Au début de l'année 1070, Guillaume le Conquérant (r. de 1066 à 1087) avait presque achevé la conquête normande de l'Angleterre. Les régions frontalières avec le Pays de Galles et l'Écosse constituaient toujours une menace, mais le nord de l'Angleterre avait finalement été soumis grâce au harcèlement impitoyable de cette région au cours de l'hiver 1069-1070. Malheureusement pour Guillaume, son autorité se heurta à un autre obstacle de taille. Il s'agissait de l'invasion de l'est de l'Angleterre par une armée dirigée par le roi danois Sweyn II (r. de 1047 à 1076), qui donna aux quelques rebelles anglo-saxons restants, menés par Hereward l'Exilé, une dernière chance de s'opposer au nouvel ordre normand du roi en Angleterre. Le point central de cette dernière rébellion était l'abbaye d'Ely, en Angleterre orientale, mais, comme pour les nombreuses rébellions des cinq années précédentes, Guillaume fut victorieux et, à l'été 1071, la conquête fut enfin achevée.
Consolidation de la conquête
Après la bataille d'Hastings en octobre 1066, Guillaume, duc de Normandie, ne tarda pas à s'emparer du sud-est de l'Angleterre, capturant très vite le château de Douvres, Canterbury, Winchester et enfin Londres. Couronné Guillaume Ier d'Angleterre le jour de Noël, l'année 1066 avait été excellente pour le Conquérant. Malheureusement, les cinq années suivantes furent beaucoup plus difficiles. Deux mini-invasions menées par les fils d'Harold II depuis leur retraite en Irlande jusqu'à la côte ouest de l'Angleterre durent être repoussées, des attaques en provenance du Pays de Galles furent réprimées et trois rébellions basées autour de York finirent par être éradiquées par le "harcèlement du nord" de Guillaume, une campagne de terreur soutenue au cours de l'hiver 1069-1070, au cours de laquelle les villages, les récoltes et le bétail furent incendiés pour empêcher toute rébellion future. Des nobles normands loyaux finirent par remplacer toute l'ancienne élite anglo-saxonne, et des châteaux à motte castrale furent érigés dans tout le pays pour instaurer enfin un semblant d'ordre. En 1071, il restait cependant un dernier défi à l'autorité de Guillaume: une dangereuse alliance entre les quelques rebelles anglo-saxons restants et une armée de Vikings dirigée par le roi Sweyn II du Danemark.
Le raid danois de 1069
Les Vikings danois avaient toujours profité des troubles en Angleterre pour lancer des raids et s'emparer de tout le butin et de tous les esclaves possibles. En outre, les rebelles anglo-saxons avaient demandé de l'aide dans leurs efforts contre Guillaume depuis sa victoire à Hastings. En septembre 1069, le roi Sven II du Danemark envoya son frère Asbjorn mener un raid sur la côte est de l'Angleterre. La flotte danoise, composée d'environ 300 navires, rejoignit à York les rebelles et leur figure de proue, Edgar Atheling, petit-neveu d'Édouard le Confesseur (r. de 1042 à 1066). Le 21 septembre, les châteaux d'York furent pris, les commandants rançonnés et les simples soldats massacrés. Guillaume réagit en marchant à la tête d'une armée vers le nord, mais lorsqu'il arriva, les rebelles avaient fui la ville et les Danois s'étaient retirés le long de la rivière Trent avec leur important butin. Sans sa propre flotte, Guillaume ne put poursuivre les Danois et revint donc à la vieille politique des rois anglo-saxons en les payant pour qu'ils quittent les côtes anglaises. Ce ne serait qu'une solution temporaire à la menace danoise, car les pillards ne respectèrent pas leur part du marché et restèrent dans les marais impénétrables du Lincolnshire pendant l'hiver. Les Danois évitèrent tout conflit direct, et il semble que cette première invasion n'ait eu pour but que d'établir une tête de pont. L'année suivante, Sven se présenterait en personne sur les côtes anglaises.
Hereward l'Exilé
En 1070, les forces danoises d'Asbjorn, épuisées par la faim et le froid d'un hiver rigoureux, furent renforcées par l'arrivée de renforts menés par Sven en personne. Le roi danois se rendit probablement compte que ses forces n'étaient plus suffisantes pour tenter une invasion à grande échelle, mais qu'il pouvait au moins orchestrer un raid viking typique et ramener du butin à la maison. Cette possibilité semblait attrayante car, en mai 1070, Ely, alors une île dans les marais de l'Est Anglie, était devenue le point de ralliement de la rébellion anglo-saxonne mais qui couvait encore. Sven envoya son frère à la tête d'une force dans les marais, où ils se lièrent à un noble local, Hereward l'Exilé, qui, comme tant d'Anglo-Saxons, avait perdu ses domaines familiaux au profit des nouveaux suzerains normands et en était désormais réduit à vivre une vie de hors-la-loi. Hereward, dont les exploits sont relatés dans des récits embellis de la période médiévale ultérieure, était prêt à se battre pour récupérer ses terres.
L'armée formée des rebelles et des Danois marcha sur Peterborough en mai/juin 1070, ciblée, selon la Chronique anglo-saxonne, parce que Guillaume avait l'intention de nommer un nouvel abbé à l'abbaye de Peterborough, le Normand Turold de Fécamp (également connu sous le nom de Turold de Malmesbury). L'abbaye à proprement dit fut attaquée et, malgré la vaillante résistance des moines, elle fut mise à sac et pillée de ses trésors et de ses richesses accumulées, l'excuse étant que ces richesses devaient être gardées à l'abri des mains normandes (et en vérité, Guillaume avait raflé d'autres monastères en 1070 pour payer ses armées). Hereward avait peut-être eut l'intention d'utiliser ce trésor pour payer une armée afin de poursuivre la résistance contre Guillaume. Quoi qu'il en soit, les Danois revendiquèrent rapidement le butin pour eux-mêmes et, satisfaits de leur prime, ils conclurent un autre accord avec Guillaume et rentrèrent chez eux. Dans une de ces délicieuses ironies de l'histoire et une illustration du fait que "le crime ne paie pas", la majeure partie de la flotte danoise et, avec elle, le trésor, sombrèrent lors d'une tempête en mer du Nord.
La perte de ses alliés danois et de son butin ne dissuada pas Hereward de continuer à se battre, et il établit sa base à l'abbaye d'Ely, d'où il lança une campagne de guérilla soutenue. Hereward connut un tel succès qu'il commença à attirer les quelques rebelles anglo-saxons restants à travers le pays. Dès les premiers mois de l'année 1071, le nombre de rebelles avait augmenté et comprenait trois grands noms: Athelwine, l'ancien évêque de Durham, Morcar, l'ancien comte de Northumbrie, et le comte Waltheof, un rebelle qui ne cessait d'entrer et de sortir des faveurs du roi. Plusieurs petites expéditions furent envoyées par le roi, dont une dirigée par le commandant de confiance Guillaume Malet, mais toutes se soldèrent par un échec. Guillaume le Conquérant se vit contraint d'intervenir en personne.
Guillaume riposte
Au cours de l'été 1071, une armée fut rassemblée et une flotte constituée en vue d'une double attaque contre les rebelles. La flotte s'approcha de la côte est par l'estuaire du Wash, puis descendit la rivière Ouse, coupant l'abbaye d'Ely. Pendant ce temps, au sud-ouest, une armée de terre marchait depuis Aldreth (ou Stuntney à l'est dans certaines sources), en direction d'Ely. Surmontant les difficultés du terrain, Guillaume fit appel aux connaissances locales pour trouver un chemin à travers les marais, et il dut construire une chaussée pour atteindre l'île elle-même, en utilisant du bois et des pierres apportés à cet effet. Selon la source la plus détaillée (mais souvent fantaisiste) sur la rébellion d'Ely, la Gesta Herewardi du XIIe siècle, Guillaume aurait également fait poser les poutres et les rondins sur des peaux de mouton gonflées pour s'assurer que la chaussée resterait à flot (ce qui n'avait pas été le cas lors de la première tentative de traversée, ce qui entraîna la noyade de nombreux hommes).
Lorsque la chaussée fut prête et que l'armée la franchit, le roi se trouva confronté à un autre problème. L'abbaye était construite en pierre et représentait un formidable défi pour les assaillants. Des engins de siège durent être acheminés par la chaussée et des fortifications furent érigées pour encercler l'abbaye. Tous ces préparatifs portèrent rapidement leurs fruits et les défenseurs, réalisant qu'un long siège était sur le point de commencer, s'enfuirent à bord de petites embarcations ou se rendirent. Ce n'était pas la première fois que la formidable réputation militaire de Guillaume, combinée à son attention méticuleuse à la préparation et à la logistique, lui permettait d'obtenir gain de cause sans qu'aucun combat réel ne soit nécessaire.
De nombreux rebelles qui eurent la malchance d'être capturés furent mutilés ou aveuglés, d'autres furent emprisonnés à vie, dont Athelwine et Morcar. En revanche, le comte Waltheof s'arrangea avec Guillaume et épousa même sa nièce Judith. Hereward s'échappa avec un petit groupe de rebelles, avant de trouver la mort aux mains de quelques soldats normands, de faire la paix avec Guillaume ou de vivre en exil sur le continent, selon la source médiévale à laquelle on se réfère pour décrire ce personnage plus grand que nature.
Suites de l'histoire
Après Ely, Guillaume se tourna vers le nord. Le roi des Écossais, Malcolm III (r. de 1058 à 1093), offrait depuis longtemps un refuge et un soutien militaire aux rebelles anglo-saxons, et en particulier à Edgar Atheling, dont le roi avait épousé la sœur Marguerite. En 1072, Guillaume, qui avait libéré l'Angleterre des rebelles, put enfin se tourner vers l'Écosse et, grâce à une opération combinée sur terre et sur mer, il mit un terme aux raids réguliers en Northumbrie. Malcolm se soumit et, dans le cadre de l'accord de paix, Edgar fut exilé en Flandre. Guillaume avait enfin assuré son royaume et sa place dans l'histoire comme l'un des plus grands commandants militaires.