La vie des moines dans un monastère du Moyen Âge, comme dans toute profession ou vocation, avait ses avantages et ses inconvénients. Bien que l'on s'attendît à ce qu'ils mènent une vie simple avec peu de biens, qu'ils assistent aux services à toute heure du jour et de la nuit, et peut-être même qu'ils fassent vœu de silence, les moines pouvaient au moins bénéficier d'un toit sûr au-dessus de leur tête. Un autre avantage était le ravitaillement en vivres qui était beaucoup plus élevé que celui auquel la grande majorité de la population de l'époque avait accès. En plus de tenter de se rapprocher de Dieu par leurs sacrifices physiques et leurs études religieuses, les moines pouvaient être très utiles à la communauté en éduquant les jeunes de l'aristocratie et en produisant des livres et des manuscrits enluminés qui se sont depuis révélés être, pour les historiens, des archives inestimables de la vie au Moyen Âge .
Développement des monastères
A partir du IIIe siècle EC, une tendance se développa en Égypte et en Syrie qui voyait certains chrétiens décider de vivre une vie d'ermite solitaire ou ascétique. Ils le faisaient parce qu'ils pensaient que sans distractions séculières ou matérielles, ils parviendraient à une meilleure compréhension de Dieu et à une plus grande proximité avec lui. En outre, chaque fois que les premiers chrétiens étaient persécutés, ils étaient parfois forcés par nécessité de vivre dans des régions montagneuses reculées où même l'indispensable manquait. Au fur et à mesure que ces individualistes devinrent plus nombreux, certains d'entre eux commencèrent à se rassembler en communautés, continuant cependant à se couper du reste de la société et à se consacrer entièrement à la prière et à l'étude des Écritures. Au départ, les membres de ces communautés vivaient encore une vie essentiellement solitaire et ne se rassemblaient que pour les services religieux. Leur responsable, un abba (d'où dérive le mot « abbé ») dirigeait ces individualistes — ils étaient appelés monachos en grec pour cette raison, qui dérive de mono signifiant « un », et qui est l'origine du mot « moine ». Au fil du temps, à l'intérieur de cette forme primitive de monastère, une attitude plus communale à l'égard de la vie quotidienne se développa, où les membres se répartisssaient le travail nécessaire pour se maintenir en autosuffisance et partageaient également l'hébergement et les repas.
A partir du Ve siècle EC, l'idée de monastères se répandit à travers l'Empire byzantin puis à l'Europe romaine où les gens adoptèrent leurs propres pratiques distinctes basées sur les enseignements de saint Benoît de Nursie (c. 480-c. 543 EC). L'ordre bénédictin encourageait ses membres à vivre une vie aussi simple que possible avec de la nourriture simple, un logement basique et aussi peu de biens que possible. Il y avait un ensemble de règlements que les moines devaient suivre et, parce qu'ils vivaient tous de la même manière, ils devinrent des «frères». Les règles monastiques différaient selon les ordres qui évoluèrent à partir du XIe siècle EC et même selon les différents monastères. Certains ordres étaient plus stricts, comme les Cisterciens qui furent créés en 1098 EC par un groupe de moines bénédictins qui désiraient mener une vie encore moins mondaine. Les femmes aussi pouvaient prendre part à la vie monastique en tant que religieuses dans les abbayes et les couvents.
Comme les monastères étaient destinés à être autosuffisants, les moines devaient combiner le travail quotidien pour produire de la nourriture avec le culte communautaire et l'étude privée. Les monastères devinrent plus sophistiqués et plus riches, grandement aidés par des allégements fiscaux et des dons, de sorte que, à mesure que le Moyen Âge avançait, le travail physique devenait moins nécessaire pour les moines qui pouvaient maintenant compter sur les efforts de frères laïcs, d'ouvriers salariés ou de serfs (ouvriers non libres). Par conséquent, les moines du haut Moyen Âge pouvaient consacrer plus de temps à des activités académiques, en particulier à produire des spécialités monastiques médiévales telles que les manuscrits enluminés.
Recrutement
Les gens étaient attirés par la vie monastique pour diverses raisons telles que la piété, le fait qu'il s'agissait d'un choix de carrière respecté; qu'il y avait une chance d'avoir un réel pouvoir si l'on s'élevait au sommet; et qu'on avait la garantie d'un logement décent et de repas supérieurs à la moyenne pour le reste de sa vie. Les deuxièmes ou troisièmes fils de l'aristocratie, qui n'étaient pas susceptibles d'hériter des terres de leur père, étaient souvent encouragés à entrer dans les ordres et l'un des chemins menant à une brillante carrière était de rejoindre un monastère et d'y recevoir une éducation (apprentissage de la lecture, de l'écriture, de l'arithmétique et du latin). Les enfants y étaient envoyés dès le plus jeune âge, souvent dès l'âge de 5 ans, ils étaient alors appelés oblats, tandis que ceux qui arrivaient à l'âge de 15 ans ou plus étaient appelés novices. Ces deux groupes ne se mélangeaient généralement pas aux moines, bien que ni les oblats ni les novices ne fussent jamais autorisés à être seuls, sans la surveillance d'un moine.
Après un an, un novice pouvait faire ses vœux et devenir moine à part entière, et ce n'était pas toujours un choix de carrière irréversible puisque des nouvelles règles se développèrent à partir du XIIIe siècle EC faisant en sorte qu'un jeune pouvait librement quitter le monastère à l'âge adulte. La plupart des moines provenaient d'un milieu aisé; en effet, on s'attendait à ce qu'ils apportent un don substantiel à leur entrée. Les recrues étaient généralement locales, mais les plus grands monastères étaient même en mesure d'attirer des gens venus de l'étranger. Par conséquent, il n'y avait jamais vraiment de pénurie de candidats au monastère, bien que les moines ne représentaient qu'environ 1% de la population au Moyen Âge.
Les monastères variaient en taille, un petit n'ayant qu'une douzaine de moines et les plus grands ayant une centaine de frères. Un monastère majeur comme l'abbaye de Cluny en France comptait 460 moines à son apogée au milieu du XIIe siècle EC. Le nombre de moines était essentiellement limité au revenu du monastère qui provenait en grande partie de la terre qu'il possédait (et qui lui avait été donnée par les mécènes au fil des ans). Les monastères comprenaient un bon nombre de frères laïcs en plus des moines et ceux-ci étaient employés pour faire le travail manuel, comme les travaux agricoles, la cuisine ou la lessive. Les frères laïcs observaient certaines règles monastiques, mais vivaient dans des quartiers séparés.
L'Abbé
Les monastères étaient généralement dirigés par un abbé qui avait l'autorité absolue dans son monastère. Sélectionné par les moines supérieurs, qu'il était censé consulter sur des questions de politique (mais pouvait aussi ignorer), l'abbé avait son travail à vie, si la santé le permettait. Pas seulement un travail pour les vieux et sages, un moine dans la vingtaine pouvait avoir une chance d'être fait abbé car il y avait une tendance à choisir quelqu'un qui pourrait occuper le poste pendant des décennies et ainsi fournir au monastère une certaine stabilité. L'abbé était assisté dans ses fonctions administratives par le prieur qui avait lui-même une équipe d'inspecteurs qui surveillaient quotidiennement les moines. Les petits monastères sans leur propre abbé (mais sous la juridiction d'un abbé d'un autre monastère) étaient généralement dirigés par le prieur, d'où le nom de ces institutions: les prieurés. Les moines aînés, parfois appelés « obédientaires », pouvaient avoir des tâches spécifiques, peut-être par rotation, comme s'occuper de la cave à vin du monastère, du jardin, de l'infirmerie ou de la bibliothèque et du scriptorium (où les textes étaient rédigés).
L'abbé représentait le monastère lorsqu'il traitait avec d'autres monastères et avec l'État, aux yeux duquel il se plaçait aux côtés des plus puissants propriétaires fonciers laïcs. Sans surprise, pour une figure aussi importante, on s'attendait à ce que les moines s'inclinent profondément en présence de l'abbé et embrassent sa main avec respect. Si un abbé était extrêmement impopulaire et agissait à l'encontre de l'ordre, il pouvait être éloigné par le pape.
Règles et Règlements
Les moines suivaient les enseignements de Jésus-Christ en rejetant toute richesse personnelle, tel qu'il est écrit dans l'Évangile de Mathieu:
Si tu veux être parfait, va, vends ce que tu possèdes, donne-le aux pauvres, et tu auras un trésor dans le ciel. Puis viens, et suis-moi.(19:21)
Dans ce sens, le confort était éliminé, mais l'application stricte de tels idéaux dépendait vraiment de chaque monastère. Ainsi aussi, le silence était une méthode pour rappeler aux moines qu'ils vivaient dans une société fermée tout à fait différente du monde extérieur. Les moines n'étaient généralement pas du tout autorisés à parler dans des lieux tels que l'église, la cuisine, le réfectoire ou les dortoirs. Certains pouvaient être assez audacieux pour tenter une conversation dans les cloîtres juste après une assemblée générale, mais en plus de cette indulgence, la conversation devait être réduite au minimum et, lorsqu'elle se produisait, elle devait se limiter aux questions ecclésiastiques ou aux nécessités quotidiennes. Les moines étaient encore restreints en ce sens qu'ils ne pouvaient parler que les uns aux autres, car il n'était pas permis de parler du tout aux frères laïcs et aux novices, et surtout pas de parler aux visiteurs extérieurs de quelque nature que ce soit. C'est pourquoi les moines utilisaient souvent des gestes qu'on leur avaient enseignés en tant que novices et parfois même ils sifflaient plutôt que de parler à une personne à qui ils ne devaient pas ou dans un endroit où cela était interdit.
Quiconque avait enfreint les règles était signalé à l'abbé; dénoncer ses frères était considéré comme un devoir. Les châtiments pouvaient prévoir d'être battus, d'être exclus des activités communales pendant un certain temps ou même d'être emprisonné à l'intérieur du monastère.
Vêtements et possessions
Les moines devaient garder le sommet de leur tête rasé (tonsuré) ce qui laissait une bande de cheveux distinctive juste au-dessus des oreilles. Contrairement à leurs cheveux, les vêtements d'un moine étaient conçus pour couvrir le plus de chair possible. La plupart des moines portaient des sous-vêtements en lin, parfois des bas ou des chaussettes, et une simple tunique en laine attachée à la taille par une ceinture en cuir. Au-dessus se trouvait leur vêtement le plus reconnaissable, l'habit. Un habit monastique était une longue robe sans manches avec une grande capuche. Sur l'habit, ils portaient une autre robe, cette fois avec des manches longues. En hiver, une cape en peau de mouton apportait un peu de chaleur supplémentaire. Fabriqué à partir du tissu le moins cher et le plus rugueux, un moine n'avait généralement pas plus de deux vêtements de chaque type, mais il recevait un nouvel habit et une nouvelle robe chaque Noël.
Un moine ne possédait que peu d'objets d'importance en dehors de ses vêtements. Il pouvait avoir un stylo, un couteau, un mouchoir, un peigne et un petit kit de couture. Les rasoirs n'étaient distribués qu'au moment prescrit. Dans sa propre chambre, un moine avait un matelas en paille ou en plumes et quelques couvertures en laine.
Routine quotidienne d'un moine
En général, les moines n'étaient pas autorisés à quitter le monastère à moins qu'ils n'aient eu une raison particulière et que leur abbé l'autorise. Il y avait des exceptions, comme chez les monastères irlandais où les moines parcouraient la campagne pour prêcher et ont parfois même fondé de nouveaux monastères. Pour la plupart des moines, cependant, leur vie quotidienne était entièrement confinée à l'enceinte du monastère qu'ils avaient rejoint en tant que novice et où ils mourraient un jour.
Les moines se levaient habituellement avec le soleil, ce qui pouvait signifier 4h30 en été ou le grand luxe de 7h30 en hiver, la journée étant dictée par la présence de lumière. En commençant par une toilette rapide, les moines passaient environ une heure à travailler en silence ce qui, pour les moines, signifiait prières, lire le texte qui leur avait été assigné par leur supérieur ou copier un livre spécifique (un processus laborieux qui prenait de nombreux mois). Ensuite, la messe du matin avait lieu, suivie de la réunion des chapitres où tout le monde se réunissait pour discuter de toute affaire importante concernant le monastère dans son ensemble. Après une autre période de travail, qui pouvait inclure du travail physique s'il n'y avait pas de frères laïcs pour le faire, il y avait une messe de midi (la haute messe) puis un repas, le plus important de la journée.
Ils passaient l'après-midi à travailler de nouveau et terminaient vers 16h30 en hiver, qui était le moment d'un autre repas ou, en été, un souper vers 18h suivi d'autres travaux. Les moines se couchaient tôt, juste après 18h en hiver ou 20h en été. Ils n'avaient généralement pas un sommeil ininterrompu, car vers 2 ou 3 heures du matin, ils se levaient à nouveau pour chanter les vigiles (alias les matines) et laudes dans l'église. Pour s'assurer que personne ne dormait dans l'obscurité, un frère passait à travers la chorale avec une lampe, pour vérifier. En hiver, ils ne retournaient pas toujours au lit, mais pouvaient effectuer des tâches personnelles telles que des réparations et du racommodage.
Les moines étaient, bien sûr, très pauvres car ils avaient peu de biens quels qu'ils soient, mais le monastère lui-même était l'une des institutions les plus riches du monde médiéval. Par conséquent, les moines étaient bien pourvus dans le domaine qui comptait probablement le plus pour la majorité de la population: la nourriture et les boissons. Contrairement à 80% de ceux qui vivaient à l'extérieur des monastères, les moines n'avaient pas à se soucier des carences ou variations saisonnières. Ils avaient une bonne nourriture toute l'année et leur consommation n'était vraiment limitée que par la stricte règle de l'ascèse dans leur monastère particulier. Dans les monastères les plus stricts, la viande n'était généralement consommée que par les malades et elle était souvent réservée à certains jours de fête. Cependant, ces monastères aux règles plus généreuses permettaient à des viandes comme le porc, le lapin, le lièvre, le poulet et les gibiers à plumes d'apparaître plus souvent sur la table commune. Dans tous les monastères, il n'y avait jamais pénurie de pain, de poisson, de céréales, de légumes, de fruits, d'œufs et de fromage, ainsi que beaucoup de vin et de bière. Les moines avaient généralement un repas par jour en hiver et deux en été.
Redonner à la communauté
Les moines et les monastères redonnaient à la communauté dans laquelle ils vivaient en aidant les pauvres et en fournissant des hôpitaux, des orphelinats, des bains publics et des foyers pour les personnes âgées. Les voyageurs étaient un autre groupe qui pouvait trouver une chambre si besoin était. Comme nous l'avons déjà mentionné, dans l'éducation, les monastères jouaient un rôle prépondérant, notamment dans la construction de grandes bibliothèques et l'enseignement des jeunes. Les monastères s'occupaient des lieux de pèlerinage et étaient de grands mécènes des arts, non seulement en produisant leurs propres œuvres, mais aussi en parrainant des artistes et des architectes pour embellir leurs bâtiments et ceux de la communauté avec des images et des textes pour diffuser le message chrétien. Enfin, de nombreux moines ont contribué de façon importante à l'étude de l'histoire — tant à ce moment-là qu'à présent, surtout avec leurs collections de lettres et de biographies (vitae) de saints, de personnages célèbres, de seigneurs et souverains.