècle. Il existe plusieurs exemples de l'utilisation d'une telle tactique, y compris contre un ennemi numériquement supérieur.
Le Liu-t'ao s'exprime ainsi sur le déploiement des chars:
Pour une bataille sur un terrain facile, cinq chars forment une ligne. Les lignes sont distantes de quarante pas et les chars de dix pas de gauche à droite, les détachements étant distants de soixante pas. Sur un terrain difficile, les chars doivent suivre les routes, dix d'entre eux constituant une compagnie et vingt un régiment. L'espacement entre l'avant et l'arrière doit être de vingt pas, de six pas de gauche à droite, et les détachements doivent être espacés de trente-six pas. (in Sawyer, 2011, 371)
Parfois, comme lors de la bataille de Pi en 595 avant notre ère entre les Ch'u et les Tsin, les escarmouches entre les unités de chars duraient des jours avant que l'infanterie ne s'engage. Lors de la bataille de Cheng, en 713 avant notre ère, entre les Jung du Nord et les Cheng, ces derniers utilisèrent leurs chars pour effectuer une fausse retraite, puis revinrent pour encercler l'ennemi qui s'était désorganisé dans sa poursuite. Lors de la bataille de Ch'en-p'u en 632 avant notre ère entre les Tsin et les Ch'u, le commandant, le duc Wen de Tsin, put surprendre l'ennemi avec ses mouvements de troupes en les protégeant sous un nuage de poussière soulevé par ses chars qui traînaient des branches derrière eux sur le terrain sec. Dans une autre tactique imaginative employée par un commandant Tsin, qui affronta à nouveau les Ch'i lors de la bataille de P'ing-yin en 554 avant notre ère, les chars furent remplis de mannequins et d'un seul cavalier pour faire croire que l'armée était beaucoup plus nombreuse qu'elle ne l'était en réalité. La ruse fonctionna et le commandant des Ch'i se retira, pensant qu'il était en infériorité numérique.
Déclin de l'utilisation
La période des Zhou fut l'âge d'or du char et jamais plus il ne serait utilisé en si grand nombre. Cependant, cela ne veut pas dire qu'ils furent toujours utilisés avec efficacité. Une défaite tristement célèbre eut lieu en 613 avant notre ère, lorsqu'une révolte paysanne dans l'État de Tsu renversa ses dirigeants. Les alliés envoyèrent une armée comprenant 800 chars, mais l'armée paysanne fut victorieuse.
La guerre des chars se heurtait au même problème que dans d'autres cultures, de la Grèce à Carthage: les chars avaient besoin d'un terrain relativement plat et d'espace pour manœuvrer, faute de quoi ils pouvaient facilement être débordés par une force d'infanterie ennemie plus mobile, qui n'était plus alourdie par les armures de l'âge de bronze ou déployée de manière rigide en seulement trois divisions mobiles vers l'avant. Certains épisodes montrent que les chars étaient encore utilisés en tant qu'unités mobiles d'archers, voire comme une sorte d'artillerie avec des arbalètes montées sur des treuils. En outre, la littérature continua de vanter les nobles vertus de héros tels que Lang Shin, chevauchant leurs glorieux chars sans crainte de l'ennemi. Néanmoins, la réalité était que, vers 500 avant notre ère, l'épée remplaçait l'arc et la lance et qu'un meilleur déploiement de l'infanterie avait réduit l'efficacité des chars sur le champ de bataille.
Lorsque la cavalerie fut introduite en 307 avant notre ère, les jours du char en tant qu'arme efficace étaient sérieusement comptés, même si des armées telles que celles de l'empire Ch'in (221-206 av. J.-C.) les employaient en plus petit nombre et qu'ils étaient présents dans l'armée de terre cuite de Qin Shi Huangdi (+ 210 av. J.-C.) avec certains groupes de chars accompagnés d'unités de cavalerie plus importantes, tandis que d'autres semblent servir de transport sur le terrain pour des groupes d'officiers. Au IIe siècle avant notre ère, les Han continuèrent à les utiliser, mais ils semblent avoir été l'exception en ce qui concernait l'utilisation des chars. En général, tout comme les Égyptiens et les Mésopotamiens l'avaient découvert mille ans auparavant, le manque de manœuvrabilité du char sur le champ de bataille et l'avènement d'affrontements militaires plus dynamiques le reléguèrent à un rôle mineur dans la guerre en Chine ancienne.