La "théorie du peuple cavalier" est une proposition controversée selon laquelle le Japon aurait été conquis vers le 4e ou 5e siècle de notre ère par une culture d'Asie du Nord pour laquelle le cheval était particulièrement important. Bien que les preuves archéologiques et génétiques indiquent une relation étroite entre le Japon et l'Asie de l'Est, en particulier la Corée, au cours de cette période, l'idée qu'une prise de contrôle militaire complète ait jamais eu lieu est jugée improbable par la plupart des historiens. Les relations exactes entre les jeunes États de la région restent floues, et la question est encore davantage obscurcie par les agendas nationalistes et la projection persistante des concepts modernes d'État et de nationalité sur des zones géographiques qui, à l'époque, n'auraient pas existé.
La théorie du peuple cavalier
La "théorie du peuple cavalier"(kiba minzoku setsu) a été proposée par l'historien Egami Namio en 1948 pour expliquer le développement culturel et politique du Japon aux 4e et 5e siècles de notre ère. Namio a suggéré que des "cavaliers", ou plus exactement des membres d'une culture originaire d'Asie du Nord et présente ensuite en Asie continentale et dans la péninsule coréenne, pour qui le cheval était particulièrement important, auraient voyagé jusqu'au Japon et y auraient répandu leurs idées et leur culture. La conquête des tribus indigènes du Japon qui en résulta conduisit à un pays plus unifié et à ce qui allait être connu sous le nom d'État Yamato. Pour étayer sa théorie, Namio s'appuie sur les preuves archéologiques de la découverte d'un grand nombre d'accessoires de chevaux dans les tombes japonaises de la fin de la période Kofun (c. 250-538 de notre ère) et de leur absence dans la première partie de cette période.
Contacts culturels en Asie de l'Est
L'influence significative de la Corée sur la culture japonaise est attestée par des preuves archéologiques et génétiques, qui indiquent une migration de personnes et d'idées au cours de la période en question. La famille impériale japonaise se mélangea à une lignée coréenne avant le VIIe siècle de notre ère et la présence d'un clan influent d'origine coréenne, les Soga, est mentionnée dans les archives historiques. En outre, dès le IVe siècle de notre ère, des relations amicales furent établies avec l'État coréen de Baekje (Paekche), qui s'établit solidement à la fin du IIIe siècle de notre ère et dura jusqu'à la conquête par son voisin, le royaume de Silla, au milieu du VIIe siècle. La culture Baekje fut exportée à l'étranger, notamment par l'intermédiaire d'enseignants, d'érudits et d'artistes qui se rendirent au Japon. Ils apportèrent avec eux la culture chinoise, notamment les textes classiques de Confucius, mais aussi des éléments de la culture coréenne, par exemple les titres de la cour, qui ressemblaient beaucoup au système Kolp'um (classement des os) du royaume de Silla, les bâtiments en bois construits par des architectes coréens et les grands tumulus de l'époque, qui sont similaires à ceux de la Corée.
L'État japonais, alors connu sous le nom de Wa, envoya également une armée de 30 000 hommes pour aider les souverains Baekje déchus, mais celle-ci fut anéantie par une force navale conjointe Silla-Tang sur la rivière Paekchon (l'actuelle Kum) vers 660. Outre ces activités, des missions diplomatiques et des échanges commerciaux entre le Japon et la Chine eurent lieu aux IVe et Ve siècles de notre ère, ce qui montre que la présence de pratiques et de biens culturels continentaux au Japon ne signifie pas nécessairement qu'ils furent introduits par des envahisseurs conquérants.
Difficultés d'une explication militaire
Qu'une force coréenne ait effectivement envahi et conquis le Japon pour en faire un simple État vassal est tout à fait différent d'une interaction culturelle entre États voisins. Il semble peu probable qu'une conquête ait réellement eu lieu, et certaines sources, dont le Nihon Shoki (Chronique du Japon) datant de 720, suggèrent de manière controversée l'inverse et que le Japon avait établi une colonie dans le sud de la Corée dans le cadre de la confédération de Gaya (Kaya). On considère aujourd'hui qu'il s'agit d'une histoire à dormir debout racontée par la cour du Yamato pour accroître son prestige, car en réalité elle n'avait pas les moyens politiques et militaires de mener à bien une telle conquête.
Il y eut certainement un afflux de produits manufacturés, d'armes et de matières premières coréennes, comme le fer, en provenance de Gaya, mais il y eut également une absence notable de toute culture nouvelle et distincte que l'on pourrait s'attendre à voir à la suite d'une conquête militaire. L'historien M. J. Seth propose une autre explication plausible que celle d'une invasion militaire:
Il est plus probable que les peuples vivant de part et d'autre du détroit de Corée étaient liés et interagissaient entre eux. Les faits suggèrent qu'entre 300 avant et 300 après Jésus-Christ, un grand nombre de personnes ont migré de la péninsule coréenne vers l'archipel japonais, où ils ont introduit la culture du riz, le travail du bronze et du fer, ainsi que d'autres technologies. Ainsi, plutôt que d'avoir des peuples coréens et japonais, il y a eu un continuum de peuples et de cultures. Les Wa de l'ouest du Japon, par exemple, ont pu vivre des deux côtés du détroit de Corée, et ils semblaient avoir des liens étroits avec les Kaya. Il est même possible que les Wa et les Kaya aient constitué le même groupe ethnique. Le fait que l'évolution politique du Japon et de la Corée ait suivi des schémas similaires est trop frappant pour être une coïncidence. (31-32)
Les historiens japonais ont toujours cherché à contrer la "théorie du peuple cavalier", qui n'a jamais été vraiment acceptée dans ce pays. En effet, lorsque le Japon envahit la Corée à la fin du XIXe siècle, le gouvernement affirma qu'il ne faisait que reprendre possession de son ancienne colonie mentionnée dans le Nihon Shoki. Des arguments plus sérieux à l'encontre de la théorie de Namio ont été développés depuis, notamment des problèmes et des manipulations de la chronologie pour faire correspondre une invasion à la datation des tombes et des objets pertinents, une prise en compte incomplète de toutes les preuves archéologiques, l'hypothèse erronée selon laquelle les tombes montrent une rupture claire et distincte entre la période avec ou sans accessoires pour chevaux et autres biens continentaux, et l'hypothèse selon laquelle une société agricole et/ou une élite dirigeante n'adopterait pas les pratiques culturelles et les biens de luxe de peuples étrangers sans conquête militaire.
Les historiens coréens et d'autres ont contré ces arguments, insistant sur le fait qu'il est possible d'identifier un changement culturel soudain dans les archives archéologiques et historiques et que la nature graduelle du changement dans les découvertes de tombes, l'architecture des tombes et les élites politiques est grandement exagérée. Certains affirment que la linguistique et la mythologie indiquent un mélange des deux cultures de la Corée et du Japon. D'autres encore mettent en avant des changements climatiques importants qui auraient abouti à une période de sécheresse prolongée vers 400 de notre ère et qui auraient incité les peuples à rechercher des conditions plus favorables à l'agriculture dans l'archipel japonais. Personne, cependant, n'a encore été en mesure de fournir des preuves directes de la manière dont ce transfert de culture s'est produit, si ce n'est par des moyens pacifiques.
Conclusion
En conclusion, les mérites et les faiblesses de la théorie sont bien résumés ici par l'historien K. Henshall:
Comme la plupart des théories, elle comporte des éléments plausibles et des faiblesses. Il n'est pas impossible que des cavaliers venus de Corée, de Mandchourie ou de Chine du Nord aient établi une présence dans les premiers temps du Japon - peut-être même une présence dirigeante, et peut-être par la force - mais si tel était le cas, ils auraient certainement réalisé qu'il n'y avait plus d'endroit où aller et se seraient installés au Japon ou seraient retournés d'où ils venaient. (158)
La théorie controversée des "cavaliers" manque non seulement de preuves concrètes et convaincantes pour la soutenir, mais l'accent mis sur un moment dramatique de l'histoire qui serait à l'origine de changements culturels et politiques importants au Japon semble plutôt dépassé et simpliste au regard des études historiques modernes où les complexités, les subtilités et la nature multidirectionnelle des échanges culturels sur de longues périodes sont aujourd'hui beaucoup plus appréciées par les historiens, les archéologues et le grand public.
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