Voyage le Long de la Voie Lycienne

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Jan van der Crabben
de Theresa Thompson, traduit par Babeth Étiève-Cartwright
publié le 11 janvier 2019
Disponible dans ces autres langues: anglais, espagnol
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La Voie lycienne suit plus de 540 km d'anciennes routes, de chemins muletiers et de sentiers de bergers le long de l'un des littoraux les plus isolés et les plus intacts de Turquie. Theresa Thompson goûte aux joies de la randonnée le long de la piste ainsi que de la découverte des anciens Lyciens par la même occasion.

C'est la Lycie qui m'a convaincu. Ou plutôt, les Lyciens: un peuple anatolien énigmatique qui a laissé derrière lui une myriade de tombes massives, isolées et taillées dans le roc, et peu d'autres choses. Et puis, l'idée de marcher chaque jour dans la spectaculaire campagne rocheuse du sud-ouest de la Turquie pour découvrir d'anciennes cités qui ne sont plus aujourd'hui que des sites archéologiques peu visités, pour la plupart non fouillés et pleins de mystère.

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Gulet Anchored at Lycian Coast
Gület ancrée sur la côte lycienne
Peter Sommer Travels (Copyright)

Et puis, il y a eu l'idée séduisante d'un bateau, une gület, un magnifique voilier turc traditionnel à deux mâts. Des amis m'avaient parlé de vacances merveilleuses sur les côtes turquoises de la Méditerranée, mais sujette au mal des transports et peu convaincue par l'idée de vivre sur un petit bateau, j'avais balayé cette idée d'un revers de la main. Ce n'est pas pour moi: Je préférais les aventures sur terre. Puis, un déclic s'est produit et, après avoir décidé que la seule façon de savoir était d'essayer, je me suis inscrite à des vacances au titre prometteur: Randonnée et croisière sur le littoral lycien.

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Ah! le littoral lycien: sa magie s'était infiltrée dans ma conscience des années auparavant, à la lecture du livre de Freya Stark portant le même nom. Plus connue pour ses voyages au Moyen-Orient et en Afghanistan, et qualifiée par l'écrivain Lawrence Durrell de "poétesse du voyage", Freya Stark (1893-1993), décrivant son voyage dans les années 1950 à bord de l'Elfin, parlait de baignades dans des baies isolées, dans des eaux qui retenaient la lumière "comme l'étoile dans un saphir", et méditait sur l'histoire et les mystères des anciennes citadelles et des sanctuaires qu'elle croisait sur une route qui "continuait à s'entrecroiser avec... des tragédies anciennes".

"Voici la source de tout ce qui nous a fait", dit-elle à propos de l'Asie mineure.

C'était attrayant. Ce voyage promettait quelque chose de similaire: archéologie, histoire, mystère, superbes paysages, mers pailletées de lumière et de couleurs, exercice et détente.

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La Lycie est une magnifique région côtière montagneuse du sud-ouest de l'Anatolie (Turquie actuelle). Dans l'Antiquité, la Lycie apparaît dans la mythologie grecque, comme les terres de Lukka dans les textes hittites et égyptiens, et comme un peuple originaire de Crète dans les écrits d'Hérodote. Pendant les guerres perses, les Lyciens se battirent pour les Perses et passèrent ensuite sous leur domination. Dans la guerre de Troie, ils étaient les alliés des Troyens, et l'Iliade d'Homère mentionne deux de leurs chefs guerriers, Glaucus et Sarpédon, supposé être un fils de Zeus.

On disait que les Lyciens étaient un peuple farouchement indépendant avec une renommée en matière de raids navals.

Les Lyciens étaient réputés pour être un peuple farouchement indépendant avec une renommée en matière de raids navals. Les textes égyptiens les incluent dans une confédération de "peuples de la mer". Ils étaient également culturellement distincts. Peu importe le souverain apparent, ils conservèrent une identité distincte, avec leur propre langue et leur propre écriture. Fait inhabituel, selon Hérodote, ils observaient une descendance matrilinéaire, à l'opposé direct des Grecs qui faisaient remonter la descendance par les pères. Signe de l'individualité des Lyciens, ils furent le dernier peuple d'Asie mineure à faire partie de l'Empire romain.

Notre première marche nous a emmenés dans une ville fantôme occupée aux époques byzantine et ottomane et probablement construite sur le site d'une ancienne ville lycienne ou à proximité. Anciennement appelée Levissi et connue aujourd'hui sous le nom de Kayaköy, dans son histoire plus récente, entre 1922 et 1923, dans le cadre d'un échange de populations entre la Turquie et la Grèce, les chrétiens qui vivaient là furent contraints de partir du jour au lendemain pour une nouvelle vie en Grèce.

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La marche a été courte et nous a permis de nous familiariser avec le terrain calcaire rocailleux et les forêts de pins, de cèdres et de cyprès que nous allions traverser au cours de ce voyage - la brochure qualifie la marche d'"intensive", et elle est parfois plus difficile - et nous sommes arrivés à la baie où notre goélette nous attendait à temps pour la première d'une longue série de délicieuses baignades d'après-marche.

Les tombes - ces magnifiques et presque innombrables ruines de styles et de tailles variés qui jalonnent les sites lyciens - étaient au centre de notre deuxième journée de marche. Bien que les Lyciens n'existent plus en tant que tels et n'aient laissé que peu de traces historiques, leurs tombes nous en apprennent beaucoup sur eux, de la façon dont ils traitaient leurs morts à leurs talents de tailleurs de pierre.

Lycian Tombs
Tombeaux lyciens
Peter Sommer Travels (Copyright)

En montant au-dessus de la vallée de Xanthos, nous avons atteint un petit plateau sur lequel se trouve le village agricole isolé de Dodurga, qui se trouve à l'intérieur de l'ancienne ville de Sidyma. Sa nécropole nous a permis de découvrir les tombes de Lycie, bien que la plupart d'entre elles datent de l'époque romaine. Il s'avère que la plupart des bâtiments anciens que nous allions voir au cours de ce voyage, des temples aux théâtres, ont été modifiés plus tard dans leur histoire pour incorporer des embellissements hellénistiques et romains.

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En nous promenant dans le village, nous avons pu constater que de nombreux bâtiments avaient été construits à l'aide de pierres recyclées de l'ancienne ville, et nous avons aperçu d'immenses portes en pierre encore debout dans les jardins et les dépendances, et parfois des segments portant d'anciennes inscriptions grecques, dont l'une, construite dans un coin de la mosquée du village, énumère les principaux dieux et déesses de la mythologie grecque. Certains villageois avaient réutilisé d'anciennes tombes et des églises byzantines pour stocker des marchandises ou abriter des animaux.

Les Lyciens prenaient soin d'aménager leurs tombes. Ils en avaient plusieurs types et les tombes montrent souvent des influences grecques, et parfois perses. Les plus remarquables sont peut-être celles qui sont sculptées dans la roche, comme celles de Pinara, dans la vallée de Xanthos.

Pinara a été, à un moment donné, l'une des six principales villes de Lycie et a certainement été colonisée au moins au Ve siècle avant notre ère, peut-être, comme le suggère un auteur antique, en tant qu'extension de la ville surpeuplée de Xanthos, la capitale de la région située à proximité. J'apprends qu'il n'y a pas de site lycien comparable. Située dans un magnifique cadre montagneux, entourée de forêts de pins et d'oliviers centenaires, Pinara n'a jamais fait l'objet de fouilles systématiques - et pour nous, l'une de ses gloires est qu'elle semble peu visitée. Comme beaucoup de sites archéologiques que nous avons explorés, nous l'avions pratiquement pour nous tout seuls.

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Tombs and Theatre at Xanthos
Tombes et théâtre de Xanthos
Peter Sommer Travels (Copyright)

Une acropole au sommet plat, une véritable montagne, s'élève au-dessus de la ville antique, sa falaise rouge rouille parsemée de centaines de tombes rectangulaires simples. C'est un spectacle étonnant. Selon une théorie que j'ai lue, les Lyciens croyaient peut-être qu'une créature ailée mythique les emporterait dans l'au-delà; il est évident qu'une falaise faciliterait cette tâche. Si vous avez vu la tombe de la Harpie au British Museum, vous vous souviendrez peut-être des reliefs de "Sirènes" ailées (autrefois considérées comme des Harpies) sculptées dans les coins de la tombe, portant dans leurs bras de minuscules silhouettes féminines présumées sans vie.

Nous avons d'abord suivi un sentier qui nous a conduits à la "tombe royale", creusée de manière spectaculaire dans le flanc de la montagne. Avec son fronton et sa frise splendides, cette tombe a dû être construite pour un souverain important. Le porche comporte également des reliefs étonnamment détaillés (bien que très effacés) représentant des scènes de villes fortifiées. Ils représentent peut-être Pinara à son apogée, mais même s'ils sont génériques, ils illustrent les détails architecturaux des maisons, des tombes et des fortifications de la ville lycienne.

En grimpant à travers la ville en ruines, nous avons découvert, parmi d'autres tombes rupestres, un bâtiment, peut-être un temple dédié à Aphrodite, qui présente des colonnes inhabituelles en forme de cœur (et un énorme relief de phallus), ainsi qu'un odéon et une agora (place du marché). Dans l'acropole inférieure, nous nous sommes frayé un chemin le long de ce qui était une rue commerçante, en enjambant des colonnes tombées et des linteaux de portes de magasins renversés par des tremblements de terre - fréquents dans la région - pour atteindre les vestiges d'une église byzantine suspendue au bord d'un ravin. Puis, en redescendant à travers les pins odorants, nous avons eu notre première vue sur le vaste théâtre de style grec au pied de la ville. Il est époustouflant!

Depuis les rangées supérieures du théâtre, un lieu qui accueillait autrefois des milliers de spectateurs, nous avions une vue à couper le souffle sur la montagne, la ville et la campagne environnante. C'était incroyablement beau et extrêmement paisible.

Le paysage lycien est parsemé de tombes isolées. Les couvercles pointus de certains sarcophages ressemblent à des bateaux renversés, tandis que d'autres ont la forme de petites maisons en pierre. Ces "tombes de type maison" sont sculptées avec des poutres en saillie et comportent parfois un ou deux étages. Elles s'inspirent des maisons lyciennes, et notre guide, Peter Sommer, nous a fait remarquer que les villages que nous avons traversés possédaient des constructions en bois similaires.

L'intérieur des tombes est généralement sobre et peut comporter plusieurs plateaux. La quantité et la variété des tombes lyciennes suggèrent une sorte de culte des morts. Les Lyciens ne construisaient pas de nécropoles séparées; leurs tombes faisaient partie de leur vie. Les trous béants dans de nombreuses tombes à chambre témoignent de raids dans l'Antiquité, peut-être peu après leur construction (certaines portent des inscriptions et des têtes de Méduse mettant en garde les voleurs potentiels), mais il est prouvé que les Lyciens ensevelissaient leurs morts avec quelques objets de la vie quotidienne et des bijoux.

La tombe de la Harpie mentionnée ci-dessus (nous n'avons pas visité Xanthos dans le cadre de ce circuit) est un exemple de tombeau-pilier - la chambre de marbre que vous voyez dans le musée reposait autrefois sur un haut pilier. Il s'agit de la forme de tombe la plus ancienne et la moins répandue en Lycie. En raison de leur caractère ostentatoire, ces tombes étaient très certainement destinées à des dynastes importants. Nous avons vu la base d'une tombe-pilier à Sidyma, qui se tient toujours en sentinelle au-dessus d'une ancienne route qui permettait d'entrer et de sortir de la ville antique.

Les colonnes renversées, les linteaux ou frontons en pierre et les sarcophages sont devenus des éléments familiers de nos promenades. Parfois, un sarcophage portait des sculptures - une tête de lion, un quadrige (char à quatre chevaux), ou des figures humaines assises, par exemple - ou une pierre avec une inscription bien usée que les classicistes parmi nous ont essayé de traduire (l'écriture lycienne n'est pas simple, adaptée de l'alphabet grec mais avec des lettres ajoutées pour les sons).

Sunken City of Simena
La cité engloutie de Simena
Peter Sommer Travels (Copyright)

D'autres fois, nous avons grimpé jusqu'à des citadelles, une fois pour observer le site marécageux du temple et de l'oracle du poisson d'Apollon (à Sura), un soir pour visiter l'ancienne ville de Simena, aujourd'hui couronnée par un château médiéval, et une autre fois pour une randonnée de 16 kilomètres sur la crête à travers des forêts de chênes et d'arbousiers depuis Phellos (le "lieu pierreux"), une haute citadelle surplombant la Méditerranée, avec d'incroyables tombes de maisons taillées dans la roche. L'inattendu était devenu la norme. Une sculpture géante d'un taureau, si imprécise qu'il fallait se faire expliquer où et comment regarder, et après avoir escaladé de gros rochers et des buissons épineux, notre récompense a été de trouver une mosaïque romaine récemment découverte.

La voie lycienne, premier sentier national de grande randonnée de Turquie, est, avec ses 540 km de long, considérée comme l'un des meilleurs sentiers de randonnée au monde.

Certains jours, nous avons suivi des tronçons de la voie lycienne, le premier sentier national de grande randonnée de Turquie. Avec ses 540 km de long, il est considéré comme l'un des meilleurs chemins de randonnée au monde, mais il est très peu fréquenté cette année en raison de la chute du nombre de touristes en Turquie. Par endroits, il est devenu envahi par la végétation, voire impraticable, mais tout au long de la journée, nous avons enchaîné les tours et les détours afin de poursuivre notre chemin.

Nous avons souvent dû plonger dans la végétation pour suivre Peter dans des temples et des églises cachés et abandonnés - un peu à la Indiana Jones - mais sans nous démonter, nous conviendrons sans hésiter que cela nous a fait bénéficier d'une excellente séance d'entraînement!

Sans un guide bien informé, nous aurions raté beaucoup de ces ruines, et certainement leur signification. Certaines étaient à peine visibles parmi les pierres tombées et les broussailles, jusqu'à ce que Peter nous indique les vestiges incurvés du mur d'une nef ou d'une autre structure construite par l'homme. De temps en temps, nous restions debout pendant qu'il nous transformait en archéologues, nous demandant ce que nous avions remarqué à propos de ces ruines, pierres et murs. Quels indices l'arc d'une fenêtre donnait-il? Ou qui aurait pu construire ce mur, était-il romain ou plus ancien?

C'était amusant et intéressant, bien que le voyage n'ait pas été entièrement consacré à l'archéologie. La croisière le long de cette magnifique côte était une raison suffisante pour y aller. Le mal de mer n'a jamais vraiment été un problème, même si je suis restée sur le pont autant que possible. Même lorsqu'une tempête menaçait, tout allait bien, car nous nous sommes abrités dans une baie - avec d'autres bateaux qui se réfugiaient également - c'était le seul moment où nos arrêts de nuit étaient un peu animés, en dehors des ports. Nous avons appris l'archéologie au cours de discussions, soit pendant une pause lors d'une promenade ou sur un site, soit sur le pont alors que l'on passait quelque chose d'intéressant, comme lorsque nous avons navigué près du site de l'épave d'Uluburun, datée de la fin du 14e siècle avant notre ère et découverte en 1982, lors d'une fouille archéologique sous-marine qui a changé notre compréhension de ce qui se passait à la fin de l'âge du bronze.

Lycian Landscape
Paysage lycien
Peter Sommer Travels (Copyright)

Dans l'ensemble, ce fut une superbe expérience. La navigation, la baignade dans des eaux scintillantes, une tortue luth barbotant à proximité, les promenades sur des sentiers parsemés de rochers et d'herbes, les gens - de l'équipage de quatre personnes de notre bateau aux villageois accueillants partageant de délicieux pains plats chauds tout droit sortis du four, avec du miel de pin! - et la Turquie à proprement parler, son histoire, ancienne et moderne, mythologique et archéologique, même si limitée à une brève mais très enrichissante rencontre avec l'ancienne Lycie.

"Le passé est notre trésor", avait écrit Stark. On ne peut qu'être d'accord avec elle. Si vous avez besoin d'une excuse pour un voyage comme celui-ci ou comme le sien, la voici.

Les images de cet article ont été fournies par Peter Sommer Travels. Pour plus d'informations sur le programme "Walking and Cruising the Lycian Shore" de Peter Sommer Travels, consultez le site : https://www.petersommer.com

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Traducteur

Babeth Étiève-Cartwright
Babeth s'est consacrée à la traduction après avoir enseigné l'anglais au British Council de Milan. Elle parle couramment le français, l'anglais et l'italien et a 25 ans d'expérience dans le domaine de l'éducation. Elle aime voyager et découvrir l'histoire et le patrimoine d'autres cultures.

Citer cette ressource

Style APA

Thompson, T. (2019, janvier 11). Voyage le Long de la Voie Lycienne [Travelling Along the Lycian Way]. (B. Étiève-Cartwright, Traducteur). World History Encyclopedia. Extrait de https://www.worldhistory.org/trans/fr/2-1314/voyage-le-long-de-la-voie-lycienne/

Style Chicago

Thompson, Theresa. "Voyage le Long de la Voie Lycienne." Traduit par Babeth Étiève-Cartwright. World History Encyclopedia. modifié le janvier 11, 2019. https://www.worldhistory.org/trans/fr/2-1314/voyage-le-long-de-la-voie-lycienne/.

Style MLA

Thompson, Theresa. "Voyage le Long de la Voie Lycienne." Traduit par Babeth Étiève-Cartwright. World History Encyclopedia. World History Encyclopedia, 11 janv. 2019. Web. 07 janv. 2025.

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