Le monachisme, c'est-à-dire le fait pour des individus de se consacrer à une vie ascétique dans un monastère à des fins de dévotion, était une caractéristique omniprésente de l'empire byzantin. Les monastères devinrent de puissants propriétaires terriens et une voix très écoutée dans la politique impériale. Entre ascètes fanatiques et producteurs de vin très appréciés, les hommes et les femmes qui consacraient leur vie à la vie monastique constituaient une partie importante de la communauté. Les monastères offraient toutes sortes de services aux pauvres et aux nécessiteux, aux nobles en disgrâce, aux voyageurs fatigués et aux rats de bibliothèque avides de connaissances. De nombreux monastères byzantins sont encore en activité et leur architecture impressionnante embellit les paysages d'aujourd'hui, depuis Athènes jusqu'au Sinaï.
Origines et développement
Mener une vie d'ascèse, en se privant du confort le plus élémentaire, était un concept présent dans la foi juive et, bien sûr, chez Jésus aussi, lorsqu'il avait passé du temps dans la solitude du désert, ainsi que dans la vie de ses disciples tels que Saint Jean-Baptiste. L'idée était que, privé de toute distraction, l'individu pouvait se rapprocher de Dieu. Au IIIe siècle de notre ère, les déserts d'Égypte étaient un lieu de prédilection pour les ascètes errants (alias anachorètes) qui vivaient une vie d'ermite dans l'abnégation, le plus célèbre d'entre eux étant saint Antoine le Grand (c. 251-356). La plupart des ascètes étaient des hommes, mais il y avait aussi des femmes, notamment la prostituée réformée Sainte Marie l'Égyptienne (c. 344 - c. 421 de notre ère) qui passa 17 ans dans le désert.
Le monachisme se développa au IVe siècle de notre ère et se répandit à partir du Ve siècle, lorsque les moines commencèrent à quitter leurs retraites solitaires dans le désert pour vivre ensemble dans des monastères plus proches des villes ou même dans les villes. L'un des premiers ascètes à avoir commencé à organiser des monastères pour ses disciples fut Pacôme (c. 290-346 de notre ère), un Égyptien et ancien soldat qui, peut-être inspiré par l'efficacité des camps de l'armée romaine, fonda neuf monastères pour hommes et deux pour femmes à Tabennèse, en Égypte. Ces premiers monastères communautaires (cénobitiques) étaient administrés selon une liste de règles compilée par Pacôme, et ce style de vie communautaire (koinobion), où les moines vivaient, travaillaient et priaient ensemble dans une routine quotidienne, avec tous les biens détenus en commun, et un abbé (higoumène ou hégoumène) qui les administrait, devint le modèle commun à l'époque byzantine.
Une variante, et même un précurseur, du monastère communautaire était la laure (lavra), qui permettait aux moines individuels de poursuivre leur propre ascèse. Contrairement aux monastères communautaires, dans la laure, les moines vivaient, travaillaient et priaient dans leurs propres cellules. Les moines n'étaient pas totalement indépendants puisqu'ils devaient rendre des comptes à un archimandrite ou à un administrateur et qu'ils se joignaient à leurs confrères pour des services occasionnels dans une église commune. Plus tard, le terme "laure" fut également appliqué à certains monastères communautaires ordinaires, dont le plus célèbre est le monastère de la Grande Laure d'Athos (voir ci-dessous), fondée vers 962.
Le plus grand partisan des monastères byzantins au cours du 4e siècle de notre ère fut Basile de Césarée (alias Saint Basile ou Basile le Grand), qui avait vu de ses propres yeux les monastères d'Égypte et de Syrie. Basile pensait que les moines devaient non seulement travailler ensemble pour atteindre des objectifs communs, mais aussi contribuer à la communauté au sens large, et il créa des monastères à cet effet en Asie mineure. Les moines étaient souvent soutenus par des aristocrates dévots qui leur fournissaient des villas inoccupées, de sorte que leur logement n'était pas toujours aussi austère qu'on pourrait l'imaginer. Il existait cependant des monastères urbains qui suivaient à la lettre les principes de l'ascétisme, à l'instar des monastères classiques situés dans des lieux géographiques éloignés.
Le premier monastère de Constantinople, le Dalmatos, fut fondé à la fin du IVe siècle de notre ère et, au milieu du VIe siècle, la capitale comptait près de 30 monastères. Dans l'Empire byzantin, les monastères étaient largement indépendants et il n'existait pas d'ordres spécifiques et mutuellement administrés comme dans l'Église occidentale. Un monastère byzantin typique pouvait disposer de nombreuses installations dans ses murs: une église, une chapelle, des bains, un cimetière, un réfectoire, des cuisines, des logements, des entrepôts, des écuries et une auberge pour les visiteurs.
Les montagnes semblaient attirer les moines plus que tout autre endroit et, en retour, les pèlerins visitaient leurs monastères pour se sentir plus proches de leur Dieu et, dans de nombreux cas, pour rechercher des interventions miraculeuses. Le mont Sinaï, le mont Saint-Auxence, les Météores et le mont Olympe en Bithynie, avec ses 50 monastères, étaient les sites monastiques les plus célèbres. La plupart des monastères étaient indépendants les uns des autres, même lorsqu'ils se trouvaient au même endroit, mais il y avait parfois des monastères liés par un abbé ou un premier moine (protos) qui supervisait une confédération. Le plus célèbre de tous les sites monastiques est peut-être celui du mont Athos, à l'est de Thessalonique, qui fut probablement fondé au IXe siècle, voire plus tôt, et qui comprend des monastères fondés par des moines étrangers originaires de Bulgarie, d'Arménie, de Serbie et de Russie, pour n'en citer que quelques-uns. Le Mont Athos reste aujourd'hui un site monastique important et, grâce au fait qu'il a échappé aux invasions destructrices au cours des siècles, il constitue un exemple bien préservé de la vie monastique byzantine.
Toujours autosuffisants grâce à l'exploitation de leurs propres terres, les monastères byzantins devinrent encore plus grands et plus riches à partir du Xe siècle, leurs revenus provenant des vastes propriétés foncières qui leur furent données par les empereurs et les particuliers au fil du temps, ainsi que du traitement fiscal préférentiel que leur accordait l'État. Très souvent, les terres d'un monastère n'avaient aucun lien géographique avec le monastère lui-même, et les revenus provenaient de la location de parcelles ou de la vente de petites exploitations. Les monastères produisaient des denrées de base telles que le blé, l'orge, les légumes secs, le vin et l'huile, mais ils pouvaient également posséder des poteries et des moulins. Les bénéfices provenant des excédents étaient réinvestis dans le monastère ou distribués aux pauvres.
Les Stylites
Une autre forme d'existence monastique, certainement la plus étrange, était le mouvement des stylites. Mode de vie ascétique par excellence, il impliquait qu'un moine dévoué monte au sommet d'une colonne (stylos) et y reste, de préférence debout, pendant des mois, voire des années, exposé à toutes les intempéries et, on l'imagine, à une dose égale d'admiration et de moquerie de la part des passants. Les gens ordinaires étaient habitués à ce que les moines et les nonnes s'abstiennent du confort et des plaisirs de la vie, et ils les avaient même vus porter des chaînes ou avaient entendu parler d'ascètes s'enfermant dans des cages, mais la position sur une colonne garantissait que l'on se ferait remarquer.
Le premier adepte de cette dévotion extrême à Dieu aurait été Siméon le Stylite, dit l'Ancien (c. 389-459 de notre ère). Cet ancien berger avait déjà été expulsé d'un monastère pour son ascétisme extrême, et il s'entraîna à la routine de sa colonne en vivant pendant un certain temps dans une citerne désaffectée, une jambe enchaînée à une lourde pierre. Siméon choisit une colonne de trois mètres de haut dans le désert syrien, près d'Antioche, et il s'y dressa jour après jour, attirant finalement une telle foule que le bruit l'incita à construire sa colonne plus haut, ce qui le rapprocha de Dieu et le plaça à 16 mètres du sol. Siméon réussit à vivre ainsi pendant 30 ans, et de nombreux autres moines commencèrent à suivre son exemple, si bien que tout un mouvement de stylites se développa, mouvement qui perdurait encore au XIe siècle. À la mort de Siméon, le site de Qala‘at Simân devint un lieu de pèlerinage, avec une église octogonale, un monastère et quatre basiliques construits autour de la colonne originale.
L'un des plus célèbres imitateurs de Siméon fut Daniel le Stylite (mort en 493 de notre ère). Daniel s'installa près de Constantinople, mais sa position précaire ne l'empêcha pas de contribuer aux débats ecclésiastiques, et il conseilla même des évêques et l'empereur Léon Ier (r. de 457 à 474 de notre ère). Une branche du mouvement des stylites (littéralement) était celle des dendrites, des moines qui décidaient de vivre dans un arbre plutôt que sur une colonne. Ces mouvements s'inscrivaient dans le courant de la théologie apophatique, qui proposait de connaître et de comprendre Dieu par l'expérience personnelle et d'éliminer toutes les distractions du monde.
Les monastères et l'État
Les monastères, et les moines qui y travaillaient et y pratiquaient leur culte, devinrent finalement un moyen utile pour les évêques d'exercer une pression sur leurs rivaux ecclésiastiques. Des moines fanatiquement loyaux étaient organisés en groupes pour intimider tous ceux qui n'adhéraient pas au dogme favori d'un évêque. Les moines étaient souvent à l'origine de violences collectives liées à des questions politiques et religieuses. Les évêques d'Alexandrie étaient particulièrement connus pour utiliser des moines et d'autres dévots comme les parabalani, des travailleurs semi-cléricaux souvent appelés à tort "préposés aux bains", pour ajouter du muscle à leurs sermons en chaire.
Les empereurs byzantins pouvaient être à la fois amis et ennemis des monastères. De nombreux empereurs accordaient des concessions de terres et des privilèges fiscaux, mais d'autres les persécutaient également, en particulier les empereurs iconoclastes. Ces derniers furent à l'origine du mouvement d'iconoclasme des VIIIe et IXe siècles qui visait à mettre fin à la vénération des icônes et des reliques et à les détruire. Les monastères, principaux producteurs et commanditaires de ces objets, furent également visés. En 755, par exemple, le monastère de Pelekete, sur le mont Olympe, fut incendié. Beaucoup d'autres subirent le même sort ou se virent confisquer leurs terres et leurs biens, tandis que les moines étaient persécutés et exhibés lors de cérémonies ridiculisant le public. Le XIVe siècle connut une nouvelle vague de persécutions, cette fois sur la question de l'hésychasme, c'est-à-dire la pratique des moines qui répètent une prière pour parvenir à une communion mystique avec Dieu.
Bien que religieusement indépendants, il est prouvé que les monastères byzantins et leurs résidents étaient soumis à la loi civile comme tout le monde. Les juges locaux menaient des enquêtes judiciaires et les moines pouvaient même être appelés à comparaître devant les tribunaux de Constantinople.
Les empereurs étaient bien conscients de l'influence des monastères sur les populations locales. Par exemple, les souverains choisissaient les abbés de monastères aussi importants que ceux du Mont Athos, fonction assumée par l'évêque de Constantinople à partir du XIVe siècle. Un autre problème était que l'augmentation du nombre de monastères entraînait une diminution des recettes fiscales de l'État. Cette situation incita l'empereur byzantin Romain Ier Lécapène (r. de 920 à 944) à interdire la fondation de nouveaux monastères afin de protéger les terres des villageois ordinaires, mais cette mesure ne fut qu'un coup d'arrêt temporaire à l'expansion apparemment inévitable des monastères, tant leur succès et leur utilité pour la société dans son ensemble étaient grands.
Contributions culturelles
Bien que cela n'ait pas été leur but premier, les moines et les monastères rendaient service à la communauté dans laquelle ils vivaient en aidant les pauvres et en fournissant des hôpitaux, des orphelinats, des bains publics et des maisons de retraite. Même les aristocrates à la retraite, les politiciens en perte de vitesse et les relations impériales étaient les bienvenus. Les voyageurs constituaient un autre groupe qui pouvait trouver une chambre en cas de besoin. Dans le domaine de l'éducation également, les monastères jouaient un rôle de premier plan, notamment en constituant de grandes bibliothèques et en diffusant la culture byzantine lorsque les moines voyageaient à travers l'empire et en dehors. Certains monastères (mais pas tous) mirent également en place des écoles. Les monastères s'occupaient des sites de pèlerinage et étaient de grands mécènes, produisant non seulement leurs propres icônes et manuscrits enluminés, mais parrainant également des artistes et des architectes pour embellir leurs bâtiments et ceux de la communauté avec des images et des textes destinés à diffuser le message chrétien. Enfin, de nombreux moines contribuèrent largement à l'étude de l'histoire, notamment grâce à leurs collections de lettres et de biographies (vitae) de saints, de personnages célèbres et d'empereurs.