Interview: Civilisations Précolombiennes du Sud-Ouest des États-Unis

Article

James Blake Wiener
de , traduit par Babeth Étiève-Cartwright
publié le 19 octobre 2018
Disponible dans ces autres langues: anglais
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Les civilisations précolombiennes du sud-ouest des États-Unis et du nord du Mexique comprennent les Hohokam qui occupaient l'État américain de l'Arizona, les Anasazi ou Pueblo ancestraux qui résidaient dans la région des Four Corners, et les Mogollon qui habitaient le sud du Nouveau-Mexique et les parties septentrionales de Chihuahua au Mexique. Ces cultures ont prospéré pendant des centaines d'années avant l'arrivée des conquistadores espagnols au XVIe siècle. Chacune d'entre elles a laissé une empreinte culturelle indélébile dans la région, qui perdure aujourd'hui. Néanmoins, leurs impressionnantes réalisations dans les domaines de l'art, de l'architecture et de l'ingénierie restent trop souvent sous-estimées et peu étudiées, même aux États-Unis.

Wupatki Pueblo
Wupatki Pueblo
Tony Fernandez (CC BY-NC-SA)

Dans cet entretien exclusif, James Blake Wiener de World History Encyclopedia, s'entretient avec le professeur Steven Lekson, de l'université du Colorado à Boulder, de l'importance des interconnexions entre les cultures anciennes de l'Oasisamérique ainsi que de la situation de la recherche dans le domaine de l'archéologie du Sud-Ouest des États-Unis.

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JBW : Professeur Lekson, c'est un véritable privilège de vous accueillir à WHE et je vous remercie de bien vouloir me parler des anciennes cultures du sud-ouest des États-Unis.

Le grand public semble en savoir relativement peu sur les Pueblos ancestraux qui dominaient la région des Four Corners entre 900 et 1300. Pourriez-vous nous en dire plus sur les découvertes récentes et les recherches en cours? Parmi les nouvelles découvertes, quelles sont celles qui vous paraissent essentielles ou cruciales pour nous aider à établir l'essor, le déclin et la vie quotidienne des Pueblos ancestraux?

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SL : La découverte la plus importante dans notre compréhension des peuples Anasazi des Four Corners (la région autour des coins communs du Colorado, de l'Utah, de l'Arizona et du Nouveau Mexique) est peut-être le rôle central de Chaco Canyon, le centre régional du XIe siècle dans le nord-ouest du Nouveau Mexique. Chaco Canyon abrite une demi-douzaine de grandes maisons - des structures monumentales en grès comptant jusqu'à 500 pièces, s'élevant jusqu'à cinq étages et couvrant une superficie de plus d'un hectare.

Pendant de nombreuses années, ces grandes maisons ont été considérées comme des villages agricoles exceptionnellement agréables, mais il est de plus en plus probable qu'il s'agissait de palais pour une noblesse qui régnait sur 60 000 roturiers, dans une région de 100 000 kilomètres carrés (38610 miles carrés), englobant des sites aussi célèbres que Mesa Verde, Hovenweep et le Canyon de Chelly. Des recherches récentes montrent que de grandes quantités de marchandises étaient apportées à Chaco Canyon, la capitale, même de très loin, et que la famille noble centrale de Pueblo Bonito (le plus grand des palais) était une dynastie matrilinéaire qui dura plusieurs siècles.

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Pueblo Bonito, Chaco Canyon
Pueblo bonito, Chaco Canyon
Chris M Morris (CC BY)

Les Pueblos modernes sont les descendants des cultures de Chaco et de Mesa Verde, mais ils évitent ostensiblement les hiérarchies, les richesses et les classes sociales qui étaient évidentes à Chaco. Les Pueblos sont réputés pour leur égalitarisme: ils n'ont ni nobles, ni rois, ni capitale. Il est probable que les structures sociales uniques des Pueblos virent le jour en réaction et en rejet des hiérarchies de Chaco, qui connurent une fin malheureuse. Vers 1090, la capitale se déplaça vers le nord, dans ce qui est aujourd'hui Aztec Ruins National Monument, mais la nouvelle capitale ne put maintenir la paix et la prospérité du règne de la culture Chaco. Les sécheresses et la violence finirent par conduire à l'abandon de la région des Four Corners par des dizaines de milliers de Pueblos ancestraux, dont la plupart partirent rejoindre les Pueblos modernes, depuis les Pueblos Hopi en Arizona à l'ouest, en passant par Zuni et Acoma, jusqu'aux nombreux Pueblos du Rio Grande au Nouveau-Mexique à l'est. Les nobles de Chaco se seraient peut-être déplacés vers le sud pour rejoindre leurs homologues de Mésoamérique et auraient contribué à la fondation de Paquimé (Casas Grandes), la dernière grande ville du Sud-Ouest.

JBW : Les Hohokams, qui vivaient dans l'actuel Arizona, se distinguent de leurs voisins par la longévité de leur culture. Les Hohokams ont construit des établissements impressionnants, des canaux d'irrigation sophistiqués et même des terrains de jeu de balle rituel qui reflètent ceux que l'on trouve en Mésoamérique. Existe-t-il des preuves d'échanges culturels ou matériels importants entre les Hohokams et les Pueblos ancestraux, et comment devrions-nous caractériser leur rôle et leur héritage uniques dans le Sud-Ouest?

SL : La civilisation Hohokam a émergé vers 500 de notre ère; elle a prospéré le long des grands fleuves des déserts du sud de l'Arizona, à 500 km des Four Corners et de Chaco Canyon. À Chaco et dans les Four Corners, l'agriculture pluviale était (tout juste) possible, mais dans les déserts hohokams - où les précipitations sont bien moindres - l'agriculture avait absolument besoin d'irrigation. D'immenses systèmes de canaux sur les rivières Salt et Gila (canalisant les eaux des hautes terres de Mogollon) sont à l'origine de son histoire millénaire.

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Les maisons hohokams étaient des structures d'une seule pièce en terre et en chaume, s'élevant sur un sol légèrement enfoncé ("maisons à fosse"). Trois ou quatre de ces maisons donnaient sur un petit patio commun; une douzaine ou plus de ces groupes de patios formaient un segment de village, souvent avec son propre cimetière; et plusieurs segments de village entouraient une grande place publique centrale. À la périphérie du village se trouvaient un ou deux terrains ovales pour le jeu de balle, différents des terrains de jeu de balle rectangulaires ou en forme de "I" de Mésoamérique.

Contrairement à la poterie noir sur blanc des Pueblos ancestraux, la poterie hohokam était rouge sur chamois, avec des motifs peints en brun rougeâtre sur un fond beige clair ou chamois. D'autres aspects de la culture matérielle des Hohokams étaient tout aussi caractéristiques: une industrie bien développée de fabrication de bijoux en coquillage, une sculpture élaborée de récipients en pierre et un superbe tissage du coton cultivé par les Hohokams.

Il est évident que les deux plus grandes cultures du Sud-Ouest du IXe au XIIe siècle se connaissaient, mais il existe peu de preuves matérielles d'une interaction soutenue.

La culture Hohokam atteignit son apogée vers 900, mais après 1000, elle se replia sur sa zone centrale d'origine dans le bassin de Phoenix. Les terrains de jeu de balle, qui étaient auparavant le centre de la vie civique, ne furent plus construits ni même utilisés. Une nouvelle forme d'architecture publique apparut: les monticules à plate-forme. Ces structures rectangulaires remplies de terre atteignaient des dimensions de 50 m sur 95 m et plus de 7 m de haut. Sur la surface supérieure plane de ces monticules se dressaient les importantes maisons des nouveaux dirigeants hohokams - avant les monticules à plate-forme, l'archéologie n'avait révélé aucune preuve de l'existence d'une élite. Le nouveau régime fut marqué par l'apparition de nouvelles poteries: un nouveau type de poterie très coloré, le Gila polychrome, est apparu en grande quantité à côté des poteries plus anciennes. La grande civilisation disparut vers 1450, peut-être à la suite d'une révolte des classes populaires contre les dirigeants des monticules-plateformes (comme le rappellent les récits autochtones).

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Il est évident que les deux plus grandes cultures du Sud-Ouest des IXe et XIIe siècles se connaissaient. La chronologie de leurs histoires respectives - l'explosion des constructions majeures de la culture Chaco commença vers 1020 tandis que le déclin des Hohokams commença vers 1000 - suggère un lien historique, mais il y a peu de preuves matérielles d'une interaction soutenue. Ce n'est que dans les classes d'artefacts de plus grande valeur et de moindre quantité que des indices apparaissent: Des bijoux en coquillage hohokams, un vêtement en coton hohokam et d'autres objets de cette nature apparaissent à Chaco Canyon. Les échanges entre élites seraient probablement marqués par des matériaux précieux qui survivent rarement: coton, cacao, plumes d'ara, ou par l'échange de partenaires matrimoniaux.

JBW : Le peuple Mimbres était une sous-culture des Mogollons, occupant le sud du Nouveau-Mexique et la partie nord de Chihuahua au Mexique. Dans vos conférences, vous les avez décrits comme une girouette culturelle. Comment notre connaissance de la mystérieuse culture Mimbres a-t-elle progressé ces dernières années?

SL : L'histoire des Hohokams et de la culture Chaco s'est inscrite de manière spectaculaire dans celle d'un troisième contemporain, les sociétés Mimbres du sud-ouest du Nouveau-Mexique. Célèbres pour leur art de la poterie noir sur blanc, les Mimbres étaient suffisamment distincts pour mériter une troisième désignation culturelle, nominalement égale à ses contemporains Chaco et Hohokams, un mode de vie Anasazi/Ancestral sur une infrastructure Hohokam. Les Mimbres ont commencé vers 500 de notre ère à construire des maisons à fosse, dont le plan est assez semblable à celui des structures Hohokam, mais dont les sols sont beaucoup plus profonds et enfoncés. Vers l'an 1000, les Mimbres ont opéré un changement soudain et spectaculaire, passant des maisons à fosses profondes à des pueblos en maçonnerie de pierre construits au-dessus du sol. Ils ont prospéré jusqu'en 1150 environ, date à laquelle la culture de Chaco et les Mimbres se sont effondrés simultanément.

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Mimbres Ceramic Vessel
Récipient en céramique Mimbres
James Blake Wiener (CC BY-NC-SA)

Lorsque les Hohokams étaient en plein essor, les Mimbres regardaient vers l'ouest et partageaient les styles de poterie rouge sur fond brun, les sépultures à incinération, les bijoux en coquillage et l'irrigation par canaux - tous des emblèmes des Hohokam - mais pas, pour autant que nous le sachions, les terrains de jeu de balle des Hohokams. Lorsque les Hohokams se sont repliés sur Phoenix tandis que la culture de Chaco s'étendait à la plupart des Four Corners, les Mimbres se sont détournés des Hohokams à l'ouest, pour se tourner vers la puissance montante du nord. Les maisons à fosse se sont transformées en pueblos de pierre, les poteries rouge sur brun ont été remplacées par des poteries noir sur blanc d'une excellence et d'une qualité soudaines et surprenantes. Si les Mimbres sont intéressants en soi, ils servent également de gigantesque girouette pour la géopolitique du Sud-Ouest ancien: ils pointent vers l'ouest de 700 à 1000, lorsque Hohokam était à son apogée, puis basculent vers le nord en direction des Chaco de 1000 à 1150, lorsque les Hohokams s'affaiblirent et que les Chaco connurent un véritable essor.

JBW : Je ne peux pas terminer cette interview sans poser au moins une question sur la ville de Casas Grandes ou Paquimé. C'est la dernière grande ville du Sud-Ouest à avoir vu le jour avant l'arrivée des Espagnols au XVIe siècle, mais elle est située à Chihuahua, au Mexique, et non aux États-Unis. Professeur Lekson, serait-il juste de dire que Casas Grandes est l'héritière des Pueblos ancestraux, des Mimbres et des Hohokams? Comment caractériseriez-vous l'importance de Casas Grandes dans l'histoire du Sud-Ouest et quelles circonstances ont conduit à son essor fulgurant et à son effondrement soudain entre 1250 et 1450?

SL : Les données de l'histoire de l'art et de l'archéologie biologique relient les Mimbres (qui se sont effondrés en 1150) à la grande ville de Paquimé (qui a pris son essor vers 1300). Les 150 années manquantes entre l'effondrement et l'essor se sont déroulées dans des pueblos d'adobe apparemment éphémères mais (parfois) importants, disséminés dans les bas déserts où la rivière Mimbres disparaît dans le désert, s'écoulant dans les sables de l'extrême sud du Nouveau-Mexique et de l'extrême nord du Chihuahua.

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Le Rio Casas Grandes s'écoule des hautes terres de la Sierra Madre et, à une époque récente, ses eaux, qui s'écoulent dans de vastes canaux, ont fait de cette région aride le grenier à blé du nord du Mexique moderne. Il en était de même dans l'Antiquité: Paquimé a exploité le fleuve avec de longs canaux, faisant écho au système d'irrigation Hohokam plus vaste; en outre, de vastes barrages de retenue et des champs de paillis ont permis l'agriculture pluviale sur les plaines plus élevées, loin du fleuve.

Paquimé était le centre et presque certainement la capitale d'une région comparable à celle de Chaco. Il est prouvé qu'au moins certaines des familles nobles de Chaco ont joué un rôle dans l'essor de Paquimé. Ces familles avaient régné sur un royaume en déclin depuis les ruines aztèques entre 1150 et 1280; la ville de Paquimé a été planifiée et construite vers 1300. Des éléments architecturaux clés propres aux Chaco et aux Aztèques apparaissent également à Paquimé, et les modes d'inhumation des élites de Paquimé font écho à ceux de Chaco Canyon.

Casas Grandes, Mexico
Casas Grandes, Mexique
Matt Peeples (CC BY-NC-SA)

Paquimé a été la dernière grande ville du Sud-Ouest et la plus cosmopolite où le Sud-Ouest et la Mésoamérique se sont finalement rencontrés et ont prospéré pendant une brève période de 150 ans. Des terrains de jeu de balle mésoaméricains classiques en forme de I se trouvaient à l'extérieur de maisons et d'entrepôts à plusieurs étages de type pueblo, auxquels on accédait par des portes en forme de T caractéristiques de Chaco. Des quantités remarquables de produits importés du sud étaient stockées à côté de piles de bols Hohokam polychromes caractéristiques de la fin de la période Gila. En effet, une version locale de la polychromie Gila était courante, mais la céramique "signature" de Paquimé était la polychromie Ramos - une forme d'art frappante qui devait beaucoup aux traditions Mimbres antérieures, mais qui représentait entre autres des divinités mésoaméricaines.

Paquimé prit fin, mystérieusement, vers 1450, en même temps que l'effondrement du Hohokam tardif. Hohokam et Paquimé étaient des pairs et peut-être des rivaux; leurs fins simultanées étaient certainement liées historiquement, de manière opaque pour nous. L'essor et le déclin simultanés de Chaco et de Mimbres, ainsi que l'effondrement mutuel des Hohokams et des Paquimé tardifs reflètent probablement, en partie, des changements climatiques, mais ces sociétés étaient bien plus que des pions de leur environnement. Elles ont pu rassembler des quantités massives de main-d'œuvre pour construire de vastes canaux d'irrigation, contrôler le rude environnement désertique et ériger des monuments majeurs. Les sociétés pouvaient s'élever, et s'élevaient, bien au-delà des limites apparentes de leur environnement, et créaient des civilisations petites mais colorées.

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JBW : L'apparition et la disparition de la culture Salado est un autre mystère de l'ancien Sud-Ouest. Les Salado étaient réputés pour leurs poteries, qui étaient très prisées dans toute la région. Que savons-nous d'autre sur la culture Salado?

SL : La remarquable poterie polychrome de Gila (rouge, blanc et noir) caractéristique des Hohokams postérieurs (1300 à 1450) se retrouve bien au-delà du cœur des Hohokams. La polychromie de Gila était l'un des nombreux types de poterie polychrome, appelés ensemble "Salado" d'après la rivière Salée qui traverse le bassin de Phoenix. Alors que nous associons la polychromie Gila à la fin de la période Hohokam, les polychromies Salado ne sont pas nées dans le centre des Hohokams, mais plutôt dans les hautes terres Mogollon au nord, avant de se développer pleinement sur le cours supérieur des rivières Gila et Salt à l'est. Les polychromes Salado se sont ensuite répandus sur une vaste zone (y compris l'ancien noyau Hohokam).

Les types colorés constituaient des proportions faibles mais significatives des céramiques de toute une série de cultures dans une zone de 500 x 600 km (311 x 373 miles). Cette zone englobe une demi-douzaine de traditions céramiques locales différentes. Fait remarquable, la poterie polychrome Salado semble être presque toujours fabriquée localement, c'est-à-dire que les argiles utilisées pour fabriquer les polychromes Salado étaient les mêmes que celles utilisées pour les céramiques locales. Il s'agit là d'une énigme: les motifs sont tout à fait distinctifs et reconnaissables, mais les poteries n'étaient pas produites en un seul endroit et échangées dans toute la vaste région.

Salado Polychrome Jar
récipient polychrome salado
US-NPS (Public Domain)

Les proportions de polychromes Gila et autres Salado varient d'un site à l'autre. Les sites où la poterie Salado prédomine se trouvent principalement sur le cours supérieur de la Gila et le cours supérieur de la Salt, à l'est du noyau Hohokam, et dans les hautes terres situées immédiatement au nord de ces vallées. C'est dans les hautes terres que la poterie Salado a probablement vu le jour. Un nombre important de migrants Ancestral Pueblo (Anasazi) venus du nord-est de l'Arizona ont pénétré dans les bassins versants du haut Salt et du haut Gila à la fin du XIIe et au XIIIe siècle. Vivant initialement dans des enclaves parmi les populations locales de tendance Hohokam, les immigrants Ancestral Pueblo se sont rapidement mélangés aux populations locales pour créer une société hybride et, avec elle, la tradition polychrome Salado.

Les sites Salado de la partie supérieure de la rivière Salt possédaient des monticules à plate-forme et reflétaient à bien d'autres égards les Hohokam du bassin de Phoenix. Les sites Salado de la rivière Salt sont tombés en même temps que les Hohokam, vers 1450. Les sites Salado de la partie supérieure de la Gila étaient dépourvus de monticules à plate-forme et ressemblaient en fait beaucoup plus à des "pueblos" du nord. L'un des derniers et plus grands "pueblos" salado était Kwilleylekia, sur la partie supérieure de la rivière Gila. D'après les poteries qui y ont été trouvées, Kwilleylekia aurait duré jusqu'à environ 1500, si ce n'est plus. Il est intéressant de noter qu'un cimetière du XVIe siècle, situé sur le site d'un pueblo ancestral de Zuni, à 200 km au nord, contenait de nombreuses tombes avec des offrandes polychromes Gila.

SL : Dans vos travaux et vos conférences, vous soulignez l'interconnexion continentale des anciennes cultures du désert du Sud-Ouest avec les civilisations de la Mésoamérique et de la culture mississippienne. Pourquoi les chercheurs et les archéologues devraient-ils aborder l'étude du Sud-Ouest ancien à travers un prisme continental?

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SL : L'archéologie américaine a été très sectorielle, divisée et même provinciale, mais dès le début de la colonisation humaine des Amériques, les histoires anciennes avaient une portée continentale. Au fur et à mesure que l'histoire progressait, les anciens Américains se sont régionalisés, mais nous ne devrions pas penser que la culture matérielle localisée signifiait l'ignorance des contextes continentaux. Chaco Canyon et le Sud-Ouest connaissaient clairement Cahokia et la vallée du Mississippi. Bien plus tard, en 1540, les conquistadors, à la recherche de villes, ont pu constater que leurs guides autochtones savaient où les trouver.

Coronado fut déçu par les Pueblos, mais ces derniers savaient qu'à travers les plaines, il y avait eu Cahokia, une ville monumentale de plus de 20 000 habitants. De Soto voulait quelque chose de plus grand que les villes au toit de chaume du sud-est; ses guides savaient que, loin à l'ouest, il y avait eu Chaco. Les deux expéditions - toutes deux lancées en 1540 - se sont presque rencontrées au milieu, près des monticules de Spiro. Dix ans plus tôt, un autre conquistador, Nuño de Guzmán, cherchait des villes au sud. Des guides indigènes ont conduit son armée au nord de Culiacán, et bien qu'il ait finalement rebroussé chemin, la route du nord l'aurait conduit directement à Paquimé - disparue depuis longtemps, mais apparemment pas oubliée. Au XVIe siècle, Paquimé avait disparu depuis plus de 100 ans, et Chaco et Cahokia depuis près de 500 ans, mais apparemment, compte tenu de la conception indigène du temps, on se souvenait encore de ces villes.

Paquimé a disparu pendant plus de 100 ans, et Chaco et Cahokia pendant près de 500 ans, mais apparemment, avec les idées indigènes sur le temps, on se souvenait encore de ces villes.

Des recherches récentes ont montré qu'à Chaco (et à Cahokia), on buvait de la "boisson noire" lors de rituels, un thé très caféiné préparé à partir d'une plante qui ne pousse que le long de la côte du golfe du Mexique. Des recherches récentes ont permis d'identifier 14 000 petits coquillages (destinés à la fabrication de perles) sur un célèbre site mississippien, Spiro Mounds, comme provenant de la côte californienne. Plus récemment encore, j'ai identifié un textile en "dentelle" du sud-ouest à Spiro. Là encore, il s'agit d'une communication inter-élites avec des denrées précieuses (et pour la plupart périssables): thé, coquillages, coton, etc.

Il est important de situer l'ancien Sud-Ouest dans son contexte continental; la frontière entre les États-Unis et le Mexique n'existait pas il y a mille ans. Chaco Canyon est souvent décrit comme un mystère parce qu'aucun modèle d'ethnologie ou d'ethnohistoire ne "colle" à Chaco, mais ce n'est pas le cas si l'on regarde au-delà de la frontière nationale. Un modèle bien connu de petites cités-États issu de l'ethnohistoire nahua s'adapte parfaitement à Chaco, mais l'étroitesse de notre champ d'action provincial nous a empêchés de regarder au-delà de nos frontières.

JBW : Je suis curieux de savoir ce qui a suscité votre intérêt pour le Sud-Ouest ancien et qui vous a amené à consacrer votre vie à l'étude des Mogollons et des Pueblos ancestraux (Anasazi) en particulier. Pourquoi pensez-vous que d'autres devraient également étudier le Sud-Ouest ancien, et quelles leçons pouvons-nous tirer de leurs succès et de leurs échecs ?

Je suis devenu sud-ouestiste par accident. En entrant à l'université, je pensais devenir archéologue, mais un conseiller de la faculté m'a plutôt conseillé d'étudier l'anthropologie et de fouiller des monticules indiens. J'étais en passe de devenir un archéologue de la vallée du Mississippi lorsque j'ai rejoint un projet archéologique dans le sud-ouest du Nouveau-Mexique. Dans la vallée du Mississippi et le sud-est des États-Unis, la chaleur et l'humidité sont oppressantes; les tiques, les aoûtats et les moustiques sont omniprésents; et il y a une grande variété de serpents venimeux, dont certains sont d'une agressivité inquiétante. Le Sud-Ouest est merveilleusement aride, les insectes y sont rares et les seuls reptiles dignes d'intérêt sont plutôt timides et ne manifestent pas leur présence. Lors de mes fouilles au Nouveau-Mexique, j'ai vu, pour la première fois de ma vie, la Voie lactée. Le ciel et les terres du sud-ouest sont magiques!

Kin Kletso, Chaco Canyon
Kin Kletso, Chaco Canyon
Benjamin Oswald (CC BY-NC-SA)

Je suis donc devenu un archéologue du Sud-Ouest. Il y a beaucoup de choses qui peuvent présenter un intérêt global dans le Sud-Ouest (l'agriculture très ancienne, par exemple), mais je me suis concentré sur les origines et le fonctionnement du gouvernement. À Chaco, par exemple, je pense que nous avons un excellent exemple de cité-État secondaire: un État formé en conséquence d'entités politiques antérieures plus importantes. Les cités-états anciennes et les États secondaires sont des phénomènes mondiaux, que l'on retrouve (presque) partout. Chaco devrait contribuer à leur étude, en raison de sa remarquable préservation, de sa datation précise par anneaux de croissance et de la quantité considérable d'argent et d'énergie investie dans l'archéologie chacoane depuis plus d'un siècle.

Trop souvent, le Sud-Ouest est présenté comme un exemple de restriction environnementale, mais pendant 1 000 ans, la civilisation Hohokam a prospéré dans les déserts les plus rudes de la région, et une histoire politique continue a relié Chaco et les capitales qui lui ont succédé, jusqu'à Paquimé. L'effondrement des sociétés anciennes mérite notre attention, mais leurs succès doivent également être étudiés et célébrés.

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JBW : Professeur Lekson, quelle est la question sur le Sud-Ouest ancien à laquelle vous aimeriez que l'on réponde le plus tôt possible?

SL : Pour moi, la grande question la plus intéressante de l'archéologie du Sud-Ouest est quelque chose de relativement nouveau: le début de la période agricole du sud de l'Arizona, qui était complètement inconnu jusqu'à ce que l'archéologie de sauvetage à la fin des années 1980. D'importants villages de petites maisons à fosse sont apparus dès 1200 avant notre ère le long des affluents de la rivière Gila. Ces villages étaient soutenus par de petits canaux détournant l'eau vers les champs; les canaux étaient plus petits que les systèmes Hohokam ultérieurs, mais l'irrigation était très étendue et assez sophistiquée. La suite de la carrière de la première période agricole est obscure: a-t-elle survécu pour devenir Hohokam, ou était-ce un feu de paille?

La première période agricole était contemporaine des Olmèques et du remarquable centre monumental de Poverty Point sur le cours inférieur du Mississippi, qui ont connu une ascension et une chute plus ou moins simultanées. Il ne s'agit pas de placer la modeste période agricole précoce sur le même plan que les puissants Olmèques, mais la chronologie est intéressante. Ma question est de savoir ce qui se passait dans le Sud-Ouest et en Amérique du Nord vers 1200 avant notre ère.

Steve Lekson, archéologue et professeur, travaille dans le sud-ouest des États-Unis. Il a principalement travaillé sur le terrain dans les régions du Mogollon et de l'Anasazi (Ancestral Pueblo), mais il s'est également intéressé aux régions de l'Hohokam, de Casas Grandes, de la Jornada et du Rio Grande. Il s'intéresse principalement à la géographie humaine, aux environnements bâtis et au gouvernement, mais ses projets de recherche actuels portent davantage sur les migrations (Pinnacle Ruin, dans le sud du Nouveau-Mexique) et l'archéologie domestique (Yellow Jacket, dans le sud-ouest du Colorado). M. Lekson s'intéresse également aux musées (il est conservateur d'anthropologie au musée d'histoire naturelle de l'université du Colorado) et au rôle de l'archéologie dans la vie intellectuelle américaine et mondiale.

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Traducteur

Babeth Étiève-Cartwright
Babeth s'est consacrée à la traduction après avoir enseigné l'anglais au British Council de Milan. Elle parle couramment le français, l'anglais et l'italien et a 25 ans d'expérience dans le domaine de l'éducation. Elle aime voyager et découvrir l'histoire et le patrimoine d'autres cultures.

Auteur

James Blake Wiener
James est un écrivain et ancien Professeur d'Histoire. Il est titulaire d'une Maîtrise en Histoire du monde avec un intérêt particulier pour les échanges interculturels et l'histoire du monde. Il est cofondateur de Ancient History Encyclopedia et en était auparavant le Directeur de la Communication.

Citer cette ressource

Style APA

Wiener, J. B. (2018, octobre 19). Interview: Civilisations Précolombiennes du Sud-Ouest des États-Unis [Interview: The Ancient Southwest]. (B. Étiève-Cartwright, Traducteur). World History Encyclopedia. Extrait de https://www.worldhistory.org/trans/fr/2-1271/interview-civilisations-precolombiennes-du-sud-oue/

Style Chicago

Wiener, James Blake. "Interview: Civilisations Précolombiennes du Sud-Ouest des États-Unis." Traduit par Babeth Étiève-Cartwright. World History Encyclopedia. modifié le octobre 19, 2018. https://www.worldhistory.org/trans/fr/2-1271/interview-civilisations-precolombiennes-du-sud-oue/.

Style MLA

Wiener, James Blake. "Interview: Civilisations Précolombiennes du Sud-Ouest des États-Unis." Traduit par Babeth Étiève-Cartwright. World History Encyclopedia. World History Encyclopedia, 19 oct. 2018. Web. 28 mars 2025.

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