Les femmes de Sparte avaient plus de droits et jouissaient d'une plus grande autonomie que les femmes de toute autre cité-État grecque de la période classique (5e-4e siècles avant notre ère). Les femmes pouvaient hériter de biens, posséder des terres, faire des transactions commerciales et étaient mieux éduquées que les femmes de la Grèce antique en général. Contrairement à Athènes, où les femmes n'étaient pas des citoyennes, on dit que les femmes spartiates elles pouvaient imposer leur volonté à leurs hommes.
Le philosophe grec Aristote (384-322 av. J.-C.), qui passa la majeure partie de sa vie adulte à Athènes, critiqua l'indépendance et l'influence des femmes spartiates dans sa Politique, affirmant que l'autonomie des femmes à Sparte était responsable de son déclin, car la nature avait voulu que les hommes dominent les femmes alors qu'à Sparte, c'était la politique inverse qui était pratiquée (1269b.12). Aucune preuve ne vient étayer l'affirmation d'Aristote, mais un grand nombre d'éléments montrent que l'égalité des sexes à Sparte rendit en fait la cité-État plus forte et plus efficace que les autres.
Les lois de Sparte furent réformées par le roi Lycurgue (c. 9e siècle av. J.-C.) et soulignaient l'importance de l'égalité entre tous les citoyens. Les filles recevaient le même régime de conditionnement physique que les garçons (bien qu'elles n'aient pas été formées aux armes ou à la guerre grecque) et recevaient le même niveau d'éducation à la maison (alors que les garçons fréquentaient une école publique). La classe subjuguée de personnes connues sous le nom d'hilotes se chargeait des travaux subalternes, y compris le tissage des vêtements, permettant ainsi aux femmes spartiates de se concentrer sur ce que Lycurgue considérait comme leur rôle le plus important : la maternité. Les femmes spartiates étaient réputées pour être fières de leurs enfants qui devaient honorer la cité-état par un comportement vertueux. En même temps, les femmes avaient la responsabilité de diriger la ferme ou le domaine, de gérer les finances et d'exploiter les entreprises, car les hommes étaient souvent partis à la guerre.
Le but des relations sexuelles au sein du mariage était de faire des enfants forts et en bonne santé, mais les femmes étaient autorisées à prendre des amants masculins pour atteindre ce même objectif. Les relations entre hommes et femmes du même sexe étaient destinées au plaisir et à l'épanouissement personnel. Ces relations étaient considérées comme naturelles dans la mesure où les deux parties étaient d'un certain âge et avaient donné leur consentement. Bien qu'Athènes soit souvent citée comme le "berceau de la démocratie", les femmes athéniennes n'avaient pas voix au chapitre en politique ou dans les affaires de leur mari, alors que les femmes spartiates participaient librement à presque tous les aspects de la vie politique et sociale de leur cité-État.
Le statut des femmes à Athènes et à Sparte
À Athènes, les femmes étaient reléguées au second plan, à l'exception de leur participation à certains festivals et rituels religieux. Une jeune fille athénienne était élevée pour apprendre à tisser avec sa mère et s'occuper des enfants et du foyer. L'un des détails les plus révélateurs du statut des femmes à Athènes et à Sparte est relevé par l'expert Paul Cartledge :
Les héritières à Sparte - c'est-à-dire les filles qui n'avaient pas de frères légitimes du même père - étaient appelées patrouchoi, ce qui signifie littéralement "détentrices du patrimoine", alors qu'à Athènes elles étaient appelées epikleroi, ce qui signifie "sur (c'est-à-dire allant avec) le kleros (attribution, lot, portion)". Les epikleroi athéniennes ne servaient donc qu'à transmettre l'héritage paternel à l'héritier mâle suivant et propriétaire, c'est-à-dire à leur fils aîné, petit-fils de leur père, alors que les patrouchoi spartiates héritaient de plein droit. (169)
Grâce à des liaisons avec des hommes autres que leurs maris, les femmes spartiates pouvaient également acquérir le contrôle de plus d'une maison et des terres environnantes, et beaucoup devinrent de riches propriétaires terriens. Il y avait un nombre important de veuves à Sparte qui avaient perdu leurs maris et leurs fils pendant les guerres mais qui n'avaient jamais eu à s'inquiéter de leur survie parce qu'elles possédaient la terre et savaient comment la rentabiliser.
Bien que certaines femmes athéniennes soient mentionnées comme marchandes, potières ou poursuivant d'autres carrières, elles étaient régulièrement isolées des hommes (peut-être même à la maison) et n'avaient aucun recours juridique devant les tribunaux, un pouvoir économique limité et aucune voix politique. Les femmes spartiates avaient tous ces droits et étaient élevées dès l'enfance dans l'idée qu'elles avaient autant à apporter à l'État que les hommes.
Enfance et éducation des filles
Les réformes de Lycurgue couvraient tous les domaines de la vie spartiate, de la monnaie à la propriété foncière et à la guerre, ainsi que des sphères qui pouvaient être considérées comme des affaires privées d'un citoyen, telles que les repas, le mariage et l'éducation des enfants. Les Spartiates étaient censés manger ensemble dans les salles à manger, les hommes étant séparés des femmes, et les enfants des deux sexes devaient être élevés en bonne santé physique et éduqués.
Les garçons étaient élevés par leur père jusqu'à l'âge de sept ans, âge auquel ils étaient emmenés à vivre en communauté avec d'autres et à commencer leur vie dans l'agoge, le programme d'éducation spartiate obligatoire pour tous les hommes, qui mettait l'accent sur la formation militaire. Les filles spartiates restaient sous la tutelle de leur mère mais devaient participer aux mêmes exercices physiques que les garçons, dans lesquels tous les participants étaient nus, et devait aussi assister aux festivals et aux rituels religieux auxquels hommes et femmes participaient.
Les sports pratiqués par les femmes spartiates pouvaient être la lutte, la course à pied sur de longues et courtes distances, l'équitation, le lancer du javelot ou du disque, la boxe et la course. L'éducation des filles incluait également le chant, la pratique d'un instrument de musique, la danse et la composition de poèmes, tous ces éléments étant regroupés sous le terme générique de mousike ("musique"), censé enrichir et ennoblir le caractère d'une personne. La poésie lyrique dans le style de Sappho de Lesbos (c. 620-570 av. J.-C.) et du poète Alcman (c. 600 av. J.-C.) était le genre enseigné aux filles et le style dans lequel les femmes grecques composaient principalement (ou peut-être uniquement). La spécialiste Jane McIntosh Snyder commente :
Tous [les poètes féminins grecs] écrivaient principalement dans le même genre que celui déjà établi comme approprié pour les femmes par la réputation de leur prédécesseur, Sapho, à savoir la poésie lyrique... Mais alors que la poésie de Sappho semble avoir été destinée principalement à des représentations en solo (c'est-à-dire une chanteuse accompagnée d'une lyre), certaines de ces nouvelles écrivaines se sont aventurées - à en juger par les mètres qu'elles utilisaient - dans des textes destinés à être interprétés en chœur par un groupe de chanteurs, souvent peut-être en relation avec une fête religieuse locale liée au calendrier agricole ou dans le cadre d'une autre cérémonie urbaine. (40)
Ce même paradigme s'appliquait à Sparte, où des chœurs composés uniquement de filles étaient formés et concouraient pour des prix. Parfois, ces concours faisaient partie de festivals religieux, mais ils semblent également avoir été inclus dans des événements honorant un individu, comme chanter les louanges d'un politicien donné ou, à l'inverse, se moquer de quelqu'un, comme se moquer des hommes d'un certain âge qui ne s'étaient pas encore mariés, encourageant ainsi l'adhésion aux traditions sociales. Des chœurs chantaient également lors de la dédicace de temples ou de la plantation de cultures.
Ces chœurs donnèrent naissance au genre de poésie grecque connu sous le nom de partheneion ("chant de jeune fille"), conçu par le poète lyrique Alcman, qui était spartiate ou qui vécut la majeure partie de sa vie à Sparte. La "jeune fille" dont il était question était la déesse Ortheia, autre nom d'Artémis, mais elle désignait aussi les chanteurs eux-mêmes et les objets de leur affection, d'autres jeunes filles. Les fragments existants de chants de jeunes filles montrent clairement que certains d'entre eux étaient composés par des femmes à la gloire d'autres femmes, ce qui suggère une relation romantique et érotique.
Sexualité, mariage et maternité
Les relations entre personnes de même sexe étaient aussi courantes à Sparte qu'ailleurs dans la Grèce antique, car il n'y avait pas de distinction entre homosexuels et hétérosexuels, qui sont des concepts modernes. Dans sa Vie de Lycurgue, qui comprend une discussion sur les mœurs sexuelles spartiates, Plutarque écrit :
Les amoureux des enfants participaient à leur réputation dans les deux sens; et l’on dit qu’une fois, un enfant ayant proféré un mot lâche dans un combat, son amant fut puni par les magistrats. (9) L’amour était tellement admis chez les Spartiates que même les belles et honnêtes femmes aimaient les jeunes filles. On ignorait pourtant la jalousie; et, qui plus est, les gens épris des mêmes enfants faisaient de cette passion commune le début d’une amitié mutuelle et ne cessaient de travailler ensemble au perfectionnement de l’être aimé. (Remacle, 18.8, Trad, Traduction Bernard Latzarus )
Les relations entre personnes du même sexe, qu'il s'agisse d'hommes ou de femmes, étaient considérées comme naturelles avant et après le mariage. Contrairement aux filles des autres cités-États qui pouvaient se marier dès l'âge de 13 ou 14 ans, les Spartiates poursuivaient généralement leurs études jusqu'à 18 ou 20 ans et n'examinaient qu'ensuite les propositions des prétendants négociées par leur père ou leur frère aîné. L'expert Colin Spencer note que "l'amour entre deux hommes adultes était fréquent, mais seul l'homme "efféminé" subissait l'opprobre social", comme en témoignent les termes péjoratifs utilisés pour un homme qui "jouait le rôle d'une femme" dans les rapports sexuels, mais aucun pour la relation elle-même (51). Aucun terme de ce genre ne semble avoir été appliqué aux relations homosexuelles féminines qui, comme on l'a noté, pouvaient se poursuivre après le mariage de la femme.
Le rituel du mariage à Sparte commençait par un enlèvement symbolique au cours duquel, une fois que les familles avaient accepté l'union, la femme spartiate était emmenée de force par l'homme dans leur nouvelle maison et laissée avec des femmes qui la préparaient pour la nuit de noces. On lui rasait la tête, on lui donnait des vêtements de garçon et on la laissait dans une pièce sombre. À un moment donné dans la nuit, son nouveau mari la surprenait, le couple avait des rapports sexuels, puis l'homme partait pour retourner à la caserne où il vivait.
Cartledge note que "l'on disait qu'un mari spartiate pouvait engendrer plusieurs enfants avant de voir sa femme à la lumière du jour" (172). L'épouse devait ensuite garder ses cheveux très courts pendant toute la durée du mariage. Certains chercheurs ont suggéré que ce rituel avait été mis en place pour que l'homme, qui n'avait connu jusqu'alors que la compagnie d'autres hommes, soit plus à l'aise pour avoir des relations sexuelles avec une femme. On pense également que les cheveux très courts de l'épouse, dans le même style que ceux des hommes spartiates, sont liés à cette même situation, donnant à la femme l'apparence d'un garçon ou d'un homme.
Une fois mariées, les femmes spartiates étaient censées avoir des enfants. Cartledge écrit :
Le rôle d'épouse et de mère était le destin social aussi bien qu'anatomique de toute femme grecque - et nulle part ailleurs cela ne fut souligné plus qu'à Sparte. Le divin destinataire du culte lié à la grossesse et à l'accouchement était Ilithyie, étroitement associée à Artémis, à Sparte comme ailleurs (Orthia). (175)
Artémis était également associée à des relations féminines de même sexe, puisqu'elle était fréquemment représentée entourée de jeunes femmes qui étaient ses dévotes. Les chants de jeunes filles à la gloire d'Artémis célébraient en partie le passage de la jeune fille à la mariée, puis à l'épouse et à la mère. La maternité était très appréciée et les femmes spartiates étaient, dit-on, particulièrement fières de la façon dont leur statut indépendant leur permettait d'élever des enfants tout aussi forts et indépendants.
Plutarque rapporte l'histoire (peut-être apocryphe) de Gorgô de Sparte, épouse du roi Léonidas, qui, "à la question d'une femme de l'Attique : "Comment se fait-il que vous, les Spartiates, soyez les seules femmes à dominer vos hommes", répondit : "Parce que nous sommes les seules femmes à donner naissance à de [vrais] hommes"" (Moralia 218D.4). Elle voulait dire par là que les vrais hommes n'avaient pas peur des femmes fortes, ce qui impliquait l'absence évidente de la même chose chez les hommes des autres cités-états. Bien que les fils de la femme aient été élevés loin d'elle, on attendait d'eux qu'ils l'honorent et, en se battant pour l'État, ils se battaient aussi pour leur mère et leur foyer.
Plutarque rapporte de nombreuses anecdotes sur la fierté des femmes à l'égard des victoires militaires de leurs fils et sur leur honte face aux comportements lâches. Un exemple en est Damatria, une femme honorée par une épigramme pour avoir tué son fils qui s'était montré lâche au combat. Le plus célèbre, cependant, est l'histoire de la mère remettant à son fils son bouclier alors qu'il partait à la guerre, lui disant de revenir soit avec le bouclier, soit dessus, faisant référence à la pratique de ramener un soldat mort sur son bouclier.
Responsabilités, droits et vêtements des femmes
Les droits des femmes étaient directement liés à leurs responsabilités. Puisque les hommes étaient si souvent partis à la guerre, une femme spartiate devait gérer une maison, une ferme ou un domaine par elle-même. Leur principal devoir était de donner naissance à des fils qui feraient honneur à la famille et à l'État par leur bravoure au combat, et c'est principalement dans ce but que les femmes devaient entretenir leur santé et leur forme physique. Les tâches quotidiennes considérées comme un "travail de femme" - en particulier le tissage, le nettoyage de la maison et l'éducation des enfants - étaient effectuées par les femmes hilotes. Les hilotes étaient une classe de personnes soumises par les Spartiates, qui n'étaient pas des esclaves mais n'étaient pas considérées comme des égales. Certains chercheurs ont affirmé que les mères spartiates n'allaitaient même pas leurs enfants car elles avaient recours à des nourrices hilotes pour cela.
Les femmes spartiates se concentraient sur les finances, l'agriculture et le fonctionnement efficace du foyer. La femme chef de famille avait le dernier mot sur toutes les décisions à prendre et veillait au bon fonctionnement de la ferme et du foyer. On attendait également d'elles qu'elles participent aux rituels religieux honorant les dieux de l'État afin que ceux-ci leur rendent la pareille en leur offrant des victoires militaires et des récoltes abondantes. Il existait également un certain nombre de cultes auxquels les femmes se consacraient et qui concernaient la fertilité (comme le culte d'Artémis-Ilithyie-Orthia) ou la force féminine comme dans le cas du culte de Cynisca, la première femme à avoir remporté les jeux olympiques en entraînant ses propres chevaux.
Les vêtements des femmes spartiates reflétaient la valeur d'austérité qui caractérisait la culture. Elles portaient généralement un peplos, une robe longue, ceinturée à la taille et remontée jusqu'aux genoux ou plus haut. Les femmes célibataires portaient les cheveux longs, tandis que les femmes mariées, comme nous l'avons vu, les portaient courts et parfois recouverts d'un voile qui tombait sur le visage. Bien que Lycurgue ait interdit l'argent et l'or parce qu'ils conduisaient à l'avarice et au crime (remplaçant la monnaie d'or et d'argent par le fer), cette loi fut modifiée plus tard pour la production de bijoux, et les femmes portaient des bracelets et des colliers en or et en argent. Elles utilisaient également des cosmétiques - que Lycurgue avait également proscrit comme encourageant la vanité - et portaient des parfums. L'ostentation était toutefois mal vue, car l'égalité était une valeur culturelle centrale et les femmes spartiates se ressemblaient plus ou moins en termes de richesse au sein de leur classe sociale.
Conclusion
Contrairement à ce qu'affirme Aristote, les femmes spartiates n'eurent rien à voir avec le déclin de la cité-État. Sparte était à son apogée, même après des décennies de guerre, lorsqu'elle défia la force de Thèbes. Lors de la bataille de Leuctres en 371 av. J.-C., Sparte fut vaincue par l'armée thébaine sous le commandement d'Épaminondas (c. 420-362 av. J.-C.), une force qui comprenait la Bande sacrée de Thèbes - une unité de 150 couples d'hommes de même sexe - sous la direction du brillant chef Pélopidas. Épaminondas et Pélopidas infligèrent de lourdes pertes aux Spartiates qui perdirent 400 de leurs 700 fantassins hoplites et leur roi Cléombrote dans la bataille.
Avant Leuctres, Sparte semblait invincible et les auteurs grecs, avant et après Aristote, durent trouver une raison à leur défaite autre que l'évidence - qu'Épaminondas et Pélopidas avaient été plus malins et plus forts que Cléombrote - parce que c'était tout simplement inacceptable. La raison trouvée par ces auteurs ultérieurs est l'autonomie des femmes spartiates, qui avait affaibli l'État au point qu'il était voué à la chute. Cartledge commente :
Ce qu'Aristote et d'autres hommes non spartiates à l'esprit conventionnel craignaient inconsciemment et peut-être parfois consciemment, c'était le pouvoir féminin. L'une des expressions de cette peur masculine grecque fut l'invention de la race mythique des Amazones, mais au moins les Amazones avaient-elles la décence de vivre à l'écart des hommes, alors que les femmes spartiates exerçaient apparemment leur pouvoir au sein de la communauté. Sous l'emprise de cette peur, les sources masculines déformèrent souvent les informations auxquels elles eurent accès, généralement de seconde main dans le meilleur des cas, au sujet des femmes spartiates. (170)
En réalité, Sparte était au mieux de sa forme lorsque les hommes et les femmes étaient considérés comme égaux. La femme spartiate était honorée comme l'égale de l'homme dans sa propre sphère de pouvoir et d'autorité et, même dans les récits de ses détracteurs, elle s'acquittait admirablement de sa tâche. On pourrait d'ailleurs affirmer que la force des femmes spartiates permettait d'asseoir la formidable réputation des hommes spartiates.