Équilibre et Loi en Égypte Ancienne

Article

Joshua J. Mark
de , traduit par Babeth Étiève-Cartwright
publié le 03 octobre 2017
Disponible dans ces autres langues: anglais, espagnol
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Le droit égyptien reposait sur la valeur culturelle centrale de la maât (harmonie et équilibre), fondement de toute la civilisation. La maât avait été établie au début des temps par les dieux lors de la formation de la terre et de l'univers. Selon une version de l'histoire, le dieu Atoum émergea des eaux tourbillonnantes du chaos pour se tenir sur la première terre sèche, le ben-ben primordial, et commencer l'acte de création. La force de la magie (heka) l'accompagnait, personnifiée par le dieu de la magie Heka, et c'est cette force qui donna le pouvoir à maât, le principe qui fut plus tard personnifié par la déesse du même nom. La maât permettait à l'univers et à la vie sur terre de fonctionner comme il se doit - en équilibre - et heka était la force qui soutenait la maât. L'égyptologue Richard H. Wilkinson écrit :

Pour les Égyptiens, heka ou "magie" était une force divine qui existait dans l'univers comme le "pouvoir" ou la "force" et qui pouvait être personnifiée sous la forme du dieu Heka... son nom s'explique donc comme "le premier travail". (110)

La première "création" d'Heka fut la maât, et c'est ainsi que le concept d'équilibre et d'harmonie en tant qu'aspect essentiel de la vie est devenu la conviction la plus profonde de la société égyptienne à partir de la première période dynastique (c. 3150 - c. 2613 av. J.-C.). Bien que la personnification de la maât en tant que déesse n'apparaisse pas avant l'Ancien Empire (c. 2613-2181 av. J.-C.), la valeur qu'elle représentait - ainsi que la magie qui soutenait cet équilibre - semble évidente dans l'architecture et les sculptures de la période prédynastique en Égypte (c. 6000 - c. 3150 av. J.-C.), établissant cette valeur comme le fondement essentiel de la société qui s'est développée par la suite.

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Sarcophagus of Ramesses III
Le sarcophage de Ramsès III
genibee (CC BY-NC-SA)

Débuts de la législation

Si les gens avaient été capables de reconnaître les avantages d'une vie conforme à la maât, il n'y aurait pas eu besoin de lois, mais comme les désirs égoïstes l'emportent souvent sur le bon sens, les personnes agissant dans leur propre intérêt - et au détriment des autres - devaient être punies et des exemples et des précédents devaient être établis pour les autres qui pourraient être tentés de faire la même chose.

La justice et le traitement équitable de tous, quels que soient la classe sociale, l'âge ou le sexe, étaient des notions très prisées par les Égyptiens.

Bien qu'une certaine forme de code juridique semble avoir existé, les archéologues n'ont découvert aucun document similaire à un ensemble codifié tel que le code d'Ur-Nammu ou le code de Hammurabi de Babylone. L'œuvre littéraire égyptienne connue sous le nom de Conte du paysan éloquent, datant du Moyen Empire (2040 - c. 1782 av. J.-C.), établit qu'un code de lois et un système judiciaire administratif étaient en place bien avant cette époque. Un code juridique rudimentaire existait pendant la période prédynastique (c. 6000 - c. 3150 av. J.-C.), mais un véritable système juridique dut être mis en place au début de la période dynastique en Égypte (c. 3150 - c. 2613 av. J.-C.), car il était déjà utilisé dans les premières années de l'Ancien Empire (c. 2613-2181 av. J.-C.).

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Le Conte du paysan éloquent établit également que la justice et le traitement équitable de tous - quels que soient la classe sociale, l'âge ou le sexe - étaient des notions très prisées par les Égyptiens. Des ouvrages tels que le Conte du paysan éloquent, des notes, des lettres, des jugements et des révisions concernant la loi effectuées par les rois ultérieurs montrent clairement que les juges et les magistrats travaillaient à partir d'un ensemble de lois standard, mais les détails d'un tel document ne sont pas connus.

Il est également clair, cependant, que la loi était basée sur la maât et fonctionnait selon le principe du précédent: un jugement sur un crime particulier dans le passé établissait la base des sentences futures. Ce qui rendait un jugement légal et contraignant n'était pas nécessairement la compétence ou la sagesse d'un juge ou d'un magistrat, mais le degré de conformité d'une décision juridique avec la maât.

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Importance de la maât

La principale responsabilité du roi était de faire respecter la maât; une fois que l'on avait compris qu'il s'agissait du rôle principal d'un souverain, toutes les autres responsabilités du trône tombaient d'elles-mêmes. L'une des principales cérémonies d'investiture d'un roi consistait d'ailleurs à offrir l'esprit de la maât - personnifié dans une statue - aux autres dieux pour leur promettre qu'il maintiendrait l'équilibre universel.

The Offering of Ma'at
Offrande de Maât
Terry Feuerborn (CC BY-NC-SA)

Avec le temps, le concept fut personnifié sous la forme d'une déesse portant une plume d'autruche blanche, qui devint si importante pour la culture qu'elle apparaissait avec les dieux Osiris, Thot et Anubis dans la salle de la Vérité après la mort d'une personne, où le cœur du défunt était pesé contre sa plume blanche de la vérité. Si le cœur était plus léger que la plume, la personne était autorisée à accéder à la vie éternelle dans le Champ des roseaux; si le cœur était plus lourd, il tombait sur le sol où il était dévoré par le monstre Ammout et l'âme de la personne cessait d'exister.

Le cœur d'une personne était plus léger si elle avait vécu en accord avec la maât. La maât était l'esprit de toute la création en harmonie et, si une personne était en accord avec cet esprit, elle vivait bien sur terre et avait de bonnes raisons d'espérer une paix éternelle dans l'au-delà; si l'on refusait de vivre en accord avec le principe de la maât, alors on subissait les conséquences - dans la vie et après la mort - que l'on s'était infligées à soi-même.

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Si une personne décidait d'enfreindre la loi en volant du grain à une autre, le voleur n'avait pas seulement privé quelqu'un de son bien, mais il avait rompu l'équilibre qui permettait au monde de fonctionner comme il se doit. L'égyptologue et historienne Margaret Bunson commente ce fait en écrivant:

La maât était le modèle de comportement humain, conforme à la volonté des dieux, à l'ordre universel évident dans les cieux, à l'équilibre cosmique sur la terre, au miroir de la beauté céleste. La conscience de l'ordre cosmique s'est manifestée très tôt en Égypte; les prêtres-astronomes ont cartographié les cieux et remarqué que la terre réagissait aux orbites des étoiles et des planètes. Les prêtres enseignaient que l'humanité devait refléter l'harmonie divine en adoptant un esprit de quiétude, un comportement raisonnable, la coopération et la reconnaissance des qualités éternelles de l'existence, comme le démontrent la terre et le ciel. Tous les Égyptiens s'attendaient à faire partie du cosmos à leur mort, d'où la responsabilité d'agir conformément à ses lois. L'adhésion stricte à la maât permettait aux Égyptiens de se sentir en sécurité dans le monde et dans le plan divin pour toute la création. (152)

Cependant, personne ne pouvait se sentir en sécurité si la maât était ignorée et que les gens étaient autorisés à se comporter comme bon leur semblaient. Les lois égyptiennes furent créées - et un système judiciaire mis en place - pour garantir que toute atteinte à l'équilibre de la société entraînerait des conséquences immédiates et désagréables. Ces lois s'appliquaient à tous, du paysan au roi, car il était entendu que chaque membre de la société avait un rôle à jouer et un rôle assigné par les dieux; si un magistrat, un juge ou un vizir faisait preuve de favoritisme ou jugeait injustement, il était tout aussi coupable de perturber la maât qu'un voleur, un brigand ou un meurtrier.

L'équilibre et la loi

Pour garantir que la justice soit rendue à tous les habitants du pays, quelle que soit leur classe sociale, seuls les meilleurs hommes étaient choisis pour occuper les postes d'autorité juridique. Le vizir du pays devait satisfaire à des exigences rigoureuses, notamment en matière de morale et d'éthique, ainsi que sur le plan administratif et intellectuel. De nos jours, la fonction de vizir égyptien est généralement assimilée à celle de "conseiller du roi", alors qu'il était en réalité la boussole morale et l'administrateur en chef de tout le pays.

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Vizier Rekhmire Receiving Offerings
Le vizir Rekhmirê reçoit des offrandes
Unknown Artist (Public Domain)

Un célèbre vizir du Nouvel Empire d'Égypte, Rekhmirê, servit sous les pharaons Thoutmosis III (1458-1425 av. J.-C.) et son fils Amenhotep II (1425-1400 av. J.-C.). Il est surtout connu pour son texte intitulé Installation du vizir (également connu sous le nom d'Instruction de Rekhmirê), qui décrit les fonctions du vizir, la manière dont il est choisi pour occuper ce poste et la façon dont il doit se comporter. Le texte met l'accent sur la miséricorde et la compassion, mais l'objectif général est l'équilibre - l'harmonie - en essayant d'améliorer la vie des malheureux et de soulager les souffrances des gens:

J'ai défendu la veuve sans mari. J'ai établi le fils et l'héritier sur le siège de son père. J'ai donné du pain à celui qui a faim, de l'eau à celui qui a soif, de la viande, de la pommade et des vêtements à celui qui n'a rien. J'ai soulagé le vieillard en lui donnant mon bâton, et j'ai fait dire à la vieille femme: "Quelle bonne action !" J'ai détesté l'iniquité, et je ne l'ai pas pratiquée, car j'ai fait en sorte que les faux soient attachés la tête en bas. (van de Mieroop, 178)

La loi étant fondée sur le principe divin de la maât, elle était considérée comme parfaite à l'origine et ne devait pas être détournée à des fins personnelles. Un juge ou toute autre autorité légale reconnu coupable d'abus de pouvoir encourait des sanctions allant de l'amputation des mains à la noyade. La loi s'appliquait de la même manière à tous en Égypte et la corruption n'était pas tolérée, même vers la fin du Nouvel Empire, lorsque les pratiques de corruption, du sommet de la hiérarchie égyptienne jusqu'à la base, étaient endémiques.

Le paysan éloquent et déclin

Le conte du paysan éloquent illustre clairement la valeur égyptienne de la justice. Dans cette histoire, un paysan nommé Khun-Anup est battu et volé par Nemtynakht, un riche propriétaire terrien, qui lui dit qu'il ne sert à rien de se plaindre parce que personne au pouvoir n'accordera de valeur à la parole d'un paysan par rapport à celle d'un riche propriétaire terrien. Khun-Anup refuse de le croire et présente son cas au magistrat local.

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Le magistrat, Rensi, est ému par le cas du paysan mais trouve son discours si éloquent qu'il rapporte la situation au roi. Le roi, intrigué, ordonne à Rensi de faire parler le paysan et de prendre note de ses discours. Rensi fait ce qu'on lui demande, refuse de répondre à la plainte de Khun-Anup mais lui donne à manger et à boire (ainsi qu'à sa famille restée au pays). Enfin, après que Khun-Anup eut présenté neuf requêtes - toutes enregistrées par les scribes de Rensi - il est récompensé par la justice: toutes les terres appartenant à Nemthnakht lui sont données et, de plus, il est honoré par le roi qui le considère comme un maître de la rhétorique.

Tale of the Eloquent Peasant
Conte du paysan éloquent
The Trustees of the British Museum (Copyright)

L'histoire était populaire auprès du public depuis le Moyen Empire d'Égypte jusqu'au Nouvel Empire, et probablement plus tard, mais elle ne reflétait pas toujours la façon dont la justice était administrée ou dont la société vivait réellement les idéaux du conte. Vers la fin du Nouvel Empire, l'équilibre fut perdu sous le règne de Ramsès III (1186-1155 av. J.-C.), ne fut jamais totalement rétabli et entraîna un certain nombre de problèmes importants.

L'époque de Ramsès III fut la période de déclin de l'Empire égyptien du Nouvel Empire. L'invasion des Peuples de la mer en 1178 avant notre ère nécessita d'énormes dépenses de défense, et même si l'Égypte fut victorieuse, les effets de cet événement eurent des répercussions sur la bureaucratie gouvernementale qui assurait le maintien de la société. L'immense perte de vies humaines causée par l'invasion entraîna une diminution de la main-d'œuvre, ce qui se traduisit par une baisse du nombre de personnes pour travailler la terre et une mauvaise récolte. Cette situation fut aggravée par les conditions météorologiques, et la distribution régulière des céréales et des biens de la terre, régulièrement assurée par une bureaucratie efficace, s'effondra à mesure que les ressources se raréfièrent et que les fonctionnaires devinrent plus corrompus.

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Bien que Ramsès III ait été un bon roi - considéré comme le dernier pharaon efficace du Nouvel Empire - il ne réussit pas cependant à faire de la maât la directive principale de sa fonction. Son insistance à maintenir la tradition de la célébration du jubilé des 30 ans du pharaon, en dépit des difficultés auxquelles le pays était confronté, entraîna l'affectation de ressources importantes à la cour, et cette décision signifiait que d'autres, plus bas dans la hiérarchie, devaient s'en passer.

Ramesses III
Ramsès III
Unknown Artist (Public Domain)

Les problèmes apparurent vers 1159 avant notre ère lorsque le paiement des ouvriers funéraires de Deir el-Médineh fut retardé et que, dans un geste sans précédent, ils se mirent en grève. Aucun travailleur ne s'était jamais mis en grève auparavant en Égypte; c'était littéralement impensable. Chacun, dans la structure sociale, avait une place et une responsabilité, et on ne pouvait pas décider un jour de les ignorer. Lorsque les travailleurs se mirent en grève, les fonctionnaires furent incapables de gérer la situation et, manquant d'expérience dans ce genre de situation, essayèrent d'acheter les travailleurs avec des pâtisseries du temple local.

La situation finit par être résolue et les ouvriers furent payés, mais la grève était le résultat d'un problème que personne ne savait comment traiter: une violation de l'observance de la maât par un roi régnant. Il incombait au roi de donner l'exemple à son peuple, mais dans ce cas, les ouvriers du tombeau avaient été contraints de rappeler au roi ses obligations et sa transgression. La grève était une rupture d'équilibre qui attira l'attention sur la transgression, plus grave encore, du souverain.

À l'époque de Ramsès XI (1107-1077 av. J.-C.), l'empire était tombé et dérivait lentement vers l'ère connue sous le nom de Troisième Période Intermédiaire de l'Égypte (c. 1069-525 av. J.-C.). Bien qu'une histoire comme Le conte du paysan éloquent ait pu être encore populaire à cette époque, elle ne reflétait plus l'administration pratique de la justice. Des fonctions aussi élevées que celle du vizir jusqu'au niveau des officiers de police étaient corrompues et des œuvres comme Le conte du paysan éloquent ou L'Installation du vizir n'étaient plus pertinentes car peu de gens vivaient désormais selon ces principes. Une fois la valeur de la maât compromise, l'équilibre fut perdu et le système juridique fondé sur l'harmonie divine commença à décliner.

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Traducteur

Babeth Étiève-Cartwright
Babeth s'est consacrée à la traduction après avoir enseigné l'anglais au British Council de Milan. Elle parle couramment le français, l'anglais et l'italien et a 25 ans d'expérience dans le domaine de l'éducation. Elle aime voyager et découvrir l'histoire et le patrimoine d'autres cultures.

Auteur

Joshua J. Mark
Joshua J. Mark est cofondateur et Directeur de Contenu de la World History Encyclopedia. Il était auparavant professeur au Marist College (NY) où il a enseigné l'histoire, la philosophie, la littérature et l'écriture. Il a beaucoup voyagé et a vécu en Grèce et en Allemagne.

Citer cette ressource

Style APA

Mark, J. J. (2017, octobre 03). Équilibre et Loi en Égypte Ancienne [Balance & the Law in Ancient Egypt]. (B. Étiève-Cartwright, Traducteur). World History Encyclopedia. Extrait de https://www.worldhistory.org/trans/fr/2-1126/equilibre-et-loi-en-egypte-ancienne/

Style Chicago

Mark, Joshua J.. "Équilibre et Loi en Égypte Ancienne." Traduit par Babeth Étiève-Cartwright. World History Encyclopedia. modifié le octobre 03, 2017. https://www.worldhistory.org/trans/fr/2-1126/equilibre-et-loi-en-egypte-ancienne/.

Style MLA

Mark, Joshua J.. "Équilibre et Loi en Égypte Ancienne." Traduit par Babeth Étiève-Cartwright. World History Encyclopedia. World History Encyclopedia, 03 oct. 2017. Web. 11 mars 2025.

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