La bataille de Stamford Bridge se déroula le 25 septembre 1066 dans le Yorkshire, en Angleterre. Elle vit une armée dirigée par le roi anglais Harold II (r. janv-oct 1066) vaincre une force d'invasion dirigée par Harald Hardrada, roi de Norvège (r. de 1046 à 1066). Hardrada, aidé par Tostig, le frère renégat d'Harold, avait réussi à infliger une défaite à deux comtes anglais lors de la bataille de Fulford Gate quelques jours auparavant, le 20 septembre, mais Harold mena son armée à marche forcée en direction du nord. Une fois sur place, il obtint une revanche éclatante: Hardrada et Tostig périrent tous les deux à Stamford Bridge. Harold resta maître du terrain cette fois-ci, mais sa décision de repartir précipitamment vers le sud pour y affronter une autre armée d'invasion, celle de Guillaume, duc de Normandie (r. à partir de 1035), allait le mener au désastre. En effet, le 14 octobre 1066, à Hastings, Harold trouva la mort et son armée fut vaincue, ce qui permit aux Normands de s'emparer de l'Angleterre.
Harold et le trône d'Angleterre
Harold Godwinson, comte de Wessex, fut couronné roi le 6 janvier 1066 après la mort de son beau-frère, le roi Édouard le Confesseur (r. de 1042 à 1066), décédé sans enfant. Harold avait acquis la couronne dans des circonstances peu claires, bien qu'Édouard, sur son lit de mort, ait personnellement désigné Harold comme son successeur. Harold était le chef militaire le plus éminent de tout le royaume et avait bâti sa réputation sur ses campagnes victorieuses au Pays de Galles en 1063-1064.
Pour en revenir aux événements survenus deux ans plus tôt, au printemps 1064, il est possible qu'Édouard ait envoyé Harold à la cour de Guillaume, duc de Normandie, dans le cadre d'une mission inconnue. Cette mission avait peut-être pour objectif d'informer Guillaume du fait qu'il était le successeur désigné au trône d'Angleterre et de lui faire prêter serment d'allégeance au duc Normand. Il est certain que Guillaume affirmerait plus tard qu'Édouard lui en avait fait la promesse en 1051. Selon d'autres versions des événements, Harold ne serait jamais rendu en Normandie ou aurait simplement été détourné de sa route et aurait atterri en France par accident. Le comte anglais fut alors capturé par le comte Guy de Ponthieu et ne dut sa libération qu'au paiement d'une rançon par Guillaume, qui accueillit alors Harold à sa cour (ou l'y emprisonna, c'est selon). Guillaume fit bon usage des qualités de combattant d'Harold lors des batailles opposant les Normands au duc Conan de Bretagne. Harold se battit avec bravoure et gagna le respect de ses 'geôliers'. Dans ce cas de figure, il est possible que la libération d'Harold des griffes de Guillaume ait été conditionnée par la promesse faite à ce dernier de lui céder le trône d'Angleterre ou du moins, d'accepter le statut de vassal. C'est du moins la version présentée par les auteurs normands.
Une autre version des événements, présentée dans la Chronique anglo-saxonne, affirme qu'Harold ne s'était rendu à la cour de Guillaume que pour obtenir la libération d'un certain nombre de ses compatriotes emprisonnés. Pour ajouter un nouvel élément d'interprétation à ces événements confus, le camp pro-anglo-saxon aurait suggéré que même si Harold avait fait un tel serment de loyauté envers Guillaume, étant captif à ce ce moment-là, il n'avait pu le faire que sous la contrainte, ce qui lui retirait toute valeur.
En août 1066, Guillaume, désireux de faire valoir ses droits au trône d'Angleterre, entreprit de vastes préparatifs en vue d'une invasion de l'Angleterre. Une flotte fut rassemblée sur la côte nord de la France, près de Saint-Valéry-sur-Somme. Harold était conscient de l'imminence de cette invasion et se préparait à y faire face, mais il avait du mal à garder ses propres forces mobilisées. Cela faisait déjà plus de trois mois que l'armée anglaise était sur le pied de guerre et, en période de récoltes, les hommes devaient retourner dans leurs fermes où la présence de tous était nécessaire pour assurer une production de grains suffisante pour l'année à venir. Or, au même moment, le mauvais temps contraria les plans de Guillaume, ou bien ce dernier eut l'intelligence d'attendre que ses adversaires se démobilisent. Harold en profita donc pour retourner à Londres au cours de la première semaine de septembre. Dès lors, quelle qu'ait pu être précisément la situation entre Harold et Guillaume en ce qui concernait le trône d'Angleterre et l'endroit où l'invasion allait se produire, elle ne constituait plus un problème immédiat car, à la mi-septembre, il fallut soudain faire face à une menace encore plus urgente: une invasion à grande échelle du nord de l'Angleterre par le roi de Norvège Harald Hardrada, alias Harald III.
Harald Hardrada
Hardrada ne jouerait qu'un rôle secondaire dans la conquête normande, mais nombreux sont ceux qui considèrent sa décision d'envahir l'Angleterre exactement au même moment que Guillaume comme le facteur déterminant de la défaite finale des Anglo-Saxons. Hardrada avait un CV militaire impressionnant, ayant passé des années à combattre en tant que mercenaire pour la Rous de Kiev et, avant cela, dans la garde varangienne de l'Empire byzantin, ayant notoirement aidé à prendre aux Arabes Messine et Syracuse, en Sicile, en 1038.
Hardrada bénéficiait de l'aide de Tostig, comte de Northumbrie, frère et grand rival d'Harold II. Le règne brutal de Tostig avait provoqué une grave révolte en Northumbrie en 1065, et il fut donc déchu de son titre et banni en Flandre, à l'abri du danger. Tostig se révolta contre ce traitement et ses navires harcelèrent les côtes méridionales et orientales de l'Angleterre. Après s'être enfui en Écosse, Tostig se retrouva en Norvège, où il vit en Hardrada le moyen de contester le trône à son frère. Hardrada revendiqua également le trône, ce qui en fit sans doute l'un des trônes les plus âprement disputés de l'histoire. Il avait déjà tenté en vain de faire valoir ses droits sur le trône du Danemark qui, depuis 950, recevait des tributs des rois anglais pour ne pas envahir leur royaume. Les Danois revendiquaient la souveraineté sur de vastes portions du pays. En effet, de par les combinaisons politiques complexes et inextricablement liées en vigueur en Angleterre, en Scandinavie et en Normandie, l'un des prédécesseurs immédiats d'Édouard le Confesseur avait été un Danois, le roi Knut (alias Canut, r. de 1016 à 1035). La revendication discutable de Hardrada au trône d'Angleterre se basait sur une autre source, tout aussi médiocre, puisqu'il l'avait héritée de son propre prédécesseur, Sven (Swein) de Norvège, fils illégitime d'Aelfgifu, l'épouse du roi Knut.
Hardrada rassembla une flotte d'environ 300 navires, bien que certaines estimations en dénombrent jusqu'à 500. Chaque navire viking aurait théoriquement pu transporter environ 80 hommes, y compris les rameurs, mais une grande armée constituée de 24 000 hommes parait peu probable. Un nombre s'établissant à moins de la moitié de ce chiffre semble beaucoup plus proche de la réalité. La flotte fit voile de Trondheim vers les Orcades, puis se dirigea vers le sud pour débarquer sur la côte nord-est de l'Angleterre, près de l'embouchure de la Tyne, le 8 septembre. Là, Hardrada fut rejoint par une petite flotte d'environ 12 navires commandée par Tostig. À partir de là, les deux flottes naviguèrent vers le sud, s'arrêtant pour piller Cleveland, puis continuant à descendre la côte jusqu'à l'embouchure de l'Humber, remontant l'Ouse, et débarquant à Ricall, à seulement 16 km (10 milles) de la ville clé de York.
Bataille de Fulford Gate
Une armée anglo-saxonne de taille inconnue, dirigée par Eadwine, comte de Mercie, et Morcar, comte de Northumbrie, s'opposa aux envahisseurs à Fulford Gate, un lieu indéterminé situé près de York, le 20 septembre. Il n'existe aucun document historique contemporain sur le déroulement de la bataille, bien qu'elle soit mentionnée dans les sagas scandinaves (poèmes épiques) écrites deux siècles plus tard et qui, comme la Saga du roi Harald de Snorri Sturluson (qui fait partie de la Heimskringla, datant d'environ 1230), sont malheureusement truffées d'inexactitudes flagrantes, du moins en ce qui concerne l'histoire de l'Angleterre qui y est consignée.
Défenseurs et envahisseurs étaient généralement armés d'une épée, d'une hache de guerre ou d'une longue lance, et les mieux équipés (et les combattants des premiers rangs) portaient une cotte de mailles. Un casque conique avec un protège-nez et un bouclier rond ou en forme de cerf-volant assuraient une protection supplémentaire. Certains contingents de lanceurs de projectiles utilisaient des javelots, des flèches, des marteaux de pierre, des masses et des frondes sur l'ennemi avant que les autres guerriers n'avancent en bloc, boucliers serrés les uns contre les autres, adoptant une formation dite de 'mur de boucliers'. L'étape suivante devait être plus chaotique, caractérisée par une prédominance de petits groupes de combat et de duels. Une tactique courante consistait à utiliser des binômes de soldats, l'un maniant à deux mains une hache à large lame et l'autre portant une épée et un bouclier, avec pour mission de protéger l'homme à la hache qui ne pouvait pas porter de bouclier.
Si certains historiens estiment que les envahisseurs étaient supérieurs en nombre, d'autres supposent que les deux forces en présence à Fulford Gate étaient de taille similaire puisque leurs commandants respectifs étaient disposés à se lancer dans une bataille rangée à une époque où le sort d'un royaume pouvait facilement se jouer sur une seule bataille. Il est possible que toute la force d'invasion de Hardrada n'ait pas eu le temps de se rassembler toute au même endroit ou qu'une partie d'entre elle soit restée avec les navires à Ricall. Ce dont nous sommes sûrs en revanche, c'est que Hardrada et Tostig remportèrent la bataille de manière décisive, sans que l'on sache exactement pourquoi ni comment, si ce n'est qu'Eadwine et Morcar avaient tous deux une vingtaine d'années et manquaient cruellement d'expérience en matière de grandes batailles. Hardrada, en revanche, était un commandant expérimenté d'une cinquantaine d'années. Les comtes anglais étaient peut-être jeunes, mais ils eurent l'intelligence d'échapper au carnage et de pouvoir ainsi poursuivre la lutte. Le reste de l'armée anglo-saxonne eut moins de chance et, en plus des morts tombés lors de la bataille elle-même, de nombreux guerriers qui n'avaient pas été tués à l'ennemi se noyèrent dans l'Ouse au cours de leur retraite précipitée.
Lorsque Harold, alors à Londres, apprit les raids de Hardrada le long de la côte nord-est vers la mi-septembre, il rassembla immédiatement son armée, y compris sa force d'élite composée de 3 000 housecarls (troupes cuirassées professionnelles), puis marcha vers le nord, mais il ne put empêcher Hardrada de prendre York entre-temps, la ville capitulant sans résistance le 24 septembre.
Stamford Bridge
L'armée d'Harold dut marcher quelque 40 km par jour pour atteindre Tadcaster, à 24 km de York, le 24 septembre en fin de journée. Harold tomba sur les envahisseurs sans crier gare, le roi anglais ayant choisi une vaste prairie à l'est de la rivière Derwent comme site de la bataille à venir. L'accès à cette zone idéalement plate se faisait par un pont en bois appelé Stamford Bridge, d'où le nom de la bataille qui s'ensuivit. Là encore, aucun détail n'est disponible dans les archives contemporaines et les sagas ultérieures romantisent ou inventent tout simplement de nombreux événements. Deux de ces épisodes parmi les plus célèbres sont celui du guerrier scandinave défendant le pont seul contre toute l'armée ennemie afin de laisser aux renforts de Hardrada venus de Ricall le temps de se rallier, et une entrevue personnelle entre Harold et Hardrada au cours de laquelle le premier déclara sèchement au second qu'il ne concéderait que '7 pieds de terre anglaise'. Un détail plus révélateur est le fait que les hommes de Hardrada auraient eu le net désavantage d'être dépourvus de leurs cottes de mailles, ils les auraient laissés dans leur camp après avoir célébré leur victoire à Fulford Gate parce qu'ils ne s'attendaient qu'à négocier des otages avec les nobles d'York ce jour-là (pour s'assurer de la loyauté de la ville). La dernière chose à laquelle ils s'attendaient était une bataille rangée qui déciderait du sort de l'Angleterre. Il est également probable que, pris au dépourvu, les envahisseurs n'aient pas eu le temps d'élaborer un plan de bataille ni même d'organiser leurs troupes de manière adéquate.
Ce qui est sûr en revanche, c'est que les combats se terminèrent en l'espace d'une journée et que Hardrada et Tostig y trouvèrent tous les deux la mort. Cette bataille fut une victoire totale pour Harold et la Chronique anglo-saxonne rapporte que les survivants de l'armée d'invasion n'étaient plus assez nombreux que pour remplir 24 navires, qui rentrèrent chez eux sous le commandement d'Olaf, le fils de Hardrada. La vie du roi Édouard, chronique du XIIIe siècle, note que le combat fut féroce et que les rivières étaient si pleines de cadavres qu'elles 'teintèrent les vagues de l'océan à des milles à la ronde du sang des Vikings' (Morris, 165). Tostig, malgré sa trahison, fut enterré en grande pompe à York, mais les autres morts furent laissés à se décomposer sur le champ de bataille de Stamford Bridge, leurs ossements demeurant visibles, selon certains récits, jusqu'à 50 ans plus tard.
En marge des événements de la journée, Hardrada, en raison d'une carrière des plus florissantes avant Stamford Bridge, se vit par la suite consacrer un cycle entier de sagas, dans l'une desquelles est consigné (encore une fois de manière un peu fantaisiste) le poème qu'il composa alors qu'il était en train de mourir :
Nous ne nous agenouillons jamais dans la bataille,
devant la tempête des armes
et ne nous abritons derrière nos boucliers ;
c'est ce que m'a dit la noble dame.
Elle m'a dit une fois de porter
la tête haute dans la bataille,
où les épées cherchent à briser
le crâne des guerriers condamnés.(Bennet, 34)
Conséquences: La conquête de Guillaume
Harold n'eut guère le temps de savourer sa victoire car, le 28 septembre 1066, Guillaume et son armée débarquaient à Pevensey, dans le Sussex, au sud de l'Angleterre. Les Normands n'eurent probablement pas besoin de se demander où se trouvait Harold, car ils étaient déjà au courant de l'invasion de Hardrada dans le nord. En revanche, Guillaume ne pouvait pas savoir quel roi avait remporté la bataille de Stamford Bridge et donc l'identité de son futur adversaire.
C'est alors que le résultat de la bataille du nord lui parvint: Harold avait gagné et se dirigeait vers le sud en brûlant les étapes pour aller à la rencontre des Normands (ce qui représentait sa deuxième marche forcée en une semaine). À Hastings, le 14 octobre 1066, la supériorité de la cavalerie normande sur l'infanterie anglo-saxonne, leur léger avantage numérique et la fatigue des Saxons assurèrent la victoire des envahisseurs. Harold et d'autres chefs saxons, dont les frères du roi, Gurth et Leofwine, y perdirent la vie. Guillaume le Conquérant, comme on le surnomma ensuite, fut couronné Guillaume Ier, roi d'Angleterre, le jour de Noël de la même année à l'abbaye de Westminster, mettant ainsi fin à 500 ans de règne saxon. Guillaume dut cependant lutter pendant cinq années de plus, remportant des batailles contre des rebelles dans le nord de l'Angleterre et construisant des châteaux normands un peu partout, avant de contrôler complètement son nouveau royaume.
La bataille de Stamford Bridge est complètement ignorée par le grand témoin de la conquête normande qu'est la tapisserie de Bayeux. Réalisée entre 1067 et 1079, la tapisserie dépeint en détail de nombreux aspects de la conquête normande et des événements qui l'ont précédée mais, en tant qu'œuvre de propagande, il est peut-être compréhensible que l'affaiblissement crucial de l'armée saxonne trois semaines auparavant à Stamford Bridge soit soigneusement passé sous silence. Hastings a peut-être relégué à jamais la bataille de Stamford Bridge au rang de note de bas de page de l'histoire, mais cette dernière fut responsable, peut-être plus que tout autre facteur, de la défaite décisive des Anglo-Saxons et des Vikings, annonçant ainsi une nouvelle ère de l'histoire dans le nord de l'Europe.