Les cochons (parfois appelés suidés, comme la famille du même nom) ont longtemps joué un rôle important dans la culture chinoise. Les cochons symbolisent la bonne fortune et le bonheur car ils semblent vivre une existence sans souci et ils entretiennent une longue relation avec les humains qui les considèrent de cette façon.
Une étude menée par l'Union européenne en 2010 a révélé que les cochons actuels en Chine sont les descendants directs des premiers cochons domestiqués il y a des milliers d'années. Le cochon est l'animal le plus anciennement domestiqué en Chine, après le chien, et on a découvert dans des tombes néolithiques des crânes et des ornements de porc censés symboliser à la fois la richesse du défunt et le maintien de la chance.
La long rapport entre le peuple chinois et le cochon est attesté non seulement par les objets funéraires et autres artefacts, mais aussi par le nombre de contes du folklore chinois mettant en scène le cochon, ainsi que par sa place en tant que 12e animal du zodiaque chinois. En fait, le cochon est si important dans la culture chinoise qu'il figure dans le pictogramme du «foyer», comme l'a noté le spécialiste Charles Benn :
Le mot «maison» en chinois est un pictogramme représentant un toit avec un cochon en dessous. Le toit était, bien sûr, essentiel à toute habitation construite au-dessus du sol. Cependant, la présence d'un cochon dans une maison est propre à la Chine. Tout au long de l'histoire de la Chine, même au 20e siècle, le porc a été la source de viande la plus prisée, abattu et mangé lors de cérémonies ou de sacrifices, même par les personnes les plus humbles. C'est pourquoi le paysan modeste s'efforçait de protéger cette créature contre le vol et lui attribuait un espace dans sa maison. (71)
Le cochon n'était pas seulement utilisé pour sa viande, il faisait également partie des sacrifices rituels aux dieux et c’était un symbole de richesse et de réussite personnelle. Du noble ou du marchand le plus riche au paysan le plus humble, le cochon s'impose comme une force unificatrice de la culture chinoise et un aspect intégral des interactions sociales et économiques chinoises.
Histoire ancienne
Les cochons furent domestiqués en Chine il y a 10 000 ans. De nombreux chercheurs affirment que la première preuve de la domestication des cochons provient du site de Zengpiyan dans la ville de Gulin, dans la province du Guangxi, ce qui confirme la date de 10 000 ans pour la domestication. Les chercheurs Yuan et Rowan, entre autres, affirment que les découvertes faites à Cishan, dans le comté de Wu'an, dans la province du Hebei, sont plus fiables, puisqu'elles datent de 8 000 ans, mais n'excluent pas la possibilité d'une date antérieure.
Selon Yuan et Rowan, quatre conditions devaient être réunies pour la domestication du cochon :
- Le besoin de viande qui ne pouvait être satisfait par la chasse.
- Des cochons sauvages vivant à proximité des implantaitons humaines.
- La culture de céréales sauvages qui encourageait la domestication des cochons.
- Des excédents de céréales qui fournissaient de la nourriture aux porcs sans affecter les populations.
Dans une société de chasseurs-cueilleurs, la nourriture provenait de tout ce qui pouvait être chassé ou trouvé dans la région et la chasse demeura une source importante de nourriture après la sédentarisation des communautés. Le manque de gibier sauvage incita les gens à chercher une autre source de viande. Cette source fut trouvée dans les cochons sauvages qui vivaient à proximité et dont les nouveaux-nés pouvaient être capturés et élevés en tant qu'animaux domestiques. Cette nouvelle source de nourriture n'aurait cependant pu être viable que si la communauté pouvait nourrir les cochons sans porter atteinte à sa propre subsistance; les développements agricoles ont donc dû être suffisamment fructueux pour y pourvoir.
Un exemple de ce type de développement est clairement visible dans le village de Banpo, dans la province du Shaanxi, un site néolithique habité entre 4500 et 3750 environ avant notre ère. D'après les preuves matérielles recueillies lors des fouilles, les habitants étaient des chasseurs-cueilleurs qui ont ensuite adopté pour un mode de vie agraire mais qui ont continué à compléter leur alimentation par la chasse. Ils gardaient cependant des chiens et des cochons comme source de nourriture, très probablement parce que la chasse seule ne pouvait pas répondre aux besoins de la communauté. Des os de porc ont été retrouvés dans des tombes ainsi qu'ailleurs dans le village, attestant de l'importance de l'animal. L'expert Seung-og Kim commente:
La domestication du cochon en Chine a une longue histoire. Le cochon était l'animal domestiqué prédominant au Néolithique, comme aujourd'hui. Plus important encore, on peut affirmer que presque tous les animaux terrestres impliqués dans les pratiques funéraires néolithiques étaient des cochons. En outre, les archéologues chinois ont trouvé de nombreux ornements et des figurines en os de porc. L'inhumation de crânes de cochons au Néolithique chinois était étroitement liée à l'interaction entre la nutrition, les rituels, la richesse et le prestige politique. (119)
Parmi les ornements et les figurines auxquels Seung-og Kim fait référence figure l'énigmatique Dragon-Cochon (connu sous le nom de Zhulong), une pièce en jade de la culture Hongshan (4700-2900 av. J.-C.) représentant un personnage au visage et au museau de cochon mais au corps de serpent. Les chercheurs ont retracé l'évolution de la figure du dragon-cochon jusqu'au dragon chinois, bien plus célèbre (Wei, et.al, 5). Ils pensent que le symbole a évolué progressivement depuis le Hongshan jusqu'à ce qu'il ne devienne un dragon à l'époque de la dynastie Zhou (1046-256 av. J.-C.). Les premières traces du dragon-cochon apparaissent sur des tessons de céramique trouvés à Banpo, mais il existe d'autres preuves de l'importance du cochon pour le village, car il a peut-être été conçu en pensant aux cochons.
Le village de Banpo était entouré d'un fossé qui servait très probablement à la fois de protection et de drainage. Toutefois, des spécialistes comme Judith M. Treistman pensent que les «douves» entourant le village servaient également de «clôtures invisibles» empêchant les cochons de s'éloigner. Treistman note la présence de ces fossés sur un certain nombre de sites néolithiques, ainsi que la pratique consistant à construire délibérément des maisons en tenant compte du bien-être des cochons. Elle cite l'exemple du village de Hai Men K'ou à Chien Ch'uan où les maisons étaient construites sur pilotis pour les surélever et les protéger des inondations, mais aussi «pour abriter les cochons de la famille» (125).
Le cochon familial était un élément de base du régime alimentaire chinois, qui se composait aussi principalement de légumes, de poisson, de poulet, de gibier et de chien. Une famille qui pouvait posséder un cochon était considérée comme prospère et manger du porc était généralement réservé aux grandes occasions. L'histoire du philosophe Zengzi (505-435 av. JC) en est une illustration.
Zengzi, un disciple de Confucius (551-479 av. J.-C.), était célèbre pour n'avoir jamais dit de mensonge et pour avoir encouragé les autres à mener une vie morale et droite. Un jour, alors que sa femme allait au marché, leur fils courut après elle en pleurant. Pour apaiser le garçon et le faire revenir à la maison, la femme dit à son fils qu'elle lui préparerait un dîner spécial avec leur meilleur cochon si seulement il se comportait bien. Zengzi entendit cela, tua leur meilleur cochon et le prépara pour le dîner. Lorsque sa femme revint, elle fut choquée et lui demanda pourquoi il avait gaspillé un tel cochon alors qu'elle essayait seulement de faire taire le garçon. Zengzi lui fit remarquer que si elle n'avait pas tenu sa parole, le garçon n'aurait pas cru ce qu'elle lui aurait dit et que, si l'on fait une promesse, il faut la tenir, sinon les mots sont vides de sens.
Les cochons dans le folklore
Le cochon figure en bonne place dans les contes populaires qui, comme celui de Zengzi, ont une morale. Dans l'histoire de La Mule et le Lion, une mule est trompée par un lion qui l'emmène rendre visite à son «bon ami» le cochon. Le lion ne veut que manger le cochon et il veut que la mule l'accompagne pour attirer le cochon hors de sa maison. La mule doit d'abord demander la permission à sa mère, qui ne veut pas qu'elle sorte après la tombée de la nuit, et elle la donne à contrecœur à condition qu'elle n'aille pas loin. La mule ignore les souhaits de sa mère et suit la piste du lion.
Lorsqu'ils arrivent à la maison du cochon, le lion encourage la mule à aller de l'avant et à inviter le cochon à sortir pour discuter. Le cochon, cependant, écoute sa mère, qui ne veut pas non plus qu'il sorte à la nuit tombée, et refuse l'invitation de la mule. Peu après, le lion et la mule sont pris dans le filet d'un chasseur et, lorsque la mule implore sa pitié parce qu'elle n'est qu'une mule et qu'elle est l'amie des hommes. Le chasseur répond que l'on est jugé par ses fréquentations et que la mule sera donc vendue au marché avec son ami le lion.
Le cochon est également au centre de l'histoire Le Cochon Envoyé par le Ciel dans laquelle un pauvre fermier et sa femme économisent leur argent et achètent un petit cochon, croyant qu'il leur apportera la bonne fortune. Le cochon ne grandit pas, quelle que soit la quantité de nourriture qu'ils lui donnent et, année après année, cette frustration continue jusqu'à ce que la femme ne finisse par dire au fermier d'arrêter de le nourrir parce que c'est une perte de temps. Mais le fermier aime bien son petit cochon et continue à lui donner de la nourriture en cachette.
Une nuit, alors que le fermier est en train de nourrir le cochon, un étranger passe et propose de l'acheter. Le fermier est honnête avec l'étranger et lui dit que c'est un petit cochon de peu de valeur. La femme entend cela et court lui dire de vendre le cochon à un prix élevé. L'étranger propose 500 pièces d'argent, mais la femme en veut plus. Il en propose donc 1 000 et elle vend, mais avant que la transaction ne soit terminée, l'étranger lui demande de jurer au ciel qu'elle dit la vérité quant à ce qu'elle ressent pour le cochon et qu'elle ne reviendra pas sur sa décision. Le fermier et sa femme jurent tous deux et l'étranger prend le cochon, mais la femme veut savoir pourquoi il le veut tant.
L'étranger lui dit qu'à l'intérieur du cochon se trouvent deux chandeliers qui, une fois retirés et allumés, appellent à leur propriétaire tous les trésors du monde. Il est encore en train de parler lorsque la femme lui jette son argent et court dans la maison avec le cochon. Elle l'égorge, sort les chandeliers et les allume. Soudain, tous les trésors du monde se mettent à tournoyer au-dessus d'elle, mais chaque fois qu'elle essaie d'en saisir un, il lui échappe. Finalement, les bougies se consument et elle se retrouve seule dans l'obscurité, sans rien.
Des mois plus tard, l'étranger revient et le fermier et sa femme sont encore plus mal en point qu'avant. La femme accuse l'étranger de leur avoir menti, mais ce dernier lui fait remarquer qu'elle avait attrapé le cochon et s'était enfuie dans la maison alors qu'il parlait encore et qu'il n'avait jamais eu l'occasion de lui dire qu'elle devait jeter du riz sur les objets et répéter son serment de dire la vérité au ciel pour obtenir quelque chose. La morale de l'histoire, comme l'observe ensuite le fermier, est que l'avidité détruit tout.
Le cochon n'est pas toujours présenté de façon positive, cependant. Les cochons symbolisent également la paresse, l'indulgence, l'intempérance et l'absence de toute forme de contrôle de soi. L'exemple le plus célèbre du cochon dans ce rôle provient du roman chinois du 16e siècle, Voyage en Occident, dans lequel le personnage de Zhu Bajie symbolise les pires aspects du cochon ; son nom, «Zhu», signifie même «porc».
Le spécialiste Edward T.C. Werner note que Zhu, la «fée porcine», représente «les passions les plus grossières, qui sont constamment en guerre contre la conscience dans leurs efforts pour se débarrasser de toute retenue» (326). Zhu est à l'origine un membre honoré de l'armée du ciel, mais il tente de séduire la déesse de la lune et il est renvoyé sur terre. Il est finalement condamné à nettoyer les autels des dieux en mangeant les restes d'offrandes autour d'eux comme un cochon.
Le cochon dans le zodiaque
Ces aspects plus négatifs du cochon jouent un rôle dans les deux histoires les plus connues de l'intégration du cochon dans le zodiaque chinois. Dans la première histoire, un jeune garçon est né dans une famille aisée et on lui dit qu'il est béni et qu'il aura une bonne vie. Il interprète cela comme signifiant qu'il peut simplement s'amuser et ne s'engage donc pas dans un programme d'études et ne travaille jamais. Ses parents finissent par mourir et, comme il n'exerce aucun métier, il ne peut plus payer les domestiques ni entretenir sa maison et il perd tout. Il croit toujours qu'il est béni et que tout va s'arranger pour lui, et continue donc à faire ce qu'il a toujours fait jusqu'à sa mort.
Il se présente devant le roi des enfers et se plaint que ce n'était pas son destin. On lui a dit qu'il était béni, dit-il, et que sa vie aurait dû se dérouler différemment. Le roi du monde souterrain l'amène devant l'empereur de Jade pour qu'il le juge. L'Empereur de Jade, après avoir entendu son histoire, devient furieux et dit : «On t'a tout donné mais tu n'en as rien fait. Toute ta vie, tu as été paresseux et complaisant, alors je vais te transformer en un cochon qui mange de l'ivraie.». Au même moment, la Cour céleste était en train de choisir les animaux qui composeraient les signes du zodiaque chinois et restait bloquée sur le dernier. L'empereur de Jade ordonne à un officier de sa cour de transférer le cochon nouvellement créé sur terre, mais l'officier se trompe et place le cochon dans le ciel à la place; et ainsi le cochon devient le dernier signe du zodiaque.
La deuxième histoire, plus connue, est connue sous le nom de La Grande Course. L'empereur de Jade annonce qu'il y aura une course entre les animaux et que les douze premiers à franchir la ligne d'arrivée seront honorés éternellement dans le ciel nocturne. Les animaux s'alignent tous et la course commence. Le chat et le rat s'entendent pour monter ensemble sur le dos du bœuf et sauter à la dernière minute pour être le premier à gagner. En chemin, le rat effraie le chat qui tombe dans une rivière et qui est emporté par les eaux; c'est pourquoi il n'y a pas d'année du chat et c'est aussi pourquoi les chats détestent les rats jusqu'à ce jour.
Les animaux franchissent tous la ligne d'arrivée de différentes manières, le rat en premier, puis le bœuf, le tigre, le lapin, le dragon, le serpent, le cheval, le mouton, le singe, le coq et le chien, et l'empereur de Jade est là pour les accueillir et les féliciter. Le dernier à franchir la ligne est le cochon et l'empereur de Jade est surpris. Vu la vitesse de course du cochon, l'empereur demande comment il se fait qu'il soit arrivé en dernier. Le cochon répond qu'il serait arrivé plus tôt mais qu'il avait faim en chemin et qu'il a dû s'arrêter pour manger et, après avoir mangé, il était fatigué et avait fait une sieste. L'empereur de Jade reconnaît que c'est la nature du cochon et l'accueille dans le zodiaque avec les autres.
Conclusion
Dans l'astrologie chinoise, les personnes nées sous le signe du cochon sont optimistes, complaisantes, passionnantes, matérialistes, chaleureuses et agréables à vivre. Le cochon étant associé à la terre, les personnes nées sous son signe sont également stables et ancrées dans la terre et, en termes de dichotomie Yin-Yang, elles sont yin et plus productives la nuit, entre 9h et 11h (21h et 23h). À l'instar de leur signe, ces personnes sont également réputées pour être chanceuses et bénéficier de la bonne fortune.
En Chine, le cochon continue de figurer en bonne place dans de nombreux rituels et cérémonies ayant trait à la chance - bien que ces événements ne soient en aucun cas une chance pour le cochon. Un plat populaire servi non seulement lors des fêtes mais aussi toute l'année est le siu-yuk («viande rôtie»), un porc entier rôti sur un feu de charbon de bois (ou dans un four). Le Shen-Dzu («cochon sacré») est un cochon engraissé à dessein jusqu'à son plus grand poids, qui est ensuite soumis à des concours lors de la célébration du Nouvel An. Le gagnant est sacrifié à une divinité locale (ou à l'esprit de la ville) et mangé, puis les seconds connaissent la même fin.
La fête connue sous le nom de manyue - qui honore les 30 premiers jours de la vie d'une personne (son premier «anniversaire») - consiste à présenter aux invités des pieds de porc parmi les autres faveurs de la fête comme symbole de bonne chance et de gratitude. L'inclusion du cochon dans ces fêtes n'est guère surprenante puisque le cochon joue un rôle important dans les rituels chinois depuis des milliers d'années. De l'époque néolithique à nos jours, le cochon est resté une figure constante et emblématique de la culture chinoise et en 2019, l'année du cochon, il sera sans aucun doute mis en avant dans de nombreuses célébrations.