Entre 850 av. JC et 1600 ap. JC, de grandes civilisations prospérèrent en Afrique, mais peu de non-africains en ont entendu parler. Si certains connaissent les réalisations de l'Égypte ancienne, la plupart de nos connaissances de l'histoire africaine sont entachées par l'héritage du colonialisme, du racisme et des préjugés. Lorsque les Européens se lancèrent dans la ruée vers l'Afrique entre le 17e et le 19e siècle, ils mirent en place des systèmes qui perturbèrent les traditions orales qui préservaient l'histoire de l'Afrique, et ils créèrent leurs propres récits pour justifier leur occupation des terres africaines et l'asservissement de ses habitants. Pour renforcer ces récits, certains historiens et archéologues européens choisirent d'ignorer ou de manipuler les preuves des grandes civilisations africaines qui les entouraient. Leur objectif était de découvrir la preuve de l'existence d'une tribu blanche perdue dont le séjour en Afrique était antérieur à l'existence des Africains noirs, et d'établir ainsi leur droit légitime sur les territoires qu'ils colonisaient. L'héritage de ces efforts est une série de stéréotypes et de malentendus sur le continent et ses habitants, notamment la croyance erronée que les Africains n'ont pas d'histoire.
Si de grands progrès ont été accomplis pour découvrir la véritable histoire de l'Afrique, l'impact des préjugés coloniaux, lui, est toujours présent. Certaines des illustrations les plus claires de cet impact peuvent être trouvées lorsque nous examinons les ruines du Grand Zimbabwe ainsi que les historiens, archéologues, explorateurs et colonialistes qui ont essayé de nier sa véritable histoire.
Aujourd'hui, les ruines du Grand Zimbabwe sont un site du patrimoine mondial de l'UNESCO et un symbole important de l'histoire de la nation moderne du Zimbabwe. Situées sur un haut plateau entre le fleuve Limpopo au sud et le fleuve Zambèze au nord, les ruines en pierre comprennent un palais, une tour conique et plusieurs enceintes circulaires. Les bâtisseurs d'origine, les ancêtres du peuple Shona, sculptèrent les briques de pierre de manière si experte qu'ils n'avaient pas besoin d'utiliser de mortier. Les ruines sont en grande partie intactes, et elles ont été isolées des menaces modernes telles que la pollution et l'urbanisation. L'endroit a toujours une signification spirituelle pour les Shonas, et certaines des ruines jouent encore un rôle dans les cérémonies religieuses.
La véritable histoire du Grand Zimbabwe
On pense que le Grand Zimbabwe était à l'origine la capitale d'un royaume puissant et prospère. Les structures qui composent les ruines furent probablement construites entre le 11e et le 15e siècle par les Shona, une tribu de langue bantoue qui migra vers l'Afrique australe au 2e siècle de notre ère.
Les rois du Grand Zimbabwe contrôlaient des milliers de kilomètres de territoire, mais ils ne conquirent pas leurs terres à l'aide d'une armée massive. Le roi du Grand Zimbabwe tirait son autorité de son lien spécial avec les esprits des souverains décédés, qui lui offraient des conseils. Ce lien mystique avec les ancêtres lui permettait d'exercer un contrôle spirituel sur les dirigeants des petites colonies de la région.
Le roi était également chargé de fournir de la nourriture à son peuple. Il possédait des milliers de bovins et supervisait probablement le stockage et la distribution des surplus de céréales. Certains chercheurs pensent que la célèbre tour conique du Grand Zimbabwe était un entrepôt de grains symbolique, et donc un rappel du rôle du roi dans la survie de toute la communauté.
Pendant la saison sèche, les fermiers du Grand Zimbabwe se faisaient chercheurs d'or, et cet or contribua grandement à la prospérité de l'empire. Avec l'ivoire, l'or était l'un des principaux produits commerciaux du Grand Zimbabwe. Grâce aux ports commerciaux swahilis situés sur la côte est de l'Afrique, le Grand Zimbabwe se procurait des marchandises dans le monde entier. Un grand nombre de preuves trouvées sur le site contribuent à prouver le lien entre le Grand Zimbabwe et ce réseau commercial mondial. Les archéologues ont découvert une pièce de monnaie arabe du 14e siècle, des poteries perses du 13e siècle et des perles en porcelaine et en verre de la dynastie chinoise des Ming.
Malheureusement, pendant la période coloniale, une grande partie des preuves du succès des réseaux commerciaux du Grand Zimbabwe furent manipulées pour soutenir les théories selon lesquelles une civilisation caucasienne avait construit le site. La présence de pièces de monnaie arabes et de poteries perses fut utilisée pour attribuer le site à des bâtisseurs arabes et non à des Africains autochtones. De plus, les premiers documents écrits sur le Grand Zimbabwe furent rédigés au 16e siècle, bien après l'abandon du site, et la plupart de ces documents furent rédigés par des Européens qui n'avaient guère envie de préserver avec exactitude l'histoire de la civilisation africaine.
Karl Mauch et la reine de Saba
Karl Mauch (prénom parfois orthographié Carl) était un explorateur et géologue allemand qui recherchait de l'or et des pierres précieuses lorsqu'il découvrit les ruines en 1871. Les préjugés de Mauch influencèrent ses théories sur les ruines. Il ne croyait pas que des autochtones africains aient pu construire des structures aussi sophistiquées. Dans son journal, il affirma que les Africains avec lesquels il s'était entretenu ne vivaient dans la région que depuis 40 ans environ et qu'ils étaient tous "convaincus que des Blancs avaient autrefois habité la région" (Mauch, cité dans Africa : A History Denied).
Ces journaux sont également remplis de dessins d'artefacts qu'il trouva sur le site. Un examen de ces dessins montre que les objets sont d'origine africaine, mais Mauch ne reconnut jamais ce fait. Au contraire, il s'efforça d'associer les ruines à des personnages de la Bible. Il pensait avoir trouvé la ville d'Ophir, un riche comptoir commercial ou une ville portuaire mentionnée dans la Bible, et il croyait que les ruines avaient été le palais de la légendaire souveraine de la ville, la reine de Saba. Selon le récit biblique, la reine de Saba venait d'un pays très riche et, lorsqu'elle rendit visite au roi Salomon à Jérusalem, elle lui apporta des cadeaux précieux, notamment de l'or, des épices et des pierres précieuses.
Mauch avait peu de preuves pour soutenir cette théorie. En explorant le site, il découvrit des poutres de cèdre qu'il supposa provenir du Liban. Il en conclut que seuls des commerçants phéniciens auraient pu fournir ce matériau, qui avait également été utilisé pour la construction des palais de Salomon. Il émit ensuite émis l'hypothèse que la reine de Saba avait élevé les structures en pierre en imitant le palais de Salomon à Jérusalem.
Bien qu'il n'y ait que peu de preuves physiques ou de documents pour étayer la théorie de Mauch, ses spéculations furent soutenues par les colonialistes blancs qui étaient occupés à revendiquer des terres dans la région pour l'Empire britannique. Ils acceptèrent volontiers ce faux récit car il permettait d'établir un lien entre la civilisation européenne et les territoires qu'ils s'appropriaient.
Theodore Bent, Richard Hall et les Phéniciens
En 1891, les ruines du Grand Zimbabwe faisaient partie du territoire administré par la British South Africa Company, qui deviendrait plus tard la Rhodésie du Sud, puis la Rhodésie, du nom de son fondateur Cecil Rhodes. C'est à cette époque que Theodore Bent, un archéologue, fut placé en charge du site. À la tête d'une expédition de la Royal Geographic Society et de la British Association for the Advancement of Science, Bent découvrit des sculptures d'oiseaux en pierre qui lui semblaient similaires aux artefacts qu'il avait vus en étudiant les civilisations du Proche-Orient et de la Méditerranée. Ces preuves insuffisantes amenèrent Bent à conclure que le site avait été construit par les Phéniciens et que les Africains ne s'y étaient installés qu'après l'abandon du site par les Phéniciens.
Cette théorie était l'une des nombreuses que les colonialistes britanniques acceptèrent et promurent afin de justifier les revendications des Blancs sur les terres africaines. Des théories ultérieures attribuèrent le site à des Égyptiens antiques, à des Vikings ayant fait naufrage et même aux habitants mythologiques de l'Atlantide.
En 1902, Rhodes engagea l'archéologue et journaliste Richard Hall pour examiner et préserver le site. Hall publia très vite un livre, The Ancient Ruins of Rhodesia, dans lequel il présentait ses découvertes. Dans ce livre, Hall affirme que le Grand Zimbabwe avait été construit par des "races plus civilisées" (cité dans Ampim, par. 4). Hall entama ensuite une période de "restauration" en retirant des couches de sédiments allant jusqu'à deux mètres de profondeur sur l'ensemble du site dans le but d'éliminer "la saleté et la décadence de l'occupation [africaine]" (ibid). Ce faisant, il détruisit une grande partie des archives archéologiques qui auraient pu prouver de manière concluante l'origine africaine du site.
L'utilisation de la stratigraphie par Gertrude Caton-Thompson
Nombre de ceux qui furent autorisés à étudier le site au début du 20e siècle n'étaient guère plus que des chasseurs de trésors qui détruisirent des preuves précieuses dans leur quête d'objets en or et autres objets de luxe. Leurs actions rendirent la datation et l'étude du site plus difficiles pour les historiens et archéologues ultérieurs. Gertrude Caton-Thompson, une pionnière de l'archéologie moderne qui étudia le site pour le compte de la British Association for the Advancement of Science, fut l'une de ceux qui eurent du mal à découvrir la vérité en raison de cet héritage de destruction.
Caton-Thompson pensait que les théories antérieures sur le site étaient ridicules. Elle avait l'intention d'être beaucoup plus prudente et délibérée dans son examen des ruines. Elle utilisa la stratigraphie, l'une des principales techniques de l'archéologie moderne, pour dater plus précisément ses découvertes, mais elle eut bon nombre de difficultés au Grand Zimbabwe car de nombreuses preuves avaient été détruites par ses prédécesseurs. Elle décida d'utiliser un avion pour trouver des ruines non détruites et réussit à localiser un nouvel ensemble d'enceintes fortifiées qui lui permit de dater le site et de démolir les théories erronées de Mauch, Bent et Hall.
Les preuves qu'elle découvrit indiquent que le site était beaucoup plus récent que ce que l'on croyait auparavant, et qu'il n'était donc pas possible de le relier à d'anciens personnages ou civilisations bibliques. Dans son livre, Zimbabwe Culture, elle conclut que le site avait été construit au cours de la période médiévale par une civilisation africaine autochtone "d'une originalité et d'une industrie étonnantes" (cité dans Hall et Stefoff, 17). Elle affirma également que tous les artefacts qui pouvaient être liés à des civilisations non africaines étaient des preuves de relations commerciales et non la preuve qu'une civilisation proche-orientale ou arabe avait construit le site.
Malgré ses efforts pour attribuer le site à ses véritables bâtisseurs, les théories de Caton-Thompson étaient elles aussi clairement influencées par le racisme. L'une des preuves qu'elle utilisa pour étayer ses conclusions était la structure circulaire des ruines. Elle pensait que cela prouvait l'origine africaine du site, car les populations locales utilisaient également des motifs circulaires pour construire leurs maisons et leurs villages. Puis, laissant transparaître ses préjugés, elle ajouta que si une civilisation plus avancée avait construit le site, elle aurait bâti des murs et des bâtiments en utilisant des lignes droites et des angles droits.
Keith Robinson utilise la datation au radiocarbone
En 1958, l'archéologue Keith Robinson commença à utiliser la datation au radiocarbone pour dater des poteaux de bois qu'il avait trouvés lors de fouilles au Grand Zimbabwe. Ses tests permirent de déterminer que le bois provenait d'un arbre abattu entre 915 et 1215, confirmant la théorie de Caton-Thompson selon laquelle le site avait été construit à l'époque médiévale. Plus tard, des chercheurs recoupèrent les découvertes de Robinson avec d'autres échantillons de radiocarbone prélevés sur le site et en conclurent que la plupart des bâtiments avaient été construits à l'apogée de la civilisation du Grand Zimbabwe, entre 1300 et 1450.
L'héritage de la fausse histoire se poursuit
Alors que les découvertes de Robinson et Caton-Thompson auraient dû mettre un terme aux théories antérieures selon lesquelles le Grand Zimbabwe avait été construit par une civilisation blanche disparue, les mythes sur son histoire ont persisté, motivés par des préjugés raciaux et le désir constant de justifier la colonisation européenne.
En 1965, la Rhodésie du Sud se libéra de la domination britannique sous la direction de Ian Smith, un colon blanc qui s'autoproclama premier ministre de la nouvelle nation. Pendant cette période, Smith continua à produire de faux récits sur l'histoire du Grand Zimbabwe. Les guides touristiques, par exemple, montraient des Africains noirs s'inclinant avec soumission devant les visionnaires blancs à qui l'on attribuait la construction des murs circulaires et du grand palais du site.
En 1980, les Zimbabwéens de souche renversèrent le gouvernement de Smith et obtinrent leur indépendance. Ils adoptèrent le nom de Zimbabwe pour se rattacher à leur histoire antérieure. Les célèbres oiseaux de pierre que Theodore Bent utilisait autrefois comme "preuve" des origines phéniciennes supposées du site sont aujourd'hui l'emblème national du Zimbabwe, figurant sur son drapeau, ses armoiries et sa monnaie. Le site est aujourd'hui largement considéré comme l'œuvre des ancêtres du peuple Shona, mais l'héritage de la fausse histoire perdure. Même sur le site web de l'UNESCO expliquant l'importance du Grand Zimbabwe en tant que site du patrimoine mondial, les ruines sont décrites comme "la capitale de la reine de Saba, selon une légende séculaire". Espérant peut-être que la véritable histoire du Grand Zimbabwe sera un jour la seule dont nous entendrons parler, l'UNESCO poursuit en évoquant les véritables origines du site et son importance en tant que "témoignage unique de la civilisation bantoue des Shona entre le XIe et le XVe siècle".
L'impact des préjugés sur l'histoire du Grand Zimbabwe est un exemple clair de la façon dont le colonialisme a entaché l'étude de l'histoire africaine. L'étude correcte des civilisations africaines et de leur histoire, qui donne tout le crédit aux Africains autochtones pour leurs réalisations, est une partie essentielle du processus de décolonisation, et nous devons tous faire un plus grand effort pour séparer la vérité des préjugés qui ont façonné un faux récit de l'histoire africaine pendant bien trop longtemps.