Le role de l’afrique du Nord dans l’économie méditerranenne de l’antiquité tardive

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Michael Goodyear
de , traduit par Nancy Na
publié le 06 février 2019
Disponible dans ces autres langues: anglais, italien, espagnol
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La mer Méditerranée était le centre économique de l’Empire romain. Les armées romaines avaient établi un empire sur cette mer à l’époque de la République romaine, et en 200 après J.-C., la Méditerranée était toujours ce qui connectait le vaste Empire romain. Les plus grandes villes impériales se trouvaient sur la côte et les navires pouvaient traverser les eaux beaucoup plus rapidement qu’ils n’auraient pu traverser l’Empire par terre. Parmi les navires qui transportaient des gens, des nouvelles et des marchandises à travers la Méditerranée, il y avait des navires d’Afrique du Nord, une région qui jouait un rôle spécial dans l’économie méditerranéenne, car elle fournissait une variété de biens aux marchés de l’Empire, notamment du blé, des olives, des esclaves et de la poterie. La perte de l’Afrique du Nord aux Vandales en 439 après J.-C. eut un impact considérable sur l’économie du monde romain, mais elle n’interrompit pas le rôle important de la région dans l’économie méditerranéenne. Les marchandises et les céréales d'Afrique du Nord continuaient à circuler à travers la Méditerranée, mais dans une nouvelle situation de commerce entre différents États plutôt qu'avec un seul empire.

Olive Oil Amphora From Africa
Amphore de l'huile d'olive de l'Afrique
Liana Miate (CC BY-NC-SA)

L'Afrique du Nord dans l'Antiquité tardive

L’Afrique du Nord, telle que définie par le diocèse d’Afrique romain, était la région du détroit de Gibraltar à la Tripolitaine, ou l’actuelle Libye. La province d’Afrique, correspondant approximativement à l’actuelle Tunisie, avait sa capitale à Carthage, l’une des cinq plus grandes villes du monde méditerranéen à cette époque. Cette région avait été une province importante de l’Empire romain dès la conquête de Carthage au IIe siècle avant J.-C., mais elle acquit encore de l’importance au IIIe siècle après J.-C., une période de crise dans l’Empire: des empereurs montaient et tombaient d’année en année, les guerres civiles faisaient rage et la persécution était endémique. Beaucoup de provinces romaines furent touchées par ces conflits et souffrirent de ralentissements économiques. Cependant, l’Afrique du Nord fut relativement indemne, en comparaison, et la région eut seulement deux connexions aux conflits civils du IIIe siècle. Septime Sévère (r. de 193 à 211 après J.-C.) venait de cette région, mais son règne précéda le chaos principal du siècle qui commença véritablement après 235 après J.-C. Les prétendants impériaux, Gordien Ier et Gordien IIe (r. en 238 ap. J.-C. tous les deux) perdirent la bataille de Carthage, ce qui mit un terme à leurs ambitions impériales. L’Afrique du Nord fut en grande partie épargnée des batailles du siècle suivant et produisit une grande quantité de produits pendant cette période tandis que les autres régions souffraient de ralentissements économiques à cause des armées qui ravageaient leurs terres, leur population et leurs récoltes. De plus, un déclin de la piraterie pendant le IVe siècle après J.-C. fut avantageux pour le commerce et l’accès aux ports pour l’Afrique du Nord et ses routes commerciales étendues dans la Méditerranée.

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L’Afrique du Nord produisait de grandes quantités d’olives pour le commerce dans toute la Méditerranée pendant l’Antiquité tardive. Les olives n’étaient pas originaires de la région, mais avaient été introduites de l’est. L’Afrique du Nord s’était avérée idéale pour la culture des oliviers qui se cultivaient facilement dans le climat méditerranéen chaud et humide autour de Carthage. Les olives occupaient une place importante dans l’alimentation des peuples partout dans l’Empire romain. L’huile d’olive était un élément vital des régimes méditerranéens, tant sous l’Empire romain que de nos jours. De plus, l’huile d’olive était utilisée pour allumer les lampes. L’huile d’olive pouvait être transférée relativement facilement par bateau dans des jarres ou des amphores et n’était pas vraiment périssable. Ces caractéristiques lui permettaient d’être facilement transférée vers d’autres ports, en particulier la Méditerranée occidentale, où des régions comme le sud de la Gaule ne pouvaient pas produire d’olives à la même échelle que l’Afrique du Nord.

L'engobe rouge africain était incroyablement populaire et l'un des types de poterie les plus
répandus trouvé dans le territoire de l'ancien Empire romain.

Une variété d'autres biens, y compris du garum et de la poterie, étaient produits en Afrique du Nord pour le commerce méditerranéen. La pêche était une partie importante du commerce, et le garum, une sauce de poisson fermenté, était produit et transporté vers divers autres ports. Le garum constituait une partie essentielle du régime méditerranéen car la viande ou le poisson frais n'étaient pas toujours disponibles, il était donc toujours en demande comme source de protéines.

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Des objets artisanaux, tels que la poterie, étaient également échangés autour de la mer. L'engobe rouge africain était incroyablement populaire et l'un des types de poterie les plus répandus trouvés dans le territoire de l'ancien Empire romain. Les archéologues ont trouvé des échantillons d'engobe rouge africain dans la plupart des grandes villes de l'Empire ainsi que dans la majorité des provinces. La poterie connut également une période de popularité relativement longue, étant échangée jusqu'au VIIe siècle, lorsque l'Afrique du Nord était sous la domination byzantine.

On échangeait également des esclaves de l'Afrique du Nord avec le reste de l'Empire romain. L'esclavage ne connut pas de croissance notable au cours de la période de 200 à 500 après J.-C., mais le commerce des esclaves était encore un aspect important de l'économie méditerranéenne. Des esclaves pouvaient être enlevés des tribus autochtones de l'Afrique du Nord et échangés autour de la Méditerranée en tant qu'ouvriers, esclaves domestiques et même divertissements dans les jeux. Bien que la région d'Afrique du Nord n'ait pas été le seul ni même nécessairement le premier producteur d'esclaves, elle occupait néanmoins une place importante dans le commerce des esclaves.

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Detail, Roman Slaves Relief Slab
Esclaves romains, détail d'un bas-relief
Jun (CC BY-SA)

L'un des biens les plus importants produits en Afrique du Nord était le blé. La province était particulièrement fertile et avait le sol et le climat idéaux pour produire de grandes quantités de blé. Comme la ville de Rome avait déjà depuis longtemps dépassé la taille où les villages autour d'elle pouvaient produire assez de blé pour toute la population, l'Afrique du Nord partageait depuis longtemps une relation spéciale concernant le commerce du blé avec Rome. Lorsque Auguste régnait, Rome s'était élargie à plusieurs centaines de milliers de personnes et la ville maintiendrait une taille importante jusqu'au Ve siècle après J.-C. La province d'Afrique avait une tâche spécifique dans le système impérial: approvisionner Rome en blé. De nombreuses tonnes de blé et d'orge de l'Afrique et de l'Égypte étaient chargées sur des flottes de bateaux qui transportaient du grain jusqu'à la ville de Rome pour nourrir ses nombreux habitants. Une partie de ce grain allait à l'annona, ou indemnité de blé, pour nourrir gratuitement les citoyens les plus pauvres de la ville. Ces relations commerciales soutenaient la ville de Rome qui devint dépendante des flottes céréalières nord-africaines.

Arrivée des Vandales

Ces relations devinrent de plus en plus importantes au IVe siècle après J.-C. Lorsque les flottes de blé d'Égypte furent détournées vers la ville rapidement croissante de Constantinople après sa fondation en 330 après J.-C., l'Afrique du Nord devint le principal fournisseur de blé de Rome. L'Afrique du Nord, la province romaine occidentale la plus éloignée des envahisseurs barbares, maintint sa position sûre pendant un certain temps, mais en 429 après J.-C., les Vandales y arrivèrent et à la fin de 439 après J.-C., ils prirent Carthage et toute la région. Cela eut des conséquences immédiates et drastiques pour l'économie romaine, nuisant considérablement à l'approvisionnement alimentaire de Rome et de l'Italie en général. Rome perdit son annona car l'Afrique du Nord et ses importants approvisionnements en blé étaient maintenant contrôlés par les Vandales. Cependant, la conquête vandale ouvrit le blé de l'Afrique du Nord à de nouveaux marchés. Malgré ses nouveaux dirigeants, l'Afrique du Nord était trop profondément ancrée dans l'économie méditerranéenne pour disparaître instantanément. Bien que les Vandales aient occupé et divisé des terres en Afrique du Nord, la région était encore productive et relativement prospère. Les savants modernes Andy Merrills et Richard Miles citent le commerce continu des engobes rouges africains pendant les périodes vandale et byzantine pour montrer que le commerce persistait et n'avait pas été arrêté par l'occupation vandale (Merrills et Miles, 150).

Invasions of the Roman Empire
Invasions de l'Empire romain
MapMaster (CC BY-SA)

En plus d'être la plus grande région productrice de blé de l'Empire romain d'Occident, l'Afrique du Nord était aussi la plus riche, étant une source de richesse en impôts pour les empereurs romains d'Occident et servirait ainsi l'Empire byzantin aux VIe et VIIe siècles. Grâce à ses modestes pertes pendant la crise du IIIe siècle, l'Afrique du Nord avait toujours une richesse substantielle dans sa terre prospère, particulièrement par rapport aux autres régions de la moitié occidentale de l'Empire. Une fois que les Vandales eurent pris l'Afrique du Nord, cette richesse financière substantielle et ces revenus fiscaux potentiels furent perdus pour l'Empire romain d'Occident qui faisait déjà face à d'importantes pénuries financières.

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Carthage servait aussi en tant qu'hôtel des monnaies pendant les périodes romaine et vandale; l'un des plus importants de l'Empire romain, reflétant la grandeur de la ville, et des pièces de monnaie romaines portant l'inscription «Carthago» ont été trouvées à travers toute la Méditerranée. Plus tard, les Vandales créèrent leur propre monnaie en bronze, complétant les anciennes pièces romaines en tant que monnaie de la région. De plus, d'importantes richesses furent stockées à Carthage par les Vandales, notamment après le Sac de Rome en 455 après J.-C. La piraterie vandale était répandue dans la Méditerranée après la prise de Carthage; elle sévit jusqu'en Grèce. Cependant, en tant que cœur du royaume vandale, l'Afrique du Nord n'était guère touchée par la piraterie vandale et pouvait encore faire du commerce aux divers ports méditerranéens. Les navires étaient un investissement substantiel et risqué dans le monde antique étant donné le danger des tempêtes et des pirates, mais avoir les pirates vandales comme maîtres ne fit qu'aider les navires nord-africains à arriver à bon port.

Conclusion

L'Afrique du Nord était un joyau de l'Empire romain. Sa richesse était vaste dans une variété de produits tels que les olives, la pêche, la céramique et le blé. Les grandes quantités de blé produites en Afrique du Nord étaient cruciales pour soutenir Rome par l'annona. La richesse de l'Afrique du Nord était aussi importante pour la situation financière de l'Empire romain, particulièrement dans la moitié occidentale, où elle était la province la plus riche. Son commerce s'étendait à travers le monde méditerranéen et l'Empire romain, comme le prouve l'étendue de l'engobe rouge africaine, trouvé de la Gaule à Constantinople. Des solidi en or romains étaient produits à Carthage, l'un des rares endroits où la monnaie romaine officielle était frappée, et des pièces de monnaie de Carthage ont été retrouvées tout autour de la Méditerranée. L'occupation vandale de l'Afrique du Nord causa des conséquences importantes pour l'état romain : la perte de l'annona de la richesse nord-africaine nuisit gravement à l'Empire romain d'Occident déjà en déclin. Cependant, l'occupation vandale ne mit pas fin à l'intégration de l'Afrique du Nord dans la plus grande économie méditerranéenne: le commerce des biens africains continua pendant la période vandale et l'agriculture produisit encore des quantités substantielles de récoltes, même après les premiers sinistres causés par l'occupation parfois violente des Vandales. L'Afrique du Nord resta une partie importante de l'économie méditerranéenne pendant les périodes romaine tardive et vandale, et le commerce et la richesse nord-africains étaient intégrés dans les sphères et les marchés plus vastes des mondes romain et méditerranéen. L'occupation vandale de l'Afrique du Nord ne mit pas fin à l'importance économique de l'Afrique du Nord dans la Méditerranée mais la redéfinit simplement, modifiant la manière dont l'Afrique du Nord s'intégrait dans le système économique plus large. Elle était encore une composante importante de l'économie méditerranéenne; ce n'était tout simplement plus une composante de l'Empire romain.

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Auteur

Michael Goodyear
Michael est diplômé en histoire et en langues et civilisations du Proche-Orient de l'université de Chicago, où il a principalement étudié l'histoire byzantine. Il est également titulaire d'un diplôme de la faculté de droit de l'université du Michigan.

Citer cette ressource

Style APA

Goodyear, M. (2019, février 06). Le role de l’afrique du Nord dans l’économie méditerranenne de l’antiquité tardive [North Africa’s Place in the Mediterranean Economy of Late Antiquity]. (N. Na, Traducteur). World History Encyclopedia. Extrait de https://www.worldhistory.org/trans/fr/2-1331/le-role-de-lafrique-du-nord-dans-leconomie-mediter/

Style Chicago

Goodyear, Michael. "Le role de l’afrique du Nord dans l’économie méditerranenne de l’antiquité tardive." Traduit par Nancy Na. World History Encyclopedia. modifié le février 06, 2019. https://www.worldhistory.org/trans/fr/2-1331/le-role-de-lafrique-du-nord-dans-leconomie-mediter/.

Style MLA

Goodyear, Michael. "Le role de l’afrique du Nord dans l’économie méditerranenne de l’antiquité tardive." Traduit par Nancy Na. World History Encyclopedia. World History Encyclopedia, 06 févr. 2019. Web. 21 nov. 2024.

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